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  • Le mémo d’Amiens de Jean-Louis Rambour

    éd. Henry, coll. La main aux poètes, octobre 2014. Vignette de couverture : Isabelle Clement.

     

     

     96 pages, 8 euros

     

    « C’est un pays étrange, cette ville, avec tous ces gens », c’est sur cette citation du Clézio que s’ouvre ce recueil, qui bien que tenant dans la poche, pèse son poids de vies humaines et d’un siècle condensé. 90 « poèmes-photos », 90 portraits de 14 lignes. Une ville, Amiens et des gens, des habitants. Des prénoms, quelques noms, des histoires, des rêves, des ambitions, des douleurs, des misères, des saloperies aussi de tout un siècle découpé en guerres, en entre-deux, en révolutions.

     

    « Ici Julia parle de la grande souffrance d’Amiens (…)

    La grande souffrance dit-elle Deux guerres mondiales

    À elle seule L’idée qu’on a pris forme humaine

    Pour vivre la somme des malheurs la note élevée

    Pris forme humaine pour offrir ses ruines »

     

    Toute cette grande machinerie de l’Histoire à coups de bottes, de pieds résolus, de pieds nus, de pieds noirs, d’escarpins tourbillonnant après l’amour, la grande marche de l’Histoire à coups de bombes, de bulldozers, de bâtiments qui s’effondrent, de bâtiments qui se dressent, de fermes qui disparaissent, de zones et d’entreprises aux noms anglo-saxons qui engraissent. Et les gens, les gens qui vivent tout ça, des gens qui habitent, font et défont la ville, des gens venus de là et d’ailleurs, tout plein de mémoire et de trous.

     

    On construit on construit Les ouvriers de Pi and Dji

    Ont besoin de murs autour de leurs lits

    De fenêtres pour imaginer des libertés

    Sans compter qu’il y a Good Year Cyclam

    Plastic Omnium Unither Scott Bader Vidam

    Whirpool Faiveley Mersen France Sans compter

    La guerre d’Algérie qui jusqu’ici distribue ses exils

     

    Beaucoup de noms dans le mémo d’Amiens, un mémo c’est fait pour ça, pour ne pas oublier, les noms de personnes, noms de rues, de places, de quartiers et de ciel et de pays aussi laissés derrière, mais dont quelques graines sont venus les unes après les autres, fleurir la ville de couleurs nouvelles. De parfums nouveaux.

     

    Geneviève, Rémi, Georges, Laurent, Isabelle, Lucienne, Léon… A eux seuls, les prénoms, tout un poème. Nemrod venu du Tchad jusqu’à cette ville d’Amiens où L’eau ne fait que glisser dans les tuyaux de cuivre et où la misère pourtant est belle de ses salle de bains/Et ses terrasses de café où la bière est en or. Là où Boris flotte avec les nuages des gitanes/La bière sa petite odeur d’urine d’âne surie.

     

    Il y a le travail, ses travailleurs et ses exclus et il y a le foot. Daniel (…) estime qu’un ballon est un bon résumé/De l’aventure humaine Tous les globes d’ailleurs/Plus généralement Les globes et les nombrils.

     

    Jennifer, Chaïma, Yliès, Caetano, Germain, Gilles, Jacqueline. Gilles qui se fait appeler Njango. Habib, Jésus, Anna et puis les épiciers, Monsieur et Madame Tellier. On ne pèse plus les pâtes/Le riz, la levure On ne râpe plus le fromage/On ne surveille plus l’intégrité des grains de café/On ne se fait plus servir  C’est le début du non-partage/On apprend le mot de self-service On s’en repaît (…) Le curé tente d’excommunier le chewing-gum/Mais en vain/On entre dans l’ère du self et du look

     

    Le château d’eau du Pigeonnier devient le poste de surpression d’eau potable dépendant du département eau et assainissement/De la mairie d’Amiens sous la responsabilité de l’agent Matthieu Bernard.

     

    Les temps changent, tout change mais la nuit a t’elle perdu la manie misérable d’accoucher ses cauchemars chats noirs/Ses ogres bossus aux manches de chandail/Luisantes de pailles et du mucus des limaces ?

     

    Amiens sous la plume de Jean-Louis Rambour nous laisse découvrir son intimité, les dessous de ses visages innombrables, son grand théâtre…

     

    Ch’est nous chés tchots/Conmédiens/Chés viux cabotants d’Anmiens*

     

    Le mémo d’Amiens est un hommage poignant, sensible mais surtout pas mièvre, au contraire digne, lucide, sans concession, hommage aux femmes et aux hommes, d’où qu’ils viennent, qui forment le vrai ciment des murs d’une ville, qui la font tenir debout, en lui offrant encore un souffle d’humanité, aussi chargé soit-il.

     

    Cathy Garcia

     

     

    *(C’est nous les petits comédiens/les vieux cabotins d’Amiens, dans la chanson d’adieu des marionnettes traditionnelles picardes, par Maurice Domon)

     

     

    Jean-Louis Rambour né en 1952, à Amiens, vit toujours en Picardie.

    Bibliographie :

    Mur, La Grisière, 1971
    Récits, Saint-Germain-des-Prés, 1976
    Petite biographie d’Édouard G., CAP 80, 1982
    Le poème dû à Van Eyck, L’Arbre, 1984
    Sébastien, Cahiers du Confluent, 1985
    Le poème en temps réel, CAP 80, 1986
    Composition avec fond bleu, Encres Vives, 1987
    Françoise, blottie, Interventions à Haute Voix, 1990
    Lapidaire, CAP 80, 1992
    Le bois de l’assassin, Polder, 1994
    Le guetteur de silence, Rétro-Viseur, 1995
    Théo, Corps Puce, 1996 / La Vague verte, 2005
    L’ensemblier de mes prisons, L’Arbre à paroles, 1996
    Le jeune homme salamandre, L’Arbre, 1999
    Scènes de la grande parade, Le Dé bleu, 2001
    Pour la fête de la dédicace, Le Coudrier, 2002
    La nuit revenante, la nuit, Les Vanneaux, 2005
    L’hécatombe des ormes, Jacques Brémond, 2006
    Ce monde qui était deux, Les Vanneaux, 2007

    Le seizième Arcane, Corps Puce, 2008 (préface de Pierre Garnier)
    Partage des eaux, Ateliers des éditions R. & L. Dutrou, 2009 (dessins de René Botti)
    Cinq matins sous les arbres, Vivement dimanche, 2009
    Clore le monde, L'Arbre à paroles, 2009 (frontispice de Benjamin Rondia)
    Anges nus, Le Cadran ligné, 2010
    mOi in the Sky, Presses de Semur, 2011
    La Dérive des continents, Musée Boucher-de-Perthes d'Abbeville, 2011 (huiles de Silère et préface de Pierre Garnier)
    Démentis, Les Révélés, 2011 (livre d'artiste réalisé avec le peintre Maria Desmée)
    La Vie crue, Corps Puce, 2012 (encres de Pierre Tréfois et préface de Ivar Ch'Vavar)
    Au Commencement était la bicyclette, Université de Picardie Jules-Verne, 2014 (25 textes pour le catalogue d'une exposition du peintre Silère)


    Jean-Louis Rambour a également publié des recueils de nouvelles et des romans : Les douze Parfums de Julia (sous le nom de Frédéric Manon), La Vague verte, 2000 (Prix du livre de Picardie Club de lecteurs 2001) ; Dans la Chemise d'Aragon, La Vague verte, 2002 (Prix du livre de Picardie 2003) ; Carrefour de l'Europe, La Vague verte, 2004 ; Et avec ceci, Abel Bécanes, 2007.

     

     

  • Keltoum Staali

    Celui qui est mort sans dire son nom

    Dans la barbarie de la guerre

     Front immobile contre l’horizon

     Celui qui dort au fond de la terre

     Dans la paix des cimetières

     Et nous attend

     

     in je déserterai mon nom

     

     

  • Jean Gédéon

    Hommes-lierre, hommes-galets, sans angles, sans arrêtes,

    Dévorés par les rouilles fugaces de la modernité,

     Roulant avec le flot jusqu’à votre embouchure inexorable.

      

    Hommes-galets,

     Dans les murs de la peur journalière,

     Hommes-lierre, accrochés à vos rêves effilochés,

     Nourris par les écrans de la réalité virtuelle,

      

    Vous acceptez l’abominable, parce que les images,

     Les voix qui sont censées savoir vous ont affirmé,

     (et vous les croyez), que l’inacceptable doit être accepté

     Comme l’hiver succède à l’automne, l’automne à l’été.

      

    Hommes de peur, de sang, consommateurs conditionnés,

     Sommés chaque jour de consommer plus de dérisoire,

     Vous avez trop longtemps accepté avec naïve confiance,

     De confier vos pauvres vies à la cupidité, au mensonge.

     

     in Crispations