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  • Romain Gary

     

    Il avait aussi le plus grand respect de l'humour

    parce que c'était une des meilleures armes

    que l'homme eût jamais forgées pour lutter contre lui-même.

     

    in Les Racines du ciel

     

     

  • LES FOUS

     

    il existe sur cette terre un peuple dont on ne parle jamais mais ils se reconnaissent entre eux ; ils s’aiment ou se haïssent mais surtout sans cesse, ils se renvoient la même question, la seule à leurs yeux qui mérite d’être posée. ils cherchent, cherchent sans répit, sinon quelques plages de mensonges et certaines formes d’oubli. cette question murmurée, implorée, chantée, hurlée, ils s’en frappent la tête. ils s’en mettent le cœur à vif. ils la boivent tel un vin rare, se saoulent et se régénèrent, la perdent pour mieux la retrouver jusqu’au bout des nuits blanches, des journées sans soleil. ils la décortiquent, l’aspirent, la crachent et l’offrent parfois sans calcul comme un bouquet de fleurs à une âme de passage.

     

    certains disent qu’ils sont fous. et alors ?

     

    il en faut des fous pour exorciser nos démons, pour donner corps à nos monstres et nous permettre de dormir en paix ! il en faut des fous pour se mettre à nu et se poignarder avec tous nos pieux mensonges ! il en faut des fous pour se lancer dans ce vide que nous n’affrontons pas même du regard. il en faut des fous pour aller décrocher les étoiles qui brillent derrière nos paupières cousues.

     

     

    il en faut des fous pour accoucher le monde !

     

    fous ! les fous battent la campagne et la breloque !

    fous ! désaxés ! détraqués ! dérangés !

    siphonnés, cinglés, piqués, cintrés, timbrés !

    mabouls, marteaux ! toqués, tapés ! tordus, toc-toc,

    cinoques, louftingues,

    dingues et loufoques !

     

    z’ont perdu la raison,

    la boule et la boussole,

    une araignée au plafond,

    mais qu’importe monsieur,

    les fous travaillent et pas qu’un peu

    les fous travaillent du chapeau !

     

    les fourres tout

    les foutrement gais

    les inspirés

    chercheurs de vérité

    fous téméraires

    et foutu bordel !

     

    les fous à lier
    les fous de liberté
    les fous d’amour
    fous de bonheur
    les fous de joie
    les fous rire
    les fous des bois

    fous de toi
    et fous au galop
    les fous échappés
    du jeu de tarot
    les fous en marche

    sur l’échiquier

     

    il y a aussi les foutez-moi la paix
    les foutez-vous de ma gueule
    et tous ces fous qui en veulent
    il y a les vieux fous sans lendemain
    les fous qui combattent les moulins

     

    les sacrés fous

    les fous sacrés

    qu’est qu’ils foutent

    les fous ?

     


    les fous parlent à leur chien

    à leur chat au ciel

    aux inconnus

    et à la chenille

    ne savent pas mentir

    les fous respectent la terre

    les fous flânent en chemin

    nourrissent les oiseaux

    les fous pleurent

    la mort d’une fleur

    les fous se rient des frontières

    les fous traversent les déserts

    gravissent les montagnes

    franchissent les mers

    à la nage ou à la rame

    les fous disent paix et tolérance

    brûlent leur carte d’identité

    pour être sans-papier

    refusent de s’alimenter

    parce que d’autres sont opprimés

    les fous ne ferment jamais leur porte à clé

     

    les fous s’égarent

    donnent sans compter

    les fous vivent dans les arbres

    les fous sèment des jardins

    les fous se couchent au sol

    devant les tanks les bulldozers
    il y a des fous qui aiment tellement les animaux
    qu’ils ne les mangent pas
    il y a les fous qui balaient devant leurs pas

    pour ne pas écraser le plus infime insecte

    les fous parlent d’amour quand on leur fait la guerre

    les fous pardonnent à leurs tortionnaires

    les fous luttent résistent inventent

    aiment et cultivent la différence

     

    les fous vivent leurs idéaux

    les fous crachent des poèmes

    sur les façades des cités

    les fous refusent télé supermarchés

    refusent d’être vaccinés pucés

    s’entêtent à ne pas se résigner

     

    les fous un jour partent

    sans se retourner

    les fous voyagent à pied

    à dos d’ânes en roulottes

    il y a des fous qui vont dans une grotte
    méditer pendant des années
    il y a des fous qui peuvent

    se passer d’électricité

    les fous font de leurs rêves une réalité

    les fous aiment malgré tout

    les fous refusent le garde à vous

    les fous croient en la justice

    et pensent pouvoir dévier le monde

     

    mais les fous craignent les fous

    les fous vraiment malades

    les fous nocifs les fous dangereux

    les foutez-les dehors
    les fous qui veulent rester entre eux

    les fous offensifs

    les foudres de guerre

    führers et fous sanguinaires

    les fous pervers
    fous du violent

    fous psychopathes
    et fous de la gâchette
    les fous furieux

    les fous maniaques
    les fous avides

    les fouilles-merde
    les fous stupides

    les fous creux

    fous des grandeurs
    fous persécuteurs

    fous réducteurs
    fous délirants
    fous paranoïaques
    et fous de la matraque
    les fous forcenés

    fous d’odieux

    des fous banquiers
    fous scientifiques
    fous fanatiques

    des fous déguisés en flic

    fous de fric de pouvoir

    des fous politicards

    fous qui veulent tout diriger

    fous qui veulent tout acheter

    y’a pas pire fous que ceux-là.

    fous qui pensent qu’ils n’en sont pas

     

    et qui proclament :

     

    est fou celui qui ne pense pas comme nous…

    est fou celui qui n’est pas comme nous…

     

    et ils enferment, détruisent, asservissent et assassinent

     

    monde foutu par ceux-là ?

    planète foutue par ces fous ci ?

     

    plutôt fou-rire !

     

     

     cg, in Follement autre

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Torii Kotondo

    Torii Kotondo 5.jpg

     

    Sortir de sa tête, descendre dans le corps, l’habiter entièrement jusqu’à l’extrémité des doigts, les orteils, le moindre cheveu devient une antenne. La peau respire, brille comme les plantes. Cette envie de se retourner envers, endroit, comme un gant pour sentir encore et encore plus avec la chair, les veines, les organes et les muscles, les os. Sentir à quel point nous sommes fait de la même étoffe que les fleurs, les nuages, le vent, la pluie et que nos limites ne sont là que pour jouir de toutes les sensations possibles.

     

    cg in Le livre des sensations