J'attends la foudre et autres textes de Samaële Steiner

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Voici les 26 premières pages de ce magnifique roman américain écrit en 1937, par Zora Neale Hurston dans une traduction inédite et magistrale de Sika Fakambi (Zulma édition) et lues par moi-même.
Zora Neale Hurston, née le 7 janvier 1891 à Notasulga dans l'État de l'Alabama, et morte le 28 janvier 1960 à Fort Pierce dans l'État de la Floride : romancière, nouvelliste, essayiste, dramaturge, anthropologue, folkloriste et journaliste américaine qui est une des figures majeures du mouvement culturel afro-américain dit de la Renaissance de Harlem, notamment avec ce roman (Their Eyes Were Watching God) qui célèbre la culture afro-américaine dans la ruralité du Sud. Elle fait partie des co-auteurs du manifeste Fire !! pour une esthétique afro-américaine libre. Élève de Franz Boas, elle a contribué à l'élaboration d'une anthropologie des traditions orales afro-américaines, elle a également mis en valeur la culture caribéenne exposée par son essai Voodoo and Life in Haiti and Jamaica.
René Depestre, poète, romancier haïtien, un roman sorti en 1988 alors qu'il vivait dans le Languedoc, il a eu le prix Renaudot la même année. J'aime beaucoup la littérature haïtienne, et ce magnifique roman confirme, de plus, c'est une des rares fictions littéraires à aborder le vrai sujet de la zombification en Haïti.
"Jacmel (Haïti) en 1938, à l’époque des réjouissances du Carnaval. Patrick Altamont, le jeune narrateur, nous conte deux événements qui se produisent en simultané : d’abord la fin de sa très chère marraine Germaine Villaret-Joyeuse, puis les noces de l’éblouissante Hadriana Siloé, laquelle tombe raide morte au pied de l’autel à la minute où elle prononce le oui sacramentel.
Mais nous sommes en pays vaudou où le rituel des métamorphoses permet de mêler les horreurs de la mort aux rires de la fête. Et si Hadriana, l’héroïne française du récit, est enterrée en grande pompe dans sa belle robe de mariée, elle ressuscite aussitôt sous la forme d’une zombie, l’une des formes mythiques du destin des Haïtiens.
Autour de ce thème lié aux mythes de l’esclavage et de la colonisation, symbole de l’ambiguïté du réel-merveilleux dans les cultures de la Caraïbe, l’humour et l’imagination du conteur se débrident pour éclairer le vécu haïtien dans sa fantaisie, sa sensualité, son surréalisme démonté, son désordre toujours hallucinant…
René Depestre, magicien de l’écriture, sait une fois de plus entraîner son lecteur à l’intérieur d’une sarabande macabre et burlesque au cours de laquelle les danses colorées et la musique sont indissociables des cérémonies funèbres. La joie de vivre et la terreur de passer à trépas procèdent d’une seule et même énergie. Et la verve extravagante et somptueuse de l’auteur nous force à croire à ce récit bourré de personnages plus insolites les uns que les autres. "
viens de terminer ce livre dans sa réédition à la très chouette édition Au vent des îles et j'ai beaucoup apprécié, une parole juste et essentielle :
"en 1992, Chantal Spitz écrivait, avec L’Île des rêves écrasés, le premier roman tahitien. Cet ouvrage, fondamentalement anticolonialiste, ne recule devant aucun défi dont celui, que ne renieraient pas Deleuze ni Guattari, d’ébranler, par le biais d’un récit individuel, océanien, l’assise établie d’une historicité collective, coloniale, ou encore, paradoxe ultime, de restituer à l’écrit et en français la sacralité et le souffle oratoire, performatif, d’une langue et d’un univers océaniens."
"L’Île des rêves écrasés met en scène ce malaise omniprésent qui déchire la Polynésie française d’aujourd’hui. Si son écriture semble agressive, c’est à une histoire d’amour que l’auteur nous convie. La publication en 1991 de L’Île des rêves écrasés a suscité de nombreuses réactions dans la société tahitienne, allant des appréciations les plus élogieuses aux condamnations les plus frénétiques. De courriers anonymes en appels non identifiés, la violence des attaques a été à la mesure des désordres que la lecture de ce roman a provoqués à une époque où le conformisme tenait lieu de pensée.
Douze ans après, la réédition, dans la collection Littératures du Pacifique, de cet ouvrage épuisé depuis longtemps était une nécessité."
J'ai lu et vraiment adoré magnifique roman américain écrit en 1937, par Zora Neale Hurston dans une traduction inédite, effectivement magistrale, de Sika Fakambi !
Zora Neale Hurston, née le 7 janvier 1891 à Notasulga dans l'État de l'Alabama, et morte le 28 janvier 1960 à Fort Pierce dans l'État de la Floride : romancière, nouvelliste, essayiste, dramaturge, anthropologue, folkloriste et journaliste américaine qui est une des figures majeures du mouvement culturel afro-américain dit de la Renaissance de Harlem, notamment avec ce roman (Their Eyes Were Watching God) qui célèbre la culture afro-américaine dans la ruralité du Sud.
Elle fait partie des co-auteurs du manifeste Fire !! pour une esthétique afro-américaine libre.
Élève de Franz Boas, elle a contribué à l'élaboration d'une anthropologie des traditions orales afro-américaines, elle a également mis en valeur la culture caribéenne exposée par son essai Voodoo and Life in Haiti and Jamaica.
https://www.zulma.fr/livre/mais-leurs-yeux-dardaient-sur-dieu-3/
Zora Neale Hurston est l'auteure afro-américaine qui fut la plus lue de son temps. Sa propre vie est tout un roman souvent tragique.
éd. Le Tripode, 2016
Et bien je viens de terminer les 800 pages de "L'art de la joie", merci à celle qui me l'a offert !! Belle revanche pour ce livre qui avait été étouffé, magnifique, jouissif, contestataire, féministe c'est à dire intégralement vivant, je le conseille vivement !
écrit entre 1967 et 1976, ce livre est resté longtemps inédit jusqu'à la mort de l'auteure. Même l'intervention du président de la République, ami de sa mère, ne suffit pas à faire accepter son manuscrit qui ne sera publié pour la première fois qu'en 1986 à compte d'auteur par Angelo Pellegrino (un acteur et écrivain italien, mari de Goliarda Sapienza et après la mort de celle-ci — en 1996 — et passe à l'époque inaperçu. C'est en 2005 avec la publication en Allemagne par Waltraud Schwarze, puis en France par son amie Viviane Hamy, qu'il devient un best-seller et un long-seller, traduit en quinze langues et enfin reconnu aussi en Italie.
traduit de l’espagnol (Cuba) par Maïra Muchnik, Belleville éditions, octobre 2021. 240 pages, 19 €.
« SI T’ATTERRIS ICI, C’EST POUR LA VIE, quelqu’un l’avait écrit sur le mur d’une maison, et c’est vrai que le quartier était chaud, vraiment chaud. »
D’une construction fort originale, La cathédrale des noirs avec ses airs de simplicité et son humour caustique de quartier populaire, se bâtit sur une succession de témoignages qui dessine de plus en plus clairement une réalité trash et sanglante. Nous sommes à Cienfuegos, la « perle de Cuba », sa fameuse baie et ses plages adulées par le touriste mais dans La cathédrale des noirs, nous ne verrons pas la plage, juste quelques virées au quartier blanc de Punta Gorda pour y vendre de la viande et quelle viande !
Les faits qui sont au cœur de ce roman se déroulent à Punta Gotica, quartier pauvre, quartier noir, avenir barré, vilaines combines, drogue, alcool, sorcellerie, putes et criminalité. Punta Gotica est un quartier où on pisse sur la tête de l’ennemi vaincu.
« Naitre noir, c’est déjà être dans le pétrin, alors imagine si en plus tu dois vivre dans les baraquements d’un quartier pareil. » raconte Alain Silva Acosta, psychologue doté d’un master en gestion d’entreprise et dans la mouise comme tous les autres.
C’est là que vient emménager la famille Stuart et ses trois enfants : la splendide Johannes et deux garçons, David King qui sera vite surnommé Le Grillon et le plus jeune, Samuel Prince, le tout beau, le tout doux mais Bárbaro Suárez Rosales que cette douceur insupportait et qui avait voulu le surnommer Gélatine a vite compris à ses dépens qu’il y avait de la férocité qui couvait chez le poète.
Le père Stuart est un patriarche visionnaire, illuminé par sa foi, pas un tendre, mais un dur et sévère qui fiche des raclées à son aîné au nom du droit chemin et il a un projet grandiose, soutenu par des pasteurs de plusieurs États nord-américains : la congrégation du Saint Sacrement, une de ces innombrables églises évangélistes, qui a son pasteur déjà à Cienfuegos. Ce projet, c’est une cathédrale du Saint Sacrement, celle qui sera surnommée la cathédrale des noirs, une construction toujours plus démesurée et sans fin.
Et puis il y a donc Ricardo Mora Gutiérrez, alias le Gringo et son acolyte La Porcasse. Le Gringo, ils sont nombreux à témoigner à son propos et lui-même témoigne souvent et on suivra son parcours jusqu’à l’injection terminale. Un parcours marqué par l’avidité. Avidité d’amour, d’argent, de reconnaissance : puissant sceau de damnation. Et parmi tous ces personnages hauts et chauds en couleurs et pour certains surtout en noirceur, il y a les fantômes, les morts qui sont restés esclaves du palero, le maître, le « parrain » d’El Gringo et plus tard aussi de Samuel Prince.
Le Palo, religion afro-caraïbéenne proche de la Santeria et du Candomblé mais d’origine bantoue mélangée d'éléments de spiritisme, de magie et de catholicisme. Le Palo fonctionne par la manipulation de deux forces : la Lumière et les Ténèbres et dans La cathédrale des noirs, rares sont ceux qui peuvent échapper aux Ténèbres.
Âmes sensibles s’abstenir donc, Marcial Gala nous embarque dans la peau des habitants de Punta Gotica et ce n’est pas un voyage touristique.
« Dieu n’en voulait pas. Dieu n’en voulait pas de cette cathédrale, et tout est devenu confus. »
Cathy Garcia Canalès
Marcial Gala est né à La Havane en 1965 et vit aujourd’hui entre Buenos Aires et Cienfuegos. La Cathédrale des noirs, son troisième roman, a été élu meilleur roman cubain en2012 et lauréat du prix Alejo Carpentier. Il conte les grandeur et décadence d’un peuple qui aspire à une profonde spiritualité, mais qui sombre dans ses contradictions. Gala est déjà considéré comme l’une des voix cubaines les plus originales de sa génération.
éditions Inculte, 3 février 2021 – décembre 2020. 300 pages, 18,90 €.
Qu’un homme puisse éjaculer à la vue d’une pantoufle ne nous surprend pas, ni non plus qu’il s’en serve pour ramener le conjoint à de meilleurs sentiments, mais personne assurément ne peut songer qu’une pantoufle puisse servir à apaiser la fringale, même extrême, d’un individu.
Jacques Lacan (1901-1981, psychanalyste français)
Entre autofiction et séance de psychanalyse étalée sur près de 300 pages, dans Le rapport sexuel n’existe plus, l’auteur est son propre personnage, endossant son propre nom et une partie en tout cas de sa vraie vie. Le fait que le récit prenne place en 2022 et s’achève en 2024 invente une distance temporelle avec ce qui semble pourtant être un véritable journal intime. Récit à visée thérapeutique pour guérir la douleur d’une déception amoureuse, dont l’auteur — cinquantenaire, se décrivant lui-même comme obèse et obsédé par l’arrivée de l’andropause qui vient alourdir le bilan d’une vie sexuelle de plus en plus fantasmatique — n’arrive pas à se défaire. Autoflagellation, autodérision, décorticage hyperlucide de son manque de lucidité, c’est grâce à son grand humour que l’auteur/personnage se rattrape toujours et parfois in extremis avant la chute dans le pathétique.
Philippe De Jonckeere, informaticien, personnage donc de l’auteur Philippe De Jonckeere, et c’est là que réside l’originalité parfois inconfortable de ce roman — où commence la fiction ? Où s’arrête-t-elle ? —, cherche à travers ce processus d’écriture à autopsier une relation affective que son imagination a rendu bien plus forte et réciproque qu’elle ne l’était en réalité, le but étant de parvenir à en faire le deuil, mais il y a aussi la possibilité que la personne en question, la cause de ses souffrances, lise le roman une fois publié, ce qui rend le deuil impossible puisque cela demeure une énième tentative, même masquée, de faire perdurer le lien. Donc le but du roman lui-même se mord la queue finalement.
Un roman comme une tentative de mise à jour :
« Internet c’est étonnant parfois. On dit souvent que c’est une mémoire, c’est tout le contraire, c’est une fiction dont les mises à jour gomment les données les plus anciennes, elles les écrasent, comme on dit en informatique. Car, comme vous savez, je suis informaticien. »
C’est très intéressant sur le plan du questionnement du pourquoi de l’écriture et du pourquoi nous faisons les choses dans la vie en général. L’intention affichée et l’intention sous-jacente. Tout lecteur peu disposé à réfléchir en profondeur sur ses propres fonctionnements psychologiques posera sans doute assez vite ce livre. Lecteur qui se retrouve happé dans ce processus très intime, témoin et même complice malgré lui d’une autoanalyse, où on retrouve notamment des narrations de rêves et des citations de Lacan, comme par exemple : « On finit toujours par devenir un personnage de sa propre histoire » ou « La vérité a la structure d’une fiction » et qui a inspiré le titre même de ce roman.
Une plongée dans la micro-réalité la plus intime du personnage de l’auteur donc, qui ainsi dévoile le moindre ressort de ses pensées, divaguant entre fantasme et réalité dans un roman qui lui-même sème le doute chez le lecteur quant à ce qu’il est en train de lire. Parfois, ce dernier peut se sentir de trop dans ce monologue intérieur, qui à force de détails des plus anodins et de ressassements, peut devenir même lassant et puis il est rattrapé, parce que c’est drôle aussi, impudiquement et férocement drôle, parce qu’il peut aussi se reconnaître – plus encore si le lecteur est un homme cinquantenaire en perte de confiance et tourmenté par les premiers signes de l’andropause. Sujet d’ailleurs rarement abordé en littérature ou dans la vraie vie même et qui est ici largement exposé. « Soixante-neuf fois le mot andropause. Vous pouvez vérifier. »
Dans « Le rapport sexuel n’existe plus », il est question de sexe bien-sûr, mais plus encore de solitude, de manque d’affection et d’élévation, de stimulation intellectuelle et sensorielle et il est beaucoup question de musique, de jazz en particulier, car celle autour de qui tourne tout le roman — en plus du nombril malmené, vieillissant et inquiet de son auteur — est une contrebassiste. Musique, cinéma, poésie, littérature et le sentiment d’impuissance face aux drames du monde forment aussi le canevas du récit bien plus que les problèmes d‘érection.
« Le rapport sexuel n’existe plus » est donc une sorte de journal de bord, journal hyper détaillé d’une obsession érotico-sentimentale, qui use et abuse du pouvoir thérapeutique de l’écriture pour se sonder en profondeur, se traquer dans les recoins, s’avouer ses plus inavouables faiblesses, disséquer ses pensées, comportements, fuites et addictions, et remonter ainsi peu à peu la pente de la dépression. Un lecteur ne connaissant pas du tout le travail de l’auteur et ses livres précédents ne saura pas si l’objet de ce roman est réellement ce qu’il prétend être, mais en comprenant la démarche de cet auteur qui, pensant ne pas savoir écrire, s’est obstiné à le faire — un réflexe de survie à sa propre histoire — on ne peut que saluer le courage de cette extrême mise à nu qui épargne en même temps le lecteur du fardeau excessif de pathos, grâce à cette distance que permet un sens aigu de l’humour et de l’absurde.
C’est bon de lire une voix d’homme osant aborder ses fragilités de mâle et en déconstruire les clichés, osant afficher ses peurs, sa sensibilité jusque dans ses accès les plus larmoyants, ses manques, ses obsessions et ses petites hontes intimes, qui ne craint pas de montrer des aspects peu glorieux de lui-même.
Cathy Garcia Canalès
1951, Robert Frank prend une petite fille en photo dans les rues de Paris. Cette petite fille sera ma mère. Né le jour de la 1964ème commémoration du massacre des innocents. Entrée en 1986 à L’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris où je perds un peu de temps faute de recevoir l’enseignement que j’étais venu y chercher. Les professeurs de photographie sont des photographes stricto sensu, c’est dire. En 1988, deux ans d’études à The School of the Art Institute of Chicago, où je reçois notamment l’enseignement de Barbara Crane, Joyce Neimanas, Ken Josephson, Karen Savage et Bart Parker, je rattrape amplement le temps perdu aux Arts Décos. En 1990, je suis l’assistant de Robert Heineken, j’assiste à des miracles tous les jours. Fin 1991, retour en France, les choses vont mal. En 1993, à la suite d’un deuil, je commence à écrire, force est de constater que je ne sais pas écrire, mais je m’obstine, comme en toutes choses. 1995, Mai de la Photo à Reims, seule exposition d’envergure, l’exposition est censurée. Ça foire, comme en toutes choses. En 1995, je pars à Portsmouth en exil. Je fais les trois huit, travail alimentaire, sommeil, travail dans l’atelier ou travail alimentaire, travail dans l’atelier, sommeil, ou travail dans l’atelier, travail alimentaire, sommeil. En 1998, retour en France, je ne fais plus de photographie, presque plus, je continue d’essayer d’écrire, je fais des petits progrès. J’habite à la campagne. En 1999, j’achète un ordinateur personnel, j’apprends à m’en servir en apprenant à écrire, de même que j’apprends à écrire en apprenant à me servir de mon ordinateur. 1999 : Naissance de Madeleine Hannah De Jonckheere. En 2000, je construis un site Internet, le Désordre. C’est très long. Je me couche souvent très tard. Ça foire pas mal, mais je m’entête. En 2002, je reçois le prix multimédia de la Société des Gens de Lettres, ça ne foire pas tout le temps. En 2002, je tiens le journal de cette existence désordre, le bloc-notes du désordre, étonnant succès. En 2004, je reçois des lettres très encourageantes d’éditeurs mais qui ne proposent pas de projet d’édition. Ça foire encore un peu. Finalement, Adèle est née le 9 avril 2004, Nathan est enfin diagnostiqué autiste et mon père est opéré du cœur, les trois plus ou moins le même jour, c’est tout moi. Le journal de cette aventure est publié en 2008 par François Bon sur publie.net. En mai 2009, je participe à la grande rétrospective du Terrier au Nova de Bruxelles. Fin 2009, je travaille à l’iconographie et à la réalisation du numéro 109 de Manière de Voir (Monde diplomatique) : Internet, révolution culturelle. Depuis fin 2010, je travaille au spectacle Formes d’une Guerre avec l’écrivain François Bon et les musiciens Dominique Pifarély et Michele Rabbia. En 2012, Publication de Robert Frank, dans les lignes de sa main, Publie Papier. Philippe, film d’animation de trois minutes sur une musique d’Elémarsons. Un an de prises de vue, trois minutes d’animation. On ne rit pas. Invité envouté de Marie Richeux sur France Culture pour son émission Pas la peine de crier du 10 septembre 2012. En 2013, nouveau spectacle avec François Bon en lecteur de mon texte intitulé Contre et Dominique Pifarély, violon. Succès critique et salle (presque) pleine. Le rapport sexuel n’existe plus est son troisième roman publié aux éd. Inculte après Une fuite en Egypte (2017) et Raffut (2018). Les trois sont clairement autobiographiques.
éditions Bruno Doucey, mars 2021
75 pages, 14 €.
Et le poète de sa voix de feu
D’une aile d’oiseau attise les mots
On peut dire que dans ce recueil dont le titre dit clairement de quoi elle parle, Perrine Le Querrec fait ici feu de tout feu. Traversant quelques milliers d’années d’Histoire et explorant toutes les facettes de cet élément, les bénéfiques comme les dramatiques, elle déploie une sorte de fresque mouvante, un théâtre d’ombres de personnages que le feu met ou a mis, et parfois très cruellement, en lumière et peut-être plus particulièrement des femmes. Depuis celle qui dans la caverne a inventé le feu « Seins hanches ventre rond / Disparue à jamais » aux ouvrières sacrifiées, aux femmes indociles et veuves indésirables, aux militantes immolées en passant par les sorcières aux bûchers : femmes trop vives, feu aux femmes !
La ville silencieuse cadenasse ses oreilles
Qu’on démonte les cloches, qu’on fonde leur acier
Dans le feu des sorcières et des illuminés.
Des feux politiques donc, des feux de religion, des feux symboliques, des feux géologiques mais aussi des feux artistiques et littéraires. Des figures renaissent des cendres, comme Marguerite de Porète, béguine itinérante et première femme à avoir péri sur un bûcher de la place de Grève à Paris pour avoir eu trop d’esprit, une âme trop libre et un cœur trop flamboyant. C’était en 1310. Le feu a fait d’elle, et de tant d’autres, une immortelle.
Des feux de joie, des feux de guerre, « des feux autoritaires, des feux de dictatures / mais aussi / Des feux de résistance, des feux brûlants de vie. » L’ordre du recueil est chronologique, une traversée de l’Histoire dans le miroir des flammes, la grande Histoire collective et les histoires individuelles. L’humanité, écrit Perrine Le Querrec, se dessine à travers ses feux.
Des feux qui ramènent une mémoire enfouie.
Feux salvateurs, feux destructeurs, feux de mémoire, feux de langues, c’est à un grand incendie que nous convie Perrine le Querrec en agitant ainsi les tisons de son écriture. Elle y convoque des poètes, écrivains, artistes disparus, très connus comme Gogol, Van Gogh, Nerval, Artaud ou moins connus comme Angus McPhee, un artiste brut écossais ou la poétesse Ingeborg Bachmann.
Depuis quand le soleil se couche
J’ai toujours l’impression
Que quelqu’un brûle.
Elle évoque Piotr Pavlenski, artiste dissident russe fiévreux et incontrôlable toujours actif, elle rend hommage aux victimes de guerres et de catastrophes plus ou moins naturelles. Elle évoque des corps et des lieux marqués au feu, dévorés par le feu mais, écrit-elle, depuis des millénaires la vie renaît de ses cendres / Il y a des racines que jamais le feu n’atteint.
Un questionnement plus discret souffle entre ces pages aussi, celui que soulèvent les flammes du désir, du sentiment amoureux.
Il y a un côté compilation dans ce recueil, une énumération qui parfois en étouffe même le souffle poétique, peut-être parce qu’il s’agit surtout de faire œuvre de mémoire. Pour qui connaît l’écriture de Perrine le Querrec, on sent qu’il y a là presque comme un chantier en cours encore, une récolte de braises plus ou moins vives dont chacune pourrait donner naissance à un développement. On sent ce qui chez elle a été attisé et qui est un peu trop énorme, trop violent aussi, pour pouvoir être contenu en 75 pages, mais c’est déjà un beau départ de feu car les livres aussi brûlent.
Savez vous
Les livres brûlent les doigts brûlent l’esprit brûlent les à priori
brûlent les ignorances brûlent les yeux brûlent les dictatures
saviez-vous
les livres brûlent
Le monde parfois semble n’être plus qu’un grand brasier.
Cathy Garcia Canalès
Perrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Elle hante les bibliothèques et les archives pour assouvir son appétit de mots et révéler les secrets oubliés. De cette quête elle a fait son métier : recherchiste. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons.
Perrine Le Querrec écrit de la poésie et de la prose. Sa langue est une architecture de mots, de silences, d’archives de trous et de pliures. Lorsqu’elle sort de la page, elle travaille en duo avec le contrebassiste Ronan Courty et forme l’autre moitié de PLY, duo avec le photographe Mathieu Farcy. Ses dernières parutions en 2020 : Vers Valparaiso, Éditions Les Carnets du dessert de lune, Rouge pute, Éditions La contre allée.
http://www.perrine-lequerrec.fr/
Le Passeur éd. 15 octobre 2020
256 pages, 20,90 €.
C’est en puisant, entre autres, dans la Collection de l’Art brut de Lausanne que la comédienne et artiste peintre Anouk Grinberg a pu rassembler tous ces écrits, dits bruts car écrits par des personnes internées et considérées comme démentes ou délirantes. Des écrits souvent dessinés aussi car un bon nombre d’entre eux font l’objet d’un graphisme très particulier et c’est pourquoi on trouvera aussi dans cet ouvrage des photos de ce qui forme une œuvre brute complète.
Anouk Grinberg a une histoire avec la folie, avec celle de sa mère dont elle a eu peur et même honte : « Je ne l’ai pas aimée, je n’ai pas réussi. J’étais de la famille humaine qui se détourne. ». Ce livre est sa façon de réparer : « Par un grand détour, ce sont ces hommes et ces femmes qui m’ont conduite vers cette mère, cette femme, et si j’ai négligé de son vivant toutes ses lettres affamées, je suis heureuse aujourd’hui d’être passeuse de textes jamais lus ». De cette mère, elle dit : « Ma mère était comme ça. Une petite femme fine, intelligente, mal adaptée à la vie bourgeoise. Elle aurait voulu peindre, et elle a été mère, épouse. (…) Elle n’a pas su dire non à la famille qui faisait une croix sur ses désirs, elle n’a pas su dire oui à la petite voix qui devait lui parler tout bas, et elle est descendue marche après marche dans le malheur, comme dans un refuge où on n’irait plus la chercher. On l’a mise dans des endroits pour fous, le désespoir a prospéré avec sa litanie de délires, alors qu’elle était une lumière sur la terre ». Alors, Anouk Grinberg dédie ce livre « à tous ces lumineux que le monde ne doit pas oublier. » Il ne s’agit pas de faire une anthologie d’écrits de fous mais de montrer plutôt la valeur littéraire de ces écrits, qui « ont inspiré les surréalistes et d’autres auteurs reconnus qui se sont fouillé les méninges pour atteindre leur liberté. »
On ne sera pas surpris donc, de trouver aussi dans ce livre des écrits dit non-bruts, des écrits de poètes, car qui d’autre qu’eux s’approche le plus de cette forme d’indécente liberté ? D’ailleurs deux d’entre eux — et on note par ailleurs ici la curieuse absence d’Artaud — comme Paul Éluard ou Tristan Tzara, ont trouvé refuge durant la guerre, l’un en 1943, l'autre en 1945, à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère où furent internés deux auteurs bruts figurant dans ce livre.
La préface a été rédigée par Jean-Pierre Siméon dans laquelle il nous dit : « Les fous, donc, prétendument les plus dénués d’entre nous (ou faudrait-il dire les plus dénudés ?), ont ce talent inouï, et que l’on ne dira qu’avec prudence involontaire, de s’affranchir absolument des lois de la langue et de nous révéler en conséquence dans la langue même cet absolument impossible de la langue dont rêvent les poètes, mais que leur raison sociale empêche généralement d’assumer jusqu’au bout. »
Et pourquoi moi je dois parler comme toi est donc « un livre sur la vie et la création, non sur la folie. » Si les fautes d’orthographe et la ponctuation n’ont pas été retouchées, certains passages ont cependant été volontairement coupés car trop incompréhensibles. Les auteurs de ces écrits bruts sont nés entre 1827 et 2005, mais plus spécifiquement au XIXe et XXe siècle. On trouvera une photo et une courte biographie pour chacun d’eux, mais une partie sont des textes anonymes, les auteurs n’ayant laissé aucune autre trace de leur passage sur terre.
« (…) dans nos sociétés riches et prétentieuses, ce trop-plein d’antennes est sévèrement puni. Les sans-fard inspirent la honte et le mépris, alors ils fanent ou enragent, et c’est le début de l’enfer. On les met dans des hôpitaux, on les force à manger des médicaments pour les remettre droit, on leur enlève la parole puisqu’ils parlent mal la langue de papa et maman, on leur enlève leurs droits, parfois leurs noms. » nous dit Anouk Grinberg dans son prologue.
Écrits compulsifs, écrits rageurs, écrits du désespoir et de la privation de liberté, mais aussi tentatives de communication, de tresser une passerelle entre des réalités qui s’entrechoquent. Des êtres humains « enfermés dans un faisceau de malentendus », comme si leur pensée, leur vision étaient erronées alors que, bien souvent, ils ont été surtout broyés par les conditions de leur existence quand ils n’ont pas été tout simplement et violemment mis à l’écart, parce qu’ils gênaient l’ordre et la raison établis ou bien considérés socialement comme définitivement idiots parce qu’incapables de contacter le monde extérieur comme ce fut le cas pour Babouillec, autiste sans paroles, diagnostiquée comme très déficitaire et qui n’a jamais appris à lire, écrire et parler et qui est auteur de plusieurs livres, grâce à sa mère qui l’a sortie des institutions spécialisées et a fini par trouver le moyen de communiquer avec elle, lui permettant ainsi de révéler et diffuser son génie littéraire et ses pensées dont l’acuité et la pertinence sont absolument jubilatoires.
La postface de Sarah Lombardi, directrice de la Collection de l’Art Brut de Lausanne donne un éclairage sur l’origine et l’histoire des écrits issus de cette collection dont certains ont déjà été publiés précédemment et mentionne les personnes, médecins ou autres, qui s’y sont intéressés, non pas d’un point de vue pathologique mais sur le plan du processus créatif.
Pulsion d’écrire, pulsion de vivre : de crier, défier et même rire et aimer dans le silence carcéral, que ce dernier soit imposé de l’intérieur ou de l’extérieur. Un bon nombre des textes publiés ici donnent envie justement de les lire à haute voix, ils ont quelque chose de théâtral, entre comédie et tragédie, le grand théâtre de la vie. Certains sont des pieds de nez au dogme de la normalité, d’autres sont peut-être bien trop en avance sur leur temps, d’autres encore font mal car ils sont paradoxalement des appels au bon sens de celui qui les lira… Beaucoup sont des blessures ouvertes qui débordent sur le papier et des flux de douleur qui frayent un chemin vers la lumière. La poésie est très souvent au rendez-vous.
« Veuillez dire à ce langage
Qu’il dise qu’il est là
C’est une prière
La vie ne peut pas vivre »
Constance Schwartzlin-Berberat (1845-1911)
Un ouvrage précieux qui, espérons-le, permettra de porter un autre regard sur ce que la société nomme trop facilement des folles et des fous.
« Alors que la vie elle-même est démente, qui de nous peut dire où se trouve la folie ? Trop de bon sens, n’est-ce pas aussi de la folie ? (…) Et la folie suprême n’est-elle pas de voir la vie telle qu’elle est et non telle qu’elle devrait être ? » avait écrit Cervantès.
Cathy Garcia Canalès
Anouk Grinberg est née à Uccle (Belgique), le 20 mars 1963. Fille du dramaturge Michel Vinaver, elle fait ses premiers pas sur les planches dès l'âge de 12 ans dans Remagen mis en scène par Jacques Lasalle. Malgré quelques apparitions au cinéma à partir de 1976, la jeune fille se consacre avant tout au théâtre et commence parallèlement des études d'ethnologie. Après quelques rôles secondaires la comédienne rencontre Bertrand Blier qui la révèle au grand public et dont elle devient la muse. Ils tournent trois films ensemble avant de se séparer : Merci la vie (1991), Un, deux, trois, soleil (1993) et Mon homme (1995). Malgré deux beaux rôles dans Un héros très discret de Jacques Audiard (1995) et Disparus de Gilles Bourdos (1997), Anouk Grinberg espace ses apparitions au cinéma. Elle se consacre au théâtre mais également à la peinture et à l'écriture.
traduit de l’anglais (Inde) par Céline Schwaller
éd. Métailié, 12 mars 2020. 368 pages, 22 €.
Au cœur des voix et des sensations se cache une prémonition de ce qui va se produire. Toute évolution est guidée par l’instinct primordial. Celui qui nous rend libres d’explorer les géographies incertaines du désir, pour finalement découvrir le bonheur de la mortalité. L’instinct nous conduit tous vers le lac primordial. Flottant telles de simples cellules isolées, attendant que la vie cesse.
Tectoniques des plaques et tectoniques des existences, Dérives des âmes et des continents est un bien étrange et déroutant roman, avec un soupçon de conte et de magie et une grande érudition scientifique : les sciences de la Terre. Il prend racine dans les îles d’Andaman encore habitées de quelques ethnies autochtones et où les Britanniques avaient construit le plus grand et sinistre bagne politique du monde au XIXe siècle. Des îles qui ont été frappées en 2004 par un tsunami des plus meurtriers suite à un des séismes les plus puissants jamais enregistrés. Un jeune couple de mariés s’installe sur une des îles — dans les années 50 on suppose — dans une ancienne demeure coloniale pleine de fantômes. Lui, Girija Prasad, est scientifique, il a étudié à l’Université d’Oxford, c’était le premier étudiant indien du Commonwealth ; elle, Chanda Devi, médaillée d’or en mathématiques et en sanskrit, est un peu sorcière. Leur histoire qui forme la première partie du roman est tellement belle, même si elle est triste, que l’on éprouve une vraie nostalgie lorsque l’auteur nous déloge de ces îles et nous propulse dans le temps et l’espace. Il devient alors plus difficile de s’ancrer car tout bouge, comme sur cette ligne de faille qui va de l’Océan indien à l’Himalaya. Lointain passé géologique, évolution des espèces, mémoire, présent, futur, contexte politique, drames et violence, résilience, tout se mêle et se bouscule et le lecteur part lui aussi à la dérive. Des liens entre quelques-uns des personnages offrent quelques repères mais le temps fait des boucles. La nature avec ses hoquets, ses sursauts, ses bouleversements, reste peut-être le seul fil conducteur : le descendant du couple originel du roman que l’on rencontre à la fin est un géologue qui travaille sur la probabilité qu’un nouveau sommet himalayen surgisse à l’intérieur des frontières indiennes, bien plus haut que l’Everest.
Mais avant cela nous rencontrons Mary, née Rose Mary en 1926 dans une colonie karen des îles Andaman. Elle entrera au service de Girija Prasad à la mort de son épouse, alors que leur fille est encore un bébé. Bien plus jeune, elle avait dû laisser son propre fils âgé de 8 mois, après avoir poignardé à mort, alors qu’elle était enceinte de 7 mois, son mari, un pêcheur birman devenu très violent après avoir sombré dans l’alcool. Les îles étaient passées de la domination japonaise, qui persécutaient les habitants d’origine birmane, à celle des dirigeants indiens qui y avaient amené « quelque chose qui prospérait depuis des siècles sur le continent et qui symbolisait la nouvelle république (…). La pauvreté. »
Le fils de Mary, élevé par ses grands-parents paternels, s’auto-nommera Platon. Étudiant révolutionnaire, arrêté et torturé au début des années 70, par la junte birmane, il rencontrera sa mère pour la première fois à sa sortie de prison, il a alors une vingtaine d’années. Pour retrouver son fils et tenter de le faire libérer, elle est venue travailler à Rangoon, comme domestique pour une famille indienne, aidée en cela par Thapa, un trafiquant désabusé et ami de Platon. Platon qui retournera encore à la clandestinité et à la guérilla dans la jungle himalayenne à la frontière indo-birmane pendant douze ans avant d’être à nouveau arrêté. Sa mère recommencera alors à se battre pour sa libération.
Thapa, lui, est népalais et il a perdu toute sa famille dans un glissement de terrain qui emporta une nuit tout son village avec entre autres sa femme et son fils de deux ans, alors que lui était parti vendre la production de leur ferme à la ville la plus proche, c’est-à-dire à trois jours de marche. En suivant Thapa, on se retrouvera dans le quartier de Thamel à Katmandou : « Gravats, échafaudages, fossés à moitié creusés et bâtiments à demi-construits, tous tassés dans les coins et recoins de cette ville marécageuse. » Sa jeune voisine toujours affamée est stripteaseuse dans un bar à touristes. Thamel, avec sa foule « de randonneurs, rabatteurs, mendiants, parieurs, accros au crack, prostituées trop jeunes et clients trop vieux. »
Dérive des âmes et des continents, parle de la vie et de la mort et même de l’entre-deux, chaque individu étant l’épicentre du séisme de sa propre existence. Les vies passent, la planète, elle, poursuit la sienne à l’échelle de son propre temps qui n’est pas celui des hommes. Ceux-ci sont comme des poussières balayées par le vent, emportées par les rivières et c’est dans une langue de toute beauté que Shubhangi Swarup nous égare et nous disperse dans ce premier et impressionnant roman, déboussolant et foisonnant.
Cathy Garcia Canalès
Shubhangi Swarup est née en 1982 à Nashik, dans l'État du Marahashtra. Journaliste, réalisatrice, pédagogue, elle vit aujourd'hui à Bombay. Dérive des âmes et des continents est son premier roman. Elle a obtenu la bourse d'écriture créative Charles Pick à l'Université d'East Anglia (Norwich).
éditions Inculte, 6 janvier 2021
300 pages, 18,90 €.
Jérôme Bonnetto nous livre ici un remarquable roman, aussi drôle que fin et touchant. Remarquable sur le plan littéraire et savoureux pour le lecteur qu’il entraine avec virtuosité dans l’aventure de son narrateur : Paul Solveig, informaticien, qui pour échapper à la pente dépressive qui le guette, joue son destin au dé après avoir trouvé une photo qu’un pseudo plombier tchèque a laissé tomber dans sa cuisine. Apprenant par ce dernier, qu’il s’agit d’une photo de sa mère disparue pendant le régime communiste, Paul Solveig s’organise expressément pour partir sans date de retour vers une Moravie dont il ignore tout. Certes sous le prétexte de rechercher des traces de la mère et de son photographe, dont la touche artistique le trouble beaucoup, mais aussi et surtout pour fuir la réalité d’une séparation avec Pauline, qui est sur le point de le quitter après 10 ans de vie commune. Fuir avant même d’en avoir la certitude.
« La chose me tentait bien. Ma vie parisienne ressemblait à ces vieilles vestes tellement usées qu’on n’ose même pas les donner aux bonnes œuvres. Pauline me torturait, le boulot me vidait. L’horizon me manquait. Je ne pouvais rester sans réagir et regarder ma vie se déliter, mais la Moravie tout de même… Qu’allais-je faire là-bas ? »
On retrouve dans Le silence des carpes, l’art de l’auteur pour peindre avec douceur et finesse ses personnages. Déjà à l’œuvre dans La certitude des pierres, ce talent se confirme ici dans une pleine maturité tout comme cette capacité à immerger le lecteur dans un lieu original hors des sentiers trop battus : dans La certitude des pierres, un petit village perdu de montagne, dans Le silence des carpes, une petite ville au cœur de la Moravie au nom aussi improbable que Blednice, sans doute un détournement de la bien réelle Lednice.
Le silence des carpes est construit en deux parties qui se font écho : la première, bien plus courte, commence en prologue, elle ponctue l’ensemble comme un mystérieux ricochet. Les prénoms des protagonistes y évoquent un pays de l’Europe centrale. Il y est question d‘une pêche impossible, de carpes d’amour et d’un étang énigmatique, donc la magie va céder à l’inquiétant quand il apparait que certains qui s’en approchent de trop près disparaissent.
De même sous la surface plutôt légère et pleine d’humour du roman, portée par le récit du narrateur et sa capacité à l’autodérision féroce et hilarante, on devine peu à peu une profondeur bien plus sombre, en lien avec l’Histoire de l’ancien bloc communiste et son régime totalitaire.
Le lien entre les deux parties qui alternent se dévoile peu à peu, par petites touches très subtiles.
Le silence des carpes est, au-delà d’une enquête qui semble vouée à l’échec, de toute évidence un hommage au pays d’accueil de l’auteur qui vit à Prague ; une ode aux doux paysages de Moravie et à la culture artistique tchèque et en particulier son cinéma, via la cinéphile et insaisissable Míla qui va aider Paul Solveig dans ses recherches. On peut y voir très certainement un clin d’œil aussi à l’artiste sculpteur monumental Aleš Veselý décédé en 2015, avec Veselý, l’artiste, sculpteur lui aussi d’œuvres monumentales, qui reçoit Paul Solveig avec un profond et authentique sens de l’amitié et de l’hospitalité, lui ouvrant ainsi les portes d’un pays qui a lui-même quitté depuis longtemps.
Le silence des carpes est une belle œuvre humaine, d’une écriture vive et cocasse dont on ne peut que se délecter, mais empreinte cependant aussi de délicatesse, de poésie et d’une pointe de mystère. Ce deuxième roman est aussi la confirmation d’un talent qui se déploie, vivement le troisième !
Cathy Garcia Canalès
Jérôme Bonnetto est né à Nice en 1977, il vit désormais à Prague où il enseigne le français. Après La certitude des pierres, Le silence des carpes est son deuxième roman publié chez inculte.
Voir ma note sur La certitude des pierres :
éditions Fario, été 2020
112 pages, 14 €.
Campagne perdue, « certes, mais une campagne transfigurée par le poème, et par là retrouvée, au moins pour un temps », comme l’écrit si justement Stéphane Pettermann dans sa postface. Postface dans laquelle il explique aussi que ce livre, paru en 1972, fut le résultat d’une longue genèse, les premiers jalons ayant été posés en 1933, à la mort de la mère de Gustave Roud, mais ce n’est que 30 ans plus tard qu’un projet littéraire, qui nécessitera encore de longues années de décantation, aboutira à une première publication à la Bibliothèque des Arts de Lausanne, en avril 1972 donc.
Campagne perdue est un tissage de proses écrites dans le Journal de l’auteur entre 1918 et 1963 avec des poèmes ayant paru pour la plupart en revues entre 1919 et 1957, des écrits glanés par le poète en marche à travers le Haut-Jura, sous le regard lointain de ses ancêtres paysans du côté maternel. En marche aussi à travers le temps, un demi-siècle qui a transformé les paysages et les hommes qui les habitent et les travaillent. Campagne perdue est un vibrant hommage à tous ces travailleurs et tout particulièrement aux laboureurs, aux faucheurs qui sous sa plume s’auréolent d’une lumière quasi sacralisée. La beauté de ces hommes, qui sont au centre de l’attention de l’auteur — qui a d’ailleurs pas mal photographié ces vigoureux corps paysans — y est soulignée, subtilement érotisée même.
Campagne perdue, c’est aussi, et surtout, le témoignage d’une lente mais inexorable disparition : celle de ce monde paysan. Une marche qui devient au fil du temps une sorte d’errance à la recherche de ce qui a disparu, Gustave Roud hante alors plus qu’il ne parcourt ce pays jurassien. Il y a dans ses écrits, en plus de cet amour, cette ferveur même, que voue le vagabond sans but à ces hommes qui ne font qu’un avec la terre qui les fait vivre, une immense nostalgie. Témoin d’un monde qui s’efface, le poète tente d’en retenir ou d’en faire revivre des bribes, des sensations, des images, usant d’une encre dont la beauté est à la hauteur de son amour.
Labour ancien, Nuit de paille, Passage du vin, Mirage d’hiver, La lampe éteinte et la chanson perdue… Le lecteur se laisse doucement porter à la rencontre d’Olivier, Fernand, André, René ou Robert, et d’autres encore. Campagne perdue est un journal humble et éminemment sensible qui leur rend leur pleine éternité, honore la beauté d’un monde où hommes et nature vivent en harmonie, car nullement séparés l’un de l’autre.
« L’heure fraîchit. Le ciel se creuse et par d’insensibles rappels nous reprend peu à peu la lumière. Un dernier coup de serpe abat le dernier rayon. Ce quartier de mousse et de roc, baigné d’eau vive, qui brillait encore entre les troncs comme une brute émeraude, redevient mousse et roc en s’éteignant. L’ombre pleut des hautes futaies, elle sourd de l’air même et du sol, elle se lève du lit de la rivière et déborde jusqu’à nous comme une autre rivière silencieuse. Elle envahit les campagnes et les bourgs, roule une sourde écume au ras du ciel. Elle saisit le monde. Elle devient la Nuit, la jeune nuit d’avant-printemps où je respire un rameau de bois-gentil aux fleurs de cire noire, où l’ami près de moi qui s’est tu tremble peut-être à sentir en soi la profonde nuit du sang sourdre à son tour, et répondre à l’autre, et s’étoiler des mêmes étoiles. »
Un livre comme un vin rare millésimé, à savourer avec lenteur.
Cathy Garcia
Gustave Roud (1897-1976) est l’un des principaux auteurs francophones de Suisse, surtout connu pour ses proses poétiques. Après la mort de C. F. Ramuz, il a été considéré comme un maître par de nombreux jeunes poètes : Maurice Chappaz, Jacques Chessex, Philippe Jaccottet. Sa correspondance, son Journal et sa critique témoignent également d’abondantes réflexions sur la littérature et les arts. Faisant sienne une injonction de Novalis – « Le paradis est dispersé sur toute la terre… Il faut réunir ses traits épars » –, Gustave Roud explore inlassablement notre lien à l’invisible et à l’éternité dans l’ici et maintenant, qu’il nomme le « paradis humain ». Publiés deux ans après sa mort, les trois volumes des Écrits (1978) rassemblent ses principaux textes parmi lesquels : Air de la solitude, Petit traité de la marche en plaine, Requiem ou Campagne perdue. Les éditions Fario ont publié plusieurs de ses livres ainsi qu’un recueil d’entretiens.
traduit de l’espagnol (Chili) par l’auteur lui-même.
Métailié, octobre 2020. 302 pages, 21 €.
Ce n’est pas tant l’intrigue qui nous attache à ce récit, bien qu’elle soit très intéressante, mais l’étonnante texture de son écriture, qui nous rend le narrateur très proche, très familier, et qui donne aussi à ces Petits cimetières sous la lune, un côté très cinématographique, sans pour autant tomber dans l’exercice de style.
Le titre du roman évoque le pamphlet de Bernanos, Grands cimetières sous la lune, et ce n’est pas un hasard. Le narrateur, Emilio Ortiz, a fui la pression familiale et son pays, le Chili, tout juste sorti de la dictature, pour aller étudier la linguistique à Paris, avec l’aide financière de sa jeune tante Amalia. Mais plus que de sa vie d’étudiant, à laquelle il sera peu assidu, c’est surtout de ses nuits de veilleur dans un petit hôtel du quartier Montparnasse qu'il est question, ses rencontres avec une faune nocturne, des amitiés entre exilés, des nuits alcoolisées. Il y a aussi Chloé, serveuse dans un dancing, le dancing de La Coupole, fréquenté par des couples mûrs qui semblent tout droit sortis des années '50 ; Chloé qui soudain s’évapore, après avoir entretenu avec Emilio une courte, étrange et sexuellement intense relation, Chloé dont la disparition devient pour lui une obsession alors qu’il ne connaît même pas son nom de famille. C’est elle qui vit dans un appartement près d’un cimetière de banlieue avec une autre fille, une Coréenne : « trois chambres, séjour, salle de bains, cuisine assez minuscule. Mais, en revanche, l’appartement a un parquet de lattes larges qui traversent les pièces d’un bout à l’autre. Un beau parquet à l’ancienne. Ceci dit, les chambres ne sont pas très spacieuses. Et, en plus, elles donnent sur un cimetière. ».
Emilio Ortiz va et vient, dans son récit, entre sa toute nouvelle vie parisienne qui bouscule tout ses repères et les souvenirs de son passé à Santiago avec sa famille et notamment la relation à son père ; les liens de ce dernier avec des membres haut placés de la dictature de Pinochet, un père dont il ne veut plus entendre parler mais dont il ne peut pas complètement se détacher. Il va lui falloir, alors que sa mère va très mal et que son père est rattrapé par la justice, retourner dans ce pays désormais abhorré. Le besoin de savoir la vérité, plus fort que tout, le poussera à enquêter sur le passé de ce père impossible à aimer, tout en essayant de retrouver à Paris, la Chloé évaporée.
Petit cimetières sous la lune est entre autre le récit d’amours impossibles. L’ombre de la douleur plane en permanence sur ce roman mais il y a un tel ciselage de l’écriture, une précision dans la narration, qui font que le texte se déguste véritablement comme un bon alcool fort et une sorte de distanciation désabusée, apporte de nombreuses touches d’humour très flegmatique, so british pour un Chilien. Un vrai régal sur le plan littéraire !
Le narrateur porte un regard désabusé sur la vie, les êtres ; c’est sur lui que repose le poids de son histoire et il en assume la charge seul. Quelque chose a cassé en lui, il y a longtemps déjà, quelque chose qui se cache dans le sous-sol d’un garage que son père détenait avec un associé.
La construction du récit elle-même est atypique : des chapitres plus ou moins longs, parfois d’un seul mot, des allers-retours dans le temps et entre la France et l’Amérique latine, en passant par un tour en Roumanie. Sa lecture nous plonge dans une sorte d’ivresse douce-amère, comme celle de la mère d’Emilio que son père a quitté pour une fille bien plus jeune que lui. Il y flotte une atmosphère, comme une odeur d’anesthésique qui contraste avec la précision de l’écriture. L’alcool, le déni, la fuite à l’étranger, tout le monde cherche à échapper à la douleur du réel, car il y a des réels trop sales pour être nettoyés et pour Emilio Ortiz, une filiation insupportable.
C’est aussi l’histoire de tout un pays qui se dessine en filigrane, pendant et après la dictature avec ses dessous crapuleux et criminels, la bassesse humaine. Petits cimetières sous la lune, un roman de l’exil, de l’attachement impossible et où la proximité entre morts et vivants est trop étroite.
Cathy Garcia Canalès
Mauricio Electorat est né à Santiago du Chili en 1960. Après deux années d’études de journalisme et de littérature à Santiago, il s’installe à Barcelone en 1981, où il obtient une maîtrise en philologie hispanique. Petit fils de français émigrés à Valparaíso au début du XXe siècle, il choisit Paris comme lieu de résidence définitif dès 1987. Il a publié deux recueils de poésie. Son premier roman, Le Paradis trois fois par jour (Série noire, Gallimard, 1997), ainsi que son recueil de nouvelles Nunca fui a Tijuana y otros cuentos (Cuarto Propio, 2000) ont reçu le Prix de Littérature de la Ville de Santiago et le Prix du Conseil National du Livre et de la Lecture, les récompenses littéraires annuelles les plus importantes au Chili. Sartre et la Citroneta, son deuxième roman, a obtenu en Espagne le prestigieux Prix Biblioteca Breve.
The BookEdition 2020
194 pages, 10 €
« Celui qui méprise les petites bêtes ignore combien il est minuscule ! »
Quand il s’est présenté à un de mes ateliers d’aide à l’écriture, je ne me doutais pas que je venais de rencontrer un écrivain déjà confirmé, même si lui-même l’ignorait peut-être encore, aussi c’est avec enthousiasme que je publiais de lui dans ma revue, des extraits d’un carnet de voyage dans lequel il relatait ses pérégrinations en pays kanak. Déjà je me régalais de le lire, aussi la sortie de son livre — et tant mieux si j’ai pu l’encourager — fut donc une très bonne nouvelle. Je viens juste de le terminer et je suis éblouie, vraiment, ce que j’avais perçu s’y révèle pleinement et se pose en confirmation : Xavier Combres est — entre autre talents dont il ne manque pas, il n’y a qu’à suivre la piste de Deadman river https://deadmanriver.bandcamp.com/releases — un écrivain talentueux !
Sur « les chemins d’un esprit-monde ouvert, vers plus d’espace et de liberté », il a voyagé, avide de connaître, découvrir, rencontrer, mais aussi d’éprouver, avec un maximum d’intensité, cette ivresse du voyageur solitaire, notamment face aux éléments d’une nature propice à cette exaltation, qui enseigne mieux que quiconque l’art de la contemplation et ce retour aux sources si essentiel à tout être humain, même si beaucoup l’ignorent encore. Et qui dit retour aux sources, dit retour à la source intérieure, la connexion avec l’être-soi et l’écrivain voyageur est aussi poète, pas pour la posture, mais parce que son approche du monde est également sauvage et poétique. Abreuvé de poésie chinoise, c’est un peu en apprenti taoïste qu’il voyage et ses poèmes polis comme des galets, témoignent de son avancée. En érudit aussi, toujours curieux, qui ne se prend pas au sérieux et n’assomme pas le lecteur avec ses connaissances. Il les partage seulement et il y réussit à merveille : tout devient intéressant, passionnant, du plus petit insecte à l’Histoire des civilisations, de la géologie aux mythes et traditions de l’humanité, en passant par des anecdotes pleines d’humour et d’autodérision avec toujours cette ouverture d’esprit qui va grandissant au fur et à mesure de l’ouverture des horizons.
Aventurier de la sagesse, un vrai voyageur contrairement à bon nombre de touristes, revient riche de souvenirs et pauvre en orgueil et c’est le plus souvent loin des sentiers battus et du sensationnel que les vraies rencontres peuvent avoir lieu.
Ces Fragments erratiques derrière les récits de voyages parlent de quête intérieure : se connaître en se dépossédant de tout ce qu’on croit être, repousser ses limites. Sur son chemin, Xavier Combres va trouver des merveilles et sa soif de connaissances et de découvertes n’en sera jamais étanchée, mais il va aussi ramener un mal inconnu, un mal réel dans ses répercussions physiques et psychiques mais dont nul médecin et autres praticiens n’ont su à ce jour déceler l’origine. Un mal inexpliqué qui amplifie donc un malaise déjà conséquent et qui handicape sévèrement le libre voyageur. Aussi de l’enthousiasme kayafou des premiers récits, qui nous emmènent de Nouvelle-Calédonie à la Guyane, la Chine, la Thaïlande, la Malaisie, en passant par des échappées sauvages en France et un poème cueilli en Angleterre, ces fragments erratiques s’achèvent pour l’instant en Algarve, où le voyage se mêle à l’épreuve. De l’épreuve nait l’obligation de découvrir peut-être des contrées intérieures plus profondément enfouies, que le mouvement extérieur perpétuel peut éviter d’aller sonder, des contrées où l’auteur saura trouver la force tout autant que le détachement nécessaires pour continuer le voyage, quelle que soit sa forme, et personnellement j’ai très hâte de te lire encore Xavier !
La pierre marche si lentement
Pas même le vieux pin
Ne l’a entendue
S’éloigner du rivage
Cathy Garcia Canalès
Xavier Combres est né en 1979 à Toulouse, sur la rive gauche de la Garonne. Après des études d’ingénieur, il prend son sac-à-dos et son stylo pour voyager et écrire pendant une dizaine d’années. Depuis 2015, il s’est installé à Cahors, au creux du Lot.
Pour commander le livre : https://www.thebookedition.com/fr/fragments-erratiques-p-377922.html