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MES LECTURES - Page 2

  • Faire jardin de Pierre Gondran dit Remoux

    Faire-jardin.jpgFaire jardin

    comme d'autres font leur vie

     

    J'ai pleuré en refermant ce livre, il m'a touchée, vraiment beaucoup, il est magnifique, délicat, juste, déchirant, planté comme une belle stèle de schiste... pour que le vent qui sent la mer n'éparpille pas tout. Faire jardin, c'est à la fois une histoire de mémoire et de perte, de vie et de mort.

     

    grand jardin à guêpe dans la peau du lait

    en parfum de cheval épandu

    parsemé d'huîtres à nacre piquetée de coups de bec

     

    Terre qui donne naissance et terre qui enfouit, jardin des gestes perpétués et des douleurs muettes, jardin où le rouge-gorge a un œil crevé, où les doryphores poissent, écrasés, entre de petits doigts, où l'or des feuilles de bouleau peut guérir la griffure des roses. Jardin où fleurs, outils, souvenirs sont vieux.

     

    à mains jamais gantées aux ouïes noires de terreau

    retendre les fils de fer des contre-espaliers

    chauler les poiriers de blanc

    aiguiser

    aiguiser encore et encore

     

    réparer

     

    (...)

     

    faire jardin

    — de ses ongles noirs

     

    sous les ombelles vibrant miel de la haie de sureau

    à l'ombre acide du pin (qui empoisonne même ses enfants)

     

    Jardin où erre le père silence, puis juste le silence, jardin où doivent brûler la ronce et le matelas taché brun de mort. Jardin (cet enfant exigeant que tu jalousais) auprès duquel (se) construire n'a pas été possible.

     

    une charpente sans ses tuiles
    une charpente morte qui vogue dans les limbes
    des bois coupés

     

    L'écriture de Pierre Gondran dit Remoux, en petites touches, délicates, respectueuses, juste ce qu'il faut de douceur, ce qu'il faut de cru, pour dire le vrai et même la mise en page est au service de ce qui est dit et n'a pu être dit. Faire jardin s'adresse à la fille, à la fille du jardinier.

     

    entre ses mains-outils si peu de caresses

     

    (...)

     

    tu te dis

    "peut-être le jardin était-il le langage de mon père"

     

    La petite fille et puis l'adulte, il y a des plaies à refermer, l'or du bouleau sera t-il suffisant ?

    ton père ce printemps-là comme tu es née

    est-il venu à la maternité couteau à greffer en poche ?

    (...)

    Comment faire jardin à l'ombre acide du pin ?.

     

    CGC

     

     

    gondran-pierre.jpgPierre Gondran dit Remoux est né en 1970 à Limoges. Ingénieur agronome de formation, ce Parisien d'adoption n'a pas oublié l'étang limousin de l'enfance et vit entouré d'animaux, d'aquariums et de plantes, comme autant de compagnons nécessaires pour traverser la ville.

     

     

    Paru aux éd. Unicité en novembre 2024.

     

     

     

     

     

     

  • Vassili Peskov -  Des nouvelles d'Agafia, ermite dans la Taïga

     

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    Née en 1945 dans la forêt sibérienne, Agafia est la dernière survivante de la famille Lykov, famille de vieux-croyants (issus d'un schisme du XVIIe siècle) retirée dans la taïga depuis 1928 pour une incroyable robinsonnade d'un demi-siècle, puis « découverte » en 1978 par un groupe de géologues. Vassili Peskov révéla cette aventure dans le livre Ermites dans la taïga, qui s'achevait sur le désir d'Agafia de continuer à vivre solitaire et en autarcie. Par la suite, de nombreux lecteurs se sont interrogés sur le destin de cette femme courageuse qui avait choisi de ne pas revenir à la civilisation.

    Dans ce récit, basé sur des voyages effectués de 1992 à 2008, on voit l'héroïne évoluer au fil des ans malgré elle, en raison notamment de l'involontaire notoriété que lui a apportée le livre de Peskov. Tandis que son amitié perdure avec Erofeï, de nouveaux candidats à la vie érémitique dans des conditions primitives et difficiles rejoignent Agafia, dont Sergeï, artiste peintre, et l'étonnante Nadia, venue elle aussi se perdre au fin fond de la Sibérie.

    A la fois récit de vie d'une femme hors du commun et documentaire, cet ouvrage évoque dans leur absolue nécessité des notions comme la puissance de la foi et la relativité de la civilisation.

     

    Vassili Mikhaïlovitch Peskov, né le 14 mars 1930 à Orlov, dans l'oblast de Voronej, et mort le 12 août 2013 à Moscou, est un écrivain, journaliste, photographe, voyageur et écologiste russe.

     

    Paru chez Actes Sud - Babel Aventure, 2013


    Et je les ai lus dans l'ordre inverse du temps, ce qui était très intéressant finalement, donc je viens de finir celui-ci qui précède celui au-dessus, paru chez Actes Sud, même collection, en 1992 :

     

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    "Une famille de vieux-croyants démunis à l'extrême, subsistant dans une cabane misérable, en pleine taïga, coupés de la civilisation depuis... 1938 : telle est l'incroyable réalité décrite par Vassili Peskov, qui raconte ici avec passion et minutie l'aventure des ermites de notre temps, puis les vains efforts de la plus jeune d'entre eux, Agafia, pour se réadapter au monde. Nouvelle version du mythe de Robinson, manuel de survie dans la taïga, histoire de femme aussi, ce livre riche et multiple a rencontré lors de sa parution chez Actes Sud en 1992 un succès qui ne s'est jamais démenti. Et Agafia, sa magnifique héroïne, vit toujours, loin du " siècle ", dans la sauvage solitude de la taïga."

     

    Je me demande ce qu'est devenue Agafia, elle a eu 80 ans l'an dernier, alors j'ai cherché et je suis tombée sur des vidéos, elle qui ne voulait même pas être photographiée au début, "péché"  chez les Lykov. Une des plus récentes doit être celle-ci :

     

     

     

     

     

  • Mathilde Hinault - Pas une vie en l'air

    Un livre fort, qui m'a fortement touchée, écho.

     

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    "Pour la première fois une mère raconte la tentative de suicide de l’enfant. Comme Virginie Despentes n’avait rien trouvé du viol dans la littérature, Mathilde Hinault n’a rien lu à propos de la tentative de suicide de l’enfant. Alors elle a écrit… Des mots qui interpellent, bouleversent et nous amènent à réfléchir, à tenter de comprendre l’insaisissable et ce qui se joue tout autour : le silence, la psychiatrie, la violence, le tabou, l’humain, si profondément humain. Comme écrit à l’arme automatique, Pas une vie en l’air est structuré en fragments courts qui partagent en direct, en temps réel pourrait-on dire, les ressorts d’une expérience fondatrice pour tous ses protagonistes."

     

    Quelques extraits que j'ai récoltés :

     

    Bonne nouvelle
    dit la police
    le téléphone a borné
    le fils est vivant

     

    Maman, je voulais mourir
    cela a eu lieu
    il faut vivre avec
    est-ce qu’on a assez de souffle
    pour remonter à la surface après ?

     

    (...)

     

    Pas de chance

    dit l'infirmier

    les mineurs sont accueillis dans une unité spécialisée,

    groupes de paroles, ateliers, travail sur la confiance,

    l'estime de soi

    pour les adultes, l'affectation dans un service dépend du

    lieu de résidence, ouest, est, nord, sud de la ville

    toutes pathologies confondues

    il a dix-huit ans et deux mois

    l'âge, c'est l'âge

    il a dix-huit ans et deux mois, il a voulu mourir

    et dans la salle commune

    on regarde Peppa Pig

     

    (...)

     

    Je voulais t'appeler

    on lui parle en métaphore, la cire dans les oreilles, on ne

    veut pas savoir

    amitié amnésique

    on a peur de cette mort

    tabou

    et suspicion, et si ça tournait pas rond chez elle ?

     

    (...)

     

    Je ne prends plus de patient ; première disponibilité dans

    neuf mois ; à la retraite à la fin de l'année ; en

    consultation ; laissez un message sans retour de ma part...

    et puis il y a les réponses glaçons

    une ordonnance de l'hôpital pour un mois

     

    (...)

     

    Le milieu de la psychiatrie est en crise

    septembre les assises de la santé mentale elle entend

    faire de la quantité, contention et chambre d'isolement,

    désertions de la psychiatrie publique, non-attractivité,

    psychiatrie de triage

    et pourtant elle y croit

     

    (...)

     

    ici, la maison est vide

    désertée

    on craint la contagion

    de celui dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom

     

    (...)

     

    il faudra voir avec votre mutuelle pour la prise en charge,

    cent-cinq euros

    le psychiatre parle dépassement d'honoraires

    elle veut juste une date

    le soir dans le lit elle pense

    un jeune pas de famille pas d'argent

    il meurt

     

    (...)

     

    le fils passe ses journées en pyjama

    gestes lents et pas glissant

    traversée d'une nuit infinie

    elle le pyjama, ça l'angoisse

    pas contrariant le fils

    enfile un jogging

     

    (...)

     

    Tu as bonne mine

    elle mange bien, elle dort bien, elle travaille bien,

    elle sourit quand il le faut, elle se tait aussi

    c'est bien, c'est pratique, automatique

     

    (...)

     

    ça tourne en rond

    son cerveau a imprimé la mort

    même si elle n'a duré qu'une nuit

     

     

    Mathilde Hinault écrit pour comprendre et apprendre. Enseignante dans l’Isère elle prépare un Doctorat en Littérature française. Finaliste du Grand Prix Poésie RATP, son poème est publié dans l’anthologie Cent Poèmes pour voyager chez Gallimard (2022). Pas une vie en l’air est son premier recueil.

     

     Parution 14 novembre 2024, Les Carnets du Dessert de Lune, Collection Lune de Poche 

    https://dessertdelune.com/catalogue/pas-une-vie-en-lair/

     

     

     

     

  • Amandine Cau - Danser avec le vent - marins, bergers, solitudes

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    Le berger n’est pas riche. Il est certes sur SA montagne. Et ce sont SES brebis. Mais pas dans le sens de posséder. Dans le sens de connaître.
    Connaître. Il n’y a pas de sentier convenu.

     

    (…) Suivre ce flot, se laisser emporter par lui, creuser la draille où il s’engouffre, déborde, change le cours ou quitte le lit de la rivière. Le troupeau est mouvement.

     

    (…) Le berger regarde. Il ne garde pas, ce sont elles qui le gardent. Qui gardent son âme.

     

    (…) Je sens le vent, le froid, l’humidité, le baiser du soleil, mon corps nu dans l’océan et la rivière sur mes doigts. Cela me réveille, me dégourdit l’esprit, me fait oublier aussi bien mes certitudes que mes incertitudes. Je suis vivante.

     

    (…) Je ne sais pas ce qui manifeste chez ces êtres là ce besoin si pressent d’honnêteté, ce rejet si convulsif de tout ce qui éloigne l’homme de sa vérité, mais il y a probablement quelque chose de l’ordre d’une blessure au cœur et d’un élan, aussi. Ce mélange de larmes et de rire, d’accident tragique et d’amour inouï.

     

    (…) cette vie de fou où l’on nous prie d’avancer tout en restant assis, où le temps nous presse, où l’on nous presse, de quoi ?

     

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    « J’ai passé dix ans à côtoyer la mer. Elle m’a rendue heureuse. Et puis, un jour, je suis partie. J’en avais assez qu’elle me porte. J’avais envie de vivre sans elle. J’avais envie de me prouver que mes deux jambes pouvaient me pousser toutes seules. Je me suis tournée vers la montagne, par esprit de rupture et par conviction. L’horizon ne pourrait plus m’appeler. Il serait cerné par une silhouette chargée de me retenir. Lorsque la chaîne de montagne me fit face, avec un troupeau de 1600 brebis à surveiller, quelle n’a pas été ma surprise de constater à quel point je ressentais exactement les mêmes sensations qu’en mer. »

    Publié chez Gros Textes en 2021 dans un contexte purement poétique, Marins, bergers, solitudes véhicule par ses photographies et surtout par son texte un propos absolument hors les drailles. Le métier de berger – de bergère en l’occurrence –, y est décrit en termes extrêmement sensitifs, dans les différentes facettes d’une relation brute avec l’environnement, la nature, les animaux domestiques et sauvages, le temps et l’espace, l’existence, le face-à-soi (les solitudes)…L’originalité du livre tient à l'évidente proximité des sensations entre marins et bergers, entre navigatrice et bergère.

     


    Collection HORS LES DRAILLES
    Préface Michel Zalio, postface Guillaume Lebaudy
    88 p., illustré couleur, 24x16,5,

    Cardère éd., octobre 2022

    https://cardere.fr/pastoralisme/183-danser-avec-le-vent-9782376490302.html

     

     

  • Sœur Catherine - Récits d’une ermite de montagne

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    éd. du Relié, 2019

     

    Viens de terminer ce livre, que j'ai trouvé très intéressant même si certaines parties plus axées sur le religieux me demandent un effort car je me sens toujours à l'étroit dans une religion bien définie, par contre l'expérience de l'érémitisme me parle beaucoup et m'est d'une certaine façon très familière.

     

    « … Et c’est ainsi qu’on se retrouve presque vingt-cinq ans sur une crête de montagne battue par les vents, dans un ermitage accessible seulement à pied, après une heure trente de portage avec tout le nécessaire sur le dos.

    Heureusement, dans un paysage d’une beauté rare… Un ermitage sans confort : pas d’eau, pas d’électricité, pas de téléphone bien sûr. L’habitation consistait en une toute petite cabane précaire en planches, mais il y avait une chapelle rustique et aussi cette petite grotte difficile d’accès où l’on accédait par une étroite corniche.

    Est-on plus ermite en vivant dans une grotte qu’en vivant tout simplement dans une maison à l’écart d’un village ? J’avoue que la grotte est entrée dans ma vie de solitaire sans que je sois allée la chercher : il y avait une invitation. La grotte, ce n’était pas une option personnelle, mais un appel de Dieu...

     

    (...)  Comme on le voit, le temps passé aux tâches domestiques et au bricolage est vraiment important : c’est la rançon d’une vraie pauvreté acceptée pour Dieu, de la précarité des installations. Il y a toujours une planche qui se décloue, un bout de toit qui s’arrache, un objet tombé au pied de la falaise et qu’il faut aller récupérer. Des journées emplies de rien, mais des riens indispensables. Ces combats dérisoires rabotent le sentiment d’être quelqu’un, d’avoir une importance. C’est tout d’abord angoissant, déstabilisant, avant de devenir un soulagement, une libération : j’ai très peu d’importance. Ma vie est une petite vie cachée, sans ambition, dégagée de tous les paraître, de tous les rôles, postures et autres masques. Enfin libérée de l’obligation d’efficacité, de productivité, de compétence, de justifier mon existence. La pure gratuité, être simplement parce que Dieu m’a donné d’être. Pas d’enjeu, uniquement la quête de Dieu en toutes choses, dans la paix.

     

    (…) une façon de vivre différente fait se craqueler le vernis d’où surgit l’esprit de clan, la solidarité dans le conventionnel pouvant aller, hélas, jusqu’à l’ostracisme.

     

    (…) En gérant ainsi son quotidien, puis sa semaine, ses mois et ses années, on comprend l’équilibre humain et le sien propre. On comprend en profondeur ce qui est humain et ce qui ne l’est pas, ce qui déshumanise et au contraire ce qui construit, fortifie chaque jour davantage. J’ai découvert même un art de vivre qui a renouvelé mon amour de la vie.

     

    (…) Car dans le secret et le retrait, l’ermite descend dans les profondeurs de la réalité, au-delà des apparences et des faux-semblants. À notre époque, on le sait, se dévoilent de plus en plus les manipulations individuelles, mais aussi de groupes, de masse, qui peuvent conduire le monde, les société, les personnes au chaos et à la déshumanisation. La mission des contemplatifs n’est pas de s’isoler d’un tel monde devenu incompréhensible et infréquentable. Mais de proposer une vision du monde issue de leur contemplation en phase avec le réel le plus profond, le plus durable et d’aider, si nécessaire, les personnes au cœur du monde à assumer leur action, par un échange bienveillant et respectueux.

     

    *

     

    De 1995 à 2017 : vie de solitude dans un ermitage de montagne très rude et très retiré (le but étant de suivre tout l'itinéraire spirituel décrit par sainte Thérèse d'Avila et saint Jean de la Croix. Depuis 2017, Sœur Catherine est toujours ermite. Elle s’assume matériellement pour vivre. Elle donne occasionnellement des séminaires sur l’oraison et la vie spirituelle en milieu interreligieux.

     

     

     

  • Kent Nerburn - Ni loup ni chien

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    Traduction de Charles Pommel • Préfaces de Robert Plant et Kim Pasche • Dessins de Baudoin

     

    "Je décrochai le téléphone à la seconde sonnerie. J’entendis de la friture sur la ligne avant que la voix ne lance :
    – Vous êtes Nerburn ?
    C’était une femme. Je reconnus le ton saccadé d’un accent indien.
    – Oui, répondis-je.
    – Vous ne me connaissez pas, continua-t-elle, sans même donner son nom. Mon grand-père veut vous parler.

    Dan, vieil Indien de la tribu des Lakotas, contacte l’écrivain Kent Nerburn pour l’entraîner dans un road trip au cœur de l’Ouest américain. Au gré des kilomètres et des rencontres, Dan livre son histoire et celle de son peuple, au-delà des mythes et des stéréotypes.
    Empreint de douleur, teinté d’humour, Ni loup ni chien est le dialogue entre ces deux hommes, qui luttent pour trouver une voix commune. Un document sans concession sur la culture amérindienne et sur la façon – vio­lente et vorace – dont les États-Unis se sont construits."

     

    Kent Michael Nerburn est né en 1946 à Minneapolis, dans le Minnesota. Il a fait des études d’histoire américaine à l’université de Stanford, puis à celle de Berkeley. Il a publié plus d’une quinzaine de livres – des essais ainsi que des ouvrages de creative non fiction – sur la culture amérindienne et américaine. Il a remporté le Minnesota Book Award en 1995 pour Ni loup ni chien, qui est aujourd’hui au programme de nombreux cursus universitaires d’histoire aux États-Unis. Nerburn a fondé et dirigé le Project Preserve, un projet d’histoire orale dans la réserve ojibwée de Red Lake, dans le nord du Minnesota.

     

    ISBN : 9782373852776
    Collection : La Grande Collection
    Domaine : États-unis
    Période : XXIe siècle
    Pages : 448
    Parution : 17 mai 2023

     

    *

     

    En ce qui me concerne, c'est un livre d'une absolue nécessité, en voici quelques extraits :

     

    « - Tu sais ce que ça veut dire, l’heure indienne ? avait-il répondu pendant un cours avec des étudiants de l’université du coin. Ça veut dire : « Quand je serai d’humeur et prêt ».

     

    « - T’inquiètes pas. C’est comme ça à l’indienne. Quand t’es là, t’es là. Quand t’es parti, t’es parti. C’est pas un problème d’être parti, tant que t’es vraiment là quand t’es là. »

     

     

    « La première, c’est les batailles. À chaque fois que le peuple blanc gagnait, c’était une victoire. À chaque fois que nous gagnions, c’était un massacre. Quelle était la différence ? Il y avait des corps par terre et les enfants perdaient leurs parents, que les corps soient indiens ou blancs. Mais les blancs utilisaient leur langue pour rendre leurs tueries bonnes et nos tueries mauvaises. Eux « gagnaient », nous « massacrions ». Je ne sais même pas ce qu’est un massacre,  mais ça évoque des femmes mortes et des petits bébés aux gorges tranchées. Si c’est ça, c’était le peuple blanc qui massacrait plus que nous. Pourtant, j’ai rarement entendu quelqu’un parler des massacres commis par les Blancs. »

     

    « Je pense que vous devriez être prudents. Les mots sont comme des pierres. Même s’ils sont très beaux, si vous les jetez sans réfléchir, ils peuvent blesser quelqu’un. »

     

     


    « - Il y a les meneurs et les maîtres. Nous les Indiens, sommes habitués aux meneurs. Quand nos meneurs ne mènent pas, nous nous éloignons d’eux. Quand ils mènent bien, nous restons avec eux. Les Blancs n’ont jamais compris cela. Votre système créé des maîtres par la loi, même s’ils ne sont pas des meneurs.
    (…)
    « Comment un calendrier peut nous dire combien de temps untel sera un meneur ? C’est insensé. Un meneur est un meneur aussi longtemps que le peuple croit en lui et aussi longtemps qu’il est la meilleure personne pour le diriger. Tu ne peux mener que tant que le peuple te suit. »

     

     


    « - Aucun Indien vivant n’ose penser trop souvent au passé. Si nous regardions trop longtemps dans le passé, nous serions trop en colère pour vivre. Vous essayez de vous rattraper en nous présentant comme des héros et des sages dans tous vos films et vos livres. C’est bien pour vous. Mais aujourd’hui encore, je peux aller au musée, y trouver le crâne de ma grand-mère dans une boite et entendre quelqu’un en parler comme d’un vieil objet. T’aurais envie que le crâne de ta grand-mère soit chez moi dans une boîte ? Tu ne serais pas en colère ? 
    (…)
    Aujourd’hui, dans les musées, il y a les crânes de mes grands-parents, des couvertures et des tambours sacrés sur les murs pour que les gens riches les regardent. Vous les visitez et vous racontez combien tout ça est sacré. Vous dites que c’est sacré parce que rien de ce que vous possédez n’est sacré. Mais ce n’est plus sacré parce que vous en avez extrait le sacré, comme vous le faites pour tout, si bien que désormais, nous avons peine à le sentir nous-mêmes. Vous avez tué notre peuple, vous nous avez pris ce qui était sacré et avait déclaré que cela prouvait que vous étiez meilleurs que nous. »

     

     

    « C’est un bel endroit », Dan rétorque : « C’est pas juste un endroit, ça, c’est de la parlotte de blanc. La terre est vivante. On se tient sur elle, on fait partie d’elle. »

     

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  • Robin Wall Kimmerer - Tresser les herbes sacrées - Sagesse ancestrale, science et enseignements des plantes

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    Totale résonance.

     

    "En dépit d'innombrable différences culturelles, de nombreux peuples autochtones dans le monde ont un point commun : nous sommes enracinés dans des cultures de gratitude."

     

    " (...) le leadership est enraciné dans le service à autrui et dans la sagesse, et non dans le pouvoir et l'autorité"

     

    "Il a découvert que l'arrogance du pouvoir pouvait déclencher une croissance illimitée une sorte de création cancéreuse effrénée conduisant à la destruction."

     

    "Générosité, entraide, gratitude…Une magistrale leçon de vie du monde végétal.

    Botaniste, chercheuse de pointe en biologie et amérindienne issue de la nation Potawatomi aux États-Unis, Robin Wall Kimmerer est une conteuse extraordinaire. Elle partage ici ses connaissances scientifiques des plantes et les légendes de ses ancêtres pour illustrer la culture de la gratitude dans laquelle nous devrions vivre. S’appuyant sur sa triple dimension de scientifique, femme et indigène, elle nous révèle comment d’autres êtres vivants – verge d’or, fraises, courges, algues, avoine odorante… – nous offrent des cadeaux et des leçons, même si nous avons oublié comment les écouter. Ses réflexions nous montrent comment nous sommes appelés à une relation réciproque avec le reste du monde vivant. Car ce n’est que lorsque nous entendrons les langues des autres êtres que nous serons capables de comprendre la générosité de la terre et d’apprendre à donner en retour."

     

    Robin Wall Kimmerer est mère, scientifique, professeure émérite et membre inscrite de la nation Potowatomi. Son premier livre, Gathering Moss, a été récompensé par la John Burroughs Medail pour ses écrits exceptionnels sur la nature. Ses textes ont été publiés dans de nombreuses revues scientifiques. Elle vit dans l’État de New York, où elle est professeure distinguée de biologie environnementale à SUNY (The State University of New York), fondatrice et directrice du Center for Native Peoples and the Environment (Centre pour les peuples autochtones et l’environnement).  

    https://www.lelotusetlelephant.com/produit/58/9782017140641/tresser-les-herbes-sacrees

     

     

     

  • Marc-André Selosse - Jamais seul

    9782330077495.jpgEnfin retrouvé suffisamment de concentration pour terminer ce livre méga intéressant de Marc-André Selosse, vraiment j'ai énormément appris et même si c'est un peu ardu par moment, c'est un livre incontournable pour appréhender le vivant, en réformer nos visions hygiénistes et nos manies du contrôle totalement obsolètes et même ridicules, bref à lire vraiment !!

    https://www.actes-sud.fr/jamais-seul

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Dresser des pierres Planter des bambous - Nan Shan

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    Le moment de relire ce livre paru en 2002

     

    "À ne pas comprendre l’unité de la Voie,
    le mouvement et la quiétude conduisent à l’échec.
    Si vous vous arrachez au phénomène, celui-ci vous engloutit ;
    si vous poursuivez le vide, vous lui tournez le dos."
     
    Tiré du Xinxin Ming, un court poème du bouddhisme zen attribué au patriarche chinois Sengcan au VIe siècle. C'est le plus ancien texte sacré du zen.
     
     

     

     

  • Alain Gaudé - De sang et de lumière

    "Ci-gît un peu de l'homme d'où qu'il soit,
    Car en ces terres le mot "frère" a été oublié.
    Et lorsque les pelleteuses auront fait place nette,
    Lorsqu'elles auront piétiné ce que vous avez patiemment construit
    Elles s'apercevront peut-être,
    Mais trop tard,
    Que ce sur quoi elles roulent,
    Ce qu'elles tassent,
    Et font disparaître,
    C'est notre dignité."

     

     

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  • Marius Chivu - La ventolière en plastique (Vîntureasa de plasti)

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    Je lis encore des livres qu'on m'a envoyé il y a 10 ans ou plus, les SP (service de presse sauvages comme on dit et ça continue parfois), d'éditeurs ou auteurs qui me sont inconnus (ou pourquoi j'ai arrêté les notes de lecture....), celui-ci lu récemment m'a particulièrement touchée dans le flot des publications que m'envoyait cette édition luxembourgeoise de qualité extrêmement inégale.

    "Publiée en 2012, la Ventolière en plastique (Vîntureasa de plastic), immédiatement remarquée par la critique roumaine, a obtenu le prix de la Meilleure Première Œuvre poétique décerné par l’Association des écrivains de Roumanie, ainsi que le prix de la revue Observator cultural. Ces poèmes d’une grande sensibilité sont dédiés à la relation entre un fils et sa mère, paralysée et amnésique après un accident vasculaire cérébral. C’est un merveilleux chant d’amour filial, avec des associations de mots et d’images d’une grande intensité émotionnelle."

     

    Né en 1978 à Horezu (Roumanie), Marius Chivu est écrivain, traducteur, journaliste, critique littéraire, et rédacteur en chef des revues Dilemateca et Dilema Veche. Il a traduit les œuvres d’Oscar Wilde, Lewis Carroll et Tim Burton.

     

     

  • Les sirènes de Bagdad de Yasmina Khadra - Julliard 2006

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    Une découverte pour moi, troisième tome d'une trilogie trouvé dans une boîte à livres, un livre qui prend une dimension peut-être plus forte presque 20 ans après, sa principale qualité étant de nourrir une réflexion sur l'être humain et toutes les pulsions va t-en guerre des uns et des autres aggravées par les différences culturelles, le poids de trop de traditions ou au contraire du manque de repères, le danger du mépris de l'autre, le mal que ça fait et continue de faire, la violence engendrant toujours plus de violence, de douleur, de misère matérielle et morale, de dépressions sans fin où l'humain vidé de toute substance est prêt à commettre tout et surtout n'importe quoi sans même avoir la possibilité de connaitre l'amour, c'est ce manque d'amour qui nous tue toutes et tous et partout dans le monde, c'est notre point commun, notre lien. N'ayant pas lu d'autres livres de l'auteur, je ne saurais dire si celui-ci est meilleur ou moins bon mais j'en ai apprécié la lecture, simple et vivante, lu facilement entre les lignes, saisi, il me semble, ce qui en est le message le plus important.

     

    *

    « Le coup parti, le sort en fut jeté. Mon père tomba à la renverse, son misérable tricot sur la figure, le ventre décharné, fripé, grisâtre comme celui d'un poisson crevé. et je vis, tandis que l'honneur de la famille se répandait par terre, je vis ce qu'il ne me fallait surtout pas voir, ce qu'un fils digne, respectable, ce qu'un Bédouin authentique ne doit jamais voir – cette chose ramollie, repoussante, avilissante; ce territoire interdit, tu, sacrilège: le pénis de mon père. Le bout du rouleau ! Après cela, il n'y a rien, un vide infini, une chute interminable, le néant. »

    Connu et salué dans le monde entier Yasmina Khadra explore inlassablement L'histoire contemporaine en militant pour Le triomphe de l'humanisme. Après Les Hirondelles de Kaboul (Afghanistan) et L'Attentat (Israël ; Prix des libraires 2006) Les Sirènes de Bagdad (Irak) est le troisième volet de la trilogie que l'auteur consacre au dialogue de sourds opposant l'Orient et l'Occident. Ce roman situe clairement l'origine de ce malentendu dans les mentalités.

     

     

     

  • Barbara Glowczewski - Rêves en colère : avec les Aborigènes australiens

     

    Acheté il y a 20 ans, je viens enfin de le lire et pas mécontente en fait de ne le lire que maintenant, avec 20 ans de plus car la résonance est encore plus forte avec les problématiques  d'aujourd'hui. Passionnant, dense et nourrissant.

     

     

     

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    Plon, coll. Terre Humaine, 2004

     

     

    "L’histoire a maintes fois montré que les savoirs peuvent changer de sens selon leurs applications, mais aussi disparaître à défaut de transmission. Dans une perspective temporelle à long terme, le contenu de ce qui se transmet est en partie incontrôlable, mais la responsabilité incombe à l’humanité entière d’empêcher que les lieux et les modes de transmission préservés pendant si longtemps ne soient balayés par l’illusion de modernité de l’Occident qui croit avoir pour mission de tout supplanter. La mondialisation est entendue comme un nivellement de pratiques de consommation et de discours. Or, parallèlement au processus d’uniformisation, la différenciation du local buissonne partout (…). Ce n’est pas en isolant et en interdisant les échanges qu’on préserve les différences, c’est au contraire en instituant des modes de circulation de gens et d’idées."

     

    *

     

    "Barbara Glowczewski livre dans cet ouvrage vingt-cinq ans d’ethnographie, de réflexion, de vie et d’engagement aux côtés des Aborigènes du Nord-Ouest australien. Elle y dévoile l’originalité et la diversité de leur pensée à partir de quatre terrains exposés successivement : la péninsule Dampier, les plateaux du Kimberley, le désert Tanami et la terre d’Arnhem. Chacun de ces espaces présente une réalité variable, accidentée, que l’auteure refuse d’araser au bénéfice d’une démonstration lissée. Il en ressort un livre rude, tant dans sa forme que dans son contenu, morcelé, épousant la géographie de l’espace vécu.

    Les apports de ce travail sont nombreux et variés. Le premier, à la fois préliminaire et global, concerne l’écriture même du texte anthropologique. Ce n’est pas ici, à la façon classique, l’interprétation de l’ethnologue qui domine et irrigue le texte ; mais ce n’est pas non plus cette ethnographie “blanche”, largement mythique, où l’ethnologue “disparaît” en exposant la vie de ceux qu’il nous présente. Glowczewski propose une troisième voie en instaurant un dialogue permanent entre le chercheur, son sujet d’étude, et le lecteur amené à prendre part à l’élaboration du savoir qu’on lui expose. Elle tend ainsi vers une ethnologie participative, non dans le sens d’une adhésion naïve à la « cause » aborigène, mais dans celui d’une libération de l’emprise de la pensée. Cette distance subjective constitue la pierre angulaire de sa méthode et conduit à considérer Rêves en colère sous trois angles différents : méthodologique, éthique et théorique, autant de « leçons » (45) chères à l’auteure.

    Le retour de l’individu

    Sur le plan de la méthode, ce texte opère un retour à l’individu. Ce fait n’est pas nouveau : les critiques faites par l’anthropologie interprétative américaine dans les années 1980 et, avant cela, les projets éditoriaux de la collection « Terre Humaine », avaient attiré l’attention sur l’auteur comme variable (et non comme constante) de l’expérience ethnographique. Toutefois, cette oreille prêtée aux singularités de l’ethnologue, à ses passions tout autant qu’à sa raison, est souvent restée sourde aux individualités étudiées sur le terrain au profit d’un improbable type collectif, ici l’Aborigène. Et, l’auteur nous le fait sentir, il ne suffit pas de nommer les informateurs, de les situer dans un contexte, de décrire la position sociale d’où ils informent, pour en faire de véritables individus. Encore faut-il que le monde sur lequel ils renseignent l’ethnologue se réfracte en eux dans la mesure où ils en sont certes les témoins mais également les acteurs et les produits. La parole laissée aux Aborigènes dans Rêves en colère n’est pas qu’un témoignage sur le monde aborigène. Elle est ce monde, qui ne se résume donc pas à des sites, mais est constitué de situations et de discours qui le mettent en œuvre. Ces situations sont toutes des produits historiques, et c’est donc par l’histoire que reviennent, chez Barbara Glowczewski, les individus. Chacun se voit restituer une épaisseur temporelle qui lui est singulière, une histoire personnelle qui est commandée par la parole de l’informateur et dont le fil est déterré jusqu’aux racines. Les profondeurs sont donc variables : si les récits évoquant les rapports entre le gouvernement australien et les populations autochtones convoquent une histoire dense et longue, ceux sur les initiations suggèrent une histoire plus poreuse au mythe, même si l’auteur se garde bien de les rendre imperméables au changement historique. Car en celles-ci se révèlent aussi des enjeux dépendants de l’époque, comme dans les années 1970-1980 où, sous la nécessité de la transmission du savoir et de la reproduction sociale, se dévoilent des stratégies de revendications identitaires et territoriales (la réactivation d’un site initiatique étant un moyen de légitimer le retour sur un territoire jadis annexé). A lire Glowczewski, le lecteur a l’impression que “l’Aborigène” possède des os hors de son corps propre, et que la parole convoquée dans l’ouvrage permet de les rassembler.

    Ce retour de l’individu correspond à une posture que l’on peut qualifier “d’égocentrisme méthodologique” qui vient compléter et complexifier l’opposition traditionnelle entre holisme et individualisme (méthodologiques s’entend). De l’holisme, l’auteure retient la possibilité de décrire certains phénomènes sans recourir, ou peu, aux individus (notamment quand il s’agit d’expliquer le système d’échange Wurnan où la confrontation d’une mythologie qui définit la Loi et une pensée dualiste suffisent à légitimer une philosophie généralisée de l’échange) ; de l’individualisme, c’est au contraire l’importance accordée aux stratégies individuelles et aux libertés qui est relevée et fait l’objet de très belles « leçons » : « leçon d’éthique » (275-294), « leçon de survie » (227-240), etc. Cependant, l’insistance avec laquelle Glowczewski évoque l’émotion qui traverse les rites et les traditions aborigènes (347-348) n’appartient en rien à une lyrique de l’ethnologie : il s’agit bien d’une application rigoureuse de sa méthode “égocentrée”. Sur le plan formel, cette méthode transparaît clairement dans les nombreux dialogues qui irriguent l’ensemble de l’ouvrage. Entre l’ethnologue et les Aborigènes, entre Aborigènes également, le lecteur ne perd rien de ces paroles en actes dont même la gestuelle est livrée. Cette attention prêtée à l’écriture de la forme dialoguée déborde la simple convocation des sources orales. Il s’y engage un véritable rapport qu’a noué l’ethnologue avec ses enquêtés, fait de respect mutuel, de sentiments partagés et qui s’inscrit dans un réseau d’échanges plus général où des dettes doivent être honorées.

    L’ethnographie-boomerang

    Ce sentiment de la dette parcourt le texte et dessine une éthique dont Barbara Glowczewski cherche à nous faire partager la responsabilité par son engagement : la « colère » des Aborigènes – envisagée comme un invariant des passions humaines et comme un mode singulier de narration – est également celle de l’auteure. La « distance subjective » dont elle se recommande est le reflet de l’investissement total annoncé dès le départ : l’ethnologue est impliquée dans son terrain au point qu’elle intègre le jeu des relations de parenté (47) et adopte cette pensée singulière que fonde la croyance en « l’esprit de la matière » (Bachelard 1953). Mais Glowczewski nous rappelle aussi que le métier d’ethnologue met parfois l’engagement aux côtés des Aborigènes à rude épreuve, comme lorsqu’il s’agit d’éditer des témoignages (125-129) ou de réaliser un CD-Rom (279-287).

    L’actualité des Aborigènes rend leur écriture difficile et l’auteure s’applique à rendre cette difficulté dans les tergiversations de son texte, dans les analyses avortées qui témoignent moins de l’échec de son ethnographie que de la vitalité d’une culture. Les remarques faites à propos d’artistes aborigènes retouchant les peintures rupestres primitives pour rendre à leurs ancêtres fondateurs, les Wanjina, un peu de leur présence (153-154) constituent sur ce plan un passage essentiel qui nous convie à “éloigner” notre regard sur le patrimoine. Sans tomber dans un relativisme absolu, Barbara Glowczewski propose un décentrement total sur plusieurs points (la pensée dualiste, la pensée réticulaire, le passage à l’âge adulte), considérant les expressions occidentales de ces éléments à partir de leurs manifestations australiennes. Si ce type d’analyse convainc dans les cas du dualisme (206-207) et des franchissements de la jeunesse par le motif du labyrinthe (288-291), la volonté de rapprocher la pensée en réseau (propre au Rêve) et le développement contemporain en Occident d’une esthétique réticulaire (la toile de l’Internet, la double hélice de l’ADN, etc.) peut prêter à confusion et être interprétée comme une forme de sociobiologisme. Pour Glowczewski cependant, il ne s’agit pas d’une réduction naïve à la physiologie mais au contraire d’une évaluation de la pensée indigène “au niveau” des représentations occidentales des faits invisibles.

    Le Rêve à la trace

    Le recours à la notion de réseau constitue l’apport théorique le plus important de Rêves en colère. Mis en rapport avec la notion d’empreinte de G. Didi-Huberman (155), l’idée de réseau exprime ce que recouvre l’idée centrale du Rêve dans la pensée des Aborigènes. A cet égard, les détours auxquels se livre l’auteure, la reconstitution non pas linéaire mais « connexionniste » de son vécu sur le terrain, résonnent avec l’objet et sous-tendent l’approche qui, finalement, l’éclaire au mieux. En fin de compte, le Rêve, c’est du temps, de l’espace, des relations sociales qui s’enchevêtrent et forment un ensemble discontinu d’itinéraires de nature différente (narratifs, géographiques, initiatiques). Le Rêve permet ainsi de réconcilier les notions proprement occidentales de transcendance et d’immanence, de « dehors » et de « dedans », en des points précis, des traces visibles dans l’espace australien qui constituent autant de portes d’entrée vers d’autres dimensions. Ainsi se constitue progressivement une géographie mentale du Rêve dont le savoir le plus complet appartient à quelques personnages, les chamanes, étudiés notamment sous l’angle du rapport voir/savoir dont l’auteure aurait pu montrer la portée plus universelle (193-194).

    Ces personnages sont aussi les garants de la Loi, sorte de dégradation sociale du Rêve, qui règle l’ensemble des rapports organisateurs du monde aborigène : entre les hommes, entre les hommes et la nature, entre les hommes et les ancêtres. Comme le Rêve, la Loi ne se prête pas à un énoncé simple. Elle est tout à la fois objet, rituel, chant, règle ; elle concerne en même temps l’économie, la parenté, l’éducation, le sacré. Elle n’existe que dans des performances, c’est-à-dire dans les acteurs qui la respectent et la re-présentent. Il semble que toute la leçon de ce livre réside précisément dans cette opposition radicale à l’Occident qui a progressivement conduit à une institutionnalisation de la culture tandis que les Aborigènes australiens ont gardé et amplifié le souci de son incarnation avec ce que cela implique de transformation, de transmission, d’humain."

     

    Nicolas Adell

    Source : ethnographiques.org

     

     

     

     

  • Roger Caillois - L'écriture des pierres

    Un très beau livre, très poétique, pour qui, comme moi, a une fascination pour le caillou...

     

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    Flammarion, Les sentier d'e la création, coll. Champs, 1987.

     

    "De toute façon, les pierres possèdent on ne sait quoi de grave ,de fixe et d'extrême, d'impérissable ou de déjà péri. Elles séduisent par une beauté propre , infaillible ,immédiate , qui ne doit de compte à personne."

     

    En présence de cette humanité sentie plus que jamais comme éphémère, en présence même de ce monde animal et végétal dont nous accélérerons la perte, il semble que l'émotion et la dévotion de Caillois se refusent; il cherche une substance plus durable, un objet plus pur. Il le trouve dans le peuple des pierres: «le miroir obscur de l'obsidienne», vitrifiée voici des milliers de siècles, à des températures que nous ne connaissons plus; le diamant qui, encore enfoui dans la terre, porte en soi toute la virtualité de ses feux à venir; la fugacité du mercure, le cristal, donnant d'avance des leçons à l'homme en accueillant en soi les impuretés qui mettent en péril sa transparence et la rectitude de ses axes — les épines de fer, les mousses de chlorite, les cheveux de rutile — et en poursuivant malgré elles sa limpide croissance : le cristal dont les prismes, Caillois nous le rappelle en une formule admirable, pas plus que les âmes, ne projettent des ombres.


    Extrait de l'éloge de Roger Caillois prononcé par Marguerite Yourcenar, lors de sa réception à l'académie française, janvier 1981.

     

    "Vint la vie : une humidité sophistiquée, promise  à un destin inextricable; et chargée de secrètes vertus, capable de défis, de fécondité. Je ne sais quelle glu précaire, quelle moisissure de surface, où déjà s'enfièvre un ferment. Turbulente, spasmodique, une sève, présage et attente d'une nouvelle manière d'être, qui rompt avec la perpétuité minérale, qui ose l'échanger contre le privilège de frémir, de pourrir, de pulluler."