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CATHY GARCIA-CANALES - Page 38

  • Roger Caillois - L'écriture des pierres

    Un très beau livre, très poétique, pour qui, comme moi, a une fascination pour le caillou...

     

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    Flammarion, Les sentier d'e la création, coll. Champs, 1987.

     

    "De toute façon, les pierres possèdent on ne sait quoi de grave ,de fixe et d'extrême, d'impérissable ou de déjà péri. Elles séduisent par une beauté propre , infaillible ,immédiate , qui ne doit de compte à personne."

     

    En présence de cette humanité sentie plus que jamais comme éphémère, en présence même de ce monde animal et végétal dont nous accélérerons la perte, il semble que l'émotion et la dévotion de Caillois se refusent; il cherche une substance plus durable, un objet plus pur. Il le trouve dans le peuple des pierres: «le miroir obscur de l'obsidienne», vitrifiée voici des milliers de siècles, à des températures que nous ne connaissons plus; le diamant qui, encore enfoui dans la terre, porte en soi toute la virtualité de ses feux à venir; la fugacité du mercure, le cristal, donnant d'avance des leçons à l'homme en accueillant en soi les impuretés qui mettent en péril sa transparence et la rectitude de ses axes — les épines de fer, les mousses de chlorite, les cheveux de rutile — et en poursuivant malgré elles sa limpide croissance : le cristal dont les prismes, Caillois nous le rappelle en une formule admirable, pas plus que les âmes, ne projettent des ombres.


    Extrait de l'éloge de Roger Caillois prononcé par Marguerite Yourcenar, lors de sa réception à l'académie française, janvier 1981.

     

    "Vint la vie : une humidité sophistiquée, promise  à un destin inextricable; et chargée de secrètes vertus, capable de défis, de fécondité. Je ne sais quelle glu précaire, quelle moisissure de surface, où déjà s'enfièvre un ferment. Turbulente, spasmodique, une sève, présage et attente d'une nouvelle manière d'être, qui rompt avec la perpétuité minérale, qui ose l'échanger contre le privilège de frémir, de pourrir, de pulluler."

     

     

     

     

  • Le dernier poème de Refaat Al Areer

     
    "Si je dois mourir
    tu dois vivre
    pour raconter mon histoire
    pour vendre mes effets
    et acheter une étoffe
    et quelques ficelles
    (une étoffe blanche avec une longue traîne)
    pour qu'un enfant quelque part à Gaza
    en regardant le paradis dans les yeux
    guettant son père parti dans un brasier
    sans dire adieu à personne
    pas même à sa chair
    pas même à lui-même
    voie le cerf-volant, mon cerf-volant tout là-haut
    que tu auras fabriqué, volant tout là-haut
    et pense un instant qu'un ange est là
    ramenant l'amour
    Si je dois mourir
    fais que cela apporte de l'espoir
    que ce soit un conte"
     
     
    Refaat Al Areer, poète palestinien, professeur de littérature anglaise, mort à Gaza sous les bombes la nuit dernière avec six membres de sa famille, donc quatre enfants.
     
     
    NON À LA GUERRE ! STOP !
     
     
     
     
     

  • Avi Katz - Israël

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    Novembre 2023

     

     

     

    Article de 2018

    "le dessinateur israélien Avi Katz a été informé par le magazine The Jerusalem Report, pour lequel il officiait comme pigiste depuis 1990, qu’ils ne publieraient plus ses dessins, à la suite de la publication d’un dessin sur sa page Facebook avant sa publication par le magazine. Des membres du gouvernement israélien y sont représentés en cochons, sous la légende « Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres », célèbre citation du roman satirique, La Ferme des animaux de George Orwell.

     

    Le dessin fait référence à une photo de Benyamin Netanyahou et de membres du Likoud se prenant en selfie après l’adoption par la Knesset de la loi controversée sur l’Etat-nation qui sanctionne le statut d’Etat-Nation Juif d’Israël. Une loi jugée discriminatoire envers les populations non-juives d’Israël, la langue Arabe perdant par exemple le statut de langue officielle.

    Posté sur Facebook par son auteur avant sa publication par le Jerusalem Report, le dessin est devenu viral et a suscité de nombreuses réactions, principalement au sujet de la représentation des politiciens en cochons, jugée antisémite et choquante en Israël, le porc étant non kasher.

    L’éditeur du magazine qui a initialement validé le contenu du dessin, a alors averti Avi Katz de son intention de ne plus publier ses dessins, sous pression de la direction du journal, furieuse de cette publication anticipée. Dans un communiqué cité par le journal Times of Israël, les membres du Jerusalem Report expliquent que « suite à des considérations éditoriales prises par les rédacteurs en chef, il a été décidé de ne plus publier ses dessins, après que plusieurs d’entre eux ont suscité des réactions négatives ». Haim Watzman, journaliste au magazine dont les écrits accompagnaient régulièrement les dessins de Katz, a démissionné en réponse à l’éviction d’Avi Katz. Le dessinateur a bénéficié de nombreux soutiens parmi lesquels on compte des dessinateurs israéliens tels qu’Uri Fink, Michel Kichka mais aussi l’Union des journalistes d’Israël et l’organisation internationale PEN America. Finalement, il est à noter que Nissim Hezkyahu, fondateur et ancien président de l’Israel Cartoonists Associaton et directeur artistique du festival ANIMIX de dessin de presse et de BD qui se tiendra pour sa 18 ème édition à Tel Aviv en Août 2018, organise une exposition de dessins en réponse au licenciement d’Avi Katz et sortira un numéro spécial unique qui réunira tous les dessins exposés."

     

    Source : Cartooning for peace

     

     

     

  • Daniel Giraud - Gravé à l’esprit * Sin Ming

    Né en 1946 à Marseille, Daniel Giraud était arrivé en Couserans en 1972, après de multiples voyages qui l’avaient amené des montagnes chinoises aux fins fonds de l’Amérique profonde.  Comme il le disait : "Seul un poète peut traduire un poète." Et sans avoir appris le mandarin autrement que par lui-même, grâce à une méthode qui lui était propre et ses multiples voyages au pays de Lao Tseu, il en était devenu l’un des traducteurs les plus respectés et fidèles.

     

     

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    https://atelierdelagneau.com/fr/accueil/279-grave-a-l-esprit-sin-ming-9782374280684.html

     

     

     

    "Daniel Giraud s’est donné la mort le vendredi 6 octobre 2023 à Saint-Girons en Ariège, où il avait élu domicile en 1972 après de nombreux voyages (Afrique, Asie, Amérique). Il avait écrit en 2016 : « Connaître la réalité de la conscience permet d’assister à sa propre mort, au centre du monde, mourir avant de mourir et réaliser sa vraie nature ». Et, dans le même ouvrage au titre profondément anarchiste, Comment s’affranchir de son thème astrologique (éditions Arqa), « Sentir que l’on n’est jamais né (et que nous ne mourrons jamais) nous affranchit de notre instant et lieu de "naissance" de notre corps, et donc de notre thème astrologique », l’astrologie étant pour lui « une gnose, une connaissance de l’art sacré, une interprétation des rapports entre l’être et le Cosmos ». Dans Tao et Anarchie, Daniel Giraud rapproche Tchouang Tseu (IVe siècle avant J.-C.) de Max Stirner et de Nietzsche, ces penseurs se méfiant du pouvoir de l’état et renvoyant chacun à lui-même, à une solitude affranchie du bien, du mal, et des structures oppressives. L’anarchie taoïste de Daniel Giraud croise aussi Lao Tseu et Cioran. Né en 1946 à Marseille, il a créé en 1977 la revue poétique et métaphysique Révolution intérieure, dont le dernier numéro paraîtra en 1987, et qui  donnera son nom à l’édition de ses écrits auto-publiés.

     

                Daniel Giraud a appris le mandarin par lui-même, mais ses traductions de Li Po (Albin Michel, 1989), Hsin Hsin Ming (Arfuyen, 1992), Hsan Shan (Orphée La Différence, 2016), du Tao Tö King (Courrier du Livre, 1989, et l’Harmattan, 2011) sont reconnues par des sinologues tels que Jacques Pimpaneau. Des récits de sagesse d’extrême orient (Gallimard, 2007) traversent les traditions du Tao et du Tch’an chinois « qui a donné le Zen au Japon ». L’un des « textes » essentiels de cet « enseignement muet et paradoxal » issu « de l’alchimie subtile entre Bouddhisme (officiellement) et taoïsme (officieusement) » est le Sin Ming (ou : « la négation originelle fondamentale ») dont l’auteur est Fa Jung (594 – 657). « Sin Ming, gravé à l’esprit ou inscrit au cœur », est pour Daniel Giraud qui en propose ici la traduction entre une introduction et le texte chinois suivi de notes, « un écrit de l’esprit qui se perçoit de lui-même, de cœur à cœur. Sin c’est aussi bien les pensées du mental, le cœur des émotions que l’esprit universel considéré dans une perspective métaphysique non duelle (…) L’esprit est non-né, tout comme les naissances apparentes (…) Dans le silence paisible, le non-né n’est pas affecté par toutes les situations apparentes et les tourbillons de pensée (…) À l’esprit vacant tout est vide. La dernière parole du Sin Ming est une sans-parole : "Le non-dit discerne le vrai du faux et fait prendre conscience" ».

     

                Tout traducteur parie sur l’échange. Tournant le dos à l’exotisme, l’universaliste Daniel Giraud n’hésite pas à lancer des ponts entre penseurs chinois et occidentaux, et nous autorise implicitement à faire de même. En amont de Nietzsche qu’il rapproche du taoïsme, l’influence de Schopenhauer s’est étendue de Proust à Clément Rosset, en passant par Hermann Hesse. On pense à « l’idiotie » selon Rosset, et à nos philosophes, dramaturges et humoristes de l’absurde, en lisant : « tout n’a pas de cause / lumière et paix se manifestent spontanément ». Ou à Proust : « Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause », ou : « une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause ». Face à cette obscurité lumineuse, « ne pas penser est l’action efficace », l’action « au plus subtil et profond », nous dit Fa Jung. Où « l’essentiel du savoir est non-savoir ». Où « la réalité absolue n’est pas explicable / non séparée, non entravée ».

     

                Mais c’est sur l’obstacle auquel se cogne tout langage (et qu’il doit se cogner), sur son désir et son incapacité face au réel, à l’impression vécue, que le Sin Ming rencontre Proust et les modernes. Du côté de chez Swann : « Et voyant sur l’eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel , je m’écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : "zut, zut, zut, zut" ». Fa Jung : « être ainsi par soi-même clair et paisible / sans pouvoir arriver à en parler ». Et si l’expression du narrateur proustien est « égarée au possible », comme dirait un autre, aux yeux d’un Fa Jung elle n’est pas inadéquate : « extérieurement, ayant l’air ignorant et bête / intérieurement, le cœur vide et juste ». On croit lire Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer quand Fa Jung écrit : « Les pensées font seulement tournoyer et obscurcir / elles troublent et perturbent les souffles vitaux ».

     

                Loin de s’opposer à la littérature, l’ « enseignement muet » du Tch’an la fonde (qu’on pense au « monde muet », grand aiguillon de Ponge), la sauve du naufrage dans la logomachie. Et si rien ne paraît plus éloigné de l’orient indien ou chinois que le cartésianisme, l’évidence du Cogito émergeant du doute systématique répond parfaitement à : « n’ayant pas de lieu pour apaiser l’esprit / la clarté de la vacuité se dévoile d’elle-même ».

     

                Loin d’être inconciliables ou irréconciliables, les deux cultures dialoguent, à une quinzaine de siècles d’intervalle, et s’harmonisent dans l’oreille du bluesman « Dan Giraud ». Si nous l’entendons si clairement, si distinctement, nous jouer du Fa Jung, c’est qu’il n’est pas parti bien loin."

     

    François Huglo

    https://www.sitaudis.fr/Parutions/fa-jung-de-daniel-giraud-1698900547.php