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CITATIONS - Page 57

  • Haruki Murakami

     

    Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu'elle soit vraiment achevée. Mais sois certain d'une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même. Tel est le sens de la tempête. 


    in Kafka sur le rivage

     

     

     

  • Perrine Le Querrec


    La haine change de camp, change de temps, du passé au présent, mais vous qu'avez-vous fait très précisément pendant l'Occupation, mais nous, que faisons-nous très précisément pendant ces temps d'attentats de meurtres d'exécutions de génocides ? Que faisions-nous, que faisons-nous, qu'aurions-nous fait, que faites-vous, que faire ?

    Vous tondez la haine à la main, vous tondez la haine à la bouche, la haine actionne la lame qui crisse ses cris aigus aux oreilles des survivantes

    Lente défiguration, mèche à mèche le visage s'efface la femme disparaît

    Lente correction goutte à goutte l'acide brûle sous la peau la chair à vif

    Lente mutilation point après point le sexe cousu défendu

    Traumatisées à jamais défigurées à jamais marquées pour toujours ainsi en a décidé le peuple la plaie le pouvoir du jour.

     

    Il faut bien se venger il faut bien crier vengeance et haine il faut bien accuser il faut des victimes des bourreaux encore et encore des justes des injustes des justices expédiées des doigts pointés des poings brandis des femmes à genoux des crânes rasés encore rasés tondus des crânes d'enfants la peau à nu la fragile à nue la coupable déshabillée il faut des coupables toujours partout pour tout comment tenir sans accuser sans dénoncer il en faut des tonnes de camps des quantités il faut les montrer les violer les enfermer les terroriser il faut d'un côté le pouvoir d'un côté la loi d'un côté le fort d'un côté du même côté il faut choisir son côté son camp son clan il faut savoir que ça arrivera encore et encore il faut des édits des dits des lettres anonymes des rumeurs des portes ouvertes à coups de bottes des gonds arrachés des crânes tondus il faut sortir les femmes et les enfants de leur lit il faut arracher le nourrisson du sein ouvrir le ventre plein et tuer le futur il faut lever les ciseaux abattre la justice il faut trancher des têtes tondre des femmes il faut former le troupeau suivre le grand leader il faut les brebis égarées les galeuses les tondre jusqu'à la lie il faut l'hallali pour sublimer la victoire les victorieux comme ils brillent leur firmament leur exemple il faut des exemples pour la jeunesse pour le peuple pour marcher il faut marcher au pas il faut pousser dans le dos les brusques bourrades les faire tomber les femmes qui ont couché qui ont sans doute couché qui ont ouvert la porte leur bras leurs cuisses leur ventre il faut éliminer Tout Ce Qui Frémit.

     

    in Les tondues

    illustrations de Jacques Cauda, Z4 éditions, 2017

     

     

     

     

     

     

  • Georges Hyvernaud

    Le pire de tout, c'est les cabinets. Quand je veux former une image dense et irréprochable du bonheur, c'est à des cabinets que je pense. À des cabinets bien enfermés de murs blancs, dallés de clair, verrouillés. Je suis assis dignement sur la couronne de bois verni, dans ma dignité d'homme libre. Je suis assis au centre d'un épais silence savoureux. Un silence blanc, luisant, crémeux. Il y a contre le mur une boîte de faïence d'où pend un rectangle de papier hygiénique. Il y a au-dessus de ma tête une chaînette munie d une poignée de faïence. Je suis assis. J'ai tout mon temps et toute ma liberté. Je puis parler seul, lire des vers. Je puis penser à l'immortalité de l'âme, si ça me chante... Les cabinets, ici, c'est une baraque badigeonnée d'un brun ignoble, avec une porte qui ne ferme pas et des vitres cassées. Seize sièges là-dedans, huit d un côté, huit de l'autre. Et des traces de merde sèche sur les sièges. On s'installe côte à côte, dos à dos. Seize types sur leurs seize sièges, alignés, identiques, pareillement attentifs au travail de leurs boyaux. Chacun a une feuille de papier à la main, comme une demoiselle qui s'apprête à chanter dans un salon. Ils s'efforcent ensemble, mornes, soucieux, confondant leurs bruits et leurs odeurs. Et d'autres, debout contre la paroi goudronnée, pissent. Un petit ruisseau d'urine mousseuse coule à leurs pieds. Et il y a encore ceux qui attendent leur tour en causant de leur famille ou de leur constipation. Fraternité des barbelés. Fraternité dans la puanteur et la flatulence. Tout le monde ensemble dans un gargouillis de paroles, d'urine et de tripes. De temps en temps quelqu'un se soulève un peu, et, retenant d'une main son pantalon, de l'autre, soigneusement, se torche. Au suivant. On se bouscule autour du trou. On proteste : Grouillez-vous un peu, bon dieu.

    J'aimerais autant parler d'autre chose. De choses claires. Parler des claires jeunes filles, ou d'un regard de vieille dame, ou d'un peuplier au bord de la route. Parler d'un poème, d'une écharpe, d'un tableau de Matisse. Mais tout cela n'existe plus. C'est fini. Il n'y a plus de couleurs, de feuillages ni de regards. Tout a été englouti dans une catastrophe informe. Tout est foutu. Il n'y a plus, au milieu d'un univers détruit, que cette baraque où l'on se soulage en tas. Tout est vide et mort. Et au milieu du vide et de la mort, il ne reste plus que cet asile de la défécation en commun.[…]

    Quand même, les cabinets, cela résume mieux notre condition. Mieux que les punaises. C'est plus complet, plus significatif. Avec même un air loufoque, une qualité d'humour sordide. Pour prendre pleinement conscience de ce qui nous est arrivé, rien de tel que de s'accroupir fesse à fesse dans les latrines. Voilà ce qu'ils ont fait de nous. Et on s'imaginait qu'on avait une âme, ou quelque chose d'approchant. On en était fier. Ça nous permettait de regarder de haut les singes et les laitues. On n'a pas d'âme. On n'a que des tripes. On s'emplit tant bien que mal, et puis on va se vider. C'est toute notre existence. On parlait de sa dignité. On se figurait qu'on était à part, qu'on était soi. Mais maintenant on est les autres. Des êtres sans frontières, pareils, mêlés, dans l'odeur de leurs déjections. Englués dans une fermentante marmelade d'hommes. Remués, brassés, perdus et fondus là-dedans. Égalité et fraternité de la merde. On avait ses problèmes. On était fier de ses problèmes, de ses angoisses. On n'est plus fier de rien, maintenant. Et il n'y a plus qu'un problème qui est de manger, et ensuite de trouver une place où poser ses fesses sur ces planches maculées. S'emplir, se vider. Et toujours ensemble, en public, en commun. Dans l'indistinction de la merde. On ne s'appartient pas. On appartient à ce monstre collectif et machinal qui toute la journée se reforme autour de la fosse d'aisances. 

    [...] On publiera de belles choses sur l'énergie spirituelle des captifs. Et on ne dira rien des cabinets. C'est pourtant ça l'important. Cette fosse à merde et ce méli-mélo de larves. Toute l'abjection de la captivité est là, et l'Histoire, et le destin. En voilà un bouquin que j'aurais aimé écrire. Bien simplement, bien honnêtement. Un bouquin désolant, qui aurait l'odeur des cabinets et il faudrait que chacun la sentît et y reconnût l'odeur insoutenable de sa vie, l'odeur de son époque. Et que toute l'époque lui apparût comme une mélasse d’êtres sans pensée, sans squelette, grouillant dans les cabinets, comme nous, s'emplissant et se vidant avec gravité, sans fin et sans but. Et que le sens, le non-sens de l'époque fût là-dedans, visible, lisible, incontestable.

     

    in La Peau et les Os 

     

     

     

     

     

     

  • René Char

     

    Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, qui tient éveillés le courage et le silence. 

     

     

     

     

  • Empédocle

     

    Et je te dirai autre chose. Il n'est pas d'entrée à l'existence ni de fin dans la mort funeste, pour ce qui est périssable ; mais seulement un mélange et un changement de ce qui a été mélangé. Naissance n'est qu'un nom donné à ce fait par les hommes. 

     

     

     

  • Jiddu Krishnamurti

     

    Donc l'esprit qui est capable de dire : « je ne sais pas » est l'unique état où il nous soit possible de découvrir quoi que ce soit. Mais celui qui dit : « je sais », celui qui a infiniment bien étudié toutes les diversités de l'expérience humaine et dont l'esprit est encombré d'informations, de connaissances encyclopédiques, peut-il jamais faire l'expérience de cette chose qui ne peut pas être thésaurisée ?

     in Le livre de la méditation et de la vie 

     

     

     

  • Jiddu Krishnamurti

     

     

    Seul un esprit libre de tout effort, qui n'essaie pas de devenir quelqu'un sur le plan social ou spirituel, un esprit qui n'est absolument rien, peut accueillir le nouveau, l'inconnu.

     in Tel que vous êtes 

     

     

     

  • Virginie Despentes

    Kiko entretenait avec Charles des conversations interminables – le trader lui expliquait pourquoi, selon lui, les luttes de classe venant d’en bas ne pourraient jamais plus aboutir à rien : « C’est terminé l’époque de l’abolition de l’esclavage ou du Front populaire. Plus personne ne veut en finir avec la misère. On avait besoin de main-d’œuvre, on était condamnés à négocier avec vous, les travailleurs. On n’avait pas le choix. Mais avec l’automatisation – on s’en fout des prolos. On va vous tuer. Je te parle pas de tirer dans la foule pendant les manifestations, ça on l’a toujours fait. Non, on va vous exterminer massivement. Vous ne servez à rien. C’est là-dessus que vous êtes en retard. Vous continuez à raisonner comme sous papa Marx – quand le prolétaire était nécessaire pour que des gens comme moi accumulions la plus-value. Peut-être qu’avec les progrès de la science, on fera encore un petit élevage de prolétaires robustes, pour vous prélever du sang, des organes et des morceaux de peau, porter nos enfants pour que nos femmes n’aient plus à s’abîmer… Mais même pour ça, franchement, avec les bio imprimantes et les couveuses de l’avenir, on va pouvoir se passer de vous. On va vous éliminer. C’est pragmatique. Vous créez beaucoup trop de problèmes par rapport à ce que vous rapportez. C’est pour ça, c’est inéluctable : les classes pauvres, on va vous rayer de la carte. » Ces raisonnements apparaissaient parfaitement logiques aux yeux du vieux Charles, qui répondait du tac au tac, enchanté d’être enfin tombé sur un interlocuteur lucide et sincère : « Tu préconises qu’on prenne les devants et qu’on exhume les guillotines ? » et Kiko secouait la tête, en signe de négation « si vous en étiez capable, vous l’auriez fait il y a longtemps. Mais vous respectez le dominant. Regarde comme les pauvres aiment Poutine. Je ne dis pas que c’est dans votre ADN, mais c’est un héritage de longue date. C’est comme un codage culturel, vous ne vous émanciperez pas assez vite. On vous a appris à aimer le chef. »

    Ils pouvaient continuer comme ça sur des kilomètres.

     

    in Vernon Subutex t.3

     

     

     

  • Hélène Dorion

     

    Tu poses le pied, 
    c’est la mer
    qui te dénoue.
    Tu oublies presque la plaie
    la pierre gisante, 
    sur le fil de la mémoire.
    Depuis des années, tu regardes les branches
    comme des racines, 
    qui s’approchent enfin.