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RÉSONNANCE & COPINAGES - Page 21

  • Christian Bobin

    Les enfants sont des gens qui ne ressemblent à personne. On les met dans les écoles pour qu'ils deviennent comme tout le monde. L'école est une boîte qui ressemble à une maison. On trempe l'enfant dans la boîte, on le laisse mijoter quatorze ou quinze ans dans la boîte, on le ressort, il a les yeux écarquillés d'être resté si longtemps dans le noir, on lui dit : bravo mon grand, te voilà comme tout le monde. C'est pas drôle d'être comme tout le monde. Personne n'aime ça. Heureusement ça ne marche pas. La boîte école, la boîte usine, la boîte travail, la boîte chômage, la boîte télévision, la boîte boîte ; aucune boîte ne marche, aucune boîte n'est assez bien fermée pour empêcher la vie d'entrer, et quand la vie entre quelque part, ouh la la, plus rien n'est pareil c'est le grand désordre, le grand carnaval des couleurs. C'est même comme ça qu'on distingue la vie de la mort : là où tout se ressemble, là où tout est en ordre - c'est la mort. Et là où tout est bizarre, drôle, mélangé - c'est la vie.

     

    in Le jour où Franklin mangea le soleil

     

     

  • Antonin Artaud - novembre 1947

     

    J’ai appris hier
    (il faut croire que je retarde, ou peut-être n’est-ce qu’un faux bruit, l’un de ces sales ragots comme il s’en colporte entre évier et latrines à l’heure de la mise aux baquets des repas une fois de plus ingurgités),
    j’ai appris hier
    l’une des pratiques officielles les plus sensationnelles des écoles publiques américaines
    et qui font sans doute que ce pays se croit à la tête du progrès.
    Il paraît que parmi les examens ou épreuves que l’on fait subir à un enfant qui entre pour la première fois dans une école publique, aurait lieu l’épreuve dite de la liqueur séminale ou du sperme,
    et qui consisterait à demander à cet enfant nouvel entrant un peu de son sperme afin de l’insérer dans un bocal
    et de le tenir ainsi prêt à toutes les tentatives de fécondation artificielle qui pourraient ensuite avoir lieu.
    Car de plus en plus les américains trouvent qu’ils manquent de bras et d’enfants,
    c’est à dire non pas d’ouvriers
    mais de soldats,
    et ils veulent à toute force et par tous les moyens possible faire et fabriquer des soldats
    en vue de toutes les guerres planétaires qui pourraient ensuite avoir lieu,
    et qui seraient destinées à démontrer par les vertus écrasantes de la force
    la surexcellence des produits américains,
    et des fruits de la sueur américaine sur tous les champs de l’activité et du dynamisme possible de la force.
    Parce qu’il faut produire,
    il faut par tous les moyens de l’activité possibles remplacer la nature partout où elle peut-être remplacée,
    il faut trouver à l’inertie humaine un champ majeur,
    il faut que l’ouvrier est de quoi s’employer,
    il faut que des champs d’activité nouvelle soient crées,
    où ce sera le règne enfin de tous les faux produits fabriqués,
    de tous les ignobles ersatz synthétiques
    où la belle nature vraie n’a que faire,
    et doit céder une fois pour toutes et honteusement la place à tous les triomphaux produits de remplacement
    où le sperme de toutes les usines de fécondation artificielle
    fera merveille
    pour produire des armées et des cuirassés.
    Plus de fruits, plus d’arbres, plus de légumes, plus de plantes pharmaceutiques ou non et par conséquent plus d’aliments,
    mais des produits de synthèse à satiété,
    dans des vapeurs,
    dans des humeurs spéciales de l’atmosphère, sur des axes particuliers des atmosphères tirées de force et par synthèse aux résistances d’une nature qui de la guerre n’a jamais connu que la peur.
    Et vive la guerre, n’est-ce pas ?
    Car n’est-ce pas, ce faisant, la guerre que les Américains ont préparée et qu’il prépare ainsi pied à pied.
    Pour défendre cet usinage insensé contre toutes les concurrences qui ne sauraient manquer de toutes parts de s’élever,
    il faut des soldats, des armées, des avions, des cuirassés,
    de là ce sperme
    auquel il paraîtrait que les gouvernements de l’Amérique auraient eu le culot de penser.
    Car nous avons plus d’un ennemi
    et qui nous guette, mon fils,
    nous, les capitalistes-nés,
    et parmi ces ennemis
    la Russie de Staline
    qui ne manque pas non plus de bras armés.
    Tout cela est très bien,
    mais je ne savais pas les Américains un peuple si guerrier.
    Pour se battre il faut recevoir des coups
    et j’ai vu peut-être beaucoup d’Américains à la guerre
    mais ils avaient toujours devant eux d’incommensurables armées de tanks, d’avions, de cuirassés
    qui leur servaient de boucliers.
    J’ai vu beaucoup se battrent des machines mais je n’ai vu qu’à l’infini
    derrière
    les hommes qui les conduisaient.
    En face du peuple qui fait manger à ses chevaux, à ses bœufs et à ses ânes les dernières tonnes de morphine vraie qui peuvent lui rester pour la remplacer par des ersatz de fumée,
    j’aime mieux le peuple qui mange à même la terre le délire d’où il est né,
    je parle des Tarahumaras
    mangeant le Peyotl à même le sol
    pendant qu’il naît,
    et qui tue le soleil pour installer le royaume de la nuit noire,
    et qui crève la croix afin que les espaces de l’espace ne puissent plus jamais se rencontrer ni se croiser. C’est ainsi que vous allez entendre la danse du TUTUGURI
     
    Novembre 1947
     
     
     
     
  • Ana Minski

     

    Combien sommes-nous à rêver le désencerclement
    l’ouverture des portes, le désenchaînement des pierres
    pour que surgisse enfin celle que nous nommons mère
    et qui n’est autre que l’heure magique de l’aurore.

    in Les lézardes de feu

     

     

     

  • Michel Baglin

    Cette vie, l’agrandir
    par le corps réveillé,
    l’infini paysage
    qui nourrit le désir
    de trouver un passage
    et de reprendre pied.
    L’agrandir par la mer,
    par la vague et par l’aile,
    par la voile et le vent.
    L’inventer fraternelles
    par les yeux grands ouverts
    qui nous font plus présents.

     

    in De chair et de mots

     

     

     

  • Marguerite Yourcenar

    J'ai atteint le centre. J'écoute le battement d'on ne sait quelle horloge divine à travers la mince cloison charnelle de la vie pleine de sang, de tressaillements et de souffles. Je suis près du noyau mystérieux des choses comme la nuit on est quelquefois près d'un cœur.

     

    in Feux 

     

     

  • Werner Lambersy

    Et tu dors
    Dans Uluru la porteuse
    Maternelle de l'ocre semence
    Des crépuscules
    Où tu agites
    Ton ombre
     
    Là-bas sur la Grande Terre
    Où tu n'es pas quelque chose
    D'isolé mais un morceau non détaché
    Du cordon ombilical
    Des millénaires en cours
     
    Là-bas Uluru dort
    à ta place
    et remplit le contrat initial
    de rêver l'essentiel
     
    Et son nombril est un tunnel d'étoiles
    Vers l'âme unique de la matière
    Et l'œil humide de l'amour

    in Uluru

     

     

  • Andreï Tarkovski

    L'art nous fait appréhender le réel à travers une expérience subjective. Avec la science, la connaissance de l'univers évolue d'étape en étape, comme si elle gravissait les degrés d'un escalier sans fin, chacune réfutant souvent celle qui l'a précédée, au nom de vérités particulières objectives. En art, la connaissance est toujours une vision nouvelle et unique de l'univers, un hiéroglyphe de la vérité absolue. Elle est reçue comme une révélation, ou un désir spontané et brûlant d'appréhender intuitivement toutes les lois qui régissent le monde : sa beauté et sa laideur, sa douceur et sa cruauté, son infinité et ses limites.

     

    in Le temps scellé

     

     

  • Vénus Khoury-Ghata

     

    Les pierres de ton jardin parlent plus haut que les passants
    elles se réclament d'une ascendance qui remonte à la première caverne
    quand deux silex détenaient le feu et qu'un vent pauvre
    balayait les ronces d'un alphabet atteint de surdité
    Les choses étant ce qu'elles sont
    Il suffit de serrer une pierre dans ta main pour vibrer
    avec la planète
    détecter la fronde d'un volcan
    le cri d'une montagne écroulée par une fourmi


     

     

  • Jón Kalman Stefánsson

    (...) il pleure parce qu’il a oublié la dernière fois où il a pris l’initiative de la serrer dans ses bras pour l’embrasser, l’étreindre, ou pour lui murmurer une bêtise à l’oreille comme il le faisait si souvent jadis, il y a mille ans, comme on est censé le faire, comme on doit le faire, et plus souvent que souvent, parce que c’est la seule manière de traverser les forêts d’épines de la vie.

    in Ton absence n’est que ténèbres