Souvenez vous d'Andrea Dworkin par Ana Minski
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Bords cousus
un à un par la lumière
plus bas – la mer
Sur ton front, cicatrices bleues.
in Fragments
Dans ce monde qui se dessèche,
si nous ne voulons pas mourir de soif,
il nous faudra devenir source.
La corde s'effiloche, semble t-il
Et moi, je ne suis qu'un petit funambule
Et moi, ombre de l'ombre de l'autre
Somnambule aux deux lunes sombres
13 juillet 1914
« Regardez ce point. C’est ici. C’est notre foyer. C’est nous. Dessus se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez jamais entendu parler, tous les êtres humains qui aient jamais vécu. La somme de nos joies et de nos souffrances. Des milliers de religions, d’idéologies et de doctrines économiques remplies de certitudes. Tous les chasseurs et cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et destructeurs de civilisations. Tous les rois et paysans, tous les jeunes couples d’amoureux, tous les pères, mères, enfants remplis d’espoir, inventeurs et explorateurs. Tous les moralisateurs, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et pécheurs de l’histoire de notre espèce ont vécu ici… Sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.
La Terre est une scène minuscule dans l’immense arène cosmique. Songez aux rivières de sang déversées par tous ces généraux et empereurs afin que, nimbés de triomphe et de gloire, ils puissent devenir les maîtres temporaires d’une fraction… d’un point. Songez aux cruautés sans fin infligées par les habitants d’un recoin de ce pixel aux habitants à peine différents d’un autre recoin. Comme ils peinent à s’entendre, comme ils sont prompts à s’entretuer, comme leurs haines sont ferventes. Nos postures, notre soi-disant importance, l’illusion que nous avons quelque position privilégiée dans l’univers, sont mises en perspective par ce point de lumière pâle.
Notre planète est une poussière isolée, enveloppée dans la grande nuit cosmique. Dans notre obscurité, dans toute cette immensité, rien ne laisse présager qu’une aide viendra d’ailleurs, pour nous sauver de nous-mêmes. La Terre est jusqu’à présent le seul monde connu à abriter la vie. Il n’y a nulle part ailleurs, au moins dans un futur proche, vers où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Que vous le vouliez ou non, pour le moment, c’est sur Terre que nous nous trouvons.
On dit que l’astronomie incite à l’humilité et forge le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la vanité humaine que cette lointaine image. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison que nous ayons jamais connue. »
Carl Sagan, Pale Blue Dot, 1994. Texte inspiré par la photo ci-dessus prise le 14 février 1990 par la sonde Voyager 1, alors qu’elle se trouvait à plus de 6 milliards de kilomètres de la Terre, au-delà de l’orbite de Neptune.
La soif seulement
le silence
aucune rencontre
garde-toi de moi mon amour
garde-toi de la silencieuse dans le désert
de la voyageuse au verre vide
de l’ombre de son ombre
Direction artistique : Ivana Caffaratti Giro
l’incise de la langue sorcière
la voilà qui tu n’es pas gentille qui
reproche tu n’es pas aimable qui
taraude qui affable rode
allez couche-toi brutale carrément qui
ta langue pendue on croirait un étendard qui
triture quiqui toi toi moi spectatrice insolvable
baisse-la tu veux ta petite tête mais tu veux causer
et la voilà qui ouvre sa grande bouche pas jolie tu cries tu es moche
on voit tes dents elles ne sont pas white tu pleures on voit ton plombage
là
elle l’ouvre encore et
as-tu essayé la tête sous l’eau pour voir c’est radicalta langue n’est pas rose
arrêtes de hurler ainsi tu es toute déformée
tu as toujours été agressive
tu me fatigues je te le dis dans la langue des yeux puis je me couche
je suis sans mots vacante vacancetu m’as échappée je te portais en moi
on n’aime pas trop ce qui nous échappetu peux crier moi suis couchée emmitouflée dans mon corps
barricadée forclose fous le feu à la baraque si tu veux
tu verras ça avec le croque-mitaine je ne te le conseille pas
aimes-tu les cimetières ?tu as peur tu es malade elle est ma-la-de
c’est triste ça commence mal !
on va s’enliser si on va par
là on va s’enfoncer dans mon lit j’y suis souvent
il faut que cette fille baisse la tête et se couche silence ! pitié
ou alors il aurait fallu mais non il aurait mais ouiiiii
un garçon
oooooooooh cela aurait été bien plus simple si
mais nongarçon ne pleure pas
c’est antinomique
je vais te museler si tu continues
pas de chichi ils sont forts
ça m’impressionne je ne sais pas ce que ça cacheje ne sais pas ce qu’ils font de leurs déchets
comment dissocient-ils leurs émotions du reste de leur corps
s’évaporent-elles
leurs larmes où doncsi je retiens je ne sais plus trier
le mot de l’ivraie
ma langue se défait défaille me dédit
m’encombre s’affole se fige
s’onomatopéïse
piétine balbutie turlupine
se débraille inconvenante
on me dit méchanteje me nulle
me désolidarise de moi-même
ma peau fourvoyée se flamme
faut me cacherme sortent tatouées les émotions maltraitées
je me couche pour la bienséance du monde
car
j’ai un corps qui s’exclame
on n’aime pas trop les corps par ici
d’autant moins lorsqu’ils s’expriment dans leur langue
qui comme chacun sait est une langue barbare
tu ne peux pas encore savoir
tu es petite et ignorante
tu cries dans ta langue enfante
comme qui chanteraitchanter pas bien vu non plus
dans la rue par exemple par distraction
ou par insouciance surtout pas de
ou de spontanéité
on va t’enfermer maladie contagieuseet arrête de sautiller comme ça
c’est un lit pas un terrain de jeutoi non plus tu ne sais pas retenir
maladroite tu te rues engouée
alors que tu as des pores comme tout le monde
ça devrait pouvoir s’aérer avec une certaine éléganceque ta peau est délicate je l’aime son grain gamin
l’ai tant soignée rien à faire elle se flammec’est que l’on ne choisit pas son héritage
tu me portes en toi tout comme je t’ai porté en moi
nous sommes des mot-valiseselle se croit libre la mioche
excuses-moi si je ris non je t’assure je ne fais pas exprès
suis fatiguée laisse-moi
arrête de me harceler comme ça tu ne sais rien de moi
de mon histoire que tu porterasje me couche pour l’exemple
moins j’en fais et plus je me couche dedans
mais elle tend vers dehors petite branche naine vers la lumière
la vie en moi se couche oh oui tout doux tout doux
je m’enfonce mmmhhh c’est bon
je survole je glisse mmhhh
je somnole tout se tait tout senon mais là voilà qui se lève à nouveau je rêve
assez rêvé je n’ai pas demandé à rêver
juste dormir indolore
une bouillote oh oui une bouillotte ça fait du bien mmmhhhet ça continue couche-toi tu veux
l’autre avec ses petits cris là débout increvable
branches tordues vers la lumière et moi qui voulais somnoler
mmmmhhh somnoler
alors que débout vigilante qui va là sur le qui-vive
qui veux-tu qui aille là rien qui vailledes gens des mots s’étourdissant de redites
garrotant ton esprit et ses touches funambules
ses lumières ses éclairs ses éclats ses nuances
car
ils savent vivre savent comment faire
tout carré oui parfaitement
d’un jugement assuré
savent où commence et où se termine une pensée
point barre et à la ligne
dans nos périmètres sécurisés nous sommes rectilignes
nous exécrons le mouvement le changement le tempo
et les vagues
nous convient mieux un monde statique
nous entre nous
nous ainsi satisfaits du monde ma chère mon cher
et de nous-même on n’est pas des guignols
performant tout va bien très très bien
dans des bouches rassasiées de mots bien repus
assommant de Il FAUT d’un ton dégagéje me couche ça me fauche la chique
c’est vide qu’on cause et si c’est vide pour quoi faire
faut-il qu’on remplisse
pourquoi ça parle
comme pour comme si
de rien comme s’il n’en était
rien
comme s’il n’en restait pas moins que
rien
comme si n’étions-nous
tu parles sans écho
pourquoi ça parle comme pour
comme si de rien comme s’il n’en était
rien
comme si de rien d’être
sommes-nous sans écho tu parlesoui
je redoutes à chaque fois à nouveau y couler dans cette nébuleuse
et cette parole sans suite de son tout plein asséché
et ce son creux qui retentit à l’intérieur le dévale
sans fond sans face l’informe qui guette
le sens qui fuite par tous mes pores
en vrac sur le lit en manque d’agencementfatiguée
je me couche
on m’a fait vide
je ne sais plus quoi faire de ces quatre bras pieds mains jambes
je confonds ça fait huit je ne sais pas quoi en faire
et ces mots liquéfiés en dedans
mes bras pieds mains jambes qui en épongeant s’effilochentje me noie je prends l’eau
monte elle monte
me déborde
monte elle monte
me bouche les oreillesdormir
mais on me secoue on m’habite
elle m’habite debout làun bon shoot de mélancolie et tu vas voir comme tu te calmes ma belle
là ouf enfin docile
couchée bien aimableelle voulait élargir sa pensée par les mots
excuses-moi si je ris non je t’assure je ne le fais pas exprès
ne sais-tu pas que ça fait mal
ce n’est si souple que tu le crois la matière grise
ça pousse les membranes vers l’extérieur quand ça grabuge
un mal de chien encagé n’y songes même pasooooh ! un peu de silence à présent
toi et moi
on a nos petits secrets ça donne du charme
tu me ressembles que tu es jolie
tu me donnes envie d’ouvrir grand les yeux
dans mon beau miroir speculum
là toutes les deux allongées
réfléchies aimantesaliénées paisiblement
ça rime éternellement
ah non arrête
tu ne vas pas te remettre debout encore des questions
laisse-moi me reposer sois mignonne rasante la miochemais oui j’avais oublié tu parles toi aussi
et dire que c’est moi qui t’ai appris mais tu m’as échappé
et après que je cause et que je questionne
que je m’amuse à la tournoyer la faire claquer clapoter cette langue
dans les bulles de ma bouche et virevolter virtuose carrément
que c’est amusantque tu crois
souviens-toi de la voix de grand-père :
t’es comme toutes les bonnes femmes une emmerdeusec’est moelleux ici dans mon lit n’est-ce pas
restons-en là toi et moi
bien sûr pour les garçons c’est différent
je le dis pour ton bien
c’est tout un apprentissage que de parler en femelle
en son nom dans son sang en son seing
moi tu vois couchée pas même besoin de mots mondains
et pourtant j’avais un corps je croismaintenant que la dépossession est inoculée tu vas voir
la saveur du silence mmmhhhh comme une saignée
ça soulagebéante souris oui tu es mignonne
qu’ils imaginent toi face au monde couchée
on ne s’en sortirait pas autrement comment veux-tu
qui est-ce la grande personne là c’est moi et je te dis que : !
jusqu’à qu’on ne sache plus ce qu’on ressent et ce qu’on fabule
comme ça pour faire partie non pas participer non
appartenir
ooooh appartenir
ooooh je ne suis pas ma seule partie amputée moi
moi j’appartiens et je colle
je colle je colle je colle à
une image
devant le miroir je m’y essaie
je suis conforme soulagement je jolie
selon les jours j’y arrive
je décolle mes mots de mon corps
l’un après l’autre ça fait un peu mal
et les voilà sans corps
et à la place du corps des mots des images sur mon corps creux
et un grand bruissement général continu accablant confondantdonc
la vérité mon enfant que tu cherches tant dans les mots
tu peux toujours chercher
tu le vois bien qu’ils sont vides sans corps
souvent
tout ce vide entre noustu l’entends
ce silence
qu’aucun mot
aucune image aucune chose
allez parlons d’autre chose
je t’avais bien dit de te coucher mais non debout là
avec tes petits halte-là une contradiction !! je pointe !
tu crois changer quoi le monde ?
avec ta langue qui je thaumaturge j’abracadabre
s’y croit
full d’as abattu sur table nous révèle who’s whoa-t-on droit à un joker ?
met-là au rancart ta langue tu veux
somnolons ensemble
mmmhhhh
c’est bon le goût d’un blanc ça creuse le mystèreallez viens-là te coucher près de moi et laisses-moi rire dans ma barbe
car je me laisse pousser la barbe depuis que les hommes les mots tout ça
m’a passé
me voilà sorcière couchée
https://www.terreaciel.net/Silvia-Marzocchi
à lire aussi son entretien avec Claire Regy publié à la suite
une expo choc sur le féminicide
et une démarche extrêmement intéressante
Merci à Voix Dissonantes pour la découverte.
à 16 ans je lisais Les armoires vides, à 31, Se perdre, à 37, Le journal du dehors et ça me suffit pour dire que je suis très contente qu'Annie Ernaux soit nobelisée parce qu'avant tout elle est aussi une femme de parole, fidèle à ses belles convictions, véritablement engagée c'est à dire pas indifférente et sans mémoire...
Un écrivain que j'apprécie beaucoup est parti rejoindre d'autres cimes et vallées... Parti Déneiger le ciel avec sa Fée d'hiver...
Voir ma note de lecture à propos de Fée d'hiver :
http://cathygarcia.hautetfort.com/archive/2012/10/22/fee-d-hiver-d-andre-bucher.html
André Bucher, écrivain, paysan, planteur d'arbres est décédé à l’âge de 76 ans des suites d’une longue maladie à Montfroc dans la Drôme, entouré des siens.
Auteur de dix romans et deux récits publiés chez Sabine Wespieser puis aux éditions Le mot et le reste, il était regardé par François Busnel comme « l’un de nos meilleurs écrivains ».
Considéré comme l’un des tenants majeurs du nature-writing à la française, la nature n’était pas un décor mais un personnage central de ses histoires, dans lesquelles les hommes habitent un pays qui ressemble à celui de l'écrivain.
"De même qu’il existe une lutte à mener sur le langage, on peut être natif d’un pays, supposé enraciné – je préfère dire ancré – et le regarder mourir. On peut aussi venir d’ailleurs et en faire partie intégrante. On en revient à cette évocation des racines. Aériennes, souterraines, elles vous poussent ou vous retiennent. En soi, l’écriture propose un déracinement dans ce mélange permanent d’appartenance et d’exil. Ce qui explique mon obstination face à cet incessant flux et reflux, à vouloir planter, éclaircir, élaguer et non seulement abattre, mais remplacer, réparer même. Les arbres symbolisent la jonction, une symbiose adéquate entre ces pratiques."
À l’écart, son dernier ouvrage paru en 2016 est un récit (qu'il a écrit sur une demande de son éditeur Le mots et le reste) où l’auteur développe un ensemble de thématiques qui circonscrivent son univers. André Bucher prend la parole et partage sa vision sur le rôle de l’écrivain-paysan, son rapport au temps et aux saisons, l’enracinement au lieu et le déracinement pas l’écriture. Qu’est-ce qu’écrire sur la vallée du Jabron et passer d’une expérience particulière à une vision plus globale ? Au fil de ces textes, André Bucher revient sur l’écologie actuelle, le rapport que ce précurseur de l’agriculture bio entretient avec la nature, le lien qu’il tisse entre ces paysages où il évolue et son imaginaire. À l’écart dessine la géographie intime d’André Bucher, permet de mieux cerner son œuvre et porte au jour des questionnements actuels. Voir ici : https://lemotetlereste.com/litteratures/alecart/
André Bucher, entre terre et ciel, un documentaire de Benoît Pupier (2013, 2h09) :