FOALS - Neptune
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À l’origine était le Vide, et la Nuit, et le noir Erèbe, et le large Tartare ; la Terre, l’air ni le ciel n’existaient pas encore. Mais dans les profondeurs infinies de l’Erèbe, la nuit aux ailes noires enfanta un œuf sans germe, d’où sortit, à la saison fixée, Eros le désirable, le dos resplendissant de deux ailes d’or, pareil aux tourbillons rapides comme le vent. S’étant uni de nuit au vide ailé, dans le large Tartare, il façonna notre race (à nous les oiseaux) et la fit surgir la première à la lumière. Celle des Immortels n’existait pas avant qu’Eros n’eût opéré l’union de toutes choses : du mélange progressif des éléments entre eux sortirent le Ciel, l’Océan, la Terre, et la race impérissable des dieux bienheureux.
in Les Oiseaux
Ch.
création_ miroir_ passage_ joker_ ombre_ jaillissement
Qui est il, ce Joker aux multiples visages ?
Longue silhouette aux entrailles vides qui hésite a emprunter ce passage entre noir et blanc, entre ancien et renouveau, entre ciel et racines.
Que craint-il ? A t'il peur de voir son ombre dans un miroir, ou d'accepter le jaillissement de sa propre création ?
L.
*
Au travers du miroir, se fraye le passage de l'ombre. Ainsi naît par ce jaillissement, la création du Joker lumineux.
K.
*
Le joker à double face ombre son miroir d’un faux soleil. Les traits se brouillent et se dérobent. Le visage cherche le passage d’où viendra le jaillissement de la lumière. Peu importe qu’elle vienne de la voûte céleste d’une église ou de celle des arbres. Le monde sera alors sa création.
Li.
*
Je pleure comme je ris, mi-ombre mi-lumière. Pourtant la vie fourmille, je la sens, je la guette. Je devine un passage pour sortir de cet imbroglio, de ce nœud impossible à défaire sans l’aide des cathédrales. Je m’oblige à la création. Jaillissement ! Convertir les ténèbres en éclat… Je cherche dans les livres, je cherche dans les fleurs, je prie les dieux, me penche sur mon miroir : « Miroir, mon beau miroir… »
Joker !
O.
*
Dans le miroir de la création, tout jaillissement ouvre un passage. Bouquets de cathédrales, visages et forêts, la terre sur son axe a tellement de facettes. Côté noir, côté blanc, choisis ton joker, trouve la voie du milieu, le regard qui saura dénouer le nœud. Entre ombre et lumière, un chemin mène au cœur du sacré.
C.
*
L’ombre du passé se fraie un passage vers le miroir. De sa rencontre avec le Joker qui l’y attend naîtra la Création en jaillissement.
Ch.
L.
mystique_ matière_ matériau _grenier_ cœur_ mémoire
Découvrez donc le cœur de ce grenier : il est la mémoire mystique de la matière ! Vous y trouverez tous les matériaux des Origines.
Ch.
*
Dans le grenier sont les matériaux mystiques, matière qui fonde la mémoire de notre cœur.
K.
*
L’enfant à la chevelure de plante se souvient, même si depuis longtemps sa mémoire est partie se perdre dans le cœur des livres. Il se souvient du grenier de sa grand-mère, les odeurs des matériaux qu’elle utilisait pour soulager les femmes et les bêtes du village. Il se souvient qu’on la traitait de mystique. Alors qu’elle ne faisait que mettre les matières de la nature en ordre.
Li.
*
Vert, vert ! Je t’emmenais au grenier les jours de lumière, ces jours d’élans mystiques où je t’offrais mon cœur d’artichaut. A la recherche d’un trésor, nous fouillions les casiers où s’entassaient des manuscrits serrés. Il y avait matière à rêver dans tout ce fatras de souvenirs, ces objets abandonnés, ces matériaux entassés, mannequins oubliés, fleurs séchées ; j’ai gardé en mémoire cet endroit, ces instants, et cet éclairage si particulier… Vert, vert !
O.
*
Dans le grenier de la mémoire, les matériaux se font mystère, dans le grenier de la mémoire, la matière devient mystique. Dans les petites alcôves, les souvenirs s’empilent, certains sentent la naphtaline et le muguet, d’autres le musc ou la mer. Dans le grenier de la mémoire, une couturière raccommode les fleurs séchées du cœur ; à force de le lancer, le dé du hasard a perdu ses points. Dans le grenier de la mémoire, il y a autant de poussière que de trésors et quelques traces de vie palpitent encore.
C.
*
Le cœur-mémoire se souvient,
des rêves entreposés, recouverts de poussière d'étoile,
des archives mystiques, reléguées au fond du grenier,
des matériaux et désirs calcifiés, issus des profondeurs.
La mémoire du cœur attend le réveil de ces matières éteintes.
L.
K.
brisé_ besogne_ Nikita_ jalousie_ superflu_ brillance
Face au superflu comme à la brillance, Nikita n’a qu’une seule besogne : même brisée, elle remplit sa mission de désintégration. La jalousie n’est pas son affaire : elle n’aspire qu’à une vie merveilleuse.
Ch.
*
Elle se plaît à se plaindre, cette fausse Nikita,
de sa galère quotidienne, de son ardue besogne.
Cette femme brisée par sa jalousie qui convoite une vie merveilleuse,
s'illusionne de brillance mais s'acharne à s'entourer de superflu.
L.
*
Comment briser le cercle infernal de la pauvreté, de la misère ? Quand la multitude se tue à la besogne, d’autres, une poignée, dégueulent de luxe et de superflu, étalent la brillance de leur service en cristal de Bohème, s’avachissent sur leur yacht. « La jalousie envers ce qui brille n’est pas une solution. Je préconise la révolution» disait Nikita.
Li.
*
Nikita, Riquita, fleur de java. J’aimais le bal du samedi soir où tu m’emmenais après avoir troqué ton bleu de travail pour un costume de monsieur. Je sortais ma plus jolie blouse et nous jouions à la vie merveilleuse malgré l’âpre besogne de la journée qui nous avait rendu l’âme rugueuse et ma jalousie au creux du ventre à te voir papillonner et essayer d’exister. Mes rêves brisés comme ce verre, ce matin chez la comtesse. Tout ce superflu, ce luxe, cette brillance dont nous sommes exclus. Entends-tu ma révolte ?...
O.
*
Nikita…. « Comment exister quand on doit se battre pour tout ? ». Une vie merveilleuse, lui avait-il promis, le luxe, la vie en rose, le conte de fée occidental. Elle a tout laissé derrière elle, Nikita, la maison froide, son enfance de misère, son père alcoolisé, elle a tout laissé et elle a suivi celui qui lui faisait miroiter un avenir de princesse. Le superflu, la brillance, elle y croyait Nikita, elle voulait que tout son village en crève de jalousie, tous ceux qui l’avaient humiliée, alors elle l’a suivi le beau capitaine, elle l’a suivi tout droit en enfer quand sitôt arrivé au pays des merveilles, il l’a brisée et mise à la besogne. Nikita sur le trottoir. Nikita, la désintégration. Un révolver sur la tempe, Nikita suicidée.
C.
*
Pourquoi du superflu naît la brillance ? Pourquoi du brisé naît la besogne ?
Pour que Nikita soit exempte de jalousie et d'ignorance.
K.
O.
rotation_ transmission_ religion_ empreinte_ rond_ pêcheur
L’empreinte du pêcheur tourne en rond : la transmission de sa religion dans le règne animal se heurte à la rotation du temps.
Ch.
*
La rotation de la Terre dessine forcément un rond et ainsi le pécheur laisse son empreinte engendrant transmission et religion.
K.
*
Le monde en rotation perpétuelle laisse d’étranges empreintes. Dès le début, malgré la difficulté, chacun fait sont petit rond dans l’eau et pousse sa balle jusqu’au cœur des cibles. Et tout ça, ça avance, quel miracle ! Religion de l’improbable, l’homme et l’animal continuent la transmission… bien qu’ils soient l’hameçon au bout de la ligne du pêcheur.
Li.
*
Depuis sa naissance
ce besoin de sacré
une trace pour masquer les peurs
Homme fier, intelligent
créateur d'histoires, légendes
religions
Peu à peu l'amnésie, sans transmission
il n'est pas plus qu'un poisson tiré hors de l'eau
par un pêcheur qui s'amuse
Ouvrant la bouche
pour prendre de l'air
il s'étouffe...
S'il est chanceux, trop petit
rejeté, il pourra retourner
faire ses ronds tout étourdi
Trop heureux de rentrer dans la danse
hypnotisé par la rotation du banc de sardines
il participe gaiement. Insouciant
À son palais la blessure de l'hameçon
en son cœur l'illusion
de s'être échappé, sauvé
Il tourne, tourne, oublie
inconscient de la cible, l'empreinte
qu'il porte sur le dos.
L.
*
La roue du temps a laissé son empreinte. Le temps c’est de l’argent, lance l’émir en rotation sur le museau de l’otarie. C’est le loto de la vie, le pêcheur et sa pêche, tantôt miraculé, tantôt bredouille, tout est question de rotation, de courroie de transmission. Fourmis de toutes religions, vous tournez en rond ! Pour trouver l’issue, suivez les poissons, oubliez les écritures, les masques et les cibles, cherchez l’embouchure et débouchez sur le vaste océan de l’indifférencié.
C.
*
Un tour de roue, encore un dans un monde qui ne tourne pas rond. Pauvres pêcheurs dans l’attente, dans l’espoir de la rédemption…Elles ont bon dos, les religions, les transmissions de pouvoir ! Tout est écrit depuis la nuit des temps. La vie grouille, dévore. Les fourmis s’engouffrent dans les signes cabalistiques, empêchent la rotation d’un pantin désarticulé. Celui-ci ne laissera aucune trace, aucune empreinte. Tourne le ballon sur le nez du phoque, tournent les heures anciennes, ici ou là, en Arabie… Peu importe de quel côté du globe, l’homme marche seul. Il cherche à ranimer le soleil. Il envisage la terre à l’envers, la vie à reculons ou encore se mêler aux poissons et aux cauris de nacre. Les dés sont pipés. Son nom est déjà inscrit sur la liste ; il tend le dos, cible promise à l’assassin.
O.
Li.
vie_ luxure_ voyage_ feu_ résilience_ temps
La vie offre du temps pour la résilience pendant que la luxure du voyage attise le feu.
Ch.
*
Voyage, bel oiseau de feu,
Brûle le temps, passe la vie,
En luxure ou résilience.
L.
*
La porte ouverte de l'esprit fait passer la résilience, la vie et la luxure. La résilience, ce feu qui pour un long temps, permet un autre voyage.
K.
Une vie de luxure et de voyages à l’aune du temps, ne vaut ni plus ni moins que le chemin des pénitents et les anges auront beau pisser sur le feu, seul l’oiseau du temps saura toquer au cœur quand viendra le moment d’emprunter la passerelle. Vers le haut ou vers le bas, lumière ou ténèbres, la vie reste un cactus de résilience.
C.
*
Insouciante, je l’étais. J’offrais mes cuisses au soleil, rêvais de luxure, d’exotisme et d’improbables voyages.
Une corneille noire, messagère du vent mauvais, a tout balayé .
Ma vie s’est embrasée, foudre et sang sous l’arche des flammes, le feu a tout dévasté.
Je pisse comme je pleure, comme dit la chanson, sur le temps perdu, celui qui n’est plus.
Je vaincrai mes nuits sans sommeil, mes trous noirs où poussent des cactus, j’accueillerai la résilience et lui construirai un temple !
O.
*
Telle est la vie au début : un voyage dans le feu et la luxure. Tu n’es que de passage mais tu ne le sais pas. En équilibre sur une étroite passerelle, tu pisses sur les problèmes. Tu es jeune, elle est belle. Vous ne pensez pas à l’horloge, aux cactus, à la noirceur du corbeau. Il sera bien assez temps de penser à la résilience.
Li.
C.
Pensive_ douceur_ souvenir_ regard_ érotisme_ carnivore
Le regard carnivore posé sur la douceur pensive fait émerger un souvenir d’érotisme.
Ch.
*
Femmes pensives,
Yeux clos, souvenirs de douceur.
Regards braqués,
Dos tournés, douleur profonde.
Érotisme carnivore
L.
Quoi de plus naturel que la douceur ? La lumineuse pensive aurait fait disparaître un souvenir nocif :
tel un carnivore affamé
telle une belle nuit d'érotisme.
Tel un vif regard éblouissant.
K.
*
La déprime, bête carnivore, te lacère le cerveau. Les mouchoirs s’accumulent dans la chambre. Loin des champs, de l’homme, tu restes pensive pendant un temps infini. Sans un regard sur ton corps, sans plus jamais aucune douceur sur tes seins. L’érotisme n’est plus qu’un souvenir.
Li.
*
Tu me vois pensive ou les yeux fermés et me crois endormie. Je sens ton regard qui insiste sur ma peau. Je ne suis pas partie. Je nage, lascive, dans la douceur des souvenirs et voyage en territoires clandestins où l’érotisme serait carnivore. J’offre mon sein à la griffure sauvage. On essaie ? Je m’ennuie. Pantin désarticulé, femme oubliée, j’ai besoin d’air. La lumière derrière la fenêtre. Un rai d’espoir pour mes ailes déployées.
O.
*
La femme est pensive, tant de vies vécues déjà, toujours à offrir sa douceur, amante, mère, sœur, fille de joie, toujours à taire sa douleur, à baisser le regard, à cacher l’ourse en elle, à la cacher au plus profond de ses forêts intimes, loin des chasseurs, dans un souvenir de cascade et de courses sauvages. La femme est pensive, son cœur brûle comme la Terre. Tant de vies vécues déjà, danse saccadée sur le métronome du temps, toujours à offrir son corps aux carnivores qui spéculent sur l’érotisme. Amantes, mère, sœurs, ourses de joies, ne baissez plus le regard.
C.
O.
crépuscule_totem_semer
Il y a des villes qui hurlent à chaque coin de leurs rues et de bons chiens qui veillent sur les crépuscules. Il y a des villes qui crochètent leurs carrefours et des sorciers y sèment des totems où on retrouve accrochés, au petit matin, les rêves brisés de jeunes filles venues d’ailleurs colorés. Dans le labyrinthe des nuits, des murailles rougeoyantes enserrent des minotaures de paille. Dans les quartiers des quêtes louches, combien d’hommes carbonisés s’adossent au ciment des solitudes ?
C.
Crépuscule incertain d’un univers inventé où semer ne sert plus à rien. Toutes les croyances se sont évanouies. Reste le totem de pierre planté dans la terre, et quelque symbole et emblème qui ont su résister, une croix bigarrée, un masque de taureau, vestiges des forces perdues. Intervention impossible des naïades aux sources taries ; elles s’inscrivent pour une heure de piscine, mardi soir, à l’angle du boulevard, avant que le ciel ne se couvre de sang. J’entends déjà le cri de la nature qui fracasse le silence. Seul, le chien muet se souviendra. Immuable, il gardera un temple vide dans l’attente de l’improbable retour des peuples unis.
O.
C.
funambule_recherche_psychiatrie
Funambule sur le fil des ailleurs, les rives m’attirent. Je jette ma ligne au gré du hasard, pêche un mouton qui bêle et crucifie mes nuits. Cauchemars où se battent nains de jardin et chouettes diaboliques en recherche de pouvoir. Prendre un avion. M’échapper. Oublier ton corps d’Apollon dont je suis prisonnière et tes émois affichés dignes de la psychiatrie. Partir. Loin de l’œil qui me cloue.
O.
Elle est folle, ils ont dit, je les ai entendus, ils ont dit qu’elle était folle, la pêcheuse de songes somnambule. La nuit, elle grimpe au mat du grand cirque, effrayée par les nains de son jardin dont les regards la poursuivent. « Noire Neige, Noire Neige », est-ce ainsi qu’ils l’appellent ? Elle grimpe au plus haut du chapiteau et cherche l’Homme parmi les moutons-garous qui hurlent et les avions de nuit. L’Homme, juste une image en somme et elle marche, funambule, entre la mort et l’amour, le détachement et la psychiatrie. Elle est folle, ils ont dit, elle est folle la pêcheuse de songes somnambule. La voilà pourtant bien tranquille, campée sur sa plage de galets. Qui sait ce qu’elle pêche, pêchera ou a pêché ?
C.
et deux textes sur un collage d'A.
lumière_effervescence_ascension
La vie, là, qui grouille, rumeur des marchés flottants. La vie, avec ses orages, ses ciels noirs à supporter mais aussi ses pleines lumières. Songer à quitter l’effervescence des vivants pour aller vers plus de clarté ! M’envoler vers les cieux. Dans mon ascension, ceindre des anges de tulle blanc parsemé de fleur fraîches qui distilleraient l’innocence. Plus de plafond au-dessus de ma tête. Juste le ciel ! Flotter, libérée…
O.
Désir d’ascension… Suivre le chemin de lumière, l’éveil des fleurs jusqu’à trouver la source de mon Extrême-Orient. Verticalité des tiges, je rêve les couleurs du jour, dans une effervescence d’espoir et le tumulte du cœur. Chaque nuit me ramène à un rêve de départ, je m’accroche, je plonge et m’élève à chaque pas.
C.
Aigremoine, aristoloche, benoîte, bétoine, bleuet, condamine, chélidoine, chiendent, cigüe, colchique, consoude, dauphinelle, digitale, euphorbe, fenouil, ficaire, fumeterre, germandrée, guimauve, lamier, liseron, mélilot, mercuriale, millepertuis,
achillée, absinthe, angélique, arum sauvage, aspérule, berce, bourrache, bryonne navet, capucine, carvi, chicorée, datura, trigonelle, jusquiame, laitue, marguerite, menthe, moutarde, orties, pensée, romarin, roquette, rue, safran, sarriette, sauge,
trique madame, verveine, aneth, armoise, bardane, belladone, cerfeuil, coquelicot, joubarbe, jonquille, lavande, lierre, mauve, myosotis, marjolaine, persil, pervenche, sorcière, molène, morelle, narcisse, orchidée, origan, centaurée, pissenlit,
pulmonaire, salicaire, saponaire, scabieuse, séneçon, souci, tanaisie, tussilage, valériane, véronique, violette, vipérine, pimprenelle, rhubarbe, raifort, thym, gaillet, mélisse, pariétaire, cassa, ail, genêt, éricale, solanée, primevère, balsamine, herbes Saint-Jean…
in De brins et de bribes
avec Jean-Louis Millet, encres
éditions du Cygne
"Naïa la noire, la sorcière de Rochefort-en-Terre, intrigue depuis plus d’un siècle. Sorcière sans sabbat, sans diable et bien sûr sans balai, elle continue à s’environner de mystère… On ne trouve nulle part sa trace, il semble que son apparition et sa disparition soient advenues comme par surprise, et sans témoins. On lui prête beaucoup de talents qui relevaient de la sorcellerie : elle prédisait l’avenir, maudissait en invoquant le démon Gnâmi, et ne mangeait jamais. Dotée du don d’ubiquité, elle était insensible à la douleur, et ne craignait pas le feu. Elle soignait les villageois de manière empirique, mais pas forcément magique : elle réparait les entorses et les fractures, soulageait les maux divers, du ventre ou de la poitrine, fabriquait ses remèdes. Les légendes des cartes postales qui la représentent divergent sur sa fonction : sorcière, guérisseuse, vieille femme, ou simplement servante… L’une d’elles la représente s’apprêtant à lire dans la main d’une jeune paysanne."
Dans "La Vieille France Qui S'en Va", Charles Géniaux décrit sa rencontre au début du XXième siècle avec la sorcière du village.
" Elle me parut une femme robuste de soixante années. Ses traits, son front ridé, pouvaient être d'une centenaire, cependant que ses mains charnues et solides démentaient la vieillesse précoce du haut de son visage".
Vieille femme à l'allure sévère, dotée du bâton noueux des sorciers, Naïa s'était fait la maîtresse d'un lieu digne de son personnage, vieux, intemporel et mystérieux : le château de Rieux. On la disait immortelle. Car de mémoire d'homme, on avait toujours connu la même silhouette vieille, sombre et vigoureuse. Naïa semblait échapper aux lois du temps. Elle ne mangeait ni ne buvait car, disait-elle, "Est-ce que les anges mangent ? Nous n'en avons pas besoin non plus." Et jouait ainsi de son rôle de sorcière presque avec amusement.
Car on racontait beaucoup sur Naïa. Ses exploits fascinaient les populations alentours. Elle possédait le don d'ubiquité, faisait parler les feux dont le cuir de sa peau était insensible, lisait l'avenir, communiquait avec l'esprit de "Gnâmi" : "J'ai la puissance et Gnâmi est plus fort que la mort !". A la question de qui était Gnâmi, elle répondait : "Gnâmi est Celui qui peut, Celui qui veut, Celui qu'on ne voit pas."
En réalité, Naïa était une femme intelligente et instruite. Charles Géniaux rapporte qu'elle lisait même les journaux. C'était la fille d'un rebouteux de Malensac et avait hérité de dons de ventriloques et de plusieurs tours de saltimbanques. Ainsi s'était construite et perpétuée la légende de Naïa, la "chaman" de Rochefort en Terre.
L'éditeur Stéphane Batigne a traduit le récit de Charles Géniaux (1899) jusque là non disponible en français et l'a publié en 2019 :
À la toute fin du dix-neuvième siècle, l’écrivain et photographe Charles Géniaux séjourne à Rochefort-en-Terre. Il y découvre l’existence d’une mystérieuse créature rôdant dans les ruines du vieux château de Rieux : Naïa. Cette femme sans âge et sans domicile connu manipule les braises, voit dans l’avenir, ne mange jamais et a le don d’ubiquité. Il n’en faut pas plus pour qu’on lui prête une réputation de sorcière. Avec ce récit, publié en anglais en 1899 dans la revue britannique Wide World Magazine, Géniaux mène une véritable enquête sur le personnage de Naïa. Il va à sa rencontre, recueille des témoignages, croise les informations. Sans oublier de prendre des photos de la «sorcière de Rochefort».
"Elle se tenait là, dans sa majestueuse laideur, solennelle et imposante comme une pythie des anciens temps. Nous nous observâmes l’un l’autre en silence. Ses yeux inspiraient l’effroi : enfoncés dans leurs orbites, de teinte crémeuse, vitreux comme ceux des morts. Ses mains, larges et osseuses, reposaient sur un bâton épineux et une sorte de châle sans couleur, couvrant en partie sa tête et ses épaules, tombait jusqu’à ses pieds. De longues mèches de cheveux blancs s’échappaient en désordre de sa capuche. Une volonté indomptable était imprimée sur son visage ridé, avec une expression d’intelligence encore plus frappante que l’affreuse laideur de son apparence."
Il pleut sur les coqs de bruyère
Il pleut sur les constellations de bouleaux blancs
Il pleut sur les charrues matinales barbouillées de terre glaise
Il pleut sur le pain chaud au sortir des fours visités d'un gros feu tranquille
Il pleut sur le poitrail des chevaux rubiconds
Il pleut à verse sur la pelouse des toits lacustres baignés de merles et de bouvreuils
Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches
Il pleut sur les planchers d'aiguilles de sapin sur l'escalier des mousses remuées
de salamandres
Il pleut sur le lac tranquille des âmes simples
Il pleut sur les hommes lourds et muets
Je m'éveille
Et je m'assois sur les talus limpides
Et je m'installe sur la fesse des montagnes de laine
Et je compte
Et je compte
Las de l'exil
J'approche de la table, le banc
Et à la clarté des couteaux
Je laisse plonger en moi les racines du pain
Plus loin que les matins de globules rouges
Plus loin que le sang caillé des bruyères où rament les éperviers
Plus loin que les lièvres blancs et gris et que les cheminées qui reprennent haleine
Plus loin que les courts matins d'hiver qui voient passer dans l'œil des enfants la caresse
des étangs sauvages
Plus loin que les chevaux qui hennissent rouge au cœur des patries effilochées
Plus loin que la végétation des colères inextricables qui lancent leurs lianes parmi
les hommes en démolition
Plus loin que les migraines veloutées qui grattent et qui mordent
Plus loin que les aurores boréales brûlées de banquises à la rencontre des pays de rosée
Plus loin que les destins limés à ras de rotule
Plus loin que la braise flambante de l'œil
LE SILENCE
Le champ clos du silence
La fermentation du silence
Qui butte contre les vitres
Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus
Mais d'un temps artésien qui sourd au moindre coup de pioche
Je vous parle du temps où l'on bâtissait les forêts
Du temps où chaque fleur recevait des hommes le sel du langage
Du temps où cette terre était hantée d'un peuple solennel
C'était du temps où l'homme était un frère pour l'homme
Où les hommes se disaient bonjour du haut de leurs collines
Où les hommes chaque matin saluaient le lait de la pluie
J'ai compté
La rose du ciel vert
Les nasillements d'hirondelles à ras de cheminée
Les impulsions d'aubes feuillues chez les hommes qui naissent à eux-mêmes
La dépossession d'une patrie entière
Et au bout de l'océan
Les cocons de nuit
La course droite des sangliers
La plainte des moissons moisies tramées d'insectes vidés
Au bout de l'océan
Les campagnes fugueuses et les villages en quinconce débordant du fatras des moissons
Au bout de l'océan
Le poil humide des chevaux de cristal
Le corail des lavoirs et des sources
Les chiens roux lisses de sommeil
Au bout de l'océan
La machine des bocages explosifs
Les gradins de l'aurore parmi les arbres craquants
Au bout de l'océan
Le rire des sauterelles
Le maquis des congres et des lamproies
La connaissance ininterrompue de la mort
Au bout de l'océan
L'établissement des hommes lucides
Inventant une patrie délibérée
Dressant sur les promontoires des villes de pierre des animaux de chair
Au bout de l'océan
Les reflets battus d'oiseaux rares
Le sifflement de la vapeur dans les poumons et les poignets tendus
Au bout de l'océan
La confusion des paroles et des gestes
La Visitation d'étranges bêtes brûlantes agitées de soubresauts
La Visitation massive de boules de feu
JE TE CRIE PAYS
Pour tes éblouissements d'yeux dardés
Pour tes contrebandes de chaleurs farouches
Tes généalogies engluées
Tes granits poreux et glacés
Je te crie pays
Pour tes fouillis de luzerne à fleur de peau
Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure
Tes murs d'écurie écrasés par le coups de pied des chevaux
Pour vous tous qui êtes moi
Ou plus encore
Vous tous qui êtes plus que moi
Et je vous entends tourbillonner dans la dérive des silences giclés
ET JE CRIE
Suicides mauves
Derrière les persiennes clauses
Enfants rachitiques que l'on repousse du bout du pied
Hommes qui traversez la vie comme on traverse un long tuyau humide
Paysans coagulés tronc à tronc conduisant de la voix les ruées des troupeaux
Soleils que l'on dirige à bout portant contre le cœur des chevaux
J'ai vu mourir dans la nuit blonde
Les enfants couleur de nacre et les filles brunes surgies du lait
J'ai vu tomber par touffes l'ardoise des toits inertes
J'ai vu proliférer les marécages aux lèvres des collines
Il faisait un temps de flammes vertes
Un temps de poussière d'acier
Un temps d'yeux germés
Et j'ai vu sous les portières du Ponant
S'effriter les enfants pâles et dilatés
Lourds héritages de fatigue
D'espoirs séquestrés
De forêts en gestation
Chroniques blettes de chanteurs vibrant dans la lumière des branches
Pays de paille grise
Pays d'humidité redoublant de violence
Pays d'attente et d'éboulis
Je contemple ce pays bâti de côtes et de criques
Cerné de climats douceâtres
Traqué de tourbes révolues
Outrepassé de tumeurs pâles et de pustules
Où il n'y a pas de place pour le paysan seigneur des terres immobiles
Pour le prolétaire en usine combattant les négoces et les engrenages féroces
Soudain nous prend en route
Le mal taillé en coin
Le mal qui vrille et qui taraude
Le mal qui fore et qui perfore
Le mal qui force chaque pore
Le mal mèche de tarière
Le mal douleur de vilebrequin
LE MAL DU PAYS NATAL
Mes frères, mes frères
Hommes brûlants plantés d'épines
Hommes tranchants à l'écoute des séismographes
Hommes de mon pays et d'ailleurs
Buvez aux geysers de l'humanité
Appareillez pour de grands hommes lourds de justice
Rassemblez vos propos acérés depuis la pulsation des estuaires
Jusqu'aux profondeurs de l'étable
Hommes simples assis dans votre étable fermée
Hommes empêtrés de tabous et d'interdits
Je vous entends pourtant crépiter dans les flammes dévorantes de l'esprit
Hommes liges des talus en transe et des villages abandonnés
Hommes brodés urinant le long des fossés
Hommes de vieilles candeurs célébrant des divinités aux joues roses et fanées
Et vous aussi, hommes des villes collectionneurs de meubles et d'ustensiles
Hommes émaciés pourrissant sur la muqueuse des villes étrangères
Vous partagez nos démangeaisons de liberté
Hommes puissants disputant la sérénité de l'orgue et des esplanades
Hommes croustillants héritiers de toutes lèpres et de toutes famines
Hommes trop humiliés les poings fermés de fureur
Terrés dans le tanin de vos chairs meurtries
Il n'y a pas de passé en Bretagne
Seulement un imperceptible mouvement des lèvres
Au détour de petites phrases anodines et friables
Seulement un présent de grossières en justice
Un avenir barré de violence et de poussière
Il n'y a pas de passé en mon pays
Sinon un bourdonnement d'hommes réfractaires
Je revois les genêts sur l'urine sèche
Les manoirs de quartz entourés de haies
Mais je ne peux m'asseoir longtemps dans l'herbe
Les déportations massives continuent
Nous avons chaud à nos fleuves
Nous avons chaud à nos relents d'alcool
Nous sommes un peuple hauts fourneaux
Un peuple coulé d'aubépine
Nous ne capitulons pas
Je m'arrête près des herses et des rouleaux
Je mâche mes premières pousses de liberté
J'ouvre l'éventail des champs labourés
Et notre peuple accompli soudain des révolutions étincelantes à la face du monde
Un peuple vaincu s'exerce au maniement des marées montantes
Je les vois qui s'assemblent tous sur les places
Bûcherons de l'aube arrimés aux cotres du soleil
Défricheurs herbus et ruminants jetant les grappins dans un passé interdit
Écoliers ternes et appliqués établissant soudain des relations de cause à effet
Ouvriers analogues s'éveillant avec lenteur au creux des faubourgs crispés
Grappes de femmes lourdes enracinées dans la douleur des hommes
Ouvriers en grève exigeant droit de regard et de pression sur les tubulures du pays
Colleurs d'affiches, vendeurs de journaux, distributeurs de tracts, porteurs de pancartes
Étudiants insolents et nerveux se dérobant avec véhémence
Aux haleines fétides, aux visages craquelés
Écoliers rieurs éprouvant du pied le fragile équilibre de l'eau et du feu
Syndicalistes vingt fois licenciés aux gestes robustes d'hommes mesurant l'éternité
Paysans matraqués à bas de leur tracteur qui le soir sortent les livres précieux sur la table
Vous êtes la Bretagne qui vient au feu
Vous êtes la Bretagne qui s'ouvre aux vents du monde
Aujourd'hui je vous le dis
Nous allons procéder à des glissements de terrain
Il y aura des sursauts de lumière dans le brouillard des solitudes
Et l'angle des fenêtres écumera de fougères
Alors, nous nous installerons dans l'odeur des charpentes et le soulèvement des toitures
Pour des émeutes de tendresse
Aujourd'hui je vous le dis
Un peuple nouveau émerge lentement qui se ménage des moissons exemplaires
Un peuple nouveau se dégage des siècles gluants
Ce pays chloroformé
Ce pays bruissant d'espoirs clandestins
Rouvre les yeux sur les banlieues surmarines
Que naissent en moi les pluies câlines
Pour humecter les campagnes polychromes
Que saignent les fougères fripées pour le plaisir des hommes qui tâtonnent
Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles
Que se redressent les maisons arrachées à la matrice des frondaisons liquides
Que s'éveille mon peuple aux quatre coins du monde matinal
in Hommes liges des talus en transe
P.J. Oswald éd., 1969
Ce monde est sale de bêtise, d’injustice et de violence ; à mon avis, le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves ou un enchantement de langue ; il n’y a pas à oublier, fuir ou se divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence. J’écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé. S’il n’est pas facile d’écrire sans illusion, il serait encore moins simple de cesser et supporter en silence. Donc, j’aime à penser la poésie comme un lichen ou un lierre, avec le mince espoir que le lierre aura raison du mur.
Entretien, in revue "Scherzo" n° 12-13, été 2001
ÉPHÉMÉRIDES
captation de source
pour nourrir la chimère
préserver le désir
assurer ses jouissances
n’appartenir à personne
configuration
qui convient sûrement
pour un temps
ou parce que
tout simplement
magnifier mythifier
pour nourrir la chimère
entretenir la flamme
la nécessité de jouissance
peau cédée
sans posséder
et les amants songent…
in Salines