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CATHY GARCIA-CANALES - Page 235

  • Murièle Modély

     

    « Peut-être que maintenant vous êtes assez construite »

     

    je me répète en boucle la phrase du docteur

    mais sur le chemin du retour

    je trébuche sur une pierre, et

    en me relevant, je m’aperçois

    qu’il me manque une brique ou deux au niveau de l’épaule

    j’entends aussi rouler sur le trottoir un de mes boulons

    je suis assez construite, certes, mais je fais de drôles de bruits

    les murs grincent, craquent, les volets claquent

    je ne sais toujours pas si c’est le vent

    ou les esprits errants dans la maison

     

     

     

  • Frédéric Botton - Barbara

     

    Ils buvaient de l’absinthe,
    Comme on boirait de l’eau,
    L’un s’appelait Verlaine,
    L’autre, c’était Rimbaud,
    Pour faire des poèmes,
    On ne boit pas de l’eau,
    Toi, tu n’es pas Verlaine,
    Toi, tu n’est pas Rimbaud,
    Mais quand tu dis “je t’aime”,
    Oh mon dieu, que c’est beau,
    Bien plus beau qu’un poème,
    De Verlaine ou de Rimbaud

     

     

     

  • Petits cimetières sous la lune de Mauricio Electorat

    traduit de l’espagnol (Chili) par l’auteur lui-même.

    editions-metailie.com-petits-cimetieres-sous-la-lune-hd-300x460.jpg

    Métailié, octobre 2020. 302 pages, 21 €.

     

    Ce n’est pas tant l’intrigue qui nous attache à ce récit, bien qu’elle soit très intéressante, mais l’étonnante texture de son écriture, qui nous rend le narrateur très proche, très familier, et qui donne aussi à ces Petits cimetières sous la lune, un côté très cinématographique, sans pour autant tomber dans l’exercice de style.

    Le titre du roman évoque le pamphlet de Bernanos, Grands cimetières sous la lune, et ce n’est pas un hasard. Le narrateur, Emilio Ortiz, a fui la pression familiale et son pays, le Chili, tout juste sorti de la dictature, pour aller étudier la linguistique à Paris, avec l’aide financière de sa jeune tante Amalia. Mais plus que de sa vie d’étudiant, à laquelle il sera peu assidu, c’est surtout de ses nuits de veilleur dans un petit hôtel du quartier Montparnasse qu'il est question, ses rencontres avec une faune nocturne, des amitiés entre exilés, des nuits alcoolisées. Il y a aussi Chloé, serveuse dans un dancing, le dancing de La Coupole, fréquenté par des couples mûrs qui semblent tout droit sortis des années '50 ; Chloé qui soudain s’évapore, après avoir entretenu avec Emilio une courte, étrange et sexuellement intense relation, Chloé dont la disparition devient pour lui une obsession alors qu’il ne connaît même pas son nom de famille. C’est elle qui vit dans un appartement près d’un cimetière de banlieue avec une autre fille, une Coréenne : « trois chambres, séjour, salle de bains, cuisine assez minuscule. Mais, en revanche, l’appartement a un parquet de lattes larges qui traversent les pièces d’un bout à l’autre. Un beau parquet à l’ancienne. Ceci dit, les chambres ne sont pas très spacieuses. Et, en plus, elles donnent sur un cimetière. ».

    Emilio Ortiz va et vient, dans son récit, entre sa toute nouvelle vie parisienne qui bouscule tout ses repères et les souvenirs de son passé à Santiago avec sa famille et notamment la relation à son père ; les liens de ce dernier avec des membres haut placés de la dictature de Pinochet, un père dont il ne veut plus entendre parler mais dont il ne peut pas complètement se détacher. Il va lui falloir, alors que sa mère va très mal et que son père est rattrapé par la justice, retourner dans ce pays désormais abhorré. Le besoin de savoir la vérité, plus fort que tout, le poussera à enquêter sur le passé de ce père impossible à aimer, tout en essayant de retrouver à Paris, la Chloé évaporée.

    Petit cimetières sous la lune est entre autre le récit d’amours impossibles. L’ombre de la douleur plane en permanence sur ce roman mais il y a un tel ciselage de l’écriture, une précision dans la narration, qui font que le texte se déguste véritablement comme un bon alcool fort et une sorte de distanciation désabusée, apporte de nombreuses touches d’humour très flegmatique, so british pour un Chilien. Un vrai régal sur le plan littéraire !

    Le narrateur porte un regard désabusé sur la vie, les êtres ; c’est sur lui que repose le poids de son histoire et il en assume la charge seul. Quelque chose a cassé en lui, il y a longtemps déjà, quelque chose qui se cache dans le sous-sol d’un garage que son père détenait avec un associé.

    La construction du récit elle-même est atypique : des chapitres plus ou moins longs, parfois d’un seul mot, des allers-retours dans le temps et entre la France et l’Amérique latine, en passant par un tour en Roumanie. Sa lecture nous plonge dans une sorte d’ivresse douce-amère, comme celle de la mère d’Emilio que son père a quitté pour une fille bien plus jeune que lui. Il y flotte une atmosphère, comme une odeur d’anesthésique qui contraste avec la précision de l’écriture. L’alcool, le déni, la fuite à l’étranger, tout le monde cherche à échapper à la douleur du réel, car il y a des réels trop sales pour être nettoyés et pour Emilio Ortiz, une filiation insupportable.

    C’est aussi l’histoire de tout un pays qui se dessine en filigrane, pendant et après la dictature avec ses dessous crapuleux et criminels, la bassesse humaine. Petits cimetières sous la lune, un roman de l’exil, de l’attachement impossible et où la proximité entre morts et vivants est trop étroite.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    electorat-300x460.jpgMauricio Electorat est né à Santiago du Chili en 1960.  Après deux années d’études de journalisme et de littérature à Santiago, il s’installe à Barcelone en 1981, où il obtient une maîtrise en philologie hispanique. Petit fils de français émigrés à Valparaíso au début du XXe siècle, il choisit Paris comme lieu de résidence définitif dès 1987. Il a publié deux recueils de poésie. Son premier roman, Le Paradis trois fois par jour (Série noire, Gallimard, 1997), ainsi que son recueil de nouvelles Nunca fui a Tijuana y otros cuentos (Cuarto Propio, 2000) ont reçu le Prix de Littérature de la Ville de Santiago et le Prix du Conseil National du Livre et de la Lecture, les récompenses littéraires annuelles les plus importantes au Chili. Sartre et la Citroneta, son deuxième roman, a obtenu en Espagne le prestigieux Prix Biblioteca Breve.

     

     

     

     

     

     

  • Tilly Losch - Dance of her Hands (1930-1933)

     

     

    MAINS

     

     

    Ce n’est pas une main satiable

    c’est une main vide

    pour donner forme

    au repos

     

     

    Ce n’est pas une main tenue

    c’est une main tenant

    libre vraiment

    de maintenir en vie

    le désir

     

     

    Ce n’est pas une main courante

    c’est une main buissonnière

    aux capiteuses fragrances

    une main pleine de terre

     

     

    Ce n’est pas une main sensée

    c’est une main croyable

    un orgasme entêtant

    à filer frisson

    à l’ordinaire jetable

     

     

    Ce n’est pas une main délicate

    c’est une main forte

    puissante assurément

    une main pressée

    sur l’aorte

     

     

    Ce n’est pas une main constante

    ma main dans la vôtre

    juste un instant de joie

    dans un écrin

    de paumes

     

    cg in Toboggan de velours, à tire d'ailes 2019