Anne Patay
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Il y a dix, vingt, trente ans et la vie passe. Inconsciente. Même nœuds, mêmes impasses. Nos grimaces et nos cris, étranges colifichets empruntés au théâtre d’ombres. Impasse des tourments, des rancœurs à déloger, des caillots de vanité.
Passez-moi la lame qui incise la matière du langage. Sève d’étoiles, draille des signes. Babel fond sous ma langue. J’en fixe simplement l’ombre sur le papier. Infini fugitif. Mes empreintes sur les neiges éternelles de l’inconnaissance.
in Celle qui manque
On voit de drôles d’oiseaux échoués sur nos plages
De drôles d’oiseaux !
Ils ont de l’écume plein les plumes
Ils ne bougent plus
Du sel plein les yeux qui ne s’ouvrent plus
…Au moins ils ne souffrent plus
Leur ramage se rapporte à leur plumage
On voit de drôles d’oiseaux
Qui arrivent par vagues
Corps mourants qui dansent
Bal atroce
Ils viennent chanter sans voix
Nous parler d’espoir et d’errance
De leur avenir pris dans des ronces
Ils viennent perdre nos regards dans l’vague
Et Bam ! En réponse
On ferme nos ports
Nos cœurs, nos portes
Ils s’enfoncent
Je revois ce petit rouge gorge
Allongé sur le sable
De loin on dirait la ruine d’un monde qui fait l’mort
Oui mais de près c’est un enfant
Qui dort qui dort
Petit prophète deplumé
Craché par la tempête
Minuscule poète
Petit rêve depouillé
On voit de drôles d’oiseaux échoués sur nos plages
Avant sur la rive
on trouvait des bouteilles et on lisait les messages
Mais les prières roulées dans des flacons de chair
On préfère les laisser couler
On laisse les chagrins se noyer
En pleine mer
Y’a tant de sos qui s’perdent
En pleine merde
D’oiseaux messagers qui viennent se crasher sur nos ombres
Et on oublie qu’dans c’monde
On est tous mi-grands mi-p’tits
Mi-grands mi-p’tits
Nous, On voudrait se reposer de nos soucis
Le plus loin possible des bains d’sang
Et ça s’comprend
Ici on d’vient barges alors comment devenir berges ?
On peut pas voir large
On peut que gamberger, se murger
Et puis, Bâtir des murs qui dissimulent mal le murmure de l’animal
Pour oublier que dans c’monde
On est tous mi grands mi p’tits
Mi grands mi p’tits
En restant mutique on s’mutile
En même temps que dire ?
J’me sens si impuissante c’est épuisant
Comment être utile ?
Ni mystique ni politique
Mon seul pouvoir est poétique
Et ce soir très hypothétique
Peut être que mon premier devoir
C’est juste de voir
Et de dire ce qu’en penserait
La petite fille que j’ai été :
Y’a des hommes à la mer
Des enfants en bas âge à bâbord
Et des mères dont les larmes débordent des canots de sauv’tage
Alors pour rester debout demain, humains
Faudra jeter des bouées
Et tendre des mains
Des mains !
Le cœur en miettes sur la main
C’est la que les oiseaux viennent se mourir
La voix tremble, s’étrangle et demande
Sans plier
Quitte à supplier
« Ouvrez les ports
Laissez nous dev’nir terres d’asile
Je me doute bien qu’ c’est compliqué
Mais on peut plus vivre comme des îles…
L’humanité est en péril
Si elle laisse ne serait-ce qu’un d’ces Hommes périr sans pleurer
Quand des corps coulent à pic
C’est l’urgence on agit
Toi tu prends l’temps d’reflechir
Mais leurs poumons qui s’ remplissent sont le sablier
Leurs poumons sont le sablier !
bordel ce gosse ça pourrait être ton fils
T’as toujours pas pigé ?!
Tu oublies qu’ dans c’monde
On est tous mi grands mi p’tits
Mi grands mi p’tits
…Raisonnement elliptique
Je vois de drôles d’oiseaux échoués
Sur mes pages
J’voudrais leur donner des noms
Des noms d’Hommes
Mais ils restent anonymes
Sans figure et sans âge
Masse informe qui dérive
Comme une tache de pétrole, de chloroform’ et d’bile
J’ai le cœur mazouté
On compte les morts !
Humanité j’écris ton nom
Mais je sais pas où t’es…
Alors les yeux salés
Mi ouverts, mi clos
Je rêve
Je vois de drôles d’oiseaux
Je vois de drôles d’oiseaux qui voguent
Et guident des bateaux qui volent
De drôles d’oiseaux qui voguent et guident des bateaux qui volent…
Je rêve et je me souviens
Que dans cette vie
on est tous
Si p’tits et si grands
Si p’tits mais si grands…
Ensemble
avant qu’il ne faille démêler
dans la chambre d’automne
le pelage et les ronces
le miroir aux corneilles
et les linges souillés
il nous faudra suivre
le sentier de cire
trouver la gâtine
où l’on a brûlé les lucioles
de nos crânes roussis
cg in Aujourd'hui est habitable, Cardère 2019
je serai ta brèche
secret prodige
questionne cette faim
sous nos ailes tremblantes
vertige-moi
je serai cascade
ta résurgence dans l’immensité
in Des volcans sur la lune
Mystique dieu
Des herbes folles
Soleil ouragan
Œil du dragon
in Ailleurs simple, Nouveaux Délits éd. 2013
Y a-t-il mieux à faire que de contempler les mésanges ?
Plus bon que la joie défroissée, toute en crinière douce ?
cg in Le poulpe et la pulpe, Cardère 2010