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  • Contagieux

     
    On parle beaucoup de poésie mais on n’aime pas les poètes, je parle des vrais, des contagieux. C’est comme un abcès, qui met longtemps à mûrir, c’est énorme, c’est sale, et le jour où il se perce, ça gicle partout…. Écriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiire, écriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiire…. Dans ta gueule ! Humain, sale con ! Ta puante et hypocrite gueule de normalité. Relookée, rasée de près, taillée au carré, préenregistrée, désensibilisée, bien adaptée, bonne suceuse. Ta gueule de pelouse, de publicité, de marque, de marketing, de tuning, de timing, de fucking néant. Ta gueule en série des quatre saisons, ta gueule smartphone, ta gueule aphone, aveugle, ta gueule en plis, ta gueule en pack, ta gueule en fion dégoulinant de crème. Je ne peux plus la voir ta gueule, multipliée par les allées de caddies, ta gueule parking, ta gueule d’attraction, ta gueule en costard de luxe !
     
    Ta gueule en faux-derche, ta gueule positive, ta gueule opportuniste, ta gueule arriviste, ta gueule suppositoire qui fait mal au cul. Le cul, ça ne lâche pas des volées de moineaux non, ça évacue la merde c’est tout. Ça n’existe pas un cul poète, pas plus que les poètes d’ailleurs, c’est une excuse, une salle d’attente. Il y a juste ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas, pour ceux qui ne peuvent pas, la poésie c’est la bouée, le parapet où se retenir pour ne pas chuter dans le vide, c’est le mouchoir où cracher de délicats grumeaux tachés d’un sang qui ne s’enlève pas au lavage. C’est bon pour les électrochocs les vrais poètes, ceux qui se cachent sous la poésie, qui se terrent dans la poésie avant de se taire pour de bon. Se taire parce que quoi dire ? Cette chair de l’âme à vif, invisible, mais tellement à vif, ça fait un putain de mal, on ne peut pas imaginer à quel point ça fait mal, c’est le résultat d’un immonde entassement d’ordures. Le poète, le vrai, le contagieux, c’est un aimant à ordures, à saloperies, tout le monde peut en profiter, c’est la poubelle de l’humanité. À vif et plein à craquer de tes merdes, de tes bassesses, de tes mensonges, de ton paraître, de tes lâchetés, de tes kilos de masques et de prétentions, de tes peurs niées, de ta méchanceté, de tes manigances, humain sale con ! Comme s’il n’était pas déjà assez lourd de ses propres ordures le con poète ! Mais il est tellement creux, le poète, le vrai, le contagieux, tellement creusé, raviné, et les années passent et toujours plus d’ordures. Le poète c’est un humain raté. Pollué de sensiblerie. Pas bon pour la course. Bon pour la casse. Drôle à casser. Un jeu de fête foraine, on peut lui tirer dessus, lui cogner dessus, le faire tourner vite, de plus en vite et puis le lâcher comme un ballon, souffler dedans jusqu’à ce qu’il pète, lui balancer des fléchettes. On peut lui vomir dessus son trop-plein de pop-corn ogm, de pommes collantes d’amour factice. On peut lui vomir dessus ses restes de beuveries d’honnête trader. On peut le piétiner de toute la haine qui reflue du vase de décompression de la bienheureuse norme.
     
    On peut tout faire avec un poète, et surtout rien, car qu’as-tu de commun toi avec cette pleureuse, ce parasite, cette fiotte ? Rien hein, absolument rien en commun avec cet allochtone ! Il n’est de nulle part le poète, il est tombé de la lune, du plafond, il a surgi d’un tas de merde comme ça et il déclame. Mais pas tous. Ils ne déclament pas tous, au contraire, il y en a qui la ferment, qui la bouclent, qui la verrouillent, qui la recousent la plaie par où ils ont fauté… Ce sont les pires, les poètes silencieux, les poètes qui ont renoncé au crayon, à la plume au fion, qui parfois n’ont jamais écrit ne serait-ce qu’une ligne tellement ils sont bourrés à craquer de poésie, et ça sort pas, ça reste là dedans, à pourrir avec toutes les autres ordures, innombrables, qu’on leur a balancé depuis qu’ils sont nés. Ils s’acharnent à en faire quelque chose, à ne pas mourir étouffés, définitivement empoisonnés, ils recyclent, ils se racontent des histoires, des tas d’histoires, ils voudraient bien avoir eux aussi une gueule positive, une gueule de puissance, une gueule de caddie plein, une gueule passe-partout, une gueule passeport pour la normalité, une gueule nombril du monde.
     

     

       

    in (c)Ourse bipolaire

     

     

     

     

  • Chut de Charly Delwart

     

    Seuil, collection Fiction et Cie, 8 janvier 2015

     

    9782021219234.jpg

     

     

    176 pages - 17.00 €.

     

     

    « L’univers est un test d’intelligence » Timothy Leary

     

      

    Ce livre semble parfois un peu difficile à lire, le style de l’auteur est particulier, comme heurté, des tournures, des cassures, qui déstabilisent, mais en nous glissant dans la peau d’une jeune athénienne de 14 ans, Charly Delwart nous fait revivre les évènements qui ont fait culbuter la Grèce. La Grèce exsangue de la Troïka, otage du FMI, de la BCE et de comptes falsifiés avec la complicité de la Goldman Sachs…. Une Grèce qui ne peut oublier Alexandros Grigoropoulos « abattu par un policier lors d’une manifestation liée à la situation économique du pays », en 2008, il avait 15 ans. Une Grèce, grand laboratoire à ciel ouvert aux quatre veines, de politiques toujours plus d’austérité, une Grèce où les vieillards se suicident pour ne pas peser sur leurs enfants, le premier fut Dimitris Christoulas, pharmacien à la retraite de 77 ans, qui se met une balle dans la tête sur la place Syntagma. Une Grèce où des mères ne reviennent pas chercher leurs enfants à la crèche, sachant qu’au moins là-bas ils seront nourris, la Grèce qui bascule dans un gouffre sous la loupe de l’Europe… 

     

    La jeune fille qui s’exprime ici sous la plume de l’auteur, fait face à bien des bouleversements, à la fois à l’extérieur du foyer mais aussi à l’intérieur, un frère parti à l’étranger, les parents qui se séparent et même à l’intérieur d’elle-même à un âge sensible où l’enfance cède place à la femme en devenir. Aussi pour encaisser tous ces chocs, cet afflux de tensions et de nouvelles données, elle décide de ne plus parler. « Il y a une théorie qui disait que toute parole qu’on ne dit pas est une particule d’énergie qu’on garde pour soi, que cela rend plus fort, et c’est cela dont j’avais besoin, d’énergie, d’être plus concentrée, plus avec moi-même ». Ne plus parler donc, mais écrire, beaucoup et communiquer uniquement par écrit par le biais d’un cahier.

      

    Cette prise de distance va lui permettre de réfléchir, d’observer, car elle sait qu’elle fait partie de ceux qui devront reconstruire la Grèce, de ceux qui doivent voir au-delà du présent, au-delà des ruines et du foutu. Elle cherche à comprendre, cherche le parallèle entre tous les mouvements de contestation qui s’amplifient un peu partout dans le monde, avec la Californie du début des années 70, elle espère que du chaos une nouvelle et meilleure façon de vivre va émerger. Autour d’elle, les murs d’Athènes se sont eux aussi couverts d’écriture, comme s’ils crachaient des mots, des phrases, « des tags, des aplats de peinture rouge pour symboliser le sang des Grecs qui payaient le prix de l’austérité, tout ce qui véhiculait le ras-le-bol, une angoisse, une colère », des slogans qui dénoncent, qui haranguent, qui interpellent : FMI DEHORS, CECI EST UNE DÉMOCRATIE DE MERDE, RÉVOLTE, PAS DÉSESPOIR, ATHÈNES BRÛLE, JE ME FOUS DE VOTRE ARGENT, VIVEZ VOTRE GRÈCE EN MYTHE, AUCUN HOMME N’EST CLANDESTIN. Aussi, l’adolescente va elle aussi commencer à écrire sur les murs, clandestinement, des phrases qui lui viennent de ses observations et réflexion, des phrases inspirées mais différentes, des phrases de poètes et de philosophes qui ouvrent d’autres horizons, d’autres possibles, des phrases à elle, des phrases qui sont elle… « Prenant le tube de rouge à lèvres laissé par ma sœur pour écrire au-dessus mon nom : DIMITRA AEGIOLIS. La seule inscription à mettre ».

     

    C’est donc à une plongée dans la Grèce en ébullition, que nous convie l’auteur, et à la naissance d’une jeune femme, et c’est là tout l’intérêt de cette fiction, avec ce séjour chez la grand-mère de la narratrice, sur l’île de Sérifos, là où la Grèce est encore à l’image de l’aïeule. Une vieille femme enracinée, forte et digne, qui a connu la guerre et la dictature des Colonels, dans cette Grèce millénaire qui a traversé tant d’épreuves déjà et s’est toujours relevée. Une image « de courage et d’espoir ». Voilà ce qu’on retiendra de Chut. Une chute ou le e se fait muet, pour prendre le temps de se relever. « Or c’est parce que tout était trop réel que quelque chose semblait changer, que des initiatives apparaissaient ; les habitants comprenant qu’ils étaient interdépendants, face à l’impuissance du gouvernement, son abandon. »

     

    VOUS ÊTES FORTS DE CE QUE VOUS SAVEZ MAINTENANT.

     

    Une Grèce qui est donc aussi le laboratoire à ciel ouvert et sans y perdre de sang cette fois, un laboratoire des libertés, des nouvelles alternatives, de la solidarité « Un système d’aller-retour direct entre les gens qui n’était pas une alternative à l’euro mais à la vie elle-même (…), pour montrer que tous valaient ce qu’ils avaient à donner et non ce qu’ils avaient en banque. »

     

    Un hommage à tous ceux qui, dans le monde, ont écrit ou écrivent sur les murs pour la liberté et la dignité et à tous ceux qui œuvrent pour que le monde devienne meilleur.

     

      

    Cathy Garcia

      

     

    AVT_Charly-Delwart_2536.jpgCharly Delwart est né à Bruxelles en 1975. Il vit entre la Belgique et la France où il travaille dans le cinéma. Il a écrit trois livres : Circuit (Seuil, 2007 et Labor« Espace Nord » 2014), L'Homme de profil même de face (Seuil, 2010) et Citoyen Park (Seuil, 2012).

     

     

     

     

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/chut-charly-delwart

     

     

     

     

     

     

     

  • Serge Bouchard

      

    La télévision est une plaie, une plaie d'autant plus vive que nul ne songe à la fermer. Alors, elle reste ouverte à longueur de journée et ce pâle reflet, qui ne veut pas guérir, devient un mal atroce dont on se met à jouir. 

      

    in Quinze lieux communs

     

     

  • Guillevic - Les charniers

     

    Passez entre les fleurs et regardez :
    Au bout du pré c’est le charnier.
     
    Pas plus de cent, mais bien en tas,
    Ventre d’insecte un peu géant

    Avec des pieds à travers tout.
     
    Le sexe est dit par les souliers,
    Les regards ont coulé sans doute.
     
    — Eux aussi
    Préféraient des fleurs.
     
                *
     
    À l’un des bords du charnier,
    Légèrement en l’air et hardie,

     
    Une jambe — de femme
    Bien sûr —
     
    Une jambe jeune
    Avec un bas noir
     
    Et une cuisse,
    Une vraie,
     
    Jeune — et rien,
    Rien.

     
                *
     
    Le linge n’est pas
    Ce qui pourrit le plus vite.
     
    On en voit par là,
    Durci de matières.
     
    Il donne apparence
    De chairs à cacher qui tiendraient encore.
     
                *

     
    Combien ont su pourquoi,
    Combien sont morts sachant,
    Combien n’ont pas su quoi ?
     
    Ceux qui auront pleuré,
    Leurs yeux sont tout pareils,
     
    C’est des trous dans des os
    Ou c’est du plomb qui fond.
     
                *

     
    Ils ont dit oui
    À la pourriture.
     
    Ils ont accepté,
    Ils nous ont quittés.
     
    Nous n’avons rien à voir
    Avec leur pourriture.
     
                *
     
    On va, autant qu’on peut,

    Les séparer,
     
    Mettre chacun d’eux
    Dans un trou à lui,
     
    Parce qu’ensemble
    Ils font trop de silence contre le bruit.
     
                *
     
    Si ce n’était pas impossible,
    Absolument,

     
    On dirait une femme
    Comblée par l’amour
    Et qui va dormir.
     
                *
     
    Quand la bouche est ouverte
    Ou bien ce qui en reste,
     
    C’est qu’ils ont dû chanter,
    Qu’ils ont crié victoire,

     
    Ou c’est le maxillaire
    Qui leur tombait de peur.
     
    — Peut-être par hasard
    Et la terre est entrée.
     
                *
     
    Il y a des endroits où l’on ne sait plus
    Si c’est la terre glaise ou si c’est la chair.
     
    Et l’on est peureux que la terre, partout,

    Soit pareille et colle.
     
                *
     
    Encore s’ils devenaient aussitôt
    Des squelettes,
     
    Aussi nets et durs
    Que de vrais squelettes
     
    Et pas cette masse
    Avec la boue.

     
                *
     
    Lequel de nous voudrait
    Se coucher parmi eux
     
    Une heure, une heure ou deux,
    Simplement pour l’hommage.
     
                *
     
    Où est la plaie
    Qui fait réponse ?

     
    Où est la plaie
    Des corps vivants ?
     
    Où est la plaie.
    Pour qu’on la voie,
     
    Qu’on la guérisse.
     
                *
     
    Ici
    Ne repose pas,

     
    Ici ou là, jamais
    Ne reposera
     
    Ce qui reste,
    Ce qui restera
    De ces corps-là.

     

     

     

     

  • Christian Bobin

     

     

    Un poète, c'est joli quand un siècle a passé, que c'est mort dans la terre et vivant dans les textes. Mais quand c'est chez vous, un enfant épris d'absolu, bouclé dans sa chambre avec ses livres, comme un jeune fauve dans sa tanière enfumée par Dieu, comment l'élever ? Les enfants savent tout du ciel jusqu'au jour où ils commencent à apprendre des choses. Les poètes sont des enfants ininterrompus, des regardeurs de ciel, impossible à élever. 

     

    in La dame blanche

     

     

  • Philippe Jaccottet

     

    Pour nous qui vivons de plus en plus entourés de masques et de schémas intellectuels, et qui étouffons dans la prison qu’ils élèvent autour  de nous, le regard du poète est le bélier qui renverse ces murs et nous rend, ne serait-ce qu’un instant, le réel ; et avec le réel, une chance de vie.

     

    in L’entretien des Muses