Ô mon fils, je tiendrai ta tête dans ma main,
Je dirai : j'ai pétri ce petit monde humain,
Sous ce front dont la courbe est une aurore étroite j'ai logé l'univers rajeuni qui miroite Et qui lave d'azur les chagrins pluvieux.
Je dirai : j'ai donné cette flamme à ces yeux,
J'ai tiré du sourire ambigu de la lune,
Des reflets de la mer, du velours de la prune
Ces deux astres naïfs ouverts sur l'infini.
Je dirai : j'ai formé cette joue et ce nid
De la bouche où l'oiseau de la voix se démène;
C'est mon oeuvre, ce monde avec sa face humaine.
O mon fils , je tiendrai ta tête dans ma main et, songeant que le jour monte, brille et s'éteint,
Je verrai sous tes chairs joyeuses et vermeilles
Couvertes d'un pétale à tromper les abeilles,
Je verrai s'enfoncer les orbites en creux, l'ossature du nez offrir ses trous ombreux,
Les dents rire sur la mâchoire dévastée
Et ta tête de mort, c'est moi qui l'ai sculptée.
in L'âme en bourgeon, un recueil de poésie de 1908, qu'elle dédie à son fils Olivier Messiaen