Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 4

  • Sainte caboche de Socorro Acioli

    traduit du Portugais (Brésil) par Régis de Sá Moreira – illustration de couverture : Fernando Chamarelli - Belleville éditions, mars 2017. 242 pages, 19 €.

     

     index.jpg

    C’est un vrai régal cette Sainte caboche, premier roman publié par ces prometteuses éditions Belleville, qui offrent une particularité, celle de publier une littérature d’ailleurs, populaire et connectée, ce qui permet de découvrir et approfondir via internet, si on le veut, différentes thématiques de l’ouvrage. Dans celui-ci, on retrouve toute la tendresse, la simplicité, l’autodérision et la ferveur de l’âme brésilienne, et tout particulièrement celle de la région la plus pauvre du pays, le Nordeste. Illustré par de belles impressions en noir et blanc d’Alexis Snell, qui rappellent et ce n’est pas un hasard, les gravures de la littérature de cordel, Sainte Caboche nous offre aussi des glissades vers le fantastique, ce réalisme magique cher à la littérature latino-américaine. On y retrouve aussi tous les contrastes de cette terre, notamment entre une forte et souvent naïve aspiration de la population au mysticisme et la mégalomanie des notables si facilement corruptibles. C’est un roman tout plein de coração, qui sous sa simplicité apparente, ne manque pas pour autant de profondeur. Le style en est limpide comme un ruisseau.

     

    Samuel vient de perdre sa mère, depuis longtemps malade, la presque sainte Mariinha, et celle-ci lui a fait promettre avant sa mort, d’aller de Juazeiro do Norte où ils vivent à Candeia, pour y retrouver sa grand-mère et son père qu’il n’a jamais vus, et aussi d’aller déposer une bougie au pied des statues de trois saints hommes : celle du padre Cicero à Juazeiro, et celles de St Antoine et St François, qui sont voisines à Candeia et Canindé. Samuel marche nuit et jour sur les routes qui traversent le sertao hostile, avec en poche une adresse, animé surtout par la rage et le vif désir de tuer son père, celui qui les a depuis toujours abandonnés, lui et sa mère. Il arrive à Candeia, sale, dépouillé, affamé, pitoyable, pour y trouver un village délabré quasi abandonné et une grand-mère recluse dans sa maison qui refuse de l’y accueillir ou de répondre à ses questions. Elle l’envoie chercher abri plus loin. Attaqués par des chiens sauvages, l’abri en question dans lequel il se réfugie est une sorte de sombre grotte, en réalité la tête géante d’un St Antoine décapité, dont le corps domine le village depuis le haut d’une colline. Blessé, fiévreux, Samuel devra sa survie au fait que la tête sert aussi de planque de revues pornographiques pour un jeune garçon du village, Francisco. Donnant, donnant : Samuel garde le secret des revues, en échange Francisco lui apportera médicaments et nourriture. Mais voilà que dans cette tête, Samuel se met à entendre des voix, il entend toutes les prières des femmes des alentours, parfois jusqu’à la cacophonie, principalement des prières pour obtenir le mari qu’elles désirent. St Antoine étant considéré comme la cause du déclin du village, nul n’ose le prier ouvertement. Et puis il entend une voix de femme qui chante aussi, tous les jours, à 5 heures du matin et 5 heures du soir, magnifique, dans une langue qu’il ne reconnait pas.

     

    Cette faculté, dont Samuel est le premier étonné, va entrainer un enchainement d’évènement des plus heureux aux plus saugrenus qui vont faire revivre Candeia, mais qui vont finir par mettre en péril la vie même de Samuel. Samuel, seul au monde, qui n’a pas oublié sa quête initiale. Or le destin est un bon marionnettiste et le hasard, on le sait, est censé bien faire les choses. Sainte caboche sait habilement distiller le secret et les révélations, on ne s’ennuie pas une seconde. Il y a quelque chose de vraiment cinématographique dans ce roman, sans doute parce qu’il est très imagé, riche en couleurs et en saveurs, il redonne toute sa pleine valeur au terme « populaire ». On croque dedans comme on croquerait dans une papaye bien mûre et bien juteuse et c’est terriblement gostoso. Délicieux.

     

    Cathy Garcia

     

      

    AVT_Socorro-Acioli_2036.jpgSocorro Acioli est née en 1975 à Fortaleza, au Brésil. Après avoir obtenu un master en littérature brésilienne, elle a commencé une carrière de journaliste, et a commencé à écrire à partir de 2001. Depuis, elle a publié 15 livres au Brésil, et notamment des biographies, des nouvelles pour enfants et des romans jeunesse. En 2006, elle a participé à un atelier animé par Gabriel Garcia Marquez à Cuba, et a été désignée lauréate de l'atelier par le Prix Nobel colombien avec son roman Sainte Caboche. Sainte caboche est son premier livre paru en français.

     

     

     

     

     

  • Luis Alfredo Arango - Discurso de la resurrección

     
    Discours de la résurrection
     

     
      
    … et cette nuit
    désespéré je me suis envoyé tout un pichet de limonade.
    A bout d'un si grand nombre d'insomnies. A bout de tant de souffrances
                                                                                                     coutumières
    j'ai senti que s'ouvrait un lac au fond de moi
    et j'ai dormi !
    J'ai senti m'emplir un lac étendu de San Pedro Necta à
                                                                  Yupiltepeque,
    de Sebol à Pajapita,
    en passant par de douloureuses terres intimes...
    J'ai mis à tremper mes entrailles : mes poumons, mes tripes,
    les petites montres, les altimètres, le sternum,
    le tableau de bord que j'ai à l'intérieur,
    endommagé, cassé sans que personne ne le sache,
    … mes instruments de vol !
    Et j'ai dormi dans cette fraîcheur,
    arrosé par ce liquide trouble
    baignant légèrement mes artères
    mes petits fils de fer brûlants et quel délice
    ce fut de me sentir monter siroter les nuages
    la brume fine et même les vers luisants,
    les larves de fourmis attas et jusqu'aux chrysalides de la nuit.
    Après ça, paraîtrait qu'il aurait plu mais je ne me suis rendu compte de
                                                                                                              rien.

    La ville ainsi aurait coulé à pic !
    Ainsi avec elle moi aussi j'aurais sombré !
    JE ME SENS MAINTENANT RESSUSCITER !
    Je sens qu'est venu le moment le plus glorieux, de loin le plus lucide et
    raison pour laquelle
    pas plus d'une ou deux fois par an
    je m'enfonce dans les boues de la pire perdition terrestre,
    dans les méandres du monde souterrain tant fréquenté par
    Edgar Allan Poe, Rubén Darío,
    Werner Ovalle López
    (grands poètes que vous autres – excusez ma franchise,
    n'avez jamais connu dans de telles transes).
    Ah ! ça, des noms, il y en a plein ! Enrique Gómez
                                                                 Carrillo,
    le Chinois Pereyra, Manolo Herrarte...
    Et Miguel Ángel Asturias ? Allez, c'est pas la question, d'aligner les noms !
    On aurait tôt fait d'allonger la liste d'ici à Usumacinta...
    Je vous dis que cette nuit je me suis imbibé les blessures à la
                                                                      limonade fraîche.
    Cette petite jarre ! Ces quelques citrons ! L'eau, la sève et
    les jus jaillissaient de la terre !
    Et voilà que je suis en train AUJOURD'HUI de ressusciter !
    Je sens.
    Je jouis.
    Je vis dans la fraîcheur de l'air,
    dans un air de fruits, de verre, de grêle.
    Je sens que je redécouvre le monde,
    je sens que je le reconquiers avec des sens nouveaux,
    moi-même me mettant au monde, moi-même à nouveau me faisant renaître, moi-même me reconnaissant,
    me faisant joie du plus lointain désir,
    dont je goûte l'innocence et la propreté même
    parce que je me suis purifié.

    Je suis descendu à Xibalba pour brûler l'homme vieux,
    l'homme fatigué, névrosé ;
    l'homme qui voyait tout contaminé ;
    qui souffrait de voir tout taché, corrompu.
    Non. Je ne veux pas, moi, glorifier la boisson mais la vie.
    Jouer les machos qui se bourrent la gueule, c'est chose digne des porcs.
    S'enfiler canon sur canon dans des virées insignifiantes
                                                                         le dernier des clampins en est capable !
    C'est pas plus malin, picoler, que déborder de gnôle à des apéros snobinards
    où font feu tamales et mariachis multicolores.
    C'est foutre, qui plus est, le cul sur la tête au bon sens,
    comme un con va te proposer un Cuba Libre au Pepsi,
    quelle parfaite imbécillité !
    Mon compadre le disait parfaitement : « C'est, tout ça, se vautrer dans la fange, et basta... »
    Non. Ce qui nous anime, nous autres, c'est quelque chose de vrai. C'est quelque chose de très grave.
    C'est comme un suicide. C'est une cérémonie.
    C'est un authentique martyre.
    C'est comme se faire revenir à feu lent...
    Tous, on le sait, qu'on peut mourir,
    que le prochain battement pourrait bien être le dernier,
    qu'il y a une limite fatale
    que celui qui la franchira ne se verra offrir aucun retour...
    Tout le monde connaît cette horreur
    et pourtant...
    Et c'est qu'à l'intérieur nous sommes des souricières
    ou des labyrinthes où s'entassent des traces,
    des toiles, des os et des vestiges des crimes du monde
    et nous devons, tout cela, le brûler !
    Ah, mais j'avais dans l'idée de parler de la résurrection, de vous conter
    comment je me suis enroulé dans des sensations neuves et oubliées
    (entre autres la sensation étrange d'être en vie),
    comment je me suis senti reconduit vers des dimensions oubliées, moi qui
    suis maintenant un homme lucide, même secoué,
    appelé, exigé par la lumière, par la couleur originelle du
    monde
    et chaque goutte d'eau, par les grains sombres et
                                          compacts de la terre,
    et la sueur à flots jaillissant de mes pores !
    Aujourd'hui je me suis réjoui à chaque instant et le mot jouissance
    jouait avec des fanions à éventer mon front.
    Aujourd'hui, parmi tant d'autres choses si bonnes,
    ma femme m'a offert une gamelle d'atol de maïs
                                                            blanc,
    qui contenait des haricots cuits et de la sauce piquante au fond
    et je l'ai vue si belle
    et je me suis senti sur le point de pleurer à chaque bouchée
    et j'ai vu le lever du soleil si proche
    parce que je l'ai vu dans son cœur
    et j'ai mastiqué des chiltepes
    et j'ai vu des petites abeilles qui avaient
    forme et son d'avions
    de l'époque du Capitaine Jacinto Rodríguez Díaz...
    Des avions héroïques et solitaires glissant sur les jungles
                                                             du patio de ma maison...

    Avant que ne se meure cette transparence
                                       incroyable,
    avant que mes sens s'éteignent à nouveau,
    s'étiolent,
    avant de redevenir un homme normal, un pauvre
                                                                employé de bureau
    bien gentil, ponctuel « un sourire s'il vous plaît ! » qui sait pointer
    « le temps c'est de l'argent ! » la cravate et le chèque au cou
    « tous ensemble et chacun pour soi ! » à la fin de chaque mois
    croisement obligé – épargne, prends soin, protège bien ce qui est à toi
    et jouis de ton Guatemala –
    AVANT je veux vous demander que
    nous fassions quelque chose pour enlever au monde
    ce qui le corrompt...
    Un jour, peut-être, nous, les hommes, nous n'aurons
    plus à descendre à Xibalba pour nous soigner,
    nous purifier.
    Un jour, peut-être, nous vivrons RESSUSCITES
    sur une terre renouvelée et authentique. 

     
     
     
    Poème tiré du recueil "XICOLAJ & BORBON, con poemas tercermundistas y antidisneyworld", présent dans l'anthologie parue en 2009 aux éditions guatémaltèques Cultura - Traduction de Laurent Bouisset, http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ avec quelques précieux conseils de José Manuel Torres Funes
     
     
     
     
     
     
     

  • Pavel Tereshkovets

    Pavel Tereshkovets.jpg

    Il n'y a pas une seule certitude au monde qui tienne la route devant la terrifiante absurdité de l'existence, tant que nous ne sommes pas passés au-delà. Certaines prises de conscience font peur, elles donnent le vertige.

     

    cg in Journal 1996

     

     

     

     

     

  • Thomas Vinau

     

    Elle avance pratiquement nue dans la glace. Sa peau est comme du brouillard. Presque transparente. Puis elle s’accroupit et elle pisse. Le jour est là, encore fumant, à ses pieds.

     

    in Autre chose