Jean-Christophe Ribeyre
Je voudrais m'absenter
des villes,
des réseaux,
des échanges
déserter l'algorithme
porter la parole
jusqu'à son dénuement
in La Relève
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Je voudrais m'absenter
des villes,
des réseaux,
des échanges
déserter l'algorithme
porter la parole
jusqu'à son dénuement
in La Relève
Un autre a-t-il pris ton nid
tandis que tu étais en quête d’un rêve au bout du monde?
in Traduit De La Nuit (1935)
Excès d’iode en lune noire
la nuit colle à l’océan
aplatit tes songes
désenfouit l’ossature du silence
in La fleur de l’âge
la nuit
est
une larme
à comètes
tu peux
fermer
les volets
poète
la chauve-souris
est là
qui authentifie
ton paraphe
de ciel
in Écailles de nuit
On décide d’écrire parce qu’il y a quelque chose qui cloche,
sinon on se contenterait de vivre.
in L’Horizon
J'en ai vu passer des saisons
entre le champ et la maison.
Enfant perdu hors du chemin,
les maïs me donnaient la main.
J'ai vu s'envoler des vivants
dans les chambres s'ouvrant aux vents ;
de verte étable à rouge forge
avec de l'orge dans la gorge.
J'en ai vu sécher des semaines,
le linge étendu, joies et peines,
semailles, graines de poussière
parmi des filets de lumière.
J'en ai vu sauter bien des êtres
de l'étable par la fenêtre.
Les tournesols faisaient la gueule
aux soleils cachés dans les meules.
J'en ai vu boiter des années
de la porte à la cheminée.
Vieil orphelin d'épouvantail,
les blés me tenaient par la taille.
in L'impossible séjour, 15 septembre 2022
Un jour, tu as su enfin
ce que tu devais faire, et tu t’es lancée,
malgré les voix autour de toi
qui continuaient à crier
leurs mauvais conseils,
malgré toute la maison
qui s’est mise à trembler
et tu as senti la vieille corde
à tes chevilles.
« Répare ma vie ! »
criait chaque voix.
Mais tu ne t’es pas arrêtée.
Tu savais ce que tu devais faire,
malgré le vent qui arrachait
de ses doigts raides
les fondations elles-mêmes,
malgré leur mélancolie,
terrible.
Il était déjà bien
tard, la nuit était agitée
et la route couverte de branches
cassées et de pierres.
Je sais, d’expérience, que courir le monde ne sert qu’à tuer le temps.
On revient aussi insatisfait qu’on est parti. Il faut faire quelque chose de plus.
Punaises écuyères à Tubre (Italie), village touché par le nuage nucléaire en 1986...
Née en 1944 à Zurich, en Suisse, Cornelia Hesse-Honegger a travaillé pendant 25 ans comme illustratrice scientifique pour le Musée d’histoire naturelle de l’Université de Zurich. Et là, depuis plus de trente ans, l’artiste sillonne les environs des centrales et autres lieux impactés par le nucléaire dans le monde entier afin d’observer les conséquences des radiations sur la faune et la flore locales. Héritière des naturalistes, elle étudie des insectes au microscope, inventorie précisément ses prélèvements et réalise des aquarelles des organismes mutants qu’elle rencontre. L’ «artiste scientifique» s’est fixé une mission : celle de montrer que les radiations même faibles émises pendant de longues périodes par des centrales fonctionnant normalement peuvent avoir des effets négatifs sur les organismes. Un véritable pan de la santé environnementale qui suscite des préoccupations croissantes. Et qui, en plein marasme climatique, trouve un profond écho dans les débats énergétiques internationaux du moment à la faveur d’un retour en grâce du nucléaire. La France n’y échappe pas. Pour Hesse-Honegger, «la crainte fondée d’un danger potentiel est une raison suffisante pour s’opposer à la mise en place de telle ou telle mesure, pratique, ou technologique, écrit Raffles. Elle lui permet de se libérer de l’ombre de la science». Adresse aux scientifiques ? A nos politiques ? Elle tance : «[…] Si je n’avais trouvé qu’une seule punaise avec le visage tordu, ça aurait été une raison suffisante de se demander ce qui cloche.» Ses aquarelles sont exposées à travers le monde dans des musées et des galeries. Sa pratique est à la croisée de l’art et de la science et de l’engagement anti-nucléaire.
Livre : Créatures de Tchernobyl, L’art de Cornelia Hesse‑Honegger, par Hugh Raffles, traduit de l’anglais par Matthieu Dumont, Wildproject «Petite bibliothèque d’écologie populaire», 100 pp., 12 €.
Se fondre au fond d’un bar ne suffit plus
même refait le monde a mauvaise haleine
même avec beaucoup d’eau
accoster au comptoir ne lave plus l’âme
le rêve rame
feuilles mortes
il a fallu qu'elle apprenne vite à grandir et elle a vite appris
y a des vies qui demandent ça
elle a mal dormi
ses mauvaises habitudes et ses rêves l'ont réveillée
des yeux d'animaux l'observaient qui brillaient sur l'autre rive
elle décide de rester sale
la chatte bien sauvage
elle vire deux-trois trucs superflus et de suite tout redevient simple
feuilles mortes comme autant d'oiseaux morts
elle va manquer cette fête où les conversations semblent toujours écrites à l'avance
et où elle connaît déjà la plupart des questions
trop de gens impossibles à détester
trop de gens impossibles à aimer
parfois on colmate
on fait un enfant ou deux, et
on utilise leurs rires ou leurs larmes comme plâtre
cela marche un temps, puis ils grandissent
ils s'en vont sur les chemins tracer leurs propres entailles
avec des pierres coupantes
alors on reste un peu triste
sauf les dimanches
quand on se retrouve tous ensemble à table
à tenter de remplir à la cuillère ou d'une phrase
nos trous