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RÉSONNANCE & COPINAGES - Page 7

  • La diagonale de la joie de Corine Sombrun (2022)

    Je "suis" Corine Sombrun depuis le début, depuis son tout premier livre sorti en 2002, où elle relate un séjour en Amazonie péruvienne dans le centre du peintre et curandero Francisco Montes. suite à un deuil dont elle ne se remet pas, ce qui la conduira ensuite en Mongolie et à l'incroyable aventure qui est la sienne depuis plus de 20 ans maintenant... Nous avions échangé nos livres il y a quelques années, elle appréciait ma poésie et moi son parcours me parle au-delà des mots... De plus, j'adore son humour et sa simplicité ! Je viens de lire son dernier : à lire absolument !

     

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    Ce qui est en cours est absolument fabuleux, il était temps !

     

    https://trancescience.org/fr/transe-cognitive-auto-induite/

     

    https://trancescience.org/fr/recherche/

     

     

     

     

     

     

     

  • Les cornucopiens sont parmi nous ! Mais qui sont-ils ?

    Dans les colonnes des journaux, à la tête de nombreuses entreprises, parmi les instances gouvernementales, au sein de nombreux syndicats, sur les plateaux de télévision : les cornucopiens sont là, parmi nous. Partout.

    Mais si vous l’ignorez, ce n’est pas à cause d’un quelconque complot de leur part. D’ailleurs, la plupart des cornucopiens ignorent qu’ils le sont et, qui sait, peut-être l’êtes-vous vous-même sans le savoir ! Car ce terme, qui ne date pourtant pas d’hier, est très peu utilisé dans le monde francophone. De quoi s’agit-il ?

    Tirant son étymologie du mythe de la corne d’abondance (cornucopia en latin), le cornucopianisme se construit autour de cette idée centrale, merveilleusement résumée par l’économiste Julian Simon (1932-1998), l’un des principaux auteurs cornucopiens, pour qui toutes les limites naturelles peuvent être repoussées en mobilisant une ressource ultime et inépuisable : le génie humain. Le cornucopianisme désigne ainsi un courant de pensée, omniprésent à droite et à gauche de l’échiquier politique, qui considère la technologie comme la solution ultime aux problèmes environnementaux.
    Statue du Dieu grec Zeus avec une corne d’abondance, d’où sort en profusion des fruits et des vivres
    Statue du Dieu grec Zeus avec une corne d’abondance, d’où sort en profusion des fruits et des vivres. Shutterstock

    Que ce soit Elon Musk, qui envisage de coloniser Mars pour quitter une planète devenue invivable, en passant par le prince saoudien Mohammed Ben Salmane, pour qui les technologies de stockage du CO2 permettront à sa monarchie pétrolière d’atteindre la neutralité carbone, jusqu’à Emmanuel Macron investissant des milliards dans la pour l’instant très chimérique aviation décarbonée, les exemples de propos cornucopiens ne manquent pas dans l’actualité. Mais où trouvent-ils leurs racines ?
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    Un courant de pensée qui prospère chez les économistes

    On prête généralement à l’économiste américain Kenneth Boulding (1910-1993) cette citation célèbre :

        « Pour croire qu’une croissance matérielle infinie est possible sur une planète finie, il faut être fou ou économiste. »

    De fait, si les cornucopiens ne sont pas forcément fous, la genèse de leur pensée doit beaucoup aux théoriciens de l’économie moderne.

    Lorsque, dans un célèbre essai de 1798, l’économiste et homme d’église Thomas Malthus émet l’idée que les ressources naturelles constituent un facteur limitant de l’expansion, la réaction de ses confrères économistes est immédiate. Pour eux, ce ne sont pas les ressources qui sont limitées, mais notre capacité à les exploiter. Friedrich Engels, futur théoricien du communisme, écrit par exemple :

        « La productivité du sol peut être indéfiniment accrue par la mobilisation du capital, du travail et de la science. »

    Car après tout, se demande Engels, « qu’est-ce qui est impossible à la science ? »

    Cette manière de penser, déjà largement présente chez certains philosophes des Lumières comme René Descartes ou Francis Bacon, va être développée et affinée par les économistes tout au long du 19ème et du 20ème siècle. Ceux-ci se persuadent en effet rapidement que les deux principaux facteurs de production, à savoir le capital et le travail, sont substituables.

    Grâce au progrès technique, il est par exemple possible de remplacer le travail humain par du capital technique, c’est-à-dire par des machines. Dans l’esprit des économistes, qui ont peu à peu réduit la nature à une sous-catégorie du capital, le même raisonnement peut s’appliquer au capital naturel : il « suffit » de le substituer par du capital artificiel.
    Illustration de la révolution industrielle anglaise réalisée par Samuel Griffiths en 1873. Cette période est considéré à la fois comme celle de l’expansion des idées cornucopianistes, mais aussi, pour certains, comme les débuts de l’Anthropocène. Samuel Griffiths/Wikipedia, CC BY
    La magie de la substitution : ou comment la croissance pourrait devenir éternelle

    Cette idée apparaît d’autant plus séduisante aux yeux des économistes qu’elle permet, sur le papier, de rendre la croissance éternelle. Après tout, si une partie du capital artificiel remplace le capital naturel dégradé, alors le stock de capital « total » peut indéfiniment s’accroître. C’est mathématique. Mais dans la vraie vie, comment opérer une telle substitution ?

    Comme le pressentait Engels, il faut introduire dans les équations économiques un facteur supplémentaire : la technologie. Deux types de leviers sont principalement envisagés pour repousser les limites naturelles.

    Le premier consiste à intensifier l’exploitation des ressources afin d’accroître leur disponibilité. C’est typiquement ce qui est advenu dans les années 2000 avec l’émergence de la fracturation hydraulique, dont l’usage a permis d’accéder à des énergies fossiles (les gaz et pétroles de schiste) jusque-là inexploitables. Grâce à la technologie, la quantité de ressources accessibles a donc augmenté. Qu’il s’agisse des énergies fossiles, des ressources minérales ou encore de la biomasse, les exemples d’intensification de ce type sont légion depuis les débuts de la révolution industrielle.

    Le second levier consiste à remplacer une ressource par une autre. Pour reprendre l’exemple des énergies fossiles, chacun comprend que, quel que soit le degré d’intensification de leur exploitation, celles-ci finiront par s’épuiser. La substitution consiste dès lors à prendre le relais en remplaçant les énergies fossiles par une autre forme d’énergie qui, entre temps, aura été rendue plus facilement accessible grâce, là encore, au progrès technique. Les économistes dominants des années 1970 comptaient par exemple beaucoup sur des technologies de rupture comme la fission nucléaire pour remplacer les énergies fossiles.

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    De la théorie à la pratique : quelques failles du raisonnement cornucopien

    Les cornucopiens ont-ils raison ?

    D’un côté, il faut leur reconnaître certaines réussites. L’épuisement des ressources naturelles tant redouté dès le début du 19ème siècle n’est pas advenu au cours des deux cents ans qui ont suivi. Comme ils le prédisaient, une partie de la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles a été investie dans la recherche et le développement, permettant d’accroître considérablement notre capacité à exploiter la nature.

    En revanche, si le levier de l’intensification a formidablement fonctionné, celui du « remplacement » a jusqu’à présent échoué. Comme le remarquent certains historiens de l’environnement, loin de se substituer, les ressources nouvellement exploitées se sont en réalité toujours additionnées aux précédentes. Et rien ne prouve qu’une telle substitution puisse un jour advenir, en particulier concernant les énergies fossiles. Le nucléaire, que les économistes des années 1970 imaginaient pouvoir se substituer aux fossiles dans la première moitié du 21ème siècle, ne représente que 4 % de l’énergie primaire consommée dans le monde, et sa part baisse depuis une trentaine d’années.

    Enfin, le raisonnement cornucopien bute aujourd’hui sur une conséquence paradoxale de sa propre réussite. En intensifiant la production des ressources naturelles, la civilisation industrielle a généré des flux de matière et d’énergie qui se sont souvent avérés très supérieurs à ce que les écosystèmes pouvaient assimiler. Le réchauffement climatique, l’effondrement de la biodiversité, l’acidification des océans, l’omniprésence des polluants toxiques dans notre environnement, le bouleversement des cycles biogéochimiques sont autant de conséquences directes de l’intensification de l’exploitation de la nature.

    À lire aussi : La Terre à l’époque de l’Anthropocène : comment en est-on arrivé là ? Peut-on en limiter les dégâts ?

    Or, pour faire face au défi sans précédent posé par ces nouvelles limites planétaires, les cornucopiens continuent de mobiliser les mêmes recettes fondées sur la course en avant technologique. La substitution consisterait cette fois-ci à réparer ou remplacer des services écologiques que la nature ne parvient plus à maintenir. Qu’il s’agisse de remplacer les insectes polinisateurs par des robots, d’opacifier l’atmosphère pour contrebalancer le réchauffement climatique ou encore de capter le carbone atmosphérique afin de le réinjecter dans la lithosphère, les cornucopiens ne manquent pas d’idées. Même si, jusqu’à présent, elles restent très hypothétiques.
    Graphique montrant que sur 9 variables du système Terre monitorées, au moinssur les 9 variables du système Terre, 5 font aujourd’hui l’objet d’un dépassement de frontière planétaire.
    Sur 9 variables du système Terre monitorées, au moins 5 font aujourd’hui l’objet d’un dépassement de frontière planétaire. Stockholm Resilience Centre,, CC BY
    Une nouvelle forme de « conservatisme technologique » ?

    A l’heure de l’urgence écologique et climatique, la pensée cornucopienne est-elle encore pertinente ? On peut en douter. Mais alors, pourquoi est-elle si présente parmi les décideurs politiques et économiques ?

    Peut-être tout simplement parce que la pensée cornucopienne a ce mérite immense : en prétendant prolonger la domination de l’humain sur la nature grâce à la technologie, elle permet à ses défenseurs de ne pas débattre des conditions sociales, culturelles, économiques et politiques qui permettraient de nous réconcilier avec les limites planétaires. Cet optimisme technologique est d’ailleurs l’une des douze excuses listées par l’Université de Cambridge pour repousser à plus tard l’action face au dérèglement climatique. Pour paraphraser et détourner un slogan écologiste, il semble bien que le plus important pour les cornucopiens soit en effet là : « ne pas changer le système, quitte à changer le climat ».

     

    Auteurs :

    Natacha Gondran est membre de la composante Mines Saint-Etienne de l'UMR 5600 Environnement Ville Société. Ses travaux de recherche peuvent recevoir des financements de différentes organisations publiques et privées.

    Aurélien Boutaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

     

    Source : 

    https://theconversation.com/les-cornucopiens-sont-parmi-nous-mais-qui-sont-ils-210481?utm_source=pocket-newtab-fr-fr

  • Werner Lambersy

    1
    Alors, poète, chante l’univers, caboteur de galaxies comme autant d’îles et de récifs sans rivages, et parfumeur d’infini à la chair de poule, comme une peau sous l’agrume juteuse et ronde des ondes, chante l’homme, dans l’épopée de son espèce, dont la voix jusqu’ici est restée sans réponse, sans écho, contre le mur admirable de la matière et perdue dans les dunes désertiques de l’âme.
    (…)


    3
    La chemise trempée de mort colle à ma peau, à la poitrine, au portique de mes épaules ; elle pèse et m’alourdit ; je tremble, je pleure, j’ai peur comme un chien qu’on appelle pour le battre ou l’étalon qui sent la terre où le sang des batailles a coulé, les rigoles d’abattoirs où on le mène… Lorsqu’ainsi accoutrée de violences, l’âme ne peut plus danser, qu’elle tortille dans ses limbes, il devient pénible et difficile de délacer la bande molletière des ténèbres, pour tremper ses chevilles dans la vague océanique, partager le souffle iodé des coureurs d’horizon, puis s’abriter sous l’arbre intérieur où font escale et sèchent leurs plumes beaucoup d’oiseaux migrateurs.


    4
    Alors, poète, chante l’univers, prêteur de comètes, d’étoiles, d’arc-en-ciel, d’aurores boréales, d’incendies et de cyclones démesurés dans la nuit des neurones et des pixels sur l’écran caverneux de ton crâne, dont les daguerréotypes sépia, les vieilles pellicules inflammables du passé brunissent, grisaillent, noircissent, se tordent, s’effacent, et qu’on brûle avec les fanes solaires de l’illusion sur les composts crépusculaires.
    (…)


    6
    Chante la solitude uniforme des villes, qui recouvre le sol et le coiffe d’un gel cosmétique de béton, de fer, de verre, et dont les tours buvardent la ligne d’horizon, le dôme d’un ciel encombré, et repousse la nuit sous un voile de lumières électriques et sous l’haleine pesante du pétrole. (…) Nous prendrons possession des territoires sauvages de l’extase radicale de l’âme devant le beau : nous communierons avec le gai savoir, dont on nous chasse par l’appât du factice, du virtuel, du lucre matériel et de l’ordinaire vulgarité mâle et femelle du mal.
    (…)

    Chante ! Fais chanter les mots, prends exemple sur l’herbe qui, même au désert, jamais ne renonce et reviens à la plus mince goutte, à la plus pauvre pluie.

    (…) mais qu’importe, si tu n’es que ce reste de chair entre deux dents de la mâchoire crocodile du cosmos, ce chicot dans la bouche du temps, ou mieux, et pourquoi pas, le signe anonyme gravé dans l’ivoire d’une des licornes de la lumière ;

    (…) chante, toi, le pousse-voix, le lisse-beau, le richazur, le verbavif, l’homme-laude, ce langue-dire, ce plein-écrit et pur éclat du libre éclair.

    (…)

    Chante les pâtres, bergers devenus vigiles de parkings en sous-sol ; les bergères, les ménades en caissières de supermarchés, Orphée en conducteur de bus dans les banlieues et le Styx automobile des boulevards, Eurydice aux pieds nus comme la lumière marchant dans le reflet vitré des tours sans balcons.

    (…) alors chante et passe comme la fourmi sur la nappe du dimanche où le couvert n’est pas encore mis.

    (…)

    Chante, même dans un murmure, un hoquet, un cri, glatis, couine, aigle ou musaraigne, graille, rugit, bourdonne ton poème, qu’importe : trop d’impuissance étouffe ta colère, trop d’enfants, trop de morts à terre, alignés comme à l’école, trop de corps sans tombe sous les décombres, trop de peuples réfugiés sous la tente et sur des routes sans village, trop de viols, de violence, de drogues, comment le supporter, comment vivre, si les mots ne sont que cela, sans la voix ni l’écho, même lointain , qui répètent que nous sommes autre chose !

    (…)

    Chante les chats dont l’amande étroite te surveille comme un voleur à la tire dans le métro, chante la ville où la paix ne descend que derrière le rideau des riches, chante la fanfare des néons, la crécelle piteuse des retraités qui mendient, l’océan de paroles qui clapote dans les coquilles contre l’oreille, et l’image sur l’os de seiche des écrans car on tricote le temps une maille à l’endroit, une maille à l’envers.

    (…) chante et tire tire la bobinette des trous noirs et la chevillette cherra, dit le loup de l’énergie aux longues dents, chante car l’odeur du café n’attend pas.

     

    in Lettre à un vieux poète, Sifnos, 2013

    un recueil qui dédié à son ami poète René de Obaldia 

     

     

     

  • David Graeber : repenser le travail et la consommation pour réenchanter le monde

    •  

    attachment-KzmYd7H4SS2-IEIQlL81Qg.jpegEn quatre essais compilés dans un petit livre, l’anthropologue David Graeber (décédé en 2020) s’attaque aux clefs de voûte de notre système économique (le travail, la consommation, les hiérarchies sociales) pour en interroger le sens. En multipliant les angles d’approche par l’économie, la philosophie ou l’anthropologie, il accrédite que le capitalisme est un concept qui ne vit qu’à travers un imaginaire collectif pouvant être questionné et dépassé si l’on se donne la peine de remettre en question ce que nous croyons être des évidences.

    C’était l’un des grands penseurs libertaires du début du XXIe siècle, cité de son vivant comme “l’un des intellectuels les plus influents du monde anglo-saxon” par le New York Times. Comme Bernard Maris que l’on pourrait considérer comme un lointain cousin français, David Graeber nous manque depuis son décès prématuré en 2020. Pourquoi ne sont-ils plus là et par quelle injustice leurs détracteurs sont si nombreux dans l’écosystème médiatique ?

     

    La posture radicale et anticonformiste de David Graeber, sa détestation du prêt-à-penser, son militantisme tourné vers l’action autant que le combat intellectuel - mais aussi son humour - en faisaient un penseur unique, stimulant, indispensable à nos vies. Parmi ses travaux géniaux, citons son essai sur la bureaucratie, qui démontre pourquoi les entreprises privées en génèrent plus que les administrations. Mentionnons aussi son travail monumental sur l’histoire mondiale de la dette, dont la mise en perspective anthropologique et historique change complètement le regard sur le sujet. Rappelons surtout le remarquable et hilarant essai sur les “bullshits jobs”, expliquant comment le capitalisme produit des dizaines de millions d’emplois inutiles aux entreprises qui les créent.

     

    David Graeber, anthropologue de formation, s’est beaucoup intéressé à l’économie et aux mécanismes de la démocratie. Dans La Démocratie aux Marges, il analysait comment celle-ci peut s’exercer à côté des systèmes de pouvoir, par l’action citoyenne ; une réflexion prolongée par une anthologie de textes qui questionnent “les origines de notre désarroi actuel” : Possibilités, essais sur la hiérarchie, la rébellion et le désir, rééditée ce mois-ci. Quatre textes où le prisme de l’ethnographie comparée guide les analyses. 

    Les origines de la hiérarchie

    En introduction, David Graeber éclaire les débuts de sa carrière d’essayiste et rend hommage à Pierre Bourdieu, rencontré “au faîte de sa popularité” alors qu’il était étudiant, qui lui donna la confiance de se lancer. Si la parenté intellectuelle semble rétrospectivement évidente, l’anecdote racontée est savoureuse. On y apprend qu’invité par une prestigieuse université américaine, Bourdieu préférait échanger avec les élèves plutôt que ses pairs : ”Avec les étudiants, on peut parler d’idées. Les collègues, eux, veulent vous flinguer”. Bourdieu se rendit ainsi disponible pendant les quelques jours de son voyage dans un bureau accessible à quiconque réservait un créneau pour échanger avec lui, ce qu’il faisait semble-t-il de manière très amicale. La rencontre avec Graeber faillit amener à la publication de son premier texte (ce qui serait fait à Paris et en français), à la demande du sociologue, ce qui fut hélas rendu impossible par les circonstances.

     

    Le travail en question évoquait de façon marginale les mécanismes et la nature des hiérarchies sociales. Ces réflexions de jeunesse servent de base au premier texte du recueil, finalisé plus tardivement. En s’intéressant au concept moderne de hiérarchie, qui permet de traiter un individu comme une entité abstraite pour en tirer un sentiment de supériorité, Graeber analyse les codes sociaux à la lumière de deux concepts anthropologiques : les « relations de plaisanterie » et les « relations d'évitement », démontrant une capacité hors-norme à jongler avec les sciences sociales et des concepts généralement cloisonnés. Son étude des formes élémentaires de la hiérarchie se transforme ainsi peu à peu en essai sur l’origine du capitalisme, où Graeber développe une théorie des mœurs permettant d’expliquer les mécanismes de domination sociale par des habitudes intimes, connectant les théories de Max Weber aux travaux de Peter Burke sur l’installation du puritanisme en Europe après la Réforme.

     

    Désir et consommation

    Les deux textes qui suivent s’intéressent aux maux de la consommation de masse et aux mutations du monde du travail capitaliste, sujet faisant écho à une réflexion du premier essai émettant l’hypothèse que le travail salarié était au Moyen-Âge une situation souvent transitoire liée à la jeunesse (on était apprenti ou compagnon avant de prendre son envol et son indépendance) et le travail salarié « à vie » une invention du capitalisme moderne.

     

    Graeber remet en question de nombreuses théories consensuelles au sujet du travail et de la consommation, cette dernière étant selon lui considérée comme une fable universelle, partagée par les marxistes comme les libéraux. Il questionne le concept même de consommation, notant que le terme n’est jamais défini autrement que tacitement par ceux qui traitent du sujet.

     

    Le mot a pourtant connu une forte évolution sémantique : synonyme de gaspillage ou de destruction au XVIIe siècle, il a gagné en noblesse à l’ère industrielle, où le capitalisme s’équilibre par une croissance continue nécessitant des cycles infinis de destruction. Pour David Graeber cependant, tout acte de consommation n’a pas le même sens : acheter un instrument de musique (un acte pouvant permettre des décennies de créations) n’a rien à voir avec l’achat compulsif d’articles de mode, qui relève plutôt d’un assujettissement passif.

     

    L’auteur en appelle pour nourrir la réflexion à la relecture des grands philosophes, de Platon à Spinoza, pour proposer une anthropologie du désir. Le concept, qu’il définit comme une construction mentale du moi perçue du point de vue d’autrui, devient d’autant plus problématique à l’ère moderne qu’il n’existe aujourd’hui pas de limite à ce que l’on peut désirer.

    Capitalisme, esclavage et fétichisme

    Qu’aurait pensé David Graeber de la réforme en cours du RSA, qui pourrait contraindre les allocataires à travailler une quinzaine d’heures par semaine pour continuer à en profiter ? Dans Les modes de production sous toutes les coutures, l’auteur constate que le capitalisme a su réinventer sans le dire l’esclavage antique par de multiples stratagèmes.

     

    Ses considérations audacieuses sur les manières de rendre le travail contraignant dans les faits résonnent douloureusement avec certaines déclarations récentes de personnalités politiques de premier plan, qui grinceraient sans doute des dents à la lecture de sa description des ”esclaves salariés”.

     

    Dans le dernier chapitre, Graeber s’intéresse au concept de fétiche popularisé par Marx, qu’il définit après une longue analyse anthropologique comme un “dieu en cours de construction”, avant de s’intéresser à sa transposition dans notre époque. En analysant les corrélations entre magie et religion et la manière dont les civilisations glissent de l’une à l’autre avant d’adopter un fétichisme de la marchandise, Graeber se place dans le sillage de Guy Debord.

     

    Objet d’aliénation, le fétiche-marchandise n’opère à la différence des fétiches traditionnels aucun contrat social, et vise même plutôt à détruire celui-ci en raison de l’exploitation par le travail de ceux qui le produisent. En extrapolant cette idée et s’interrogeant sur la possibilité d’un fétiche sans aliénation, Graeber appelle de ses vœux une société plus horizontale, sans domination ni hiérarchie, ouvrant une passerelle avec les développements du début de l’ouvrage.

    Un idéal utopiste

    A la variété thématique féconde des textes, David Graeber oppose une méthode identique pour chaque essai : quel que soit le sujet qu’il aborde, il s’empare d’un totem du capitalisme et le questionne au-delà du système libéral, notamment dans l’histoire. Il va de soi que pour lui, puisque le capitalisme a un début (relativement récent à l’échelle de l’Humanité), il aura aussi une fin. Il appartient donc à nos sociétés de réinventer les modes de vie pour les mettre en adéquation avec les aspirations profondes de l’être humain, et de mettre fin aux ravages d’un capitalisme prédateur et destructeur. En bon anarchiste, Graeber croit que la solution ne viendra ni des politiques ni des États, mais des individus de bonne volonté.

     

    Ses essais révèlent la richesse d’une pensée nourrie par des économistes, des philosophes, des anthropologues autant que des artistes. Cette immense curiosité de David Graeber lui permet de jongler de la psychologie médiévale à la dialectique hégélienne en passant par le zoroastrisme pour filer un même raisonnement, que l’on serait bien en mal de rattacher à une quelconque école de pensée sinon la sienne. Nul doute que ces écrits dérangeront, et c’est exactement leur raison d’être : remettre en question nos préjugés. Le second objectif : réenchanter le monde, n’est pas moins ambitieux. Selon David Graeber, “ce qui unit les essais de ce livre n’est rien de moins qu’un idéal utopiste.

    • Possibilités, essais sur la hiérarchie, la rébellion et le désir, essai de David Graeber, éditions Rivages (410 pages, 15 €)

     

     

    par Jean-Samuel Kriegk

    Source : Blast, le souffle de l’info

     

     

  • Marina Skalova

     

    seule-au-monde revient
    avec la chute des feuilles

    un chuintement entre les côtes
    un grincement dans le torse

    les vents sifflent en-dedans
    ils font tomber les branches

     

     

     

     

  • Jacques Prévert


    Hélas ! Hélas !
    Trois ou quatre fois hélas !
    Voilà le mauvais temps, la crise et tout et tout. 
    Le capital en prend un coup,
    ll se roule par terre et il gueule,
    ll bave même un petit peu,
    Toute la famille est inquiète.
    Qu'est-ce que c'est ?
    Ce n’est rien, c‘est la crise, ça va passer.

    Mais, dans sa cuisine, la bourgeoise sanglote,
    D'une main elle faille signe de la Croix, 
    De l‘autre elle fait la cuisine, la mayonnaise.
    Avec ses pieds, elle berce les enfants,
    Avec sa bouche, elle leur chante une berceuse.
    Mais les petits enfants,
    Les petits bourgeois ne veulent pas dormir,
    lls entendent, venant de très loin,
    Les pas et les cris des marcheurs de la faim.
    Leur bonne mère leur a dit :
    Si vous n‘êtes pas sages, les chômeurs vont venir et ils vont vous prendre.

    Les petits bourgeois ont très peur. 
    Il y a des ogres dans le sous-sol de la maison. 
    Il y a des chômeurs dans les environs.

     

     

  • Limits to growth - Le rapport Meadow résumé pour les lycéens - 2021

    7_n.jpgCliquez, lisez, téléchargez, partagez :

    https://escapethecity.life/wp-content/uploads/2021/10/Limits-to-growth-resume-lyceen-par-Jacques-TIBERI-escapethecity.pdf


    Aussi méconnu qu’essentiel, le rapport Meadows de 1972, intitulé ‘Les limites à la croissance’ est un des livres fondateurs de l’écologie politique. En voici un résumé destiné, aux lycéens et à leurs enseignants… mais aussi à tous les curieux ! Indispensable pour comprendre pourquoi la décroissance n'est pas une pensée parmi d'autres mais une absolue urgence quoiqu'en disent ceux qui ne veulent pas arrêter la récré dans leurs cours de pilleurs délirants privilégiés....

    Et décroissance matérielle = croissance de tout ce qui est bon pour nous, humanité, comme pour la planète en réalité....

     

    Extrait de ce résumé :

    L E S  S C É N A R I O S  T E C H N O L O G I Q U E S


    Dans cet autre scénario, les chercheurs imaginent que l’on découvre – comme par
    magie – une énergie qui multiplie par 2 les ressources de la planète, sans avoir à puiser
    dans nos ressources naturelles. Un peu comme le réacteur Arc du film Iron Man.
    Le résultat de la simulation montre que, même dans ce cas, l’effondrement de la
    civilisation interviendra… un peu plus tard.
    Autrement dit : même si l’on découvre une super-énergie ultra-puissante, l’effondrement aura lieu. Conclusion : la technologie n’est pas la solution. Car, même si elle paraît « propre »,
    une technologie entraîne souvent des effets désastreux qui ne se remarquent qu’après
    de nombreuses années. La technologie est souvent une façon de déplacer dans le
    temps ou dans l’espace les effets négatifs de la croissance.
    Celui qui explique bien ce phénomène, c’est le chercheur
    français Philippe Bihouix.

    Pourtant, dans les années 1990, des économistes néolibéraux ont imaginé un modèle mathématique concurrent au modèle World 3 : le modèle Dice. Un modèle qui fonde ses simulations sur l’idée que la technologie va compenser les effets négatifs des activités humaines. Et c’est notamment sur ce modèle pro-business que la plupart des gouvernements
    fondent leurs politiques économiques et environnementales… Son créateur, William Nordhaus  est professeur d'économie à l'université de Yale et lauréat du prix Nobel en 2018.

    L E S  S C É N A R I O S S O U T E N A B L E S


    La dernière partie du rapport s’intitule "Transitions vers un système soutenable". Ici, les chercheurs imaginent des scénarios où l’humanité parvient à vivre sans dépasser les limites de la planète. Dans ces scénarios optimistes, nous sommes sortis de l’addiction à la croissance.
    Nous avons aussi changé d’objectifs : plutôt que la croissance du PIB, les gouvernements
    cherchent à améliorer la santé des enfants, la citoyenneté, le bien-être…
    De plus, l’humanité s’est mise à prévoir, à planifier et à appliquer le principe de précaution.
    Enfin, on utilise plus la technologie pour maximiser les rendements et accélérer la croissance, mais, au contraire, pour limiter ou réduire les atteintes de l’homme sur la nature (agriculture, pollution, habitation).
    C’est ce que l’on appelle les right tech, les technologies justes.

    Bref, dans ces scénarios soutenables, le système Terre n’est plus en surchauffe.
    Petit problème : nous aurions dû appliquer les principes de ce scénario depuis 2002 - il y a 20 ans - pour qu’il nous permettre d’éviter le krach !

     

    *


    "Une révolution de la durabilité vers un monde bien meilleur pour l’immense majorité d’entre
    nous est possible." disait le rapport Meadow en 1972...

     

     

     

  • Milan Kundera 

    Le rôdeur de la côte qui brandit, frénétique, une lanterne à bout de bras, ce peut être un dément. Mais la nuit, lorsque les vagues malmènent une barque déroutée, cet homme est un sauveur. La planète où nous vivons est la zone frontalière entre le ciel et l'enfer. Nulle action n'est en soi bonne ou mauvaise. Seule, sa place dans l'ordre la fait bien ou mal.


    in La plaisanterie

     

     

     

  • Milan Kundera

    Vivre, il n'y a là aucun bonheur. Vivre : porter de par le monde son moi douloureux.
    Mais être, être est bonheur. Être : se transformer en fontaine, vasque de pierre dans laquelle l'univers descend comme une pluie tiède. 

    in L'immortalité

     

    Bon voyage vers le Grand Tout monsieur Kundera !