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RÉSONNANCE & COPINAGES - Page 9

  • L'Étendard déployé des vrais niveleurs - Gerrard Winstanley - 1649

    La longue histoire des possédant et des possèdent néant, toujours la même :
     
     
    book_66_image_cover.jpgLe dimanche 1er avril 1649, Angleterre, un petit groupe d’individus visiblement fort pauvres prend illégalement possession des friches d’une colline dans le Surrey. Ils entendent faire de cette action le point de départ d’une vaste opération de réappropriation collective des terres d’Angleterre, et mettre en œuvre l’abolition complète de la propriété privée. C’est le début du mouvement des Diggers (qui inspirera un mouvement de contre culture à San Francisco dans les années 60/70 qui reprendra ce nom, voir livre sur le sujet par Alice Gaillard), qui se surnommaient “les vrais niveleurs”, et dont Gerrard Winstanley était le chef de file. De lui, on sait peu de choses. Il fut baptisé dans le Lancashire en 1609, il partit pour Londres en 1640 et y exerça la profession de marchand de drapier, avant de voir son activité ruinée par la guerre civile qui ravageait l’Angleterre. Sa tentative d’instaurer une communauté égalitaire et fraternelle, qui aurait vu la stricte application des principes bibliques, ne dura qu’un an, victime de la réaction des propriétaires terriens. Mais il reste de ce magnifique dessein le manifeste que Winstanley a laissé, L’Étendard déployé des vrais niveleurs, un texte fondateur du communisme libertaire.
     
    La première édition de L’Étendard déployé des vrais niveleurs a été publiée à Londres en 1649. La page de titre de l’édition originale portait les signatures de Jerrard (sic) Winstanley, William Everard, Richard Goodgroome, John Palmer, Thomas Starre, John South, William Hog-grill, John Courton, Robert Sawyer, William Taylor, Thomas Eder, Christopher Clifford, Henry Bickerstaffe, John Barker, John Taylor, etc. “ayant entrepris de travailler et de fertiliser les terres incultes de George-Hill, en la paroisse de Walton, comté de Surrey.”
     
    “Par la force de la raison, de la loi de droiture qui réside en nous, nous entreprendrons de soulager la création de cette servitude sous laquelle elle gémit : la propriété privée.”
     
    Traduit de l’anglais par Benjamin Fau. © Editions Allia, Paris, pour la traduction française.
     
  • Werner Lambersy - Mes nuits au jour le jour

     

    "Fin août 2020, dans le bureau où il écrit ses poèmes, Werner Lambersy confie à la Chouette Imprévue son journal de nuit qu'il déclare d'emblée être son "dernier livre". "Rien de tel qu'un oiseau nocturne pour le publier au grand jour" ajoute-t-il. On se quitte et on se promet de se revoir.

     

    Dans les mois qui suivent, la santé de Werner décline et il finit par nous quitter le 18 octobre 2021. A chacun désormais de découvrir les éclats de nuit de ce grand poète francophone, d'abord et avant tout "l'homme de l'aube", comme nous le rappelle son épouse, la poète Patricia Castex Menier."

     

    Pour se procurer le livre :

    https://www.lachouetteimprevue.com/single-post/mes-nuits-au-jour-le-jour-de-werner-lambersy

     

     

  • Laura Vasquez

    Quand son esprit monte au plafond, elle se regarde, elle se voit dans le lit, et la grand-mère ajoute un ciel sur chaque chose. Elle regarde les objets, elle fait le tour de la pièce, elle ajoute un ciel pour chaque meuble, un ciel sur la télé, un ciel sur des bouts de pain, un ciel sur les yaourts, un ciel par couverture, un ciel sur le plancher, un ciel sur le gymnase, un ciel sur chaque enfant, Salim, Sara, un ciel sur chaque tête, et un ciel sur chacune de leurs dents, un ciel sur leur front, un ciel sur chaque mèche et tout devient léger.

     

     

     

     

     

  • Laura Vasquez - Tout tombe

     

    Elle a eu le prix Goncourt 2023 poésie pour l'ensemble de son oeuvre et je trouve ça très bien ! Je connais peu son travail mais j'apprécie sa façon de lire ses textes, leur seulement apparente facilité et la force qui se dégage de ce corps qu'elle forme avec eux, c'est très puissant et ça en dit beaucoup, son parcours me parle beaucoup aussi. La poésie n'appartient à personne, elle nous traverse et nous transforme, nous aide à vivre :  https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/2023/03/24/entretien-avec-laura-vazquez/

     

     

  • Arthur Fousse

     

    un jour peut-être
    les corps qui furent poussière 
    redeviendront des roses,
    et les cœurs
    des chardons pleins d’épines 
    que rongeront les ânes.
    pas ce soir.
    les jours comme des graviers
    se jettent sur les tombes  
    pour épeler les prières.
    les désirs comme des tournevis
    ne s’agencent pas dans le bon trou,
    et la croix d’un mot
    peut faire vivre un homme
    jusqu’à ce que son existence s’assèche
    comme les neiges bleues au sommet de la chance.

     

     

     

  • Rabindranath Tagore

     

    Durant plus d'un jour de paresse j'ai pleuré sur le temps perdu. Pourtant il n'est jamais perdu, mon Seigneur ! Tu as pris dans mes mains chaque petit moment de ma vie. Caché au cœur des choses, tu nourris jusqu'à la germination la semence, jusqu'à l'épanouissement le bouton, et la fleur mûrissante jusqu'à l'abondance du fruit. J'étais là, sommeillant sur mon lit de paresse et je m'imaginais que tout ouvrage avait cessé. Je m'éveillai dans le matin et trouvai mon jardin plein de merveilles et de fleurs.

    in Le Jardinier d'Amour

     

     

     

     

  • Anne Dufourmantelle

     

    La sublimation a vécu. La pulsion a trouvé un regain de toute-puissance dans un monde qui ne supporte aucune limite pour la satisfaire. Immédiateté, vitesse, fluidité appellent une société sans frustration ni délai. Que ce soit dans l’espace public (les actualités, les faits divers, la pornographie normative, les attitudes «décomplexées») ou sur le divan (patient déprimé, désaxé), la société post-industrielle et post-traumatique de l’après-guerre admet mal qu’on «sublime». Il faut au sujet narcissique un champ opératoire simple et direct à ses pulsions, sinon, il se déprime. La frustration n’est plus supportable, trouvons-lui donc sans cesse de nouveaux objets à ses appétits. L’abstraction, le style, la précision sont passés à l’ennemi, toutes ces choses nous «ralentissent». On ne possède pas un livre, ce n’est ni un investissement ni un instrument ; la lecture prend du temps, et ne produit rien d’autre qu’une capacité accrue à rêver et à penser. L’absence de style dans les productions culturelles est aussi préoccupante que le sont les vies sous pression, moroses et fonctionnelles - tellement plus nombreuses que des vies habitées, voulues.Un monde qui parvient à sublimer est un monde qui prend une forme, qui n’est pas informe comme l’actuelle confusion générale destine le nôtre à l’être.

     

     

     

  • Martin Caparrós

     

    (…) Le Niger compte un million de kilomètres carrés, dont seuls 40 000 cultivables. Partout ailleurs vivent  des bergers nomades qui gardent quelques 20 millions de têtes de bétail : chèvres, moutons, ânes, chameaux, zébus. Le prix des médicaments pour ces animaux ˗ antiparasites, vaccins, vitamines ˗ est monté en flèche depuis que le Fond Monétaire  a obligé le gouvernement à fermer son Office national vétérinaire, ouvrant son marché aux multinationales. Depuis, les bergers, de plus en plus nombreux à perdre leur troupeau, ont dû fuir vers les faubourgs de Niamey ˗ ou des capitales alentour : Abidjan, Cotonou. C’est encore le Fond monétaire qui a obligé le gouvernement nigérien à fermer ses dépôts de grains ˗environ 40 000 tonnes de céréales, principalement du mil ˗, lesquels servaient  à intervenir lorsque les sécheresses répétées, les invasions de sauterelles ou la soudure annuelle affamaient la population. Le Fond considérait que ces interventions faussaient le marché ; le gouvernement, pris à la gorge par sa dette extérieure, dut plier.

    Le Niger est le deuxième producteur mondial d’uranium : ses réserves au milieu du désert sont immenses ˗ et l’uranium est l’un des minerais les plus convoités. Pourtant, le pays n’en tire pas beaucoup de bénéfices : l’entreprise d’État française Areva a toujours eu le monopole* de son exploitation et la redevance qu’elle payait à l’État nigérien était dérisoire. 

    * jusqu’en 2007, depuis les Chinois ont rejoint la partie, l’auteur en parle plus loin

    (…)

    Le Niger dépense cinq dollars annuels par habitant en matière de santé. Les États-Unis, par exemple, en déboursent 8600 ; la France, 4950 ; l’Argentine, 890 ; la Colombie, 432. En 2009, il y avait 538 médecins dans tout le Niger, un pour 28000 habitants, alors que dans un pays moyennement riche comme l’Équateur, les Philippines ou l’Afrique du Sud, on en compte un pour 1000. Ce chiffre figure dans une publication officielle du gouvernement qui précise que l’année suivante, en 2010, il n’en restait que 349 ; un médecin pour 43 000 habitants. L’émigration de ceux qui savent ou peuvent et veulent échapper à la misère et aux maladies génère un surcroit de maladies et de misère. Les pays riches ˗ qui dressent des barrières murs bateaux mitrailleuses pour stopper les migrants au bord du désespoir ˗ font venir volontiers les rares professionnels qui parviennent à se former dans ces parages désolés.

     

    in La faim , éd. Buchet-Chastel, octobre 2015 

     

     

     

     

  • Jean Joseph Rabearivelo (1901 - 1937)

     

    Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
    Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
    Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
    Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
    Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
    Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
    L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
    Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.


    in Traduit de la nuit