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RÉSONNANCE & COPINAGES - Page 9

  • Lionel Mazari

    J'en ai vu passer des saisons
    entre le champ et la maison.
    Enfant perdu hors du chemin,
    les maïs me donnaient la main.
    J'ai vu s'envoler des vivants
    dans les chambres s'ouvrant aux vents ;
    de verte étable à rouge forge
    avec de l'orge dans la gorge.
    J'en ai vu sécher des semaines,
    le linge étendu, joies et peines,
    semailles, graines de poussière
    parmi des filets de lumière.
    J'en ai vu sauter bien des êtres 
    de l'étable par la fenêtre.
    Les tournesols faisaient la gueule
    aux soleils cachés dans les meules.
    J'en ai vu boiter des années
    de la porte à la cheminée.
    Vieil orphelin d'épouvantail,
    les blés me tenaient par la taille.


    in L'impossible séjour, 15 septembre 2022

     

     

     

  • Mary Oliver

     

    Un jour, tu as su enfin
    ce que tu devais faire, et tu t’es lancée,
    malgré les voix autour de toi
    qui continuaient à crier
    leurs mauvais conseils,
    malgré toute la maison
    qui s’est mise à trembler
    et tu as senti la vieille corde
    à tes chevilles.
    « Répare ma vie ! »
    criait chaque voix.
    Mais tu ne t’es pas arrêtée.
    Tu savais ce que tu devais faire,
    malgré le vent qui arrachait
    de ses doigts raides
    les fondations elles-mêmes,
    malgré leur mélancolie,
    terrible.
    Il était déjà bien
    tard, la nuit était agitée
    et la route couverte de branches
    cassées et de pierres.

     

     

  • Cornelia Hesse-Honegger - Insectes de Tchernobyl

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    Punaises écuyères à Tubre (Italie), village touché par le nuage nucléaire en 1986...

     

     

     

     

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    Née en 1944 à Zurich, en Suisse, Cornelia Hesse-Honegger a travaillé pendant 25 ans comme illustratrice scientifique pour le Musée d’histoire naturelle de l’Université de Zurich. Et là, depuis plus de trente ans, l’artiste sillonne les environs des centrales et autres lieux impactés par le nucléaire dans le monde entier afin d’observer les conséquences des radiations sur la faune et la flore locales. Héritière des naturalistes, elle étudie des insectes au microscope, inventorie précisément ses prélèvements et réalise des aquarelles des organismes mutants qu’elle rencontre. L’ «artiste scientifique» s’est fixé une mission : celle de montrer que les radiations même faibles émises pendant de longues périodes par des centrales fonctionnant normalement peuvent avoir des effets négatifs sur les organismes. Un véritable pan de la santé environnementale qui suscite des préoccupations croissantes. Et qui, en plein marasme climatique, trouve un profond écho dans les débats énergétiques internationaux du moment à la faveur d’un retour en grâce du nucléaire. La France n’y échappe pas. Pour Hesse-Honegger, «la crainte fondée d’un danger potentiel est une raison suffisante pour s’opposer à la mise en place de telle ou telle mesure, pratique, ou technologique, écrit Raffles. Elle lui permet de se libérer de l’ombre de la science». Adresse aux scientifiques ? A nos politiques ? Elle tance : «[…] Si je n’avais trouvé qu’une seule punaise avec le visage tordu, ça aurait été une raison suffisante de se demander ce qui cloche.» Ses aquarelles sont exposées à travers le monde dans des musées et des galeries. Sa pratique est à la croisée de l’art et de la science et de l’engagement anti-nucléaire.


    Livre : Créatures de Tchernobyl, L’art de Cornelia Hesse‑Honegger, par Hugh Raffles, traduit de l’anglais par Matthieu Dumont, Wildproject «Petite bibliothèque d’écologie populaire», 100 pp., 12 €.

     

     

     

  • Guénane Cade

     

    Se fondre au fond d’un bar ne suffit plus
    même refait le monde a mauvaise haleine
    même avec beaucoup d’eau
    accoster au comptoir ne lave plus l’âme
    le rêve rame

     

     

     

  • Heptanes Fraxion

     


    feuilles mortes 
    il a fallu qu'elle apprenne vite à grandir et elle a vite appris 
    y a des vies qui demandent ça
    elle a mal dormi 
    ses mauvaises habitudes et ses rêves l'ont réveillée 
    des yeux d'animaux l'observaient qui brillaient sur l'autre rive 
    elle décide de rester sale 
    la chatte bien sauvage 
    elle vire deux-trois trucs superflus et de suite tout redevient simple 
    feuilles mortes comme autant d'oiseaux morts
    elle va manquer cette fête où les conversations semblent toujours écrites à l'avance 
    et où elle connaît déjà la plupart des questions 
    trop de gens impossibles à détester 
    trop de gens impossibles à aimer 

     

     

  • Murièle Modély

     

    parfois on colmate     
    on fait un enfant ou deux, et      
    on utilise leurs rires ou leurs larmes comme plâtre       
    cela marche un temps, puis ils grandissent 
    ils s'en vont sur les chemins tracer leurs propres entailles    
    avec des pierres coupantes
    alors on reste un peu triste        
    sauf les dimanches   
    quand on se retrouve tous ensemble à table       
    à tenter de remplir à la cuillère ou d'une phrase  
    nos trous


     

     

  • Louve Matthieu 

     
    Vous êtes espagnole n’est-ce pas ?

    Je suis au Saguenay, dans une épicerie en train de payer à la caisse. Le proprio tout sourire emballe mes trucs

    Vous êtes proche! C’est presque pareil! Lui dis-je sensuellement.

    Là le monsieur est vraiment content! Et hop la salade dans le sac! J’ai presque eu une invitation à parler latino devant un expresso! Alors vite je me pousse!

    Le Saguenay est au cœur de l’habitat des autochtones, autour il y a les réserves. Parfois je me sens comme une immigrante qui ne comprend pas trop pourquoi elle est venue dans ce pays de merde! 
    Oups! De neige! 
    Et oui, parfois j’aimerais être cette mystérieuse espagnole.

    Je lui dis? Non. Mais je dois lui dire! C’est ridicule! Non?

    Toute en émoi, la nouvelle intervenante, toute jeune et jolie, me transmet son admiration et son plaisir à déguster les repas que je fais.

    Quelle joie de savourer la cuisine orientale! Je n’ai jamais mangé cela! J’adore goûter les mets de différents pays! Ça goûte le soleil du Mexique !

    Ça existe le Mexique oriental ?
    Je la laisse aller de même pendant deux semaines! Et là, je ris en vous disant cela… De plus, elle me trouvait jolie et géniale, alors pourquoi l’arrêter? Tous les jours cette jeune femme me trouvait merveilleuse! Jusqu’à une certaine pause, après un délicieux pâté chinois, alors que la discussion tourne autour de la chance que j’ai de pouvoir manger gratuitement à mon travail et même, de ramener parfois les restes pour ma famille. Les joies du communautaire!

    C’est vrai que dans ton pays vous ne devez pas manger à tous les jours surtout que la nourriture est rare, tu dois être vraiment heureuse de vivre au Canada!

    Ayoye!
    J’ai un grain de maïs coincé là, entre les dents!

    Je la regarde avec pitié et surtout je me sens coupable.
    Coupable d’avoir pu être admirée. Pour mon courage, ma force, pour moi! Moi. 

    Tu sais, je suis Ilnu Non! Pas du Pérou! Ilnu, autochtone!

    Hein?

    Oh non, je ne vis pas dans une réserve. Pourquoi! ? Parce que mon grand-père a été dans un pensionnat et le gouvernement… tu dis ? Non, je ne suis pas subventionnée!

    Le café est froid dans ma bouche.

    Elle s’en va. Très loin. Et elle ne reviendra plus jamais me parler du soleil.

    Loin de ma terre
    au sommet du ciel
    quand on frappe la neige
    sur mes ailes
    un tout petit vent
    aura beau dire
    toutes les écorces
    il restera
    son cri et ma plume
    dans les feuilles
    rouges

     

     

    Merci jlmi !