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CATHY GARCIA-CANALES - Page 202

  • Noah Weiner

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    Mes allumettes sont mouillées depuis longtemps, je n’ai plus de feu, mes colères ne sont que des crachats boueux, une veine qui s’ouvre. Je veille d’un œil, je pleure de l’autre. J’ai caché dans des recoins à l’abri de l’eau, des peurs coriaces, c’est bête mais parfois on n’a plus que nos peurs en poche. Nous ne sommes pas que des êtres de lumière, nous sommes aussi de la même boue que les étoiles, les mêmes poussières toxiques.

     

    in Le livre des sensations

     

     

     

     

     

  • Albarràn Cabrera

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    La déchirure. La quête. La soif. Aimer l’un, aimer l’autre, autant de reflets à la surface de l’eau. Impossible de s’endormir, ni même de fuir, la période est à la confrontation, au face à face, au défi. Trouver ce qui unit et non ce qui sépare. Sortir de cette dualité désespérante, stérile. Trouver le nouveau, la voie entre les voies, les mots entre les lignes. Dire ce qui est, voilà le plus fou. C’est bon d’être aimée, désirée. Lourd à porter parfois, mais pourquoi est-ce que je cherche à porter ? Pourquoi est-ce si difficile d’être ce que nous sommes ? Passer mon temps à me camoufler alors que je ne suis qu’une chercheuse d’absolu. Mon désir va et vient, me promène en des lieux étranges et inconnus. Je cherche la source, c’est pourquoi j’ai tout mon temps à la différence de ceux qui cherchent l’embouchure. Je me creuse et suis remplie. Je vais nue et suis aimée. Un jour, peut-être apprendrais-je même à cesser de chercher.

     

    in Journal 2006

     

     

  • Elena Yushina

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    Le cerveau pieuvre étend ses tentacules, oppresse et enserre le cœur, les poumons, la nuque. Ouvrir la fenêtre, voir arriver l’air d’arbre en arbre, l’appeler pour qu’il vienne desserrer l’emprise de la tête pensante qui ressasse ses peurs, ses ombres, ses problèmes, des plaques d’acier compriment mes muscles, je suffoque mais c’est dans la tête.

     

    in Le livre des sensations

     

     

     

     

  • Silvia Marzocchi in Terre à Ciel

     

     

     

    l’incise de la langue sorcière

    la voilà      qui      tu n’es pas gentille      qui
    reproche      tu n’es pas aimable      qui
    taraude      qui      affable rode
    allez couche-toi brutale carrément      qui
    ta langue      pendue on croirait un étendard      qui
    triture      qui

    qui toi         toi moi         spectatrice insolvable
    baisse-la tu veux      ta petite tête      mais tu veux causer
    et la voilà qui ouvre sa grande bouche      pas jolie tu cries tu es moche
    on voit tes dents elles ne sont pas white tu pleures on voit ton plombage
                                                                                                                         là
                                                                                              elle l’ouvre encore      et
    as-tu essayé la tête sous l’eau pour voir                   c’est radical

    ta langue n’est pas rose

    arrêtes de hurler ainsi            tu es toute déformée

    tu as toujours été agressive

    tu me fatigues      je te le dis dans la langue des yeux puis je me couche
    je suis sans mots                  vacante                  vacance

    tu m’as échappée             je te portais en moi
    on n’aime pas trop ce qui nous échappe

    tu peux crier      moi suis couchée      emmitouflée dans mon corps
    barricadée          forclose           fous le feu à la baraque si tu veux
    tu verras ça avec le croque-mitaine je ne te le conseille pas
    aimes-tu les cimetières ?

    tu as peur       tu es malade       elle est ma-la-de
    c’est triste      ça commence mal !
    on va s’enliser si on va par

    là on va s’enfoncer dans mon lit                  j’y suis souvent
    il faut que cette fille baisse la tête et se couche       silence ! pitié
    ou alors il aurait fallu       mais non      il aurait      mais ouiiiii
    un garçon
    oooooooooh      cela aurait été bien plus simple si
    mais non

    garçon ne pleure pas
    c’est antinomique
    je vais te museler si tu continues
    pas de chichi      ils sont forts
    ça m’impressionne je ne sais pas ce que ça cache

    je ne sais pas ce qu’ils font de leurs déchets
    comment dissocient-ils leurs émotions du reste de leur corps
    s’évaporent-elles
    leurs larmes où donc

    si je retiens je ne sais plus trier
    le mot de l’ivraie
    ma langue se défait défaille me dédit
    m’encombre s’affole se fige
    s’onomatopéïse
    piétine balbutie turlupine
    se débraille inconvenante
    on me dit méchante

    je me nulle
    me désolidarise de moi-même
    ma peau fourvoyée se flamme
    faut me cacher

    me sortent tatouées les émotions maltraitées

    je me couche pour la bienséance du monde
    car
    j’ai un corps qui s’exclame

    on n’aime pas trop les corps par ici
    d’autant moins lorsqu’ils s’expriment dans leur langue
    qui comme chacun sait est une langue barbare
    tu ne peux pas encore savoir
    tu es petite et ignorante
    tu cries dans ta langue enfante
    comme qui chanterait

    chanter      pas bien vu non plus
    dans la rue par exemple par distraction
    ou par insouciance      surtout pas de
    ou de spontanéité
    on va t’enfermer maladie contagieuse

    et arrête de sautiller comme ça
    c’est un lit pas un terrain de jeu

    toi non plus      tu ne sais pas retenir
    maladroite tu te rues engouée
    alors que tu as des pores comme tout le monde
    ça devrait pouvoir s’aérer avec une certaine élégance

    que ta peau est délicate      je l’aime son grain gamin
    l’ai tant soignée      rien à faire      elle se flamme

    c’est que l’on ne choisit pas son héritage
    tu me portes en toi tout comme je t’ai porté en moi
    nous sommes des mot-valises

    elle se croit libre la mioche
    excuses-moi si je ris      non je t’assure je ne fais pas exprès

    suis fatiguée            laisse-moi

    arrête de me harceler comme ça      tu ne sais rien de moi
                                                                     de mon histoire que tu porteras

    je me couche pour l’exemple
    moins j’en fais et plus je me couche dedans
    mais elle tend vers dehors             petite branche naine vers la lumière
    la vie en moi se couche      oh oui tout doux            tout doux
    je m’enfonce      mmmhhh      c’est bon
    je survole      je glisse                mmhhh
    je somnole      tout se      tait      tout      se

    non mais      là voilà qui se lève à nouveau      je rêve

    assez rêvé je n’ai pas demandé à rêver      
    juste dormir      indolore
    une bouillote oh oui      une bouillotte ça fait du bien      mmmhhh

    et ça continue            couche-toi tu veux
    l’autre avec ses petits cris      là           débout      increvable
    branches tordues vers la lumière      et moi qui voulais somnoler
    mmmmhhh somnoler
    alors que débout      vigilante      qui va là sur le qui-vive
    qui veux-tu qui aille là      rien qui vaille

    des gens des mots      s’étourdissant de redites
    garrotant ton esprit et ses touches funambules
    ses lumières ses éclairs ses éclats ses nuances
    car
    ils savent vivre      savent comment faire
    tout carré           oui parfaitement
    d’un jugement assuré
    savent où commence et où se termine une pensée
    point barre et à la ligne

    dans nos périmètres sécurisés nous sommes rectilignes
    nous exécrons le mouvement le changement le tempo
    et les vagues
    nous convient mieux un monde statique
    nous entre nous
    nous ainsi satisfaits du monde ma chère mon cher
    et de nous-même on n’est pas des guignols
    performant tout va bien      très très bien
    dans des bouches rassasiées de mots bien repus
    assommant de Il FAUT d’un ton dégagé

    je me couche      ça me fauche la chique
    c’est vide qu’on cause et si c’est vide pour quoi faire
    faut-il qu’on remplisse

    pourquoi ça parle
    comme pour       comme si
    de rien           comme s’il n’en était
    rien
    comme s’il n’en restait      pas moins que
    rien
    comme si n’étions-nous
    tu parles                       sans écho
    pourquoi ça parle comme pour
    comme si de rien      comme s’il n’en était
    rien
    comme si de rien d’être
    sommes-nous sans écho             tu parles

    oui
    je redoutes à chaque fois à nouveau y couler dans cette nébuleuse
    et cette parole sans suite de son tout plein asséché
    et ce son creux qui retentit à l’intérieur le dévale
    sans fond sans face l’informe qui guette
    le sens qui fuite      par tous mes pores
    en vrac sur le lit      en manque d’agencement

    fatiguée
    je me couche

    on m’a fait vide
    je ne sais plus quoi faire de ces quatre bras pieds mains jambes
    je confonds ça fait huit je ne sais pas quoi en faire
    et ces mots liquéfiés en dedans
    mes bras pieds mains jambes qui en épongeant s’effilochent

    je me noie      je prends l’eau
    monte            elle monte
    me déborde
    monte            elle monte
    me bouche les oreilles

    dormir

    mais on me secoue      on m’habite
    elle m’habite      debout là

    un bon shoot de mélancolie et tu vas voir comme tu te calmes ma belle

    là            ouf                  enfin docile
    couchée               bien aimable

    elle voulait élargir sa pensée par les mots
    excuses-moi si je ris      non je t’assure je ne le fais pas exprès
    ne sais-tu pas que ça fait mal
    ce n’est si souple que tu le crois la matière grise
    ça pousse les membranes vers l’extérieur quand ça grabuge
    un mal de chien encagé                  n’y songes même pas

    ooooh !      un peu de silence à présent

    toi et moi
    on a nos petits secrets      ça donne du charme
    tu me ressembles             que tu es jolie
    tu me donnes envie d’ouvrir grand les yeux
    dans mon beau miroir speculum
    là      toutes les deux allongées
    réfléchies      aimantes

    aliénées paisiblement

    ça rime éternellement

    ah non arrête
    tu ne vas pas te remettre debout                encore des questions
    laisse-moi me reposer       sois mignonne      rasante la mioche

    mais oui j’avais oublié       tu parles toi aussi
    et dire que c’est moi qui t’ai appris      mais tu m’as échappé
    et après que je cause et que je questionne
    que je m’amuse à la tournoyer la faire claquer clapoter cette langue
    dans les bulles de ma bouche et virevolter virtuose carrément
    que c’est amusant

    que tu crois

    souviens-toi de la voix de grand-père :
    t’es comme toutes les bonnes femmes      une emmerdeuse

    c’est moelleux ici dans mon lit      n’est-ce pas
    restons-en là      toi et moi

    bien sûr pour les garçons c’est différent
    je le dis pour ton bien
    c’est tout un apprentissage que de parler en femelle
    en son nom dans son sang en son seing
    moi tu vois couchée pas même besoin de mots mondains
    et pourtant j’avais un corps      je crois

    maintenant que la dépossession est inoculée tu vas voir
    la saveur du silence      mmmhhhh      comme une saignée
    ça soulage

    béante      souris      oui tu es mignonne
    qu’ils imaginent      toi face au monde couchée

    on ne s’en sortirait pas autrement            comment veux-tu
    qui est-ce la grande personne là       c’est moi       et je te dis que :       !
    jusqu’à qu’on ne sache plus ce qu’on ressent et ce qu’on fabule
    comme ça      pour faire partie      non pas participer          non
    appartenir
    ooooh appartenir
    ooooh je ne suis pas ma seule partie amputée moi
    moi j’appartiens      et      je colle
    je colle je colle je colle à
    une image
    devant le miroir je m’y essaie
    je suis conforme      soulagement      je jolie
    selon les jours j’y arrive
    je décolle mes mots de mon corps
    l’un après l’autre      ça fait un peu mal
    et les voilà sans corps
    et à la place du corps des mots des images sur mon corps creux
    et un grand bruissement général continu accablant confondant

    donc
    la vérité mon enfant que tu cherches tant dans les mots
    tu peux toujours chercher
    tu le vois bien qu’ils sont vides      sans corps
    souvent
    tout ce vide entre nous

    tu l’entends

    ce silence

    qu’aucun mot

    aucune image aucune chose

    allez      parlons d’autre chose
    je t’avais bien dit de te coucher      mais non      debout là
    avec tes petits halte-là une contradiction !! je pointe !
    tu crois changer quoi                    le monde ?
    avec ta langue      qui je thaumaturge      j’abracadabre
    s’y croit
    full d’as      abattu sur table      nous révèle      who’s who

    a-t-on droit à un joker ?

    met-là au rancart ta langue tu veux
    somnolons ensemble
    mmmhhhh
    c’est bon le goût d’un blanc       ça creuse le mystère

    allez viens-là te coucher près de moi et laisses-moi rire dans ma barbe
    car je me laisse pousser la barbe depuis que les hommes les mots tout ça
    m’a passé
    me voilà sorcière couchée

     

     

    https://www.terreaciel.net/Silvia-Marzocchi

    à lire aussi son entretien avec Claire Regy publié à la suite