Djoli Laiwanga, David Blanasi, David Gulpilil, Dick Plummer · Budbal (Chant du lys d'eau)
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Notre Univers est composé de structures filamentaires de matière noire s’entrelaçant en un réseau cosmique dont les points de croisement concentrent les galaxies en amas.
in Euclid : une première plongée époustouflante dans les abysses cosmologiques, Sciences et avenir, 7 novembre 2023
Acheté il y a 20 ans, je viens enfin de le lire et pas mécontente en fait de ne le lire que maintenant, avec 20 ans de plus car la résonance est encore plus forte avec les problématiques d'aujourd'hui. Passionnant, dense et nourrissant.
Plon, coll. Terre Humaine, 2004
"L’histoire a maintes fois montré que les savoirs peuvent changer de sens selon leurs applications, mais aussi disparaître à défaut de transmission. Dans une perspective temporelle à long terme, le contenu de ce qui se transmet est en partie incontrôlable, mais la responsabilité incombe à l’humanité entière d’empêcher que les lieux et les modes de transmission préservés pendant si longtemps ne soient balayés par l’illusion de modernité de l’Occident qui croit avoir pour mission de tout supplanter. La mondialisation est entendue comme un nivellement de pratiques de consommation et de discours. Or, parallèlement au processus d’uniformisation, la différenciation du local buissonne partout (…). Ce n’est pas en isolant et en interdisant les échanges qu’on préserve les différences, c’est au contraire en instituant des modes de circulation de gens et d’idées."
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"Barbara Glowczewski livre dans cet ouvrage vingt-cinq ans d’ethnographie, de réflexion, de vie et d’engagement aux côtés des Aborigènes du Nord-Ouest australien. Elle y dévoile l’originalité et la diversité de leur pensée à partir de quatre terrains exposés successivement : la péninsule Dampier, les plateaux du Kimberley, le désert Tanami et la terre d’Arnhem. Chacun de ces espaces présente une réalité variable, accidentée, que l’auteure refuse d’araser au bénéfice d’une démonstration lissée. Il en ressort un livre rude, tant dans sa forme que dans son contenu, morcelé, épousant la géographie de l’espace vécu.
Les apports de ce travail sont nombreux et variés. Le premier, à la fois préliminaire et global, concerne l’écriture même du texte anthropologique. Ce n’est pas ici, à la façon classique, l’interprétation de l’ethnologue qui domine et irrigue le texte ; mais ce n’est pas non plus cette ethnographie “blanche”, largement mythique, où l’ethnologue “disparaît” en exposant la vie de ceux qu’il nous présente. Glowczewski propose une troisième voie en instaurant un dialogue permanent entre le chercheur, son sujet d’étude, et le lecteur amené à prendre part à l’élaboration du savoir qu’on lui expose. Elle tend ainsi vers une ethnologie participative, non dans le sens d’une adhésion naïve à la « cause » aborigène, mais dans celui d’une libération de l’emprise de la pensée. Cette distance subjective constitue la pierre angulaire de sa méthode et conduit à considérer Rêves en colère sous trois angles différents : méthodologique, éthique et théorique, autant de « leçons » (45) chères à l’auteure.
Sur le plan de la méthode, ce texte opère un retour à l’individu. Ce fait n’est pas nouveau : les critiques faites par l’anthropologie interprétative américaine dans les années 1980 et, avant cela, les projets éditoriaux de la collection « Terre Humaine », avaient attiré l’attention sur l’auteur comme variable (et non comme constante) de l’expérience ethnographique. Toutefois, cette oreille prêtée aux singularités de l’ethnologue, à ses passions tout autant qu’à sa raison, est souvent restée sourde aux individualités étudiées sur le terrain au profit d’un improbable type collectif, ici l’Aborigène. Et, l’auteur nous le fait sentir, il ne suffit pas de nommer les informateurs, de les situer dans un contexte, de décrire la position sociale d’où ils informent, pour en faire de véritables individus. Encore faut-il que le monde sur lequel ils renseignent l’ethnologue se réfracte en eux dans la mesure où ils en sont certes les témoins mais également les acteurs et les produits. La parole laissée aux Aborigènes dans Rêves en colère n’est pas qu’un témoignage sur le monde aborigène. Elle est ce monde, qui ne se résume donc pas à des sites, mais est constitué de situations et de discours qui le mettent en œuvre. Ces situations sont toutes des produits historiques, et c’est donc par l’histoire que reviennent, chez Barbara Glowczewski, les individus. Chacun se voit restituer une épaisseur temporelle qui lui est singulière, une histoire personnelle qui est commandée par la parole de l’informateur et dont le fil est déterré jusqu’aux racines. Les profondeurs sont donc variables : si les récits évoquant les rapports entre le gouvernement australien et les populations autochtones convoquent une histoire dense et longue, ceux sur les initiations suggèrent une histoire plus poreuse au mythe, même si l’auteur se garde bien de les rendre imperméables au changement historique. Car en celles-ci se révèlent aussi des enjeux dépendants de l’époque, comme dans les années 1970-1980 où, sous la nécessité de la transmission du savoir et de la reproduction sociale, se dévoilent des stratégies de revendications identitaires et territoriales (la réactivation d’un site initiatique étant un moyen de légitimer le retour sur un territoire jadis annexé). A lire Glowczewski, le lecteur a l’impression que “l’Aborigène” possède des os hors de son corps propre, et que la parole convoquée dans l’ouvrage permet de les rassembler.
Ce retour de l’individu correspond à une posture que l’on peut qualifier “d’égocentrisme méthodologique” qui vient compléter et complexifier l’opposition traditionnelle entre holisme et individualisme (méthodologiques s’entend). De l’holisme, l’auteure retient la possibilité de décrire certains phénomènes sans recourir, ou peu, aux individus (notamment quand il s’agit d’expliquer le système d’échange Wurnan où la confrontation d’une mythologie qui définit la Loi et une pensée dualiste suffisent à légitimer une philosophie généralisée de l’échange) ; de l’individualisme, c’est au contraire l’importance accordée aux stratégies individuelles et aux libertés qui est relevée et fait l’objet de très belles « leçons » : « leçon d’éthique » (275-294), « leçon de survie » (227-240), etc. Cependant, l’insistance avec laquelle Glowczewski évoque l’émotion qui traverse les rites et les traditions aborigènes (347-348) n’appartient en rien à une lyrique de l’ethnologie : il s’agit bien d’une application rigoureuse de sa méthode “égocentrée”. Sur le plan formel, cette méthode transparaît clairement dans les nombreux dialogues qui irriguent l’ensemble de l’ouvrage. Entre l’ethnologue et les Aborigènes, entre Aborigènes également, le lecteur ne perd rien de ces paroles en actes dont même la gestuelle est livrée. Cette attention prêtée à l’écriture de la forme dialoguée déborde la simple convocation des sources orales. Il s’y engage un véritable rapport qu’a noué l’ethnologue avec ses enquêtés, fait de respect mutuel, de sentiments partagés et qui s’inscrit dans un réseau d’échanges plus général où des dettes doivent être honorées.
Ce sentiment de la dette parcourt le texte et dessine une éthique dont Barbara Glowczewski cherche à nous faire partager la responsabilité par son engagement : la « colère » des Aborigènes – envisagée comme un invariant des passions humaines et comme un mode singulier de narration – est également celle de l’auteure. La « distance subjective » dont elle se recommande est le reflet de l’investissement total annoncé dès le départ : l’ethnologue est impliquée dans son terrain au point qu’elle intègre le jeu des relations de parenté (47) et adopte cette pensée singulière que fonde la croyance en « l’esprit de la matière » (Bachelard 1953). Mais Glowczewski nous rappelle aussi que le métier d’ethnologue met parfois l’engagement aux côtés des Aborigènes à rude épreuve, comme lorsqu’il s’agit d’éditer des témoignages (125-129) ou de réaliser un CD-Rom (279-287).
L’actualité des Aborigènes rend leur écriture difficile et l’auteure s’applique à rendre cette difficulté dans les tergiversations de son texte, dans les analyses avortées qui témoignent moins de l’échec de son ethnographie que de la vitalité d’une culture. Les remarques faites à propos d’artistes aborigènes retouchant les peintures rupestres primitives pour rendre à leurs ancêtres fondateurs, les Wanjina, un peu de leur présence (153-154) constituent sur ce plan un passage essentiel qui nous convie à “éloigner” notre regard sur le patrimoine. Sans tomber dans un relativisme absolu, Barbara Glowczewski propose un décentrement total sur plusieurs points (la pensée dualiste, la pensée réticulaire, le passage à l’âge adulte), considérant les expressions occidentales de ces éléments à partir de leurs manifestations australiennes. Si ce type d’analyse convainc dans les cas du dualisme (206-207) et des franchissements de la jeunesse par le motif du labyrinthe (288-291), la volonté de rapprocher la pensée en réseau (propre au Rêve) et le développement contemporain en Occident d’une esthétique réticulaire (la toile de l’Internet, la double hélice de l’ADN, etc.) peut prêter à confusion et être interprétée comme une forme de sociobiologisme. Pour Glowczewski cependant, il ne s’agit pas d’une réduction naïve à la physiologie mais au contraire d’une évaluation de la pensée indigène “au niveau” des représentations occidentales des faits invisibles.
Le recours à la notion de réseau constitue l’apport théorique le plus important de Rêves en colère. Mis en rapport avec la notion d’empreinte de G. Didi-Huberman (155), l’idée de réseau exprime ce que recouvre l’idée centrale du Rêve dans la pensée des Aborigènes. A cet égard, les détours auxquels se livre l’auteure, la reconstitution non pas linéaire mais « connexionniste » de son vécu sur le terrain, résonnent avec l’objet et sous-tendent l’approche qui, finalement, l’éclaire au mieux. En fin de compte, le Rêve, c’est du temps, de l’espace, des relations sociales qui s’enchevêtrent et forment un ensemble discontinu d’itinéraires de nature différente (narratifs, géographiques, initiatiques). Le Rêve permet ainsi de réconcilier les notions proprement occidentales de transcendance et d’immanence, de « dehors » et de « dedans », en des points précis, des traces visibles dans l’espace australien qui constituent autant de portes d’entrée vers d’autres dimensions. Ainsi se constitue progressivement une géographie mentale du Rêve dont le savoir le plus complet appartient à quelques personnages, les chamanes, étudiés notamment sous l’angle du rapport voir/savoir dont l’auteure aurait pu montrer la portée plus universelle (193-194).
Ces personnages sont aussi les garants de la Loi, sorte de dégradation sociale du Rêve, qui règle l’ensemble des rapports organisateurs du monde aborigène : entre les hommes, entre les hommes et la nature, entre les hommes et les ancêtres. Comme le Rêve, la Loi ne se prête pas à un énoncé simple. Elle est tout à la fois objet, rituel, chant, règle ; elle concerne en même temps l’économie, la parenté, l’éducation, le sacré. Elle n’existe que dans des performances, c’est-à-dire dans les acteurs qui la respectent et la re-présentent. Il semble que toute la leçon de ce livre réside précisément dans cette opposition radicale à l’Occident qui a progressivement conduit à une institutionnalisation de la culture tandis que les Aborigènes australiens ont gardé et amplifié le souci de son incarnation avec ce que cela implique de transformation, de transmission, d’humain."
Nicolas Adell
Source : ethnographiques.org
Des femmes se réunissent dans un sauna à fumée. Dévêtues, enveloppées par les volutes, elles se confient les unes aux autres. Elles racontent leurs histoires d’amour et évoquent leurs désirs intimes. Elles décrivent aussi leurs souffrances et la violence des hommes. Matérialisant ces récits en un hors-champs sidérant, le premier long-métrage de Anna Hints est un hymne puissant à la sororité.
Au cœur des forêts estoniennes, au bord d’un lac, se trouve une petite cabane en bois. Elle est dotée d’un poêle recouvert de pierres, dont la fumée s’échappe à l’intérieur de la pièce. De temps à autre, de l’eau jetée sur la roche brûlante produit de l’air chaud chargé de vapeur et un fouet de branches de bouleau stimule les corps. C’est dans ce sauna à fumée traditionnel que se réunissent des femmes de tous âges. Dévêtues, enveloppées par les volutes, elles détendent leurs muscles comme leur esprit. Dialoguant sans tabou, dévoilant leurs secrets, elles parlent de sexualité, de maternité, d’amour, de deuil, de souffrance et de la violence des hommes. Mais dans le sauna, il n’existe aucun jugement, seulement de l’acceptation.
Récompensé du Prix de la mise en scène documentaire au Festival de Sundance, Smoke Sauna Sisterhood est le premier long-métrage de la cinéaste estonienne Anna Hints et le fruit de sept ans de travail. La réalisatrice a tourné les sublimes images de ce film dans l’intimité d’un sauna à fumée de la communauté võro du sud-est de l’Estonie, dont la tradition est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Montrant en clair-obscur les corps de celles qui écoutent plutôt que celles qui parlent, telles des toiles de peinture ténébreuses, la cinéaste fait exister leurs histoires bouleversantes en hors-champ et révèle les vertus thérapeutiques de la sororité. À la fois inspirante et révoltante, l’expérience cinématographique immersive qui en résulte constitue un hymne féministe et universel.
Aucune vie ne ressemble à une autre et la douleur n’est pas toujours visible, quantifiable, sauf quand elle est si collective qu’on ne peut plus l’ignorer. Aucune vie ne ressemble à une autre, certaines sont tellement pleines de ces épreuves qui jettent à terre, rouent de tant de coups que cela semble n’avoir plus aucun sens. Les épreuves cependant qui nous tordent, nous forgent de l’intérieur jusqu’à parfois toucher la grâce. Toujours au bord pourtant de basculer, grâce ou folie, la frontière est si fine. En ce début d’année où il est de coutume de souhaiter et s’entre souhaiter, mes pensées vont vers toutes celles et ceux qui souffrent dans leurs corps, dans leurs têtes, dans leur vies, dans le corps des êtres qui leur sont chers. Mes pensées se ruent vers celles et ceux qui vivent dans la peur, la terreur, l’horreur, celles et ceux qui sont accablé-e-s par les injustices, celles et ceux qui éprouvent une solitude inhumaine, celles et ceux qui ont le cœur en miettes, l’âme mutilée, celles et ceux qui sont oubli-é-e-s, piétiné-e-s, humili-é-e-s, écrasé-e-s, broyé-e-s, perdu-e-s, poussières… Et je me souhaite — car qui suis-je pour dire à d’autres ce qui leur est nécessaire ? — je me souhaite, donc, le courage de garder dignité quoiqu’il arrive et le sens du respect, la volonté d’être juste, d’accepter ce qui en moi est fragile et blessé, ce qui chemine dans les ténèbres et la force d’endurer ce qui me tord, me forge, me polit et qui, peut-être à la longue, finira par me sublimer. Aucune vie ne ressemble à une autre mais la vie est une seule et même énergie qui nous traverse, nous anime, qui que nous soyons, où que nous soyons : humains, animaux, végétaux et même, à leur façon, les pierres de cette Terre qui n’en peut plus de nous. C’est ce que je ressens au plus profond de moi. Tout est vibration, tout porte un message alors je voudrais veiller toujours mieux à celui que moi-même je porte et transmets à travers mes pensées, mes choix, mes actions, mes mots, mes cellules… Veiller sur les causes car il est toujours trop tard quand il s’agit de réparer de néfastes conséquences… J’essaie de ne pas me décourager trop vite ou trop longtemps. Aucune vie ne ressemble à une autre, que chacune soit belle et sereine comme un lever de soleil, un chant d’oiseau à la nuit tombée, un vin d’amour à partager.
CGC
Étant donné que nous avons des cellules qui sont les filles des premières cellules de la vie, nous avons en nous de façon singulière toute l'histoire de la vie... nous avons l'univers en nous.
Edgar Morin
Nouveaux Délits 77 - Janvier 2024 - ISSN : 1761-6530 - Dépôt légal : à parution - Imprimée sur papier recyclé et diffusée par l’Association Nouveaux Délits Coupable responsable : Cathy Garcia Canalès Illustrateur : Corinne Pluchart Correcteur : Élisée Bec