Georges Friedenkraft
Treize heures bourdonnent
Au clocher des mouches
La nuit secoue ses grands jupons
in Etreinte
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Treize heures bourdonnent
Au clocher des mouches
La nuit secoue ses grands jupons
in Etreinte
Difficultés sur la voie
Parce qu'il a entendu tenir certains propos,
parce qu'il a lu certaines choses,
le pratiquant, s'il ne reçoit pas les conseils d'un maître de dharma,
tend quelquefois à se conformer par force
à une notion erronée de la voie.
S'il a entendu dire que le moi est une illusion,
s'il lit que les désirs sont haïssables,
il s'efforce alors de nier ses désirs,
il s'efforce de se nier lui-même.
Il tombe alors dans l'ascétisme,
dans le refoulement et la morbidité,
et par sublimation négative,
dans la distillation du mal.
Refusant de s'écouter lui-même,
incapable de suivre le naturel,
il se conforme artificieusement
à la loi d'une autorité,
qu'infantile, il s'est choisie.
Par erreur, ce faisant,
il bafoue l'homme naturel,
l'homme spontané,
l'homme véritable.
Décider par avance,
décider par artifice,
de ce que l'on doit désirer,
de ce que l'on doit cesser de désirer,
de ce que l'on doit être,c'est là, par arrogance suprême du moi,
tomber dans les domaines de Mâra.
Abandonner tout, une fois pour toute,
réaliser l'impossible,
c'est connaître la grande acceptation.
L'éveil procède d'une disparition
et non d'une affirmation,
c'est une entité illusoire qui meurt,
qui n'a jamais existé.
Dès que le connu est vu comme vide,
aucun ego ne peut être remis en question,
plus besoin de parler d'illusion,
sur quoi pourrait-on trébucher ?
Sans doute, sans hésitation,
l'affaire est tranchée,
on peut enfin rentrer chez soi,
tranquille, regarder les montagnes bleues.
in Au sud des nuages
Le grain des rêves est humide. Sable et rêve génèrent la même eau, la même femme à la voix de ténèbres. Il faut sans fin lever sa peau entre les sables de la nuit, effacer cette trace de ciel dans nos poitrines.
Depuis toujours, je polis l’airain noir de ton corps
De tous mes mots, je pèse sur le fléau des villes
Tout ce qu’on peut tirer d’un arbre au crépuscule
traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu
Belfond, mars 2015
170 pages, 17,50 €.
Difficile d’être un saint au Mexique, même si cette étrange vocation nous taraude comme elle taraude Empédocle, fils secret d’un curé licencieux qu’il appelait oncle, de même que son frère cadet, qui lui par contre ne vise pas la sainteté, mais le pouvoir et l’argent comme bien d’autres énergumènes qui garnissent ce roman. Un roman qui trace le portrait sans concession d’une société où la corruption est sans limite et les scrupules aussi volatiles que la vertu et la morale. Ainsi Empédocle, qui dans la vie ne s’est fixé d’autre but que d’aider ses semblables à s’améliorer, usant aussi bien d’inspiration jungienne, que de tarots et tout un méli-mélo new-ageux, aura bien du mal à se tenir à la sienne. Promenant sa sainteté autoproclamée qu’il s’offre de partager avec qui voudra, entre le marché et le bordel local, sa vocation est cependant réelle et affirmée, renforcée par les quolibets, les insultes et les volées de denrées plus ou moins avariées qu’il ne manque pas de recevoir sur son passage. Vêtu de ses sandales et d’une longue tunique blanche, sorte de christ bouffon et improbable au XXIe siècle, il est la risée de la plupart et révéré cependant par quelques bonnes femmes du cru. Tout aurait pu continuer longtemps comme ça, si seulement il n’était pas si difficile de suivre un chemin droit et immaculé au Mexique, surtout donc avec un frère qui suit un chemin totalement inverse, qui tendrait à devenir de plus en plus sulfureux, car rien n’est assez mauvais si ça permet de gravir l’échelle du pouvoir. C’est ainsi que notre ascète accroché à sa vocation coûte que coûte, bien décidé à ne pas se laisser déstabiliser par la peur ou la colère, se retrouve peu à peu au cœur de toutes sortes de trafics, sa cuisine transformée en magasin d’organes, sa maison en bordel clandestin, puis carrément associé, et toujours malgré lui, à la maffia russe et à des magouilles de plus en plus écœurantes, jusqu’à ne plus savoir qui il est et ce qu’il en est de sa sainteté, qui est devenue en fait un instrument de malfaisance entre les mains de son frère et ses comparses.
Un roman aussi loufoque que cruel sur l’absurdité de la société, ici mexicaine, une parmi d’autres, gangrénée jusqu’à la moelle, la face puante du pouvoir, l’exploitation sans vergogne de toute misère et où tout est bon pour faire de l’argent, où en un clin de bistouri, chacun peut finir en fournisseur de pièces détachées. C’est un roman où l’humanité se résume à son avidité, c’est lamentable mais c’est drôle et en cela Restos humanos trouve sa place dans toute une littérature typiquement latino-américaine.
Cathy Garcia
Jordi Soler est né en 1963 près de Veracruz, au Mexique, dans une communauté d’exilés catalans fondée par son grand-père à l’issue de la guerre civile espagnole. Il a vécu à Mexico puis en Irlande avant de s’installer à Barcelone en 2005 avec sa femme, Franco-Mexicaine, et leurs deux enfants. Il est reconnu par la critique espagnole comme l’une des figures littéraires les plus importantes de sa génération. Cinq de ses livres ont été traduits en français : Les Exilés de la mémoire (Belfond, 2007), La Dernière Heure du dernier jour (Belfond, 2008), La Fête de l'ours (Belfond, 2011), Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres (Belfond, 2013) et Restos Humanos (Belfond, 2015). Tous sont repris chez 10/18.
Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire http://www.lacauselitteraire.fr/