Jolène Casko
Sentir. Aimer. Être, oser être pour ceux qui ne le peuvent plus. Authenticité, courage, humilité.
Pinson, lézard, coucou. Douleur et joie s’unissent dans le cœur, qu’il faut solide et battant.
cg in Le livre des sensations
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Sentir. Aimer. Être, oser être pour ceux qui ne le peuvent plus. Authenticité, courage, humilité.
Pinson, lézard, coucou. Douleur et joie s’unissent dans le cœur, qu’il faut solide et battant.
cg in Le livre des sensations
Ce qui advient à une personne la caractérise. Elle représente un schème et toutes les pièces s'ajustent. Au fil du temps, une à une, elles trouvent leur place en fonction d'un plan prédestiné.
Failles. Pulsations, flèches transfusées.
Je panthère avec la mort sur les hanches.
La rouille de l’aube achèvera la crue des nostalgies.
cg in Fugitive (Cardère éd. 2014)
(...)
« Le gilet pare-balles est nécessaire »
m'a dit un journaliste
Et je ne l'ai pas cru
San Pedro Sula
ville de défaites et d'os accumulés
ville d'ambulances
de cadavres comme des fruits sur le trottoir
ville aux nuits se voulant serpents
ville au bruit recraché par la phtisie
« Ici, m'a dit le journaliste,
on te fait cadeau d'un cercueil
pendant la campagne électorale »
« Quelles tempêtes de pus dissimules-tu dans ton ventre enflammé par tant de cocaïne ? »
ville braise
ville charbon
ville carburant
ville tonnerre
ville glaire
ville cafard
ville massacreuse d'espoir
ville chœur de mutilés
ville plaie
ville poussière
ville urine
ville grouillement de clous
ville chienne enragée
ville millions de joies décapitées
ville fourneau
ville balle tirée par la colère
ville suie
ville avec du calcaire dans les artères
ville boucherie de biches
ville gangrène
orpheline de lune et de miel
orpheline des mélodies et de la douceur de la pêche
orpheline de la brise
qu'est-ce qui pourrait te soulever ?
quels rêves de cloches conserves-tu encore dans tes labyrinthes tatoués ?
quelle main saura trouver la caresse d'un talisman à la place d'un scorpion ?
quels après-midis te couvriront avec la splendeur d'un oiseau multicolore ?
« C'est une ville morte »
m'a dit le journaliste
en éteignant sa cigarette
C'est un cratère duquel on voudrait s'extirper
avec le moins de blessures possibles
« Ça, c'est une énorme fosse commune
qui ne se referme jamais »
m'a dit le journaliste
en continuant à prendre des notes devant les cadavres
traduction : Laurent Bouisset
http://fuegodelfuego.blogspot.fr/2016/10/cinq-poemes-de-miroslava-rosales.html)
traduit de l’Espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet
Éditions du sous-sol, en librairie en à partir du 21 février 2017
240 pages, 18 €.
Étranges, effrayantes, macabres ou le plus souvent même sordides, ces nouvelles de Mariana Enriquez ne peuvent laisser indifférent. Narrées pour une majeure partie d’entre elles à la première personne, elles nous enfoncent dans les côtés les plus obscurs de l’Argentine, à Buenos Aires le plus souvent, dans un contexte urbain et déshumanisé, où la pauvreté avance comme une gangrène. On peut penser effectivement à l’Uruguayen Quiroga ou même au Bolivien Oscar Cerruto, mais Mariana Enriquez possède une griffe très personnelle et très contemporaine. Ici le glissement vers le fantastique ou plutôt vers l’horreur surnaturelle, ce qu’on appelle le réalisme magique dans la littérature sud-américaine, est clairement un prétexte pour évoquer ou rappeler des faits qui n’ont rien de surnaturel, si ce n’est que leur cruauté semble absolument inhumaine. Que ce soit des cauchemars et des spectres d’une dictature et ses disparus qu’on ne peut faire que semblant d’oublier ou la violence effroyable d’une société où tous les pouvoirs qui se suivent sont corrompus, la misère, les bidonvilles, les ravages de la drogue, la sexualité prédatrice, le trafic d’enfants, la torture, les humiliations, l’exploitation, la pollution, les maladies, les difformités, la folie et la noirceur de l’âme, parfois érigées en culte. C’est de souffrance dont il est question, non pas seulement de la souffrance humaine, mais de la souffrance de tout le vivant.
La plupart de ces nouvelles sont terrifiantes, on y approche au plus près de la violence pure. Et de notre propre Ombre, car ce n’est pas seulement une férocité extérieure qui menace ou agresse les personnages ou la narratrice de ces fictions. Mariana Enriquez nous interroge de façon indirecte, sur nos propres sentiments et motivations les plus dissimulés, sur notre capacité réelle à aimer ou haïr, sur notre indifférence, notre désir de sauver ou d’être sauvé. Sadisme, masochisme, bourreau, victime, parfois la frontière est poreuse et les enfants peuvent être des tueurs. Mariana Enriquez nous tend un miroir magique dans lequel viennent se refléter nos propres difformités, nos attirances malsaines, notre violence intérieure, instinctive, celle que nous croyons si bien contrôler ou que nous ignorons complètement. C’est comme si elle nous mettait devant un abime, et cet abime c’est nous-mêmes, mais en aurons-nous conscience ?
Et l’auteur a du talent, elle nous happe instantanément dans chacune de ses histoires, fait monter la tension, provoque dégoût et fascination dans un même élan, et c’est sans doute là que tout se joue, dans cette ambivalence. C’est aussi un recueil éminemment politique qui pointe le délabrement et les inégalités de la société argentine, questionnement qui est valable pour l’ensemble du monde.
Foncer droit dans le mur c’est un peu comme ouvrir les portes de l’Enfer, n’est-ce pas ?
Cathy Garcia
Mariana Enriquez (Buenos Aires, 1973) a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12. Elle a publié trois romans – dont le premier à 22 ans – et un recueil de nouvelles avant Ce que nous avons perdu dans le feu, actuellement en cours de traduction dans dix-huit pays. Certaines de ses nouvelles ont été publiées dans les revues Granta et McSweeney’s.
Les mains de Slavoj Hermann, Harvey et Ce soir, trois poèmes parmi ceux de Samaël Steiner publiés dans le numéro de janvier 2017. Lus par moi-même.