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MES NOTES DE LECTURE : LITTÉRATURE, POÉSIE & AUTRE

  • Isaure Gratacos - Fées et gestes. Femmes pyrénéennes : un statut social exceptionnel en Europe

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    Toulouse, Privat, collection « Le Midi et son Histoire », 1987

     réédité chez Privat en 2003 dans la collection Mémoire et Trad.

     

    Présentation de l'édition de 2003 (moi j'ai celle de 1987) : "Qui prétendait l’homme pyrénéen macho et dominateur ? Qui prétend encore que l’homme dominait les structures sociales et culturelles de ces villages ? Car dans les Pyrénées, les femmes ont eu, et ont encore, un rôle qu’il est rare de rencontrer ailleurs en Europe. Dans ces vallées des Pyrénées centrales se sont conservées des caractéristiques anthropologiques tout à fait spécifiques, que l’on retrouve uniquement au Pays basque, dans le nord de l’Europe et dans le Caucase. Appuyée sur une mythologie vivace et savoureuse, la vie sociale, culturelle et sexuelle des femmes pyrénéennes est marquée par des coutumes originales qui ont gardé de nos jours une grande part de leur actualité et de leurs fonctions."

     

    J'ai vu après lecture que cette originalité pyrénéenne avait été contestée par un certain Thomas Jack, maître de conférence d'Histoire moderne à l'Université du Mirail à Toulouse, dans un article paru dans les Annales du Midi, l'année qui suivit la première édition de ce livre ce qui n'a pas empêché une réédition donc en 2003 et plusieurs encore depuis.

    Ainsi donc Isaure Gratacos affirme, à travers de très nombreux témoignages recueillis pendant plus de vingt ans sur le terrain (noms, âges et dates sont cités en fin d'ouvrage, du moins dans la première édition) une "ethnologie du dedans" comme elle l'appelle que les femmes ont eu dans les Pyrénées centrales et occidentales un statut peu fréquent dans l'histoire : égalité avec les hommes, vie sociale, culturelle et sexuelle marquée par des coutumes originales dont une part puiserait au plus lointain des origines, dans les grottes habitées de la préhistoire qu'occuperont plus tard de mystérieuses hadas

    Un livre riche et dense qui a le mérite d'exister et que j'ai trouvé très intéressant. Il s'agit d'une vision personnelle et originale, une sorte d'intuition on va dire que l'auteur a poussé jusqu'au bout, certaines affirmations sont peut être contestables et ça je ne saurais le dire et je ne pense pas que quiconque puisse le faire car il y a l'Histoire "officielle" mais aussi et surtout ce qui lui échappe, qui demeure secret, le particulier qui se préserve du général. Isaure Gratacos a peut-être eu cet art de faire langues délier ce qui ne peut arriver sans une confiance et une reconnaissance mutuelle entre celui qui questionne et celui qui raconte. Raconter ou conter, les deux sont proches. Les témoignages évoquent un vécu et tissent une trame où mythe et réalité s'entrecroisent sans cesse, relient des époques, des traditions orales, des croyances, dessinent et donnent matière à dessiner cette possible identité commune à toute une partie de la chaîne pyrénéenne (Comminges, Couserans et Pays Basque) qui aurait préservé une certaine continuité par le fait de sa topographie entre autre. Les coins reculés des montagnes gardent plus facilement leurs façons, leur us et coutumes, cela semble assez évident et moi qui aime tant ces montagnes, me suis régalée de ce voyage dans le temps, la langue, l'espace, la vie paysanne, pastorale et le mystère des sources, grottes et mégalithes qui persistent à marquer la mémoire collective. De nombreuses cartes, croquis et photos alimentent aussi ce livre. Et puis, ça me parle...

     

    Isaure Gratacos est professeur d'histoire et docteur ès lettres (études occitanes). Elle anime régulièrement des conférences dans les Pyrénées et en Occitanie et est l’auteur aussi du Calendrier pyrénéen (Privat, 1995).

     

     

     

  • Daniel Birnbaum - L'instant malgache

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    Un magnifique livre de Daniel Birnbaum, autant ses texte que ses photos, paru aux éd. Jacques Flament en novembre 2020. Tous deux nous ont quitté depuis et ce n'est pas sans émotion que j'ai plongé avec beaucoup de retard dans ce très émouvant témoignage d'un homme, Humain avec un très grand H, dont la vocation était de guérir les autres avec une humilité rare. Je connaissais déjà une partie des poèmes pour en avoir publié dans ma revue en 2018 (numéro 60), celui-ci par exemple :

     

    Les ongles  

    La petite 
    toute belle toute fine
    elle a des ongles peints
    au feutre noir
    il n’y a pas de vernis dans ce pays 
    il a été gratté depuis bien longtemps
    elle a les pieds infectés 
    suintants
    sanguinolents
    il faudrait les mettre à l’abri de la poussière 
    de la boue des ordures des mouches
    mais il fait trop chaud dans ce pays
    elle marche pieds nus
    elle a les ongles peints
    et le feutre s’usera 
    lui aussi très vite. 

     

    Un des poèmes que j'avais publié ne figure pas dans le livre et la fin d'un autre a été modifiée, cette modification me touche car à elle seule, elle dit tout :

    "l’heure viendra-t-elle un jour
    une heure dans ce pays 
    où l’on pourra dire enfin au lieu de faim ?"

    qui est devenu dans le livre "où l'on pourra dire enfin au lieu de fin".

     

    En ce moment, la jeunesse de Madagascar, île tellement sacrifiée, se soulève comme une marée montante contre les inégalités, injustices, corruptions, coupures d'eau et de courant et, fait peu commun, les militaires envoyés contre eux, ont lâché leurs armes, Daniel aurait apprécié ce geste sans aucun doute. Aussi ce livre prend une dimension intemporelle, l'instant malgache est de tous les instants.

     

    Daniel a présenté son livre ainsi :

    Pourquoi L’instant malgache ?
    Malgache parce qu’il s’agit de Madagascar, une petite partie seulement, de Tananarive, la capitale, à Majunga, sur la côte Nord-Ouest.
    L’instant, parce que sur la Grande Île la plupart des gens vivent au jour le jour.
    Et accessoirement parce que les photos, prises sans grande technique et livrées ici sans grandes retouches, sont des instantanés. On pourrait dire que les poèmes, comme les photos, sont également bruts. 

     

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    Daniel Birnbaum, né en 1953, était médecin-chercheur à Marseille, biologiste moléculaire, directeur de recherche à l'Inserm et vivait près d'Aix-en-Provence. Il a aussi vécu en Creuse et en gardait des souvenirs très forts. Il a beaucoup écrit les quinze dernières années de sa vie, publié une vingtaine de recueils de poésies, essai, nouvelles, romans chez plusieurs éditeurs (Jacques Flament, P.i.sage intérieur, Voix tissées, Unicité...). Il m'avait demandé d'écrire la présentation de son polder chez Décharge/Gros Textes, "Monde, j'aime ce monde" (2015). Il a aussi publié chez L'Harmattan dans la collection éthique et pratique médicale, un livre qui relate la vie d'un laboratoire, l'avènement de l'oncologie moléculaire à l'hôpital et le développement de la médecine personnalisée. Il y évoque les difficultés, les problèmes, les choix, les défis, mais aussi les accomplissements de cette discipline. On peut lire l'hommage de l'INSERM ici et mesurer l'humilité vraiment exceptionnelle de cet homme qui jamais ne mettait en avant quoi que ce soit de lui-même : https://pro.inserm.fr/daniel-birnbaum-une-vie-de-passion-et-dengagement-au-service-de-la-recherche-contre-le-cancer

     

    Daniel nous a quitté en août 2024, ce fut un grand choc de l'apprendre. Laurent Bouisset m'a proposé de lui dédier (à lui et à un photographe mexicain) le dernier numéro de la revue Nouveaux Délits, le 82 paru ce mois-ci, un spécial Mexique et Guatemala que nous avons réalisé ensemble. Daniel, avec sa grande ouverture aux autres, appréciait énormément l'intense travail de traduction des poètes contemporains latino-américains auquel s'adonne inlassablement Laurent. 

     

     

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    Qui va s'élever un jour

    qui va gronder

    bousculer

    taper du poing

    sur cette putain de face du destin

    mille fois vendue

     

    qui sera un jour peut-être

    comme les vagues

    qui obéissent au rythmes

    mais ignore le destin

     

    qui sera un jour...

     

     

    in L'instant malgache, Jacques Flament éd., 2020

     

     

     

     

  • Filles de la terre - Vies et légendes des femmes indiennes par Carolyn Niethammer

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     (Usa, 1977) Albin Michel 1997

     

    Mes impressions sont mitigées sur ce livre, comme si d'un côté il y avait ce grand travail, trop grand peut-être, de tenter de condenser tous les âges et aspects de la vie des femmes chez des populations très différentes les unes des autres allant de l'extrême sud à l'extrême-nord (ou le terme "esquimau" est employé, signe que le livre date) des États-Unis, surtout avant l'arrivée des "blancs"un sujet peu abordé donc c'est là tout le mérite du travail mais il me semble qu'il appuie trop et de façon dénué de sensibilité sur des faits (?) choquants d'une façon qui m'a dérangée, faits dont on peu parfois douter ou peut-être déformés par manque de contexte, après tout les témoignages viennent souvent justement de ces blancs à qui il manquait bien des clés de compréhension et qui pouvaient aussi forcer le trait pour faire sensation. C'est pour moi un livre qui mériterait de servir de base à un nouveau plus fouillé, plus sensible, il y a des passages qui vraiment sont atroces et livrés tels quel, ils ne peuvent que renforcer l'idée toujours bien ancré que ce n'était "que des sauvages" et cela dessert totalement le propos, sans vouloir édulcorer non plus des traditions qui comme partout avaient leur qualités et leurs catalogue d'horreur, c'est un livre qui date trop pour moi bien que fort intéressant dans ses qualités et il en a.

     

    Présentation de l'éditeur :

    "De la femme indienne, nous connaissons, à travers la littérature et le cinéma, l'image couramment admise de la squaw soumise et opprimée. Mais quels étaient sa véritable condition, son mode de vie et son rôle dans les diverses cultures d'Amérique du Nord ?
    A travers ce formidable ouvrage de référence, résultat d'un long travail de recherche et de synthèse, Carolyn Niethammer dresse le portrait de ces "Filles de la terre" dignes, fières et déterminées. Si elles participaient à l'économie domestique, bâtissant les maisons, tissant des couvertures, peignant des poteries ou moulant le maïs, elles pouvaient également prendre part aux courses de chevaux, pratiquer des sports violents et, occasionnellement, souveraines ou guerrières, mener les hommes au combat et présider aux destinées de leur peuple.
    Des rites de naissance aux cérémonies de puberté, des coutumes de fiançailles aux modes d'éducation, de leur sexualité à leurs fonctions religieuses, politiques, militaires ou économiques, tous les moments de la vie des femmes indiennes sont ici exposés. Enrichi de contes traditionnels, de récits et de témoignages contemporains, ce document érudit dévoile une condition féminine beaucoup plus évoluée que le laissent croire les idées reçues."

     

    Donc, il s'agit bien d'un ouvrage important pour son époque où les idées reçues étaient vraiment très négatives, concernant ces peuples dont le génocide (qui n'a jamais été nommé) est toujours d'actualité aujourd'hui, ce qui m'incite à penser qu'il a pu cependant rater son but justement alors qu'il se voulait sans doute, entre autre, féministe. L'auteur, Carolyn Niethammer, originaire d'Arizona, n'est pas elle-même une amérindienne, même si son intérêt pour les populations autochtones était sans aucun doute sincère comme pas mal de personnes dans les années 60/70 qui vivaient en communautés artistiques ou autre comme ce fut son cas, elle a d'ailleurs écrit un livre sur cette expérience, mais donc son approche reste celle d'une journaliste non conformiste qui compile les informations recueillies, un long travail sans aucune doute fait avec rigueur et passion, son premier livre était une compilation de recettes de cuisine autochtone.

     

     

     

  • Gabrielle Filteau-Chiba - Encabanée

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    XYZ éd., Québec, 2018 

    Le Mot et le reste éd., 2021

     

     

    Autant la première partie se déguste très bien autant la deuxième n'est plus à la hauteur, à mon goût, du propos, peut-être aussi parce que le propos m'est bien trop précieux pour ne pas être critique si l'écriture ne le sert pas autant qu'il le faudrait. C'est ceci dit le premier roman de l'auteur, un roman d'apprentissage, les suivants auront sans doute pris de la maturité et je suis curieuse de les lire. Le sujet en tout cas me parle infiniment, l'autodérision aussi et puis j'aime tant la savoureuse langue québécoise. J'en pique un peu pour dire que prendre son trou dans un coin qu'est creux en maudit, se sentir seul en chien, manger ses bas et attendre la clarté mais ne pas cogner des clous, ni dormir au gaz pour autant, ça me parle aussi !

     

    De plus, c'est une lecture idéale pendant une canicule.

     

    "(…) et le train noir du progrès ternit mes songes à l’abri de la civilisation, ponctue ma réclusion forestière de bruits laids qui m’écorchent les oreilles à chaque fois.

     

    (…)

     

    Jusqu’à ce jour, je n’ai pas trouvé ma place dans ce monde sans queue ni tête. Je rêve d’un retour aux soupes de courges d’automne et aux recettes de grand-mères. Bonjour les casseroles en fonte, les semis, les cercles de femmes fières de leurs récoltes et débordantes de vitalité, les enfants nés dans les draps où ils ont été conçus et rêvés, les conserves multicolores sur les tablettes en bois de grange, les soirées de mimes arrosées de cidre de pomme, les longues marches en forêt pour cueillir les remèdes. Mais surtout, j’aimerais éprouver ce sentiment d’enracinement quand on travaille le sol d’un jardin et le vivre comme un effort de guerre pour protéger la Terre.

     

    (…)

     

    Je fais l’ange dans une couette de neige si douillette que je pourrais m’y endormir. Une belle mort dans la grande noirceur.

     

    (…)

     

    Me confronter à moi-même en toute nudité. Sans les mirages d’une vie axée sur la productivité et l’apparence."

     

     

    1514438-premier-livre-gabrielle-filteau-chiba-626343785.jpgGabrielle Filteau-Chiba écrit, traduit, illustre et défend la beauté des régions sauvages du Québec. Encabanée, premier volet d'une trilogie, paru au Québec en 2018,  est inspiré par sa vie dans les bois du Kamouraska, il a été traduit dans plusieurs langues. Ont suivi Sauvagines en 2019, Bivouac en 2021. Un recueil de poésie La forêt barbelée en 2022, repris par Le Castor astral et Hexa en 2023, un roman dystopique toujours chez XYZ, éd. puis publié par Stock début 2025.  Et La robe en feu, poésie encore, paru en 2025 au Québec et en France.

     

     

     

  • Witi Ihimaera - Le Pacte des Baleines

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    Traduit par Mireille Vignol

    Parution le 22 août 2025

    Avec mes remerciements Aux Vent des Îles éd.

     


    «  Il faut le talent, l’humour et la respectabilité irrévérencieuse du grand écrivain māori Witi Ihimaera pour savamment mêler les mythes créateurs polynésiens à un grand voyage de pirogues traditionnelles et à un défilé de mammifères truculents, humains et marins. Nous retrouvons la baleine tatouée désormais sénile que seul le descendant du chevaucheur mythique peut extraire d’Antarctique… De cette quête résulte un roman d’aventures, un conte écologique, un récit édifiant, une navigation aux étoiles qui oscille entre le réel et l’irréel.  Witi Ihimaera s’amuse – et nous amuse –, car il a l’art d’aborder les grands sujets écologiques et métaphysiques avec humour et, comme il l’avoue, un coup de pouce de l’IA (Intelligence Ancestrale).  Suite haletante à La Baleine Tatouée, près de quarante ans après la sortie du grand classique néo-zélandais en anglais, le roman est aussi un puissant message d’espoir. »


      
    Je viens de terminer ce roman à la fois léger et que je verrais plutôt en littérature jeunesse car j’avoue être restée sur ma faim au niveau de la densité, entre autres, des personnages mais qui reste profond et émouvant par son sujet, sa dimension écologique. Un conte moderne qui mêle cirque contemporain et mythes océaniens, quête d'identité et surpassement de soi. L'auteur néo-zélandais d'origine māori nous présente un descendant de l'ancêtre chevaucheur de baleine. Et ce descendant qui ignore tout au sujet de ses origines et des cétacés, c'est Teva, un jeune garçon mal dans la peau de son corps bizarre qui vit à Marseille avec une mère française et un père qui a coupé les ponts avec son propre père et donc aussi avec sa terre de naissance : l'île australe de Rurutu, le paradis des baleines de la Polynésie française.


    Le pacte des baleines comme dans La baleine tatouée puise abondamment dans le Temps d'Avant des cosmogonies polynésiennes cette fois et pas seulement māori, le temps où les humains et les cétacés avaient fait ce pacte. Beaucoup de passages sont en langues originelles et on en saisit la musique et, c’est tout l’intérêt du livre, on découvre la beauté et la magie de ces cultures, la force de leurs liens avec le monde marin comme on apprend aussi sur la navigation traditionnelle aux étoiles sur des pirogues qui sont l'ancêtre du catamaran et qui nous embarquent avec Teva, dans un périlleux voyage jusqu'en Antarctique pour en ramener le plusieurs fois centenaire mysticète tatoué devenu sénile et toute sa cour. Ceci avec l'aide de compagnes et compagnons humains et d'un jeune guerrier mysticète et sa puissante grand-mère, compagne du vieux tatoué, dont le caractère n’est pas sans évoquer celui de Tupai, le grand-père de Teva par qui toute l'aventure a commencé. 


    Le pacte des baleines, c’est un pacte d'amour : des baleines avec l’océan, des baleines entre elles et puis avec les humains du temps d’avant. Pacte mis à mal par les chasseurs modernes et tout leur arsenal de mort et par les dérèglements et destructions que nous infligeons à la Terre et à ses océans.

     

    CGC

     

     

     

    330px-Witi_Ihimaera_(cropped)-1799177617.jpgWiti Ihimaera, dont le nom véritable est Smiler, est né en 1944 à Gisborne, non loin de Whangara en Nouvelle-Zélande. Appartenant au clan Te Whanau A kai, il a passé son enfance à se nourrir des histoires liés à ses origines et ses ancêtres. D’abord journaliste, puis diplomate, il s’est mis, en parallèle, à imaginer des histoires liées à sa culture, pour le théâtre et pour le cinéma. Considéré comme un auteur majeur de la littérature post coloniale, il accorde une importance très forte à la préservation de la langue et de la tradition. Ihimaera n’est pas purement māori et a dû apprendre la langue de ses ancêtres à l’université, car il a souffert d’avoir été totalement coupé de son patrimoine culturel d’origine lorsqu’il faisait ses études secondaires dans une école, pourtant essentiellement fréquentée par des Māori. Il écrit pour différentes raisons : pour que la langue de ses ancêtres soit enfin portée au présent, enseignée, pour transmettre les traditions qui l’ont nourri, lui et pour son plaisir d’écrivain, aussi, et pour célébrer la culture maorie dans ce qu’elle a de plus majestueux porter sous nos yeux ravis la lecture de cette culture lointaine mais tellement palpable, intelligente, charnelle et lumineuse.

     

     

     

     

  • Louis Owens - Même la vue la plus perçante

     

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    sorti aux usa en 1992

    10/18, 1997

     

    Après "Le chant du loup" (son premier roman inspiré de ses origines), mon prochain sur la liste est la suite de celui ci-dessus, "Le joueur de ténèbres". J'aime l'ambiance de ces livres, un peu âpre, le mystère et l'étrangeté qui se mêlent à une intrigue, l'esprit des origines, ici Choctaw, étouffé par la colonisation mais que certains personnages cultivent précieusement à l'abri des regards, cette essentielle question de l'identité perdue, la beauté et la puissance de la nature versus la noirceur de l'âme humaine. La mort et les ombres qui cherchent leurs os et toujours le poids de la guerre du Vietnam qui a rendu fous tant de vétérans, et particulièrement les autochtones amérindiens qu'on envoyait devant....

     

    owensphoto-courtesy-uc-davis-shields-library-web[1]-156577746.jpgLouis Owens, né le 18 juillet 1948 à Lompoc, en Californie, aux États-Unis, et mort le 25 juillet 2002 à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, est un écrivain américain. Il est d’ascendance Chactas par son père et Cherokee, irlandaise et Cajun par sa mère. Après avoir travaillé comme garde forestier et pompier pour le service forestier américain, il fait des études à l'université de Californie à Santa Barbara, puis enseigne la littérature américaine à l'université de Californie à Santa Cruz, à l'Université d'État de Californie à Northridge et à l'université du Nouveau-Mexique.

    (Wikipédia)

     

     

     

  • Louis Owens - Le chant du loup

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    Albin Michel, coll. 10/18, 1998

    Publication originale en 1991.

     

     

    Les yeux de l’homme étaient des lacs de lumière sans pupille

    et ils regardaient au-delà de toute chose.

     

    Une très belle écriture enracinée dans le paysage, quelques fulgurances de beauté, de dignité persistent dans un monde où la cupidité accélère la chute, des arbres et des hommes et nous sommes au dernier acte d'une longue entreprise de destruction déjà. L'ancien monde pas tout à fait encore disparu, souffle à travers les craquelures du réel désenchanté, la lutte est vaine mais finit par être l'ultime recours contre l'ensevelissement. Contre la disparition. L'homme est un homme pour l'homme. Un tueur.

     

    Quand nous, les Indiens, on vivait ici il y a longtemps, avant l’arrivée des Blancs, y avait pas de réserve naturelle et pas d’animaux sauvages. Y avait que des montagnes, la rivières, les deux-pattes, les quatre-pattes, le peuple de sous la surface de l’eau et tout le reste. Il a fallu l’arrivée des Blancs pour rendre ce pays naturel et ces animaux sauvages. Et maintenant, il faut qu’ils votent une loi pour proclamer que la région est naturelle et la protéger contre eux-mêmes.

     

     

     

  • Mary Brave Bird-Crow Dog - Femme sioux envers et contre tout

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     (co-auteur Richard Erdoes, 1995), Livre de Poche, 1997

     

     

    C'est la suite de "Lakota Woman", Marie Brave Bird-Crow Dog se livre, ombres et lumière, dans un témoignage souvent douloureux de femme sioux envers et contre tout. Violences, injustices, désespoir, résistance, force de la spiritualité et du partage, difficultés à être Sioux dans un monde volé et contrôlé par les blancs mais plus difficile encore d'être une femme sioux dans un monde d'hommes, les uns violents et racistes, les autres désespérés, noyés dans l'alcool et donc violents. Comme dans le premier de ses livres, je suis stupéfaite de tout ce qui me relie à cette femme, des similitudes de certains de nos vécus qui n'ont pourtant rien à voir au premier abord et cela me questionne en profondeur et surtout met en relief l'universalité de la souffrance des femmes qui veulent être libres et des ruades pour s'en arracher, où que l'on soit. Après, il y a toute l'histoire tragique des peuples autochtones amérindiens qui me touche et me bouleverse depuis l'enfance sans que je puisse expliquer pourquoi si ce n'est l'évidente empathie qu'elle devrait déclencher chez tout le monde. Je suis née wasishu et respecte trop la douleur de ces peuples pour jouer les wanabee, j'ai juste très conscience que la lutte de ces peuples pour leur droit à exister dans la dignité et la sécurité, est toujours malheureusement encore et toujours en cours et dans un silence assourdissant. Les injustices auxquelles ils continuent à être confrontés, un génocide qui n'a jamais dit son nom, sont innombrables, je dirais même qu'elles sont l'ADN de l'Amérique...

     

    "Résistance spirituelle, mais aussi résistance active d'une Indienne et de son peuple face aux dangers qui menacent les réserves dans l'Amérique d'aujourd'hui. Reprenant le récit de sa vie au moment des événements de Wounded Knee, Mary Brave Bird-Crow Dog raconte son militantisme au sein de l'American Indian Movement, son action en faveur de la tradition et son combat en tant que femme, mère et indienne. Elle retrace également la période de sa vie partagée avec Leonard Crow Dog, homme-médecine et traditionaliste lakota. Avec franchise, elle conte les jours heureux et les périodes difficiles d'une existence mouvementée. Mais avant tout, c'est le destin d'un peuple à la conquête de ses droits qu'elle nous dépeint ---- et plus encore, les constantes difficultés des femmes indiennes à se faire reconnaître. Par l'hommage qu'elle rend au courage et à la volonté de celles-ci, par sa dignité et sa force de conviction inébranlable, Mary Brave Bird-Crow Dog confirme qu'elle est porteuse d'une voix unique et majeure dans la littérature indienne."

     

     

  • La fin des monstres de Tal Madesta

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    La Déferlante éd., 2025

    Cité aussi dans le dernier n° de ma revue : Tal Madesta nous fait vivre et comprendre la violence de sa disparition et la puissance de sa renaissance et toute la difficulté de ce parcours qui pourrait être évité si nous n'étions pas enlisé-e-s dans les ornières d'un système autoritairement binaire, cishétéro, patriarcal etc. qui s'est imposé comme une norme alors que c'est une construction avec une histoire et des buts avérés. Tal Madesta témoigne pour toute la communauté des personnes trans et il est essentiel que cette parole soit entendue, essentiel de tisser des ponts et d'arrêter surtout de parler à leur place. 

     

     

     

    Tal Madesta est journaliste indépendant spécialisé dans les luttes LGBT+. Il est l’auteur de Désirer à tout prix (Binge Audio Éditions, 2022). La Fin des monstres est son deuxième livre.

     

     

     

  • Jean-Claude Carrière - Le vin bourru

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    Plon, 2000

     

    "Le Vin bourru était le premier vin que l'on goûtait, au début du mois de novembre. Il était différent d'une cave à l'autre. Il conservait un duvet, une bourre, quelque chose d'inachevé, de provisoire, comme si le vin nouveau-né se protégeait encore contre les agressions du monde."

     

    Un récit sur le monde rural du côté du Mont Caroux, pour celles et ceux qui connaissent, un autrefois pas si lointain mais dont on a quasi tout perdu, l'auteur le premier, qui né dans une culture a vécu dans une autre avec un savoir inutile et pourtant tellement précieux. Et il lui a fallut une visite dans un écomusée alsacien pour le réaliser, visite qui est à l'origine de l'écriture de ce livre.

    Pour moi, cela fait écho à ma propre enfance, où j'ai pu encore entrevoir les derniers vestiges de ces savoirs, de ce mode de vie, chez d'autres issus de familles de paysans ou encore en activité et j'ai pu mesurer le grand écart et le gouffre qui s'est formé entre les générations, entre les milieux ruraux et urbains, tout un mode de vie ingénieux, autonome, sans gaspillage, englouti dedans. Mode de vie lentement élaboré au cours des siècles, à la dure souvent mais qui avait donc déjà des solutions aux problèmes d'aujourd'hui et très certainement de demain. La mémoire devrait nous permettre d'avancer en gardant non pas tout de façon obstinément passéiste, surtout pas, mais juste le meilleur, garder ce qui a fait ses preuves, garder ce qui est bon pour nous et la planète sans pour autant nous mortifier mais hélas non, on croit qu'on avance mais en réalité on recule, on gesticule et quand on fonce, c'est dans le mur.

     

     

     

  • Faire jardin de Pierre Gondran dit Remoux

    Faire-jardin.jpgFaire jardin

    comme d'autres font leur vie

     

    J'ai pleuré en refermant ce livre, il m'a touchée, vraiment beaucoup, il est magnifique, délicat, juste, déchirant, planté comme une belle stèle de schiste... pour que le vent qui sent la mer n'éparpille pas tout. Faire jardin, c'est à la fois une histoire de mémoire et de perte, de vie et de mort.

     

    grand jardin à guêpe dans la peau du lait

    en parfum de cheval épandu

    parsemé d'huîtres à nacre piquetée de coups de bec

     

    Terre qui donne naissance et terre qui enfouit, jardin des gestes perpétués et des douleurs muettes, jardin où le rouge-gorge a un œil crevé, où les doryphores poissent, écrasés, entre de petits doigts, où l'or des feuilles de bouleau peut guérir la griffure des roses. Jardin où fleurs, outils, souvenirs sont vieux.

     

    à mains jamais gantées aux ouïes noires de terreau

    retendre les fils de fer des contre-espaliers

    chauler les poiriers de blanc

    aiguiser

    aiguiser encore et encore

     

    réparer

     

    (...)

     

    faire jardin

    — de ses ongles noirs

     

    sous les ombelles vibrant miel de la haie de sureau

    à l'ombre acide du pin (qui empoisonne même ses enfants)

     

    Jardin où erre le père silence, puis juste le silence, jardin où doivent brûler la ronce et le matelas taché brun de mort. Jardin (cet enfant exigeant que tu jalousais) auprès duquel (se) construire n'a pas été possible.

     

    une charpente sans ses tuiles
    une charpente morte qui vogue dans les limbes
    des bois coupés

     

    L'écriture de Pierre Gondran dit Remoux, en petites touches, délicates, respectueuses, juste ce qu'il faut de douceur, ce qu'il faut de cru, pour dire le vrai et même la mise en page est au service de ce qui est dit et n'a pu être dit. Faire jardin s'adresse à la fille, à la fille du jardinier.

     

    entre ses mains-outils si peu de caresses

     

    (...)

     

    tu te dis

    "peut-être le jardin était-il le langage de mon père"

     

    La petite fille et puis l'adulte, il y a des plaies à refermer, l'or du bouleau sera t-il suffisant ?

    ton père ce printemps-là comme tu es née

    est-il venu à la maternité couteau à greffer en poche ?

    (...)

    Comment faire jardin à l'ombre acide du pin ?.

     

    CGC

     

     

    gondran-pierre.jpgPierre Gondran dit Remoux est né en 1970 à Limoges. Ingénieur agronome de formation, ce Parisien d'adoption n'a pas oublié l'étang limousin de l'enfance et vit entouré d'animaux, d'aquariums et de plantes, comme autant de compagnons nécessaires pour traverser la ville.

     

     

    Paru aux éd. Unicité en novembre 2024.

     

     

     

     

     

     

  • Les sirènes de Bagdad de Yasmina Khadra - Julliard 2006

    9782260018018-475x500-1-1920654226.jpg

     

    Une découverte pour moi, troisième tome d'une trilogie trouvé dans une boîte à livres, un livre qui prend une dimension peut-être plus forte presque 20 ans après, sa principale qualité étant de nourrir une réflexion sur l'être humain et toutes les pulsions va t-en guerre des uns et des autres aggravées par les différences culturelles, le poids de trop de traditions ou au contraire du manque de repères, le danger du mépris de l'autre, le mal que ça fait et continue de faire, la violence engendrant toujours plus de violence, de douleur, de misère matérielle et morale, de dépressions sans fin où l'humain vidé de toute substance est prêt à commettre tout et surtout n'importe quoi sans même avoir la possibilité de connaitre l'amour, c'est ce manque d'amour qui nous tue toutes et tous et partout dans le monde, c'est notre point commun, notre lien. N'ayant pas lu d'autres livres de l'auteur, je ne saurais dire si celui-ci est meilleur ou moins bon mais j'en ai apprécié la lecture, simple et vivante, lu facilement entre les lignes, saisi, il me semble, ce qui en est le message le plus important.

     

    *

    « Le coup parti, le sort en fut jeté. Mon père tomba à la renverse, son misérable tricot sur la figure, le ventre décharné, fripé, grisâtre comme celui d'un poisson crevé. et je vis, tandis que l'honneur de la famille se répandait par terre, je vis ce qu'il ne me fallait surtout pas voir, ce qu'un fils digne, respectable, ce qu'un Bédouin authentique ne doit jamais voir – cette chose ramollie, repoussante, avilissante; ce territoire interdit, tu, sacrilège: le pénis de mon père. Le bout du rouleau ! Après cela, il n'y a rien, un vide infini, une chute interminable, le néant. »

    Connu et salué dans le monde entier Yasmina Khadra explore inlassablement L'histoire contemporaine en militant pour Le triomphe de l'humanisme. Après Les Hirondelles de Kaboul (Afghanistan) et L'Attentat (Israël ; Prix des libraires 2006) Les Sirènes de Bagdad (Irak) est le troisième volet de la trilogie que l'auteur consacre au dialogue de sourds opposant l'Orient et l'Occident. Ce roman situe clairement l'origine de ce malentendu dans les mentalités.

     

     

     

  • Randolph Stow - The Visitants

     

    TheVisitantscouv-une.jpgUne belle surprise ce roman et je remercie les éditions Au Vent des Iles de me l'avoir généreusement offert. La découverte déjà d'un auteur majeur en Australie, si bien que c'est incroyable qu'il soit inconnu chez nous et cela m'a donné envie de lire tous ses livres ! C'est donc une première traduction en français pour un roman paru en 1979 et qui a remporté le Prix Patrick White, le Nobel australien, la même année ! Roman très humain, au sens le plus authentique du terme, c'est ce qui sans doute lui donne l'air d'avoir été écrit hier. Il se déroule en 1959, sur une île reculée de Papouasie, alors australienne, et donne alternativement la parole à tous les protagonistes qui racontent des évènements antérieurs à la fin tragique de l'officier Alistair Cawdor. Une polyphonie rythmée et captivante, on ne s'ennuie pas une seconde, on est happé, c’est un régal. L’écriture pourrait rappeler certains romans amazoniens, en rapport avec la présence très forte de l'environnement naturel, sa chaleur, sa moiteur jusqu'à l'étouffement, cette fièvre toujours à la frontière de la folie que le lecteur peut ressentir comme s'il était lui-même parmi les protagonistes. Une très belle écriture vivante et franche qui nous plonge dans les tréfonds des uns et des autres en explorant notamment la douleur humaine et qui, et c'est un aspect essentiel de ce roman, donne à la culture indigène la place qui est la sienne : égale en humanité, respectable dans ses différences. C’est là une des qualités qui fait de ce roman une telle réussite : l'auteur qui s'est inspiré de sa propre expérience, ne tombe ni dans un travers colonialiste même repenti, ni dans une adulation trop naïve du bon indigène, un regard tout aussi colonialiste qui ôte à l'autre ses nuances, ses contradictions. Le choc des cultures est réel et il fait intégralement partie du récit, ce qui fait le lien, c'est l'humanité qui dans son essence est partout la même et comment chaque culture se modifie au contact de l’autre. Et on sent le respect que l’auteur a pour la culture Kiriwina qu’il a donc lui-même côtoyée et dont il a même commencé à apprendre la langue lors des quelques mois de séjours en Papouasie-Nouvelle-Guinée dans sa jeunesse. Une bonne façon de découvrir aussi une culture rarement abordée en littérature. Plus personnellement, je me sens très proche de l'auteur dans sa façon de ressentir les choses et la lecture de sa biographie détaillée a confirmé ce ressenti. J'ai hâte de voir ses autres livres traduits en Français, ce qui est donc le projet des éditions Au Vent des îles dont je ne peux que recommander le catalogue rempli de perles, que j'ai déjà évoqué lors d'une autre lecture, L’île des rêves écrasés de Chantal T. Spitz. 

     

    cgc

     

    Randolph-Stow-in-Park.jpgRandolph Stow (1935-2010) est un auteur du patrimoine australien, un grand classique maintes fois primé tant pour sa prose que pour sa poésie. Inconnu en France, il est le chaînon manquant, à côté du prix Nobel Patrick White (son contemporain), pour nous permettre d’appréhender toute la richesse du paysage littéraire australien et son importance pour la littérature mondiale d’aujourd’hui. 

     

     

    Voir : https://auventdesiles.pf/catalogue/collections/litterature/the-visitants/

     

     

     

  • La cathédrale des noirs de Marcial Gala

    Couv_CATHEDRALE_OK_web.jpgtraduit de l’espagnol (Cuba) par Maïra Muchnik, Belleville éditions, octobre 2021. 240 pages, 19 €.

     

     

    « SI T’ATTERRIS ICI, C’EST POUR LA VIE, quelqu’un l’avait écrit sur le mur d’une maison, et c’est vrai que le quartier était chaud, vraiment chaud. »

     

    D’une construction fort originale, La cathédrale des noirs avec ses airs de simplicité et son humour caustique de quartier populaire, se bâtit sur une succession de témoignages qui dessine de plus en plus clairement une réalité trash et sanglante.  Nous sommes à Cienfuegos, la « perle de Cuba », sa fameuse baie et ses plages adulées par le touriste mais dans La cathédrale des noirs, nous ne verrons pas la plage, juste quelques virées au quartier blanc de Punta Gorda pour y vendre de la viande et quelle viande !

    Les faits qui sont au cœur de ce roman se déroulent à Punta Gotica, quartier pauvre, quartier noir, avenir barré, vilaines combines, drogue, alcool, sorcellerie, putes et criminalité. Punta Gotica est un quartier où on pisse sur la tête de l’ennemi vaincu.

    « Naitre noir, c’est déjà être dans le pétrin, alors imagine si en plus tu dois vivre dans les baraquements d’un quartier pareil. » raconte Alain Silva Acosta, psychologue doté d’un master en gestion d’entreprise et dans la mouise comme tous les autres.

    C’est là que vient emménager la famille Stuart et ses trois enfants : la splendide Johannes et deux garçons, David King qui sera vite surnommé Le Grillon et le plus jeune, Samuel Prince, le tout beau, le tout doux mais Bárbaro Suárez Rosales que cette douceur insupportait et qui avait voulu le surnommer Gélatine a vite compris à ses dépens qu’il y avait de la férocité qui couvait chez le poète.

    Le père Stuart est un patriarche visionnaire, illuminé par sa foi, pas un tendre, mais un dur et sévère qui fiche des raclées à son aîné au nom du droit chemin et il a un projet grandiose, soutenu par des pasteurs de plusieurs États nord-américains : la congrégation du Saint Sacrement, une de ces innombrables églises évangélistes, qui a son pasteur déjà à Cienfuegos. Ce projet, c’est une cathédrale du Saint Sacrement, celle qui sera surnommée la cathédrale des noirs, une construction toujours plus démesurée et sans fin.

    Et puis il y a donc Ricardo Mora Gutiérrez, alias le Gringo et son acolyte La Porcasse. Le Gringo, ils sont nombreux à témoigner à son propos et lui-même témoigne souvent et on suivra son parcours jusqu’à l’injection terminale. Un parcours marqué par l’avidité. Avidité d’amour, d’argent, de reconnaissance : puissant sceau de damnation. Et parmi tous ces personnages hauts et chauds en couleurs et pour certains surtout en noirceur, il y a les fantômes, les morts qui sont restés esclaves du palero, le maître, le « parrain » d’El Gringo et plus tard aussi de Samuel Prince.

     Le Palo, religion afro-caraïbéenne proche de la Santeria et du Candomblé mais d’origine bantoue mélangée d'éléments de spiritisme, de magie et de catholicisme. Le Palo fonctionne par la manipulation de deux forces : la Lumière et les Ténèbres et dans La cathédrale des noirs, rares sont ceux qui peuvent échapper aux Ténèbres.

    Âmes sensibles s’abstenir donc, Marcial Gala nous embarque dans la peau des habitants de Punta Gotica et ce n’est pas un voyage touristique.

    « Dieu n’en voulait pas. Dieu n’en voulait pas de cette cathédrale, et tout est devenu confus. »

     

    Cathy Garcia Canalès

     

    164007314_129864569081357_3343425861374324748_n.jpgMarcial Gala est né à La Havane en 1965 et vit aujourd’hui entre Buenos Aires et Cienfuegos. La Cathédrale des noirs, son troisième roman, a été élu meilleur roman cubain en2012 et lauréat du prix Alejo Carpentier. Il conte les grandeur et décadence d’un peuple qui aspire à une profonde spiritualité, mais qui sombre dans ses contradictions. Gala est déjà considéré comme l’une des voix cubaines les plus originales de sa génération.

     

     

     

     

  • Le rapport sexuel n’existe plus de Philippe De Jonckeere

    couv-rapportsexuel-bnf.jpgéditions Inculte, 3 février 2021 – décembre 2020. 300 pages, 18,90 €.

     

    Qu’un homme puisse éjaculer à la vue d’une pantoufle ne nous surprend pas, ni non plus qu’il s’en serve pour ramener le conjoint à de meilleurs sentiments, mais personne assurément ne peut songer qu’une pantoufle puisse servir à apaiser la fringale, même extrême, d’un individu.

    Jacques Lacan (1901-1981, psychanalyste français)

     

     

    Entre autofiction et séance de psychanalyse étalée sur près de 300 pages, dans Le rapport sexuel n’existe plus, l’auteur est son propre personnage, endossant son propre nom et une partie en tout cas de sa vraie vie. Le fait que le récit prenne place en 2022 et s’achève en 2024 invente une distance temporelle avec ce qui semble pourtant être un véritable journal intime. Récit à visée thérapeutique pour guérir la douleur d’une déception amoureuse, dont l’auteur — cinquantenaire, se décrivant lui-même comme obèse et obsédé par l’arrivée de l’andropause qui vient alourdir le bilan d’une vie sexuelle de plus en plus fantasmatique — n’arrive pas à se défaire. Autoflagellation, autodérision, décorticage hyperlucide de son manque de lucidité, c’est grâce à son grand humour que l’auteur/personnage se rattrape toujours et parfois in extremis avant la chute dans le pathétique.

    Philippe De Jonckeere, informaticien, personnage donc de l’auteur Philippe De Jonckeere, et c’est là que réside l’originalité parfois inconfortable de ce roman — où commence la fiction ? Où s’arrête-t-elle ? —, cherche à travers ce processus d’écriture à autopsier une relation affective que son imagination a rendu bien plus forte et réciproque qu’elle ne l’était en réalité, le but étant de parvenir à en faire le deuil, mais il y a aussi la possibilité que la personne en question, la cause de ses souffrances, lise le roman une fois publié, ce qui rend le deuil impossible puisque cela demeure une énième tentative, même masquée, de faire perdurer le lien. Donc le but du roman lui-même se mord la queue finalement.

    Un roman comme une tentative de mise à jour :

    « Internet c’est étonnant parfois. On dit souvent que c’est une mémoire, c’est tout le contraire, c’est une fiction dont les mises à jour gomment les données les plus anciennes, elles les écrasent, comme on dit en informatique. Car, comme vous savez, je suis informaticien. »

    C’est très intéressant sur le plan du questionnement du pourquoi de l’écriture et du pourquoi nous faisons les choses dans la vie en général. L’intention affichée et l’intention sous-jacente. Tout lecteur peu disposé à réfléchir en profondeur sur ses propres fonctionnements psychologiques posera sans doute assez vite ce livre. Lecteur qui se retrouve happé dans ce processus très intime, témoin et même complice malgré lui d’une autoanalyse, où on retrouve notamment des narrations de rêves et des citations de Lacan, comme par exemple : « On finit toujours par devenir un personnage de sa propre histoire » ou « La vérité a la structure d’une fiction » et qui a inspiré le titre même de ce roman.

    Une plongée dans la micro-réalité la plus intime du personnage de l’auteur donc, qui ainsi dévoile le moindre ressort de ses pensées, divaguant entre fantasme et réalité dans un roman qui lui-même sème le doute chez le lecteur quant à ce qu’il est en train de lire. Parfois, ce dernier peut se sentir de trop dans ce monologue intérieur, qui à force de détails des plus anodins et de ressassements, peut devenir même lassant et puis il est rattrapé, parce que c’est drôle aussi, impudiquement et férocement drôle, parce qu’il peut aussi se reconnaître – plus encore si le lecteur est un homme cinquantenaire en perte de confiance et tourmenté par les premiers signes de l’andropause. Sujet d’ailleurs rarement abordé en littérature ou dans la vraie vie même et qui est ici largement exposé. « Soixante-neuf fois le mot andropause. Vous pouvez vérifier. »

    Dans « Le rapport sexuel n’existe plus », il est question de sexe bien-sûr, mais plus encore de solitude, de manque d’affection et d’élévation, de stimulation intellectuelle et sensorielle et il est beaucoup question de musique, de jazz en particulier, car celle autour de qui tourne tout le roman — en plus du nombril malmené, vieillissant et inquiet de son auteur — est une contrebassiste. Musique, cinéma, poésie, littérature et le sentiment d’impuissance face aux drames du monde forment aussi le canevas du récit bien plus que les problèmes d‘érection.

    « Le rapport sexuel n’existe plus » est donc une sorte de journal de bord, journal hyper détaillé d’une obsession érotico-sentimentale, qui use et abuse du pouvoir thérapeutique de l’écriture pour se sonder en profondeur, se traquer dans les recoins, s’avouer ses plus inavouables faiblesses, disséquer ses pensées, comportements, fuites et addictions, et remonter ainsi peu à peu la pente de la dépression. Un lecteur ne connaissant pas du tout le travail de l’auteur et ses livres précédents ne saura pas si l’objet de ce roman est réellement ce qu’il prétend être, mais en comprenant la démarche de cet auteur qui, pensant ne pas savoir écrire, s’est obstiné à le faire — un réflexe de survie à sa propre histoire — on ne peut que saluer le courage de cette extrême mise à nu qui épargne en même temps le lecteur du fardeau excessif de pathos, grâce à cette distance que permet un sens aigu de l’humour et de l’absurde.

    C’est bon de lire une voix d’homme osant aborder ses fragilités de mâle et en déconstruire les clichés, osant afficher ses peurs, sa sensibilité jusque dans ses accès les plus larmoyants, ses manques, ses obsessions et ses petites hontes intimes, qui ne craint pas de montrer des aspects peu glorieux de lui-même.

     

    Cathy Garcia Canalès

     

     

    philippejonckheereOFF.jpg1951, Robert Frank prend une petite fille en photo dans les rues de Paris. Cette petite fille sera ma mère. Né le jour de la 1964ème commémoration du massacre des innocents. Entrée en 1986 à L’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris où je perds un peu de temps faute de recevoir l’enseignement que j’étais venu y chercher. Les professeurs de photographie sont des photographes stricto sensu, c’est dire. En 1988, deux ans d’études à The School of the Art Institute of Chicago, où je reçois notamment l’enseignement de Barbara Crane, Joyce Neimanas, Ken Josephson, Karen Savage et Bart Parker, je rattrape amplement le temps perdu aux Arts Décos. En 1990, je suis l’assistant de Robert Heineken, j’assiste à des miracles tous les jours. Fin 1991, retour en France, les choses vont mal. En 1993, à la suite d’un deuil, je commence à écrire, force est de constater que je ne sais pas écrire, mais je m’obstine, comme en toutes choses. 1995, Mai de la Photo à Reims, seule exposition d’envergure, l’exposition est censurée. Ça foire, comme en toutes choses. En 1995, je pars à Portsmouth en exil. Je fais les trois huit, travail alimentaire, sommeil, travail dans l’atelier ou travail alimentaire, travail dans l’atelier, sommeil, ou travail dans l’atelier, travail alimentaire, sommeil. En 1998, retour en France, je ne fais plus de photographie, presque plus, je continue d’essayer d’écrire, je fais des petits progrès. J’habite à la campagne. En 1999, j’achète un ordinateur personnel, j’apprends à m’en servir en apprenant à écrire, de même que j’apprends à écrire en apprenant à me servir de mon ordinateur. 1999 : Naissance de Madeleine Hannah De Jonckheere. En 2000, je construis un site Internet, le Désordre. C’est très long. Je me couche souvent très tard. Ça foire pas mal, mais je m’entête. En 2002, je reçois le prix multimédia de la Société des Gens de Lettres, ça ne foire pas tout le temps. En 2002, je tiens le journal de cette existence désordre, le bloc-notes du désordre, étonnant succès. En 2004, je reçois des lettres très encourageantes d’éditeurs mais qui ne proposent pas de projet d’édition. Ça foire encore un peu. Finalement, Adèle est née le 9 avril 2004, Nathan est enfin diagnostiqué autiste et mon père est opéré du cœur, les trois plus ou moins le même jour, c’est tout moi. Le journal de cette aventure est publié en 2008 par François Bon sur publie.net. En mai 2009, je participe à la grande rétrospective du Terrier au Nova de Bruxelles. Fin 2009, je travaille à l’iconographie et à la réalisation du numéro 109 de Manière de Voir (Monde diplomatique) : Internet, révolution culturelle. Depuis fin 2010, je travaille au spectacle Formes d’une Guerre avec l’écrivain François Bon et les musiciens Dominique Pifarély et Michele Rabbia. En 2012, Publication de Robert Frank, dans les lignes de sa main, Publie Papier. Philippe, film d’animation de trois minutes sur une musique d’Elémarsons. Un an de prises de vue, trois minutes d’animation. On ne rit pas. Invité envouté de Marie Richeux sur France Culture pour son émission Pas la peine de crier du 10 septembre 2012. En 2013, nouveau spectacle avec François Bon en lecteur de mon texte intitulé Contre et Dominique Pifarély, violon. Succès critique et salle (presque) pleine. Le rapport sexuel n’existe plus est son troisième roman publié aux éd. Inculte après Une fuite en Egypte (2017) et Raffut (2018). Les trois sont clairement autobiographiques.