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MES NOTES DE LECTURE : LITTÉRATURE, POÉSIE & AUTRE - Page 2

  • Les En-dehors d'Anne Steiner

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    2019

    13 x 20 cm | 288 p. | 19 euros
    isbn 9782373090574

    50 illustrations d'époque

    Les En-dehors

    Anarchistes individualistes et illégalistes
    à la « Belle Époque »

    Anne Steiner

    Ils ont vingt ans en 1910 et se définissent comme des « en-dehors ». Refusant de se soumettre à l’ordre social dominant, ils rejettent aussi tout embrigadement dans les organisations syndicales ou politiques. Pour eux, l’émancipation individuelle doit précéder l’émancipation collective.
    Leur refus des normes bourgeoises, comme des préjugés propres aux classes populaires, les conduit à inventer d’autres relations entre hommes et femmes, entre adultes et enfants, et à développer un art de vivre transgressif. Leur refus du salariat les conduit à expérimenter la vie en communauté et à inventer d’autres modes de consommation, mais aussi à emprunter la voie de l’illégalisme – dont le périple tragique de la « bande à Bonnot » est la plus célèbre illustration.
    En révolte contre sa famille, Rirette Maîtrejean, arrivée à Paris à l’âge de seize ans, devient l’une des figures de ce milieu. Son parcours sert de fil conducteur à ce passionnant récit. À ses côtés, nous découvrons tous les acteurs de cette épopée anarcho-individualiste qui ont expérimenté ce précepte de Libertad : « Ce n’est pas dans cent ans qu’il faut vivre en anarchiste ». Exigence que plus d’un paya de sa liberté et même de sa vie.

    https://www.lechappee.org/collections/dans-le-feu-de-l-action/les-en-dehors

     

    Anne Steiner est maître de conférences en sociologie à l'université de Paris Ouest-Nanterre. Elle a travaillé sur les mouvements de lutte armée des années 1970 (RAF. Guérilla urbaine en Europe occidentale, L'échappée), la fonction sociale du café dans les anciens quartiers populaires, et enfin sur le mouvement individualiste anarchiste (Les En-dehors. Anarchistes individualistes et illégalistes à la " Belle époque ", L'échappée). 

     

    Pour en savoir plus sur Albert Joeph Libertad : https://maitron.fr/spip.php?article154625

     

     

     

     

     

  • Le Chemin des âmes de Joseph Boyden

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    (titre original : Three-day road, 2004), Albin Michel 2006. 475 pages.

     

    Je viens de terminer ce livre inoubliable, dont la fin m’a fait pleurer. Un hymne tordu de douleur, mais puissant, à la vie arrachée aux champs de mort. Un chant de mort aussi et un chant de guérison. J'y ai appris encore des choses sur cette première guerre mondiale et notamment sur les soldats amérindiens qui y ont pris part. Ici, ce sont deux amis d‘enfance de la nation Cree. En cherchant un peu plus sur le sujet suite à cette lecture inspirée de faits bien réels, j'ai appris, sans surprise hélas, la façon dont ces recrues (comme les autres minorités) ont été traitées, avant, pendant, après...  Mais entre les hommes jetés dans cette grande boucherie, les soldats de base rampant, pataugeant et crevant dans la même soupe de boue et de sang, il n'y avait plus beaucoup de différences. Les deux jeunes Cree vont se distinguer sur le terrain par leurs qualités de chasseurs mais ils en paieront le prix fort : quelque chose les sépare et cette séparation va peu à peu se transformer en gouffre. L’un, abandonné par sa mère qui avait sombré dans l’alcoolisme, avait été sauvé du pensionnat tenu par de rudes religieuses, missionnées pour bouter le païen hors de ces corps de sauvageons, par sa tante, une des rares Cree à perpétuer la vie d’avant à l’écart de la ville et des wemistikochiw et qui l’a pris avec elle au fond des bois, pour lui enseigner tous les savoirs et traditions de son peuple, celles du monde visible mais aussi du monde invisible, elle qui était une des dernières chasseuse de wendigos. L’autre, orphelin, a passé trop d’années dans ce pensionnat, avant que la tante de son ami d’enfance, ne vienne lui aussi le chercher. Le Chemin des âmes force une réflexion sur l'humain dans l’enfer de la guerre, le meurtre autorisé, les limites (y en a t-il ?), mais aussi sur les conséquences de la colonisation et de l’acculturation, leur violence et heureusement il y a cette sagesse ancestrale, qui malgré tout, palpite encore, resurgit quand on la croit disparue à jamais sous la pression de la culture qui se voulait et se veut encore dominante et qui a envoyé des milliers d’hommes colonisés finir en morceaux de viande faisandée au fond d’une tranchée, dans des pays qui leur étaient totalement étrangers. Un livre qui m’a vraiment bouleversée.

     

    Joseph Boyden, né en 1966, est canadien avec des racines amérindiennes, écossaises, irlandaises. Le chemin des âmes est son premier roman. D’autres ont paru depuis, le dernier : Dans le grand cercle du monde, 2015.

     

    En savoir plus sur l'auteur :

    https://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article2344

     

     

     

  • Ganaha – Un conte futur dans une langue passée - de Florent Toniello

     

    Jacques Flament éditions, janvier 2020

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    215 pages, 15 €.

     

     

     

     

     

    je pénètre les trous noirs de ma chair, suis l’ange des temps

    nouveaux, prêtresse des plans astraux, bouton d’arrêt,

    simulation off, moi, toute-puissante, démembrée dans l’éther

     

     

    Je viens de terminer Ganaha de l'ami de plume Florent Toniello, qui me l'a gentiment offert, merci :-) et qui ouvre la nouvelle collection d'anticipation aux éditions Jacques Flament dont il va s'occuper. Ganaha, étonnant roman d'anticipation, quantique, placé sous le signe du ruban de Möbius, écologique : il y est question d'intelligence artificielle d'une part poussée au summum de sa logique dans un futur lointain et qui n'a plus vraiment l'utilité des êtres humains, ses créateur et d'une société post-atomique qui elle semble aux antipodes : celle des "êtres vertes", très écologique, dépouillée de toute technologie non artisanale et très axée sur les valeurs féminines d'autre part et dans laquelle la poésie tient une grande place. Une société toute organisée autour de la culture et la consommation d’une plante vertueuse, la karé, qui évoque un peu le soma de l’Inde ancienne et qu’Huxley entre autre avait repris de façon plus négative dans Le Meilleur des mondes.

    Un roman qui ouvre sur des interrogations profondes à propos de l'humanité, de nos véritables besoins, sur la notion de progrès, de liberté, d'individualité, de libre-arbitre, de la réalité de l’existence, sur le futur donc mais aussi le temps et l'espace où futur et passé se confondent en un seul point. Vers quoi allons-nous, d'où venons-nous ? Allons-nous vers là d'où nous venons ? Venons-nous de là où nous allons ? Le futur est-il déjà arrivé ? Le passé est-il à venir ? Retour au ruban de Möbius.

    Poétique, fluide, doux, mais sans pour autant nous éviter la sensation de malaise, subtil et vertigineux sur le plan de la réflexion, ce roman qui prend des allures de conte est à découvrir ici :

    https://www.jacquesflamenteditions.com/378-ganaha/

     

    Cathy Garcia

     

     

    Florent_m.jpgFlorent Toniello est né en 1972 à Lyon, entre Rhône et Saône. Dans une autre vie, il a été, principalement à Bruxelles, manager dans les technologies de l’information pour une grande entreprise transnationale. Une période pendant laquelle il n’a pas écrit une ligne de poésie, mais d’innombrables mémos et rapports, le plus souvent en anglais. Depuis 2012, il a rejoint les bords de l’Alzette, à Weimerskirch, au grand-duché de Luxembourg. Il se cache souvent derrière les textes des autres, s’occupant de relecture, correction et traduction pour divers éditeurs et journaux luxembourgeois. Mais il ne dédaigne pas non plus de s’adonner à l’écriture, qu’il a abordée à plus de quarante ans, mais qu’il compte bien ne pas abandonner de sitôt. Musicien de cœur depuis toujours, il a repris des études de direction d’orchestre et prépare plusieurs collaborations avec des instrumentistes.

     

    Biblio :

     

    Flo[ts], éditions Phi, novembre 2015. Premier prix du concours littéraire national du grand-duché de Luxembourg en 2015.

     

    Je tu il, projet Poids plume de l’association Mots nomades, mars 2017. Hors commerce, ce petit livre doit être offert !

    Ptérodactyle en cage, éditions Phi, mars 2017. Texte d’un spectacle poético-musical créé pour les dix ans du Printemps des poètes - Luxembourg.

     

    Lorsque je serai chevalier, Jacques Flament Éditions, novembre 2017

     

    L'Oreille arrachée, maelstrÖm, décembre 2017

     

    Apotropaïque, éditions Phi, juin 2018

     

    Foutu poète improductif, éditions Rafael de Surtis, juillet 2018

     

    La Petite Fabrique des notes (théâtre), représenté en mai et juin 2018 au Théâtre ouvert Luxembourg. Publié dans Les Cahiers luxembourgeois, no 1/2020, avril 2020.

     

    Son blog : https://accrocstich.es

     

     

     

  • Viktor Pelevine - La mitrailleuse d'argile (Seuil, 1997)

    Plus de dix ans que je fais des notes de lecture, plus le temps, l'énergie pour ça, juste envie de lire et juste lire et descendre toutes les piles qui m'attendent. J'avais lu et apprécié en 2008, L'Ermite et sixdoigts ; je viens de finir La mitrailleuse d'argile, un roman complètement dingue, mais pas si fou, philosophique, impertinent, alcoolisé, dense, drôle, profond, d'une salutaire moquerie, le genre à relire plusieurs fois pour en saisir toutes les subtilités. Cet auteur russe est vraiment à connaître.

     

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    Tchapaïev et Poustota, 1996

     

     

     

  • Eugène Savitzkaya- Au pays des poules aux œufs d’or

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    Éditions de Minuit, février 2020

     

    Il était une fois. Il sera un jour.

     

    Ni commencement, ni fin, et pourtant il est bien question d’une Genèse,  d’une Genèse gargantuesque au départ de ce livre qui semble avoir été touillé dans le chaudron d’un grand chaos primordial.

    «  Au commencement, le monde était comme le tube digestif obstrué aux deux bouts d’un ogre gigantesque dormant d’un mauvais sommeil après avoir dévoré tous ses enfants, petits-enfants, parents et grands-parents. Cet ogre était le lointain ancêtre des principaux despotes et autocrates du monde.

    Un premier pet mit le feu aux poudres, un vent tellement concentré qu’il était étincelle. Il libéra une infinité de particules nauséabondes qui s’entrechoquèrent pendant un nombre incalculable de millénaires avant de s’enflammer. »

    Aussi les enfants ont-ils quitté les cités dirigées par les tyrans ridicules aux folies des grandeurs mesquines, potentats qu’ils émasculent parfois ou font rôtir. « De même que les poules avaient disparu, les enfants s’avéraient introuvables, s’étant séparés d’un monde qui les niait. Du lourd sommeil des humains adultes montait l’âcre et sure odeur de la pourriture et de la mort. » Les enfants vivent entre eux avec les animaux, libres, sauvages, indomptables, dans les forêts, les lieux abandonnés, les grottes et le creux des arbres. La liberté dont il est question ici est une liberté nue, crue, sensuelle, amorale, jubilatoire, violente parfois, mais aussi une douceur de fourrure, la beauté, la saveur des choses simples et vraies. La nature s’y taille la part belle, foisonnante de vie. « Parfois les filles sauvages se plaisaient à aller nues même au cœur de l’hiver. Des serpents leur servaient de ceinture et elles couraient pieds nus sur la neige et s’en frictionnaient la poitrine, le ventre et les jambes pour s’endurcir. » Les enfants errants échappent aux pouvoirs des ecclésiastiques qui avaient transformé les adultes capturés dès l’enfance, en véritables benêts qui « pour cacher leurs yeux vides, [ils] ajustaient des lunettes noires sur leur groin. Pour dissimuler leur mollesse, ils pratiquaient la guerre et des sports extrêmes, chassaient en hélicoptère, achetaient des femmes au grand marché aux bestiaux. Ils buvaient du gaz liquide et du bitume raffiné. Ils pillaient les réserves accumulées par les millénaires et par le lent travail des bactéries, des enzymes et du plancton. La planète entière était leur salle de sport. »

    Le lecteur sera invité à suivre les pérégrinations d’un couple aussi étrange qu’improbable, une renarde et un héron.

    « C’est que tous deux recherchaient leur mère, la très belle princesse Nina. Mais qu’est-ce à dire ? Héron et renarde avaient-ils conservé le souvenir de leur nourricière, la souveraine aux mains douces qui régnait sur la terre et sur l’eau, souveraine séquestrée par un tyran imbécile, souveraine des poules fécondes pondant chaque jour des œufs précieux, des œufs d’or ? »

    Il est déconseillé ici de s’accrocher au désir linéaire de comprendre, au besoin d’être rassuré par des limites, car le lecteur alors ne saura où s’accrocher et devra vite y renoncer. Soit il posera le livre, soit il choisira de se laisser emporter par les flots agités de cette écriture qui ne ressemble à nulle autre, comme dans une sorte de trip hallucinatoire tantôt doux et merveilleux, souvent féroce. Fable, conte, rêve, parabole, satyre ? Un peu tout à la fois, et cela se passe là-bas, loin vers l’Est, entre Géorgie et Sibérie. On repère des noms de lieux réels, des régions, des fleuves, des villes et peut-être nous manque-t-il des clés pour savourer toutes les subtilités de ce texte, parfois on croit deviner, on hume, on renifle, le lecteur suit des pistes mais la plupart vont le perdre dans la forêt, les marécages ou le font tourner en rond, rien n’est solide, tout se transforme, se déplace, éclate en multiformes, tout est encore finalement comme au stade de la Genèse et on peut toujours entendre la Terre mugir. Alors lecteurs, laissons-nous faire, la force, la fougue, l’irrévérence et la folie d’Au pays des poules aux œufs d’or ne peuvent nous laisser indifférents. C’est un livre qu’il faut lire et relire, une fois n’y suffira pas et sous ses apparences foutraques se sont glissées de grandes sagesses oubliées.

    « Je disais à chaque enfant : tu t’instruis chaque jour et chaque nuit. Tes rêves t’instruisent, ils ne sont pas le charabia que certains prétendent, ils font partie du monde des signes que tu dois décrypter. Ils t’informent sur l’état de ton cerveau, de ton foie, de ton cœur, de tes membres, de ton sexe. À l’abri des ordres, des sermons, des lois humaines, des gangues sociales, de la glu grégaire, ils sont ton terreau intime, ton noyau autonome, ton trésor vivant et infini. S’ils t’effraient ou te laissent pantois, c’est parce que tu refuses, craintif pantin, la liberté qu’ils t’offrent sans cesse. Ils sont le suc abondant de ta vie. Tu peux t’instruire en te réveillant, quand ton cerveau, nourri de l’or précieux du langage du sommeil, fonctionne sans la moindre contrainte comme une méduse évoluant dans le fluide nourrissant de la mer. Tes premiers pas, au saut du lit, sont chaque fois, si tu le veux, si tu ne t’es donné aucun délai dérisoire, aucun but mortifère, comme les premiers balbutiements d’un nouveau-né qui accueille avec intelligence les sons, les odeurs et les ondes colorées et qui leur parlent comme les sorcières parlent aux arbres et aux fontaines, comme l’abeille dissémine négligemment les pollens.

    Tout t’instruit de tout. T’instruisent les formes et les couleurs, les douceurs et les douleurs, t’instruisent les pleurs, la mort et les puanteurs. »

    La plume enchantée, inclassable et facétieusement non domestiquée de l’auteur de Fou trop poli n’a pas fini de nous surprendre, nous dérouter au sens littéral du terme.

     

    Cathy Garcia

     

    savitzkaya-categorie.jpgEugène Savitzkaya est né à Saint-Nicolas-lez-Liège en 1955. Premiers poèmes publiés en 1972 : Les Lieux de la douleur (Éd. Liège des jeunes Poètes). Il a obtenu pour Marin mon cœur, en 1993, le Prix Point de mire (prix des auditeurs de la RTBF), en 1994 le Prix triennal du roman, attribué par la Communauté française et en 2015, pour Fraudeur, le prix Victor Rossel. Dernières publications : Flânant (Didier Devillez éditeur, 2014) ; Fraudeur, roman (Minuit, 2015) ; À la cyprine, poèmes (Minuit, 2015) ; Sister. Travail graphique de Bérangère Vallet, sur une idée d'Hélène Mathon (Editions L'Oeil d'or, 2017) ; Éloge du paillasson (Le Cadran ligné, 2019).

     

     

     



  • Alain Damasio - La Zone du Dehors

     

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    "Quand c’est dallé, ça tinte sous la botte en phonolithe, par endroit fondu profond, du brut d’impact, ou les cratères qui se décalent qui baissent qui montent ? Je sens par instant fondre le verre qui sépare réel/irréel et je perds du repère, trop pour ne pas me marrer… et vouloir aller au bout… si massif, viril, tout ici, dans le pétrifié solide, en même temps vapeur et plume… de chez fluctue… nous nous enfonçons dans le Dehors… ça j’ai vu… droit devant… que le danger est plus palpable, plus excitant, now. De la baie écrasée…. Cette terre rouge profonde… Cette brume de mandarine évaporée… d’orange brûlée…

     

    (…)

     

    Le sable, maintenant étale, s’était tu… et elle s’était levée. Sa silhouette animale flamboyait debout, son corps serti dans un mur d’étoiles, avec sa poitrine de haute pomme, qui les provoquait en silence. Vénus. Elle ne bougeait pour ainsi dire plus, altière à l’égale d’une statue, mais son marbre avait des frissonnements de fauve, seulement perceptible à ce que frémissait ses seins et le creux de son ventre sous l’afflux d’air qui l’emplissait.

     

    (…)

     

    Le Dehors ne pouvait appartenir à quiconque et le gouvernement lui-même n’avait jamais songé à se l’approprier. Trop immense, trop changeant, trop violent : ingérable. Une vraie sauvagerie de rocs, d’éclats d’aérolithes er de cratères brisés à coup de météores, avec des dalles saignées au sable sec, des collines brutes striées au râteau des vents cosmiques et, face au ciel, les crêtes déchiquetées d’amoniac et de gel. Espace perdu… le Dehors était irrécupérable : à cause des ouragans cosmiques,  à cause des pluies de météores incessantes, à cause des vapeurs de nox…

     

    (…)

     

    Je me suis fixé une règle, sans m’en rendre compte : chaque fois que j’aurais une idée ou une conviction, il fallait que je l’expérimente. Que je fasse ce que je pensais. Ne plus déplacer des Cubes et des civilisations dans le cosmos, mais agir chaque pensée,  aussi minime soit-elle, la confronter à la résistance de la matière, affronter son mouvement à la pesanteur des choses et des gens. Terribles les gens… Plus lourds parfois que des fûts.

     

    (…)

    Nous en avons fini avec les révolutions culbuto qui remettent sur leurs pieds ce qu’elles renversent,  parce-que, ne l’ayant jamais conquise, elles rêvaient de la liberté comme d’un ciel lorsqu’il nous faut apprendre — nous — à la vivre en tant que sol. La révolution, c’est un quotidien qui vibre."

     

     

  • El Ninõ de Hollywood de Óscar & Juan José Martínez

     

    traduit de l’Espagnol (Salvador) par René Solis

    Métailié, février 2020

     

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    332 pages, 22 €

     

     

    « Je voudrais pouvoir revenir en arrière, et pas aller avec la Mara…

    Aux mioches, moi je leur dis, ne le faites pas, disait El Niño. »

     

     

    Miguel Ángel Tobar, celui qui fut d’abord El Payaso, Le Clown, puis El Niño de Hollywood, du nom de la branche de la Mara Salvatrucha 13 à laquelle il appartenait, les Hollywood Locos, dont il fut l’un des plus redoutables sicario, avant de devenir un misérable témoin protégé de l’État salvadorien, après avoir dénoncé un bon nombre de mareros, dont son pandillero, son chef, Chepe Furia. Chepe Furia, de son vrai nom José Antonio Terán, avait été dans les années 70, un policier de l’ultra brutale police d’État, la Garde Nationale de sinistre mémoire où il était alors connu sous le nom d’El Veneno, le Poison, ce n’est que bien plus tard qu’il reviendra au Salvador, sous le nom de Chepe Furia, membre de la Mara Salvatrucha 13.

     

    José Antonio Terán avait fui le pays, sa guerre intestine et ses propres exactions. Dans les années 70, il y avait eu une fuite en masse des Salvadoriens vers le sud de la Californie, puis ces derniers — dont bon nombre avaient rejoint les gangs — furent expulsés sous le gouvernement de Reagan. Des centaines de membres de la Mara Salvatrucha 13 (la  MS-13), qui en 1992 était le gang le plus puissant de Californie et du Barrio 18 qui lui s’était rallié au système des gangs sureños, principalement d’origine mexicaine, comme l’indique le chiffre 18, contrairement à la MS-13. Les deux gangs étaient ennemis et se disputaient des territoires. Les Salvadoriens n’ayant connu que l’ultra-violence dans leur propre pays, dressés tout jeunes à tuer, n’avaient respecté aucune règle des autres gangs des ghettos californiens à leur arrivée. Sales, adeptes des drogues et de l’alcool, tous vêtus de noir avec les cheveux longs, jeunes fans absolus et très perturbés de heavy metal aux pratiques macabres, la MS-13 s’était vite fait une réputation avant de s’organiser en gang plus conforme niveau look à l’image des autres gangs californiens, mais avec toujours une longueur d’avance sur leur capacité de violence pure.

     

    Une fois de retour au Salvador, les deux gangs ennemis se sont donc reformés. La MS-13, avec ses différentes branches, a alors conforté et prouvé sa réputation de gang du XXIe siècle le plus violent au monde, aussi bien vis-à-vis de l’extérieur qu’à l’intérieur même de celui-ci. C’est le seul a être sur la liste noire du département du Trésor des États-Unis, ses membres qualifiés d’animaux par Trump, « ce président ignorant (….) et non d’animaux humains créés par d’autres humains ».

     

    El Niño de Hollywood n’a jamais mis les pieds aux États-Unis, encore moins à Hollywood, mais il fait partie de ses enfants perdus, issus de familles totalement éclatées, dans un pays ravagé par des décennies de guerre et qui n’ont déjà connu que la violence et la misère.

    Ainsi, en un peu plus de trois cents pages, parfois très dures, le lecteur pourra comprendre ce qui a bien pu faire de ce tout petit pays d’Amérique centrale, le pays le plus meurtrier du monde avec un taux d’homicides absolument dément. Il faut pour cela remonter au XIXe siècle, à l’époque où des propriétaires terriens faisaient fortune avec l’indigo et avaient pour cela relégué les populations indiennes sur les terres non exploitables à flanc de montagnes. Quand la découverte inopinée, à Londres, du premier colorant de synthèse, bleu donc, fait chuter brutalement la demande et le cours de l’indigo, l’élite des propriétaires terriens à l’initiative du président alors en place, Gerardo Barrios, va se reconvertir très vite dans le café et pour cela elle a besoin des terres en pente qu’elle avait laissées aux Indiens, mais aussi de leurs mains pour récolter.  Le traitement qui est infligé alors à cette main d’œuvre, déjà humiliée par le régime colonial espagnol,  est tel que cette population dont la colère et la frustration a atteint un point de non retour, n’ayant rien de plus à perdre, commence à se rebeller au début des années 30, ce qui entraînera aussitôt une répression féroce, la Matanza : en 1932, « au moins quinze mille personnes, des hommes jeunes dans leur majorité, ont été assassinées dans la région occidentale du Salvador en quelques mois (…) et une bien plus grande quantité encore a été exécutée durant le reste de l’année. Aucun de ces morts n’a été enregistré dans les registres d’homicides. »

    Roque Dalton, poète salvadorien membre de l’organisation insurgée Armée révolutionnaire du peuple dans les années 1970, qui sera assassiné sur ordre des dirigeants de cette même organisation pour insoumission, écrivit à ce sujet :

     

    « Nous sommes tous nés à demi morts en 1932

    Nous survivons à demi vivants

    Et chacun de nous porte une dette de trente mille morts bien entiers

    Dont les intérêts ne cessent de gonfler

    Et qui aujourd’hui suffit pour enduire de mort ceux qui continuent

    À naître

    À demi morts

    À demi vivants

    Nous sommes tous nés à demi morts en 1932

    Être Salvadorien c’est être à demi mort

    Ce qui bout

    C’est la moitié de la vie qu’on nous a laissée… »

     

    Mais comme souvent l’injustice et l’atrocité furent rentables : « Les riches sont devenus très riches dans les décennies qui ont suivi 1932. Les pauvres, eux, ne pouvaient être plus pauvres. »

    Mais ces pauvres soutenus par les idéaux marxistes s’organisent dans les années 70, le pays entre alors dans l’une des dictatures les plus sadiques d’Amérique centrale, composée de militaires putschistes d’extrême-droite avec comme d’habitude la participation de la CIA, le but étant comme toujours de protéger les possessions et privilèges de la classe dominante. La guérilla est forte et brutale elle aussi, nourrie de plus d’un siècle d’injustices sans réparation. Dans un pays composé alors « à plus de 60 % par des enfants, le résultat était prévisible. Des milliers de mineurs de moins de 15 ans ont été recrutés des deux côtés. (…) Le Salvador, un pays vingt fois plus petit que la Californie, s’est lancé avec ses armées adolescentes dans l’abîme dont il devait ressortir en 1992 avec pour bilan plus de soixante-quinze mille morts et une immense quantité de personnes déplacées

    Voilà le terreau de tant de morts déjà décomposés, dans lequel les gangs made in USA viendront semer leurs graines assassines.

    Qui dit guerre, dit ennemi, la nécessité d’avoir un ennemi à combattre, « l’envie irrépressible de détester quelqu’un sans motif idéologique a été fondamentale dans la construction du Salvador ». La minorité possédante demeurant, quoiqu’il arrive, intouchable, on entre donc dans la logique des clans, où la raison de vivre est la mort de l’autre. Quand les membres des gangs comme Chepe Furia et bien d’autres, dont certains étaient partis trop jeunes pour connaître leur pays, sont expulsés de Californie vers la fin des années 90, une certaine aura les entoure aux yeux de la jeunesse qui a grandi dans la misère au Salvador dans un environnement très rural.

     

     « Les États-Unis vomissaient.

    Sans comprendre ce qu’ils faisaient.

    La migration est un cercle.

    Des recruteurs pour tout le Salvador.

    Des recruteurs d’enfants perdus pour tout le Salvador.

    Des chefs de clans pour tout le Salvador.

    Un pays en reconstruction.

    Un  pays en ruines.

    Un pays qui n’avait pas le temps pour les enfants perdus.

    La guerre expulsée des rues de Californie aux rues du Salvador.

    Une guerre s’achevait. Une autre commençait. »

     

    Il fut très facile pour Chepe Furia, auréolé de son parcours de « combattant » et fort de son expérience d’ex-policier de la Garde Nationale, de manipuler ces « enfants de personne »,  les enfants de la guerre.  « Enfants de familles dysfonctionnelles fabriquées avec des restes d’autres familles », leur seule consigne : survivre. « Beaucoup d’entre eux faisaient face aux déceptions de la vie de la même façon que leurs pères, à grandes rasades d’alcool de canne, le guaro. ». Illettrés, misérables, déjà confrontés à la violence, ils étaient d’autant plus manipulables qu’ils étaient mus par un désir de valorisation, de reconnaissance et notamment de la part d’un père souvent inexistant ou minable comme celui d’El Niño, alcoolique lui-même victime de son propre tragique destin, qui vendait sa fille de 15 ans à son contremaître.

    C’est le 24 décembre 1994 exactement, que Miguel Ángel Tobas, celui qui deviendra El Niño de Hollywood, né en 1981 dans une plantation de café, a pour la première fois, tenté de tuer un homme : le contremaître qui violait sa sœur. Une première tentative ratée à coups de gourdin et de pierres,  « grosses comme les pierres qu’un enfant de 11 ans mal nourri peut soulever », l’enfant déçu de lui-même avait toutefois emporté un révolver .38, qu’il avait trouvé à la ceinture de cet homme.

    Cette reconnaissance, les enfants de personne achetés par quelques bouteilles d’alcool par Chepe Furia, l’obtiendront ou croiront l’obtenir au prix du sang.

    « Le secret, c’est que leur rêve n’est pas de devenir riche, mais d’être quelqu’un. Quelqu’un de différent de ce qu’ils étaient, (…) le rebut. »

    Ils devront prouver leur allégeance totale à la Hollywood Locos Salvatrucha en assassinant violemment d’autres gamins absolument semblables à eux, dans une guerre contre cet ennemi déclaré, ceux de l’autre gang, avec bon nombre de victimes collatérales, mais aussi une guerre à l’intérieur même du gang contre les tièdes, les faibles et les traîtres, qui seront cruellement éliminés. Ainsi El Payaso, s’auto-nommera El Niño de Hollywood, — il a autour de 16 ans — par un meurtre particulièrement atroce car il ne s’agit pas seulement de tuer, mais aussi d’écrire avec le corps des victimes, celui-ci devenant un support pour transmettre un message qui doit faire horreur.

    « Difficile d’arrêter une horde de chevaux emballés. Surtout si personne ne cherche à les arrêter. Surtout si quelqu’un les suit en les excitant. La haine qui s’est mise à rouler au Salvador a trouvé une interminable pente descendante. Elle roule toute seule. La première impulsion a suffi. La mort a donné du sens à toutes ces vies. »

    Et à celle d’El Niño de Hollywood, devenu sicaire reconnu comme l’un des plus redoutables et le plus sanguinaire du gang des Hollywood Locos de la MS-13, dont il deviendra cependant lui aussi un traître et ne connaîtra plus jamais le repos, pas même après sa mort.

    La boucle est bouclée, l’ultra-violence au Salvador est le mode de vie psychopathe de toute une partie de la jeunesse la plus pauvre. Les gangs, « une mafia, oui, mais toujours une mafia de pauvres. ».

    « Tuer, haïr celui qui, sans te connaître, te tue, te hait », avec toute une mythologie, une mystique presque du meurtre, avec la Bête qui réclame sa part de sang. « Notre Bête à nous, elle est noire, c’est un cheval noir qui a le pouvoir, d’après l’Apocalypse, d’enlever la paix sur la terre. C’est une Bête de couleur noire avec une épée pointue. » 

    « Chepe Furia était intelligent pour créer des symboles, pour revêtir de transcendance ce qui n’était qu’un bain de sang contre des jeunes gens ».

    On ne lit pas ce type de livre pour se divertir, à moins d’être soi-même un gros malade, non, on le lit pour comprendre comment cette violence est possible, comment des enfants de 10, 12 ans peuvent commettre des crimes aussi abominables, et devenir vers 16, 18 ans des tueurs déjà professionnels et à moitié, si ce n’est complètement, fous. On lit pour comprendre quel est le mécanisme à l’œuvre, pour comprendre comment tout cela a pu commencer et comme trop souvent, on trouvera à l’origine une élite possédante qui opprime, exploite et accule des populations à des situations d’injustice et de misère extrêmes et dans une spirale infernale, des décennies plus tard, toute une partie de la jeunesse d’un pays se retrouve pourrie jusqu’aux os, tellement qu’il n’est plus possible de distinguer les victimes des bourreaux.

    Si les deux frères, auteurs de cet ouvrage magistral dans lequel la réalité pulvérise la fiction et qui ont réalisé là un travail de journalisme d’investigation courageux et réussi, s’intéressent de si près à El Niño de Hollywood qu’ils ont interviewé pendant des centaines d’heures, c’est bien parce que comme il le lui ont dit : « malheureusement, nous croyons que ton histoire est plus importante que ta vie… ».

    On lit pour entrevoir l’humain derrière le monstre, pour nous rassurer nous-mêmes sans doute et il se trouve que l’humain est bien là, pris dans cette logique implacable qui le dépasse. Une multitude de fils de vies microscopiques qui se trouvent piégés ensemble dans la même trame, la toile souillée d’un sang qui n’en finit plus de couler.

    « Au fil des mois et des années nous avons pu nous rendre compte que la vie de cet homme était conditionnée par des processus globaux, par des histoires à l’échelle mondiale dont il ignorait tout. Nous avons découvert que le pouvoir de décision, ce qu’on peut appeler la possibilité d’agir, a toujours était limité, toujours étroitement lié à des mécanismes lointains conçus par de hauts fonctionnaires aux États-Unis et au Salvador durant tout le XXe siècle. »

    Personne ne voudrait être Miguel Ángel Tobar. « À présent il n’est plus que terre et racine. De l’engrais pour ce coin pourri du monde », laissant derrière lui, une très, trop jeune maman d’à peine 18 ans et leurs deux petites filles. Quelle histoire, quelle légende cette dernière leur racontera-t-elle à propos de leur père ?

     

    Cathy Garcia

     

     

    oscar-martinez-archivo-personal-1-300x460.jpgOscar MARTÍNEZ est un journaliste d'investigation et écrivain salvadorien qui travaille pour elfaro.net, journal en ligne spécialisé sur les sujets de violence, migration et crime organisé. Il a remporté de nombreux prix tout au long de sa carrière, notamment le prix Fernando Benítez de journalisme, le Prix des droits de l'homme et le Prix international de la liberté de presse.

     

     

     

     

    juan-jose-martinez--sarah-melendez-300x460.jpgJuan José MARTÍNEZ est un anthropologue né au Salvador en 1986. Il étudie les gangs et la violence depuis 2008 et a collaboré avec diverses institutions telles que l'Unicef, Action on Armed Violence et l'American University.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • La certitude des pierres de Jérôme Bonnetto

     

    éditions Inculte, 8 janvier 2020

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    192 pages, 16.90€.

     

    Ségurian est un village isolé et perché dans la montagne, dont le saint patron est St Barthélémy, fêté comme il se doit tous les 24 août, avec la sortie du saint en procession et la traditionnelle préparation et dégustation bien arrosée de la soupe au pistou. Tout un symbole si on pense au massacre du même nom et nul doute que l’auteur ne l’a pas choisi par hasard.

    Ségurian est un village de chasseurs et les chasseurs forment un clan avec un chef qui est aussi le chef, de père en fils, d’une entreprise familiale de construction qui a bâti une bonne partie du village : ce sont les Anfonsso. Joseph Anfonsso est donc un chef : chef de famille, chef d’entreprise, chef des chasseurs. Et plus tard, il passera la main à son propre fils Emmanuel. Tout est bien qui tourne bien, immuablement, dans ce village refermé sur lui-même.

    « L’amour de Joseph pour la chasse n’était pas feint. Première carabine à six ans, la première grive à sept sous le fier regard du père, la main tendre qui décoiffe l’enfant. L’amour de la chasse, c’est avant tout l’amour du père. La rudesse de l’homme qui n’avait pas appris à faire de compliments se fendait devant les succès répétés de Joseph, qui repensait souvent au jour où son père lui avait dit, après avoir tiré un lièvre à plus de quatre-vingts mètres : “Tu es bien mon fils, tu es comme moi, mais en mieux. ” En économie comme dans les sentiments, c’est la rareté qui fait le prix. Joseph en avait eu les larmes aux yeux. »

    Ségurian donc, village de chasseurs : « La société comptait cent membres pour quatre cents habitants. »

    La vie du village et la propre vie de Joseph Anfonsso auraient pu ronronner ainsi durant des millénaires sans que rien ne change, sans que rien surtout ne doive changer, mais c’était sans compter l’arrivée de Guillaume, un 24 août en plus. La certitude des pierres est divisé en six chapitres allant de la première St Barthélémy à la sixième, la première étant celle où Guillaume donc est arrivé au village.

    Les parents de Guillaume Levasseur s’étaient installés depuis quelques années à Ségurian, dans la maison d’un oncle décédé, un original dont ils ne savaient pas grand-chose. Les parents Levasseur après avoir travaillé toute leur vie en ville, avaient désiré s’éloigner des « fourmilières déshumanisées » et se rapprocher de la nature, d’autant plus que Guillaume était déjà parti depuis trois ans, pour l’Afrique sur un coup de tête. Mais donc la famille, avec un seul membre au cimetière, est « une pièce rapportée, des estrangers, des messieurs de la ville comme on dit. Va falloir qu’ils fassent leurs preuves, les Levasseur. Va falloir me remplir ce caveau avant d’élever la voix, avant de faire les fiers, avant de touiller la soupe au pistou. C’est comme ça, c’est l’ordre des choses. »

    Et voici que Guillaume non seulement débarque dans le village, mais surtout, tombé amoureux de ce coin de montagne, il a un projet : y monter une bergerie. Et Guillaume, c’est une force de la nature, ce n’est pas juste un jeune illuminé malgré ses cheveux longs, c’est un rêveur certes, un intello qui grimpe dans les arbres pour y lire des livres, mais c’est un bosseur aussi, qui compte bien voir aboutir son rêve. Et il s’y met et le rêve peu à peu se concrétise, il y travaille comme un acharné, la bergerie voit le jour et même elle va s’agrandir d’année en année, des chèvres, des moutons, choisis avec soin, ça marche bien, sauf que cette bergerie elle se situe au-dessus de la maison de Joseph et que les moutons paissent sur des terrains habituellement dédiés à la chasse au sanglier et que dès le départ, ça pose problème. Pour Joseph, la montagne, c’est chez lui et « pas pratique de chasser au milieu de toute cette laine. »

    « On était là avant, pensa-t-il. C’est une question de bon sens. »

    La tension va monter crescendo jusqu’à la quatrième fête de St Barthélémy après l’arrivée de Guillaume : alors que ce dernier, sollicité pour sa force physique, porte comme Joseph, la statue du Saint Patron sur la procession, Joseph a une défaillance qui provoque la chute de la statue du Saint Patron qui en perd la tête. L’irritation envers le berger va basculer alors définitivement dans une véritable haine.

    « Le berger avait jeté une mauvaise onction sur le village. C’était un gâcheur de fête, un empêcheur de tourner en rond, un perturbateur d’horizon, un branleur de situation. Il dérangeait l’ordre établi, il barbouillait les lignes, troublait l’air comme l’eau le pastis. Un mouton noir, c’était le mouton noir, un Boche, un Turc. (…) Avec le berger, brillait la lumière maléfique des sabbats. Un jour, les aiguilles de l’église se mettraient à trotter à l’envers et, ce jour là, on serait perdu, toutes les sources seraient taries, de la mousse pousserait au sud et l’ogre marcherait sur le village pour manger les enfants. »

    La certitude des pierres, est un portrait précis, ironique, mordant, sans concession mais malheureusement réaliste cependant, d’une communauté qui n’accepte pas facilement ceux qui ne sont pas d’ici et c’est un drame quasi biblique qui y prend place — Joseph le chasseur et Guillaume le berger. L’écriture de Jérôme Bonnetto est belle, poétique, âpre et minérale comme la montagne et c’est avec un évident talent que l’auteur met en relief l’entêtement et la folie des hommes, leur lâcheté tout autant que leur courage, la bêtise et la mesquinerie quotidienne, les silences complices et ce refus d’analyser en soi les véritables racines de la rage en les affublant au contraire de tous les déguisements possibles de légitimité.

     « On est un bois, un bloc, une race.

    On se comprend. On fait à notre idée. On a nos règles, les seules qui vaillent. Les autres peuvent passer, on les salue, de loin, comme ça. Du plus loin possible. »

    La certitude des pierres est un roman dont on se régale, malgré l’amertume certaine qui reste en travers de la gorge, surtout si on a soi-même connu cet entre-soi qui entraine l’exclusion d’autrui et qui est une réalité certaine de la ruralité comme de bien d’autres communautarismes.

    L’auteur ne porte pas directement de jugement mais décrit de l’intérieur même des personnages, le mécanisme de la violence, la loi du silence et le poids d’un orgueil écrasant qui transmis de père en fils et poussé jusqu’à son extrême, peut mener l’homme à sa propre perpétuelle impasse.

    Cathy Garcia

     

     

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    Jérôme Bonnetto est né à Nice en 1977, il vit désormais à Prague où il enseigne le français. La certitude des pierres est son troisième roman.

     

     

     

     

     

     

  • L’œil du paon de Lilia Hassaine

     

     

    Gallimard, 3 octobre 2019

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    230 pages, 18,50 €.

     

    Très bien écrit, fluide, on se laisse facilement aspirer par L’œil du paon qui trace un portrait acerbe d’un certain milieu parisien plutôt huppé. Dans ce roman qui a quelque chose d’un conte moderne froid et cruel, il y a une esthétique de l’écriture qui tient de la peinture. Il y est d’ailleurs fait mention des tableaux de Hopper, dont l’univers colle assez bien en effet avec l’atmosphère du roman.

    Le côté froid, vaniteux, désabusé, à la fois superficiel et pesant de cette vie parisienne, auquel se confronte Héra, la jeune femme, personnage principal du roman, contraste avec la chaleur, la liberté, les couleurs, les parfums de l’île au large de la Croatie, dans laquelle elle a grandi, sorte d’éden à l’abri du monde, peuplé de paons. Oiseau emblématique, délibérément choisi par l’auteur pour ce qu’il évoque : la beauté mais aussi et surtout l’orgueil, caractéristique typiquement humaine, que nous projetons sur lui.  Sur cette île où Héra a vécu seule avec son père, gardien de l’île — sa mère étant morte là-bas très prématurément — plane une menaçante légende en lien avec une ancienne abbaye détruite durant les campagnes napoléoniennes.

    Lilia Hassaine décortique ses personnages au fil des pages, comme des crevettes qui laisseraient sortir un jus pas toujours appétissant, tout en laissant une part de flou, de mystère, d’inaccessible, car l’humain n’est pas en noir et blanc comme les photographies qu’aime prendre Héra. Chacun est comme absorbé dans son propre monde, ses propres secrets, projetant juste une apparence sur une grande toile de cinéma. La salle reste obscure. Les relations humaines sont tristes, artificielles, le mensonge dissimule le malaise ou pire, nul ne semble être vraiment à sa place mais chacun joue son rôle comme dans un théâtre antique. L’intrigue laisse cependant deviner et c’est dommage, la fin bien trop tôt, mais cela n’empêche pas d’apprécier la lecture quasiment jusqu’au bout. L’œil du paon ayant une originalité certaine que la qualité littéraire de l’ensemble sert au mieux.

    L’auteur parvient à ne rendre aucun de ses personnages réellement attachant, ce qui traduit bien l’angoisse sourde qui coule en-dessous de la trame comme un égout. Ici l’humanité est un condensé de tentatives avortés dans une quête de beauté, de perfection, inaccessibles car toujours extérieures à elle. Et puis il y a Hugo, l’unique enfant au centre de la toile, terriblement seul dans un vide qui ne tient plus que par quelques apparences et une bonne dose de cynisme. Quelle place ici pour la fraîcheur, l’innocence ?

    L’œil du paon est un premier roman, que l’on peut qualifier de prometteur.

     

    Cathy Garcia

     

    lILIA hASSAINE.jpgLilia Hassaine est journaliste, diplômée en 2015 de l’Institut Français de Presse. Par la suite, elle effectue de nombreux stages dans la presse écrite, notamment pour Le Parisien et à la télévision pour la chaîne Arte, avant de se faire remarquer grâce à son web-documentaire De mèche contre le cancer où elle traite du don de cheveux. En parallèle, elle intègre le groupe TF1 où elle officie en tant que journaliste avant de rejoindre l’équipe de l’émission Quotidien en janvier 2016, équipe qu’elle a quitté pour écrire ce premier roman.

     

     

     

  • Le soleil sur ma tête (O sol na cabeça) de Geovani Martins

     

    traduit du portugais (Brésil) par Matthieu Dosse

    Gallimard 17 octobre 2019

     

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    135 pages, 15 €.

     

     

     

    « – C’est parce-que le monde entier est foncedé, frère. Comme si tu ne savais pas ça. Je te le répète : une semaine sans came et tout Rio de Janeiro s’arrête. Plus de médecins, plus de chauffeurs de bus, plus d’avocats, plus de policiers, plus d’éboueurs, plus rien. Tout le monde va devenir ouf à cause de l’abstinence. Cocaïne, Rivotril, LSD, ecstasy, crack, cannabis, antidouleurs, peu importe, frère. La came c’est le combustible de la ville. (…)

    – La came et la peur, j’ai ajouté.»

     

    Ceci n’est pas un livre qui parle des favelas de Rio, ce sont les favelas qui y prennent la parole et donnent à voir une autre image, bien plus réelle, de cette ville qui fait rêver avec sa façade de carte postale, ses plages faussement paradisiaques, son carnaval à paillettes, sa samba perpétuelle. Rio de Janeiro a un autre visage, un visage balafré par la violence, fille bâtarde de l’exclusion sociale, un visage recouvert de la poussière humaine déposée par les exodes ruraux, populations nordestines et d’ailleurs, fuyant l’aridité extrême de leur existence et dont les espoirs s’échouent dans les quartiers nord et les bidonvilles nommés ici favelas, en mémoire d’une fleur qui pousse – poussait ? - sur les mornes abrupts qui dominent la ville. Visage cependant non dénué de beauté et capable de séduire par sa force et sa vivacité.

    Dans ces favelas, génération après génération, grandissent des enfants, des adolescents, pour qui l’avenir offre peu de perspectives. Geovani Martins est de ceux là, de ces enfants qui vivent dans la pauvreté excentrée et dont le quotidien est à la fois bousculé et balisé par la violence des trafics de drogue et celle de la police très corrompue. Dans ces zones que se disputent les factions rivales, ce sont les habitants toujours qui en prennent plein la gueule, les balles qui sifflent et les cadavres au petit matin rythment leur quotidien déjà difficile.

    Pour la jeunesse, assignée à faire le guet dès son plus jeune âge pour les dealers, il n’y a que l’amitié, le rire, la fête, les virées à la plage où le touriste inconscient se fait régulièrement dépouiller, pour faire la nique à la mort, au plomb de leur vie mal barrée. Les joints, les acides, la coke, les ecstas, le lança perfume — une drogue à base d'éther très en vogue au Brésil depuis des décennies, au départ comme accessoire de carnaval tout est bon même si pas bon, pour s’évader et s’amuser. La défonce devient le dénominateur commun de la jeunesse du monde entier, mais ici la pente est raide et rapidement sans-retour. L’enfer est facile d’accès et ceux qui touchent au crack en reviennent rarement. Mais dans Le soleil sur ma tête, Geovani Martins ne fait pas dans le pathos, le sensationnel, il parle simplement et avec talent de ce qu’il connait. Il raconte une jeunesse comme n’importe quelle jeunesse, qui a juste besoin de vivre et de mettre des coups de bombes de couleur à une existence qui sent trop vite l’égout.

    L’auteur trempe sa plume dans une encre désabusée mais légère cependant et sensible, le ton est lucide, direct, plein d’humour, de fraîcheur malgré la fièvre de cette ville folle et l’horizon bouché et la langue utilisée est celle de la rue, pas de prise de distance, la littérature est là aussi : dans ce bouillon de la langue populaire.

    Geovani Martins est de ceux qui savent la débrouille et le rire envers et contre tout. Cette joie inconditionnelle qui est un passeport pour la survie et l’énergie d’une jeunesse défavorisée qui ne part pas perdante pour autant. Certains s’en sortent, armés pour la vie par des expériences fortes et des difficultés qui les obligent à être plus malins que la mort. Les favelas elles-mêmes peuvent devenir des centres qui produisent leur propre énergie culturelle et économique. Les possibles ressuscitent encore et encore, malgré tout.

    Treize nouvelles qui vous font passer là où nul touriste n’est censé se promener, treize nouvelles qui évoquent le quotidien de ces cariocas qui n’apparaissent pas sur les cartes postales, la vie sans paillettes des laissés pour compte d’une des villes les plus inégalitaires au monde. La vie telle qu’elle vient jour après jour et telle qu’il faut faire avec. Et puis la magie aussi, la magie de la macumba, de tous les sangs mêlés, les légendes urbaines, tout un univers populaire carioca haut en couleurs auquel l’auteur donne la dimension qu’il mérite, dans la lignée prometteuse d’un Jorge Amado version XXIe siècle.

    Treize nouvelles d’un réel non coupé, d’un pur réel sur la corde raide avec le vide de chaque côté.

     

    Cathy Garcia

     

     

    geovani-martinsjpg.jpgNé en 1991 à Bangu, une favela de la périphérie ouest de Rio de Janeiro, Geovani Martins déménage en 2004, avec sa mère et ses frères à Vidigal, dans la Zona Sul : autre favela, autres règles, autre monde. Le choc provoqué par ce déménagement fut la genèse de chacune de ces treize nouvelles. C’est lors d’une journée en garde à vue, faute d’autre occupation, que découvrant l’œuvre du romancier Roberto Drummond, il prend goût à l’écriture. Après des années de petits boulots et une tentative d'écrire un roman, il travaille à écrire des nouvelles sur une machine à écrire offerte par sa famille et présente son premier recueil à un salon en mars 2017. Il devient un modèle local avec ce premier livre qui connaîtra un grand succès au Brésil avant même d'être publié.

     

     

  • Le dernier grenadier du monde de Bakhtiar Ali

     

    traduit du kurde sorani par Sandrine Traïdia

    Métailié éd., 29 août 2019

     

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    336 pages, 22 €.

     

     

    « Au-dessus de sa tête, il voit les branches d’un grenadier. Il entend le bruit de la destruction et de la pulvérisation des objets, il a entendu parler de la poussière mortelle de verre que le vent répand la nuit sur le monde. »

     

    Un roman bien déstabilisant que nous offre ici cet auteur d’origine kurde, un roman dont le rythme et la narration est tout à fait atypique pour un lecteur occidental, comme une litanie qui s’étire, se distend, se ressasse par des répétitions, comme un conteur qui aurait un peu perdu la tête, une sorte d’errance littéraire traversée de fulgurances d’une beauté telle, que le livre reste collé aux mains du lecteur.

    « Regardez, toutes les histoires sont comme un tout petit ruisseau qui, à la fin, vient se jeter dans la vaste mer, riche de milliers d’autres histoires… Et chaque fois qu’un conteur meurt en chemin, il faut qu’un autre conteur prenne sa place et que, rivière après rivière et mer après mer, il poursuive cette histoire. »

    Mouzaffar Soubdhdam est un ancien officier supérieur peshmerga que l’on sort soudain de vingt et un an d’emprisonnement et d’isolement quelque part dans le désert. Il s’était livré pour sauver son meilleur ami, un légendaire chef révolutionnaire kurde. Libéré, il est emmené dans un palais vide entouré d’un immense jardin, qui appartient à cet ancien ami qui a bien changé et là il se retrouve isolé à nouveau, mais cette fois, il refuse cette réclusion, aussi dorée soit-elle.

    Il a besoin de savoir, de comprendre ce qu’est devenu son pays et aussi de retrouver son fils Saryas Soubdham, son fils qu’il n’a jamais connu. Cette quête lui fait parcourir un pays méconnaissable, que les guerres ont miné de toutes parts et il découvre en chemin qu’il n’existe pas un seul Saryas Soubdham, mais plusieurs : trois garçons du même âge, portant le même nom, qui n’ont pas vécu au même endroit mais qui sont reliés par un fil énigmatique. Un fil, un arbre — le dernier grenadier du monde — et trois fragiles grenades de verre.

    Trois vies défigurées.

    « (…) l’histoire des Saryas, du début à la fin, qu’elle que soit la couleur qu’elle prenne, quel que soit le chemin qu’elle emprunte, n’échapperait pas au fait qu’elle est l’histoire de tous ceux qui se sont retrouvés abandonnés sur cette terre au-milieu des tourbillons de poussière. »

    Et Mouzaffar Soubdhdam raconte, raconte inlassablement son histoire et surtout ce qu’il a pu découvrir de celle de ces trois Saryas et des personnages que chacun d’eux a rajouté à la trame, dont deux sœurs étranges, les sœurs Spi, qui ont fait un pacte avec l’un d’eux, après avoir fait longtemps avant, un pacte entre elles.

    « Lawlaw Spi et Chadarya Spi s’étaient fait très jeunes le serment éternel de ne jamais se marier de leur vie, de ne jamais se couper les cheveux, de ne jamais chanter l’une sans l’autre et de ne porter que des robes blanches. »

    Et quand Mouzaffar raconte, c’est la nuit sur une embarcation en plein milieu de la Méditerranée, une parmi ces centaines et centaines qui se jettent sur l’eau à destination de l’Europe.

    Le dernier grenadier du monde est un roman indescriptible, poétique, tragique, lancinant, comme une lente, très lente traversée d’un espace mélancolique et interminable, celui d’une humanité désertée de toute possibilité d’avenir, une humanité corrompue et détruite de l’intérieur par sa propre folie.

    « Les grandes catastrophes donnent à la vie un cours qu’il n’est plus possible de remanier par la suite. (…) Une nuit, nous nous sommes réveillés et nous avons vu qu’il ne restait plus un carré de ciel au-dessus de nos têtes. Nous avons fui sur les ossements et sur les crânes de nos amis. »

    Le dernier grenadier du monde est l’histoire de tous les innocents broyés par cette folie, l’histoire de tous les enfants renversés par les guerres et sur la nécessité, l’impérieuse nécessité cependant d’un amour fou, un amour qui n’abandonne jamais. Et le long tissu de la langue qui se déroule, avec ces motifs qui se répètent encore et encore, est comme un voile de pudeur qui revêt la trop brutale réalité.

    Et puis il y a cet arbre, cet arbre légendaire et salvateur que trois adolescents, perdus dans une de « ces nuits où la réalité enfonce ses dents les plus laides dans le corps de l’homme », peuvent atteindre.

    « (…) le dernier grenadier du monde, ce grenadier était le seul représentant de leurs rêves, à la frontière qui se trouve entre le ciel et la terre, ce rêve auquel ils ne pouvaient pas donner de nom, le rêve d’une compréhension mutuelle entre les hommes, les frères et les ennemis. »

    Quand les pères sont happés par le tumulte et la violence de l’Histoire, les fils errent en aveugle.

    « Cette nuit-là je compris les malheurs que la disparition et l’impréparation d’un homme pouvait causer. Je compris combien était grande, étrange et importante la place de l’homme sur cette terre. L’homme qui, une fois qu’il est né, laisse pour toujours des traces claires dans la vie des autres. La vie n’est rien d’autre qu’une chaîne éternelle, continue, ininterrompue.»

    « Je sais que l’homme est un être pour qui les chemins se brouillent vite, je sais que l’homme ne trouve pas les chemins. Aucun être sur terre ne perd autant sa route que l’homme… »

    Et cette histoire, c’est donc aussi la nôtre et « c’est un sale temps, une époque dont l‘odeur n’est pas meilleure que celle du cul d’un âne. » et c’est cependant envers et contre tout, un message d’espoir que porte Mouzaffar Soubdham, un message qui espère illuminer cette longue nuit noire de l’humanité perdue.

    « Non, ne dites pas que nous sommes fatigués de cette mer et ne demandez pas jusqu’à quand nous devrons tourner en rond sur cette mer. Demandez-moi pourquoi je suis devenu comme le prophète des souffrances. Pendant vingt et un ans, jour et nuit, j’ai regardé le désert de ma fenêtre et je l’ai appelé à l’aide. Depuis cette fenêtre, j’ai vu quelque chose. Une chose sans laquelle je n’aurais pas survécu… Depuis cette fenêtre, j’ai vu le bonheur du désert, j’ai vu le jeu entre le sable et la lumière. Si, durant ces vingt et un ans, je n’avais pas cru voir une beauté immense et infinie dans ce sable, je m’y serais noyé. Jusqu’à son dernier souffle, jusqu’après sa mort même, l’homme ne doit pas perdre la foi dans son bonheur, il ne doit pas perdre la foi en la beauté… Non je ne suis pas un homme à deux visages. Moi aussi, comme chacun de vous, j’ai crié de tout mon cœur contre toutes les absurdités. Moi aussi j’étais très désespéré. Souvent, j’ai été vaincu, je me suis incliné et j’ai été anéanti. Mais je parle de la lumière qui jaillit après tout désespoir.  »

     

    Cathy Garcia

     

    bartyar-ali-c-khasraw-hamakarim3-300x460.jpgBakhtiar ALI est né à Sulaimaniya, dans le Kurdistan irakien, en 1966. Il est devenu un romancier important dans les années 90. Ses livres sont des best-sellers en Iran et en Irak, il a reçu de nombreux prix littéraires au Moyen-Orient. Il est un des auteurs kurdes contemporains les plus connus. Il vit à Cologne depuis 1998. Il est traduit en farsi, en anglais, en allemand, en italien et en arabe.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Dé-camper de Florentine Rey

     

    Gros Textes éd.2018

     

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    50 pages, 9 €.

     

     

     

    Avant que ne meure le temps d’aimer, comme le chante Barbara, avant de repeindre ou de redécorer, elle s’est désencombrée de tout ce qu’elle savait ne pas être elle pour tenter d’aller se trouver ailleurs. Seule.

     

    « Elle se croit sans colère.

    Rupture facile, pardon, grandeur d’âme ; elle flaire le mensonge, les bobards de la marchande de chimères, le cœur protégé par des ruses de sioux.

    Sa colère c’est à elle qu’elle l’adresse.

    Son cerveau cède le contrôle à des forces anciennes.

     

    (…)

     

    Son projet : mettre l’essentiel dans une valise et partir le plus loin de la ville, du béton, du plastique, des corps à la mode. »

     

    Elle décampe donc pour aller camper seule dans le sud de la France. Une grande voiture, une tente, un carnet, un crayon. « Une assiette, un bol et trois couverts suffiront. » Une nouvelle tête :

     

    « La crête c’est marrant, typé, mais pas joli. » Dixit sa mère.

    « Toute la violence qu’elle essaie de contenir, elle la porte sur sa tête.

    La coupe WOODY : une coupe de piqueuse de bois vert. »

     

    WOODY à qui le PIVORE viendra tenir compagnie, le pic-vert vorace qui dévore les mots bavards, Maître PIVORE, le juge qui rendra son verdict : coupable de rien du tout, on remballe, on retourne sur la plage, écrivez, circulez.

     

    Trouver ce qu’elle est hors des clichés. Femme ?

     

    « Elle a une jupe dans la tête et les réflexes qui vont avec. Dans ses plis logent des chuchotements de nonnes, des histoires de sorcières, de la rage, de l’enfoui qui fait gonfler les jambes. »

     

    Nomade.

    Le mot la réconforte : perspective d’une identité la moins définie possible. »

     

    Avec Dé-camper, Florentine Rey nous entraîne dans un inner-trip, avec des images, des mots bien à elle, une autodérision qui ne cache pas l’émotion à vif, la névrose, jouer avec les mots jusqu’à trouver la clé de l’énigme de soi, du mal-être. La quête d’une identité qui ne trahirait pas l’être dans sa réalité profonde, abyssale, mais comment émerger de cette mer en soi et affronter le large au-dehors peuplé d’Autres avec qui le contact s’avère difficile, compliqué. Malaise de l’incommunicabilité. Ne pas se noyer : ni hors de soi, ni en soi, sans pour autant chercher à se gaver pour contrer la peur, masquer la faim. Mâcher du chewing-gum, avaler du vide, mais mâcher quand même, mâcher jusqu’à plus de mâchoire, mâcher jusqu’à disparition. Jusqu’à l’apparition de Madame COUJOU, qui boursoufle, grosses joues, gros cou, qui gonfle.

     

    « Elle élève la mâche au rang de drogue » mais « La mâche est toxique, ça devient dangereux. »

     

    « Si elle reste bouche vide ?

    Boucherie dans la bouche ? »

     

    Camper, écrit-elle, c’est rétrécir l’habitation et retrouver de l’espace à l’intérieur de soi pour penser, créer.

     

    « Ce qu’elle veut ?

    Une vraie place dans le monde. »

     

    Assumer la sensibilité et la déployer, la dire, se dire sans retenue, faire une force de ce que le monde lui renvoie comme étant un handicap : elle veut être encore plus sensible, sentir plus fort, en faire quelque chose.

     

    « Elle dévoilera la planque du chasseur au chevreuil et fera témoigner les poules qui vivent à quinze sur un mètre carré de paille. Elle rencontrera des cochons qui souhaitent qu’on ferme leurs yeux avant qu’ils ne meurent. Les asticots lui montreront comment manger les morts. »

     

    Décamper est le journal d’un accouchement d’un soi intégral, l’écriture sert de balancier entre le dehors et le dedans, le trop et le pas assez, tenter le pont de mots pour toucher l’autre sans se mettre en danger, sans creuser plus encore les blessures, celles qui lui donnent envie de se dissoudre, « de débarrasser son corps de tous ses organes, le remplir de sel et l’offrir à la mer ». L’écriture permet de toucher du mot les plaies, leur donner des coups de langue.

     

    Femme-poisson, elle habite un château de sable. (…) Personne ne sait qu’elle creuse au centre du château. Un jour, elle coupera sa queue en deux pour se fabriquer des jambes et fuira par le fond du puits.

     

    Dé-camper un recueil qui dit le pas pareil, la non-évidence de l’être au monde, la quête, la peur, le courage d’aller à sa propre source. Ce n’est pas un recueil de poésie, c’est de la poésie qui sourd d’un recueil au fur et à mesure que la source est désobstruée, c’est fort, c’est fragile, intime et bouleversant.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

     

    rey 2.jpgFlorentine Rey est écrivain, poète et performeuse. Elle est née à Saint-Étienne en 1975. Des études de piano intensives affinent sa sensibilité, lui apprennent l’exigence mais l’isolent. Une année d’hypokhâgne lui fait rencontrer la philosophie. Elle entre ensuite à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris-Cergy. À la fin de ses études, elle crée une structure de production artistique où se croisent l’art et la technologie. Six ans plus tard, la nécessité d’écrire et de créer la rattrape. Elle se consacre aujourd’hui à l’écriture et à la performance. Son travail interroge notamment le corps et le féminin. Son site :  https://florentine-rey.fr/

     

     

     

     

  • Kintu de Jennifer Nansubuga Makumbi

     

    traduit de l’anglais (Ouganda) par Céline Schwaller

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    Métailié éd., 22 août 2019. 480 pages.

     

    Ce roman est une fresque étourdissante d’une densité telle qu’il est impossible de le résumer, et d’ailleurs tel n’est pas le but de cette note, mais il faut tout de même pouvoir donner quelques pistes au lecteur. De quoi s’agit-il ? D’une histoire de famille sur plusieurs générations, trois siècles, en Ouganda, donc bien avant que ce pays ne soit arbitrairement nommé ainsi par le colon britannique, en référence à l’ethnie Ganda, occultant ainsi toutes les autres qui peuplaient cette terre.

    Kintu est donc une histoire de famille, mais à vrai dire, c’est avant tout l’histoire d’un geste malheureux et de ses conséquences : la répétition transgénérationnelle d’une malédiction. La gifle d’un père, Kintu, à son fil adoptif, Kalema, lors d’une déjà difficile traversée de désert, ayant entraîné accidentellement la mort de ce dernier, qui de plus, fut vite et mal enterré par mégarde à coté d’un arbuste épineux auprès duquel on enterre habituellement les chiens.

    Le roman démarre par un prologue, nous sommes en janvier 2004 à Bwayse, un bidonville situé dans une zone marécageuse au pied de Kampala. Kamu Kantu y est assassiné. Kamu Kantu est un descendant de Kintu Kidda, l'ancêtre qui a attiré la malédiction sur sa lignée. Et ce prologue laisse place au premier chapitre qui nous ramène à l’origine donc de cette malédiction : en 1750, dans la Province du Buddu, au Buganda.

    Plusieurs générations vont ainsi se succéder, depuis le temps des clans, des royaumes jusqu’au début du XXIe siècle. L’histoire des individus mêlée, emmêlée à l’Histoire d’une terre sur laquelle sont venues, les unes après les autres, se greffer des religions importées et conflictuelles, dont la pas si petite dernière : la très activiste évangéliste. Une terre démembrée par la colonisation, ce qui a entre autre ravivé et compliqué les guerres tribales, et qui essaie d’avancer avec de douloureuses prothèses occidentales comme tout le reste du continent, et tous les flux migratoires consécutifs, la modernisation et la paupérisation qui va avec, les guerres encore, le sida… Y est évoqué bien-sûr la sinistrement célèbre figure d’Idi Amin Dada, mais d’un point de vue ougandais, notamment dans une discussion entre deux amis qui ne sont pas d’accord. La figure était cependant déjà suffisamment et atrocement sanguinaire, sans besoin que les fantasmes occidentaux n’en rajoutent pour en faire une caricature révélatrice de leur propre peur du « noir », tout en faisant oublier ainsi leur responsabilité dans l’instauration de ce dictateur, comme tant d’autres en Afrique.

    Kintu est un roman, écrit forcément dans la langue de l’ancien colon britannique, mais c’est vraiment un roman ougandais, sans compromis.

    Si la toile de fond se transforme au cours des siècles, Jennifer Nansubuga Makumbi tisse sa trame avec tant de subtilité, l'art de montrer sans dire, que ce n'est pas ce qu’on pourrait appeler une fresque historique. L’Histoire est un grand fleuve, mais ce sont les êtres humains qui sont ici au centre de la fresque, ils sont bien sûr entraînés par le courant, roulés, malaxés, modelés et parfois brisés par lui, mais, comme des galets, ils sont solides. Ils ont leur propre densité, identité, ils sont tous reliés à une montagne originelle, ancestrale et si la destinée de chacun est à la merci des événements, il existe aussi une forme de prédestination. La force du fleuve ne change rien à la malédiction qui poursuit les descendants de Kintu Kidda, génération après génération, mais cela pourrait tout aussi bien être une bénédiction, ce qui émerge de ce roman, c’est le fil qui nous relie les uns aux autres et qui traverse le temps.

    Roman foisonnant, puissant, où l’on se perd facilement mais, comme les personnages, nous sommes entraînés par la force du courant. Une liste et un arbre généalogique en début d’ouvrage peuvent nous aider à reprendre pied, mais à vrai dire on n’en a pas forcément envie, car très vite, il n’est pas tant question de tout comprendre, mais plutôt de se laisser emporter et peu à peu imprégner de cette langue franche et magnifique avec laquelle Jennifer Nansubuga Makumbi nous raconte sa terre d’origine.

    Un premier roman magistral.

    Cathy Garcia

     

    jennifer-nansubuga-makumbi.jpgJennifer Nansubuga MAKUMBI est née à Kampala. Elle a étudié et enseigné la littérature anglaise en Ouganda, avant de poursuivre ses études en Grande-Bretagne, à Manchester, où elle vit aujourd'hui. Son premier roman, Kintu, lauréat du Kwani Manuscript Project en 2013, sélectionné pour le prix Etisalat en 2014, a reçu un accueil critique et public extraordinaire, aussi bien en Afrique qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, qui lui a valu d'être comparée à Chinua Achebe et considérée comme un « classique » instantané. Elle a remporté le Commonwealth Short Story Prize en 2014 et le prix Windham Campbell en 2018. En sélection pour le Prix Médicis étranger 2019.

     

     

     

     

     

  • Tout est provisoire même le titre de Mix ô ma prose

     

    Cactus Inébranlable, coll. Les p’tits cactus # 49

    CVT_Tout-est-provisoire-meme-ce-titre_3525.jpg

    2019. 80 pages, 9 €.

     

     

    « Être fier d’aller de l’avant,

    Debout sur un tapis roulant »

     

     

    En voilà un drôle de zèbre (clin d’œil à ceux qui se reconnaîtront) ce Mix ô ma prose ! Son Tout est provisoire même le titre est un vrai festin, un concentré de nourriture aussi délicieuse que corrosive, le lecteur n’en fera cependant pas indigestion car le plat est drôlement bien équilibré. Avec intelligence, justesse, une lucidité à vif et une ironie salvatrice, l’auteur qui n’aime pas signer de son nom, pose des pensées qui claquent, des mots kits de survie dans un monde carré à sens unique où l’impératif d’avoir, de réussir, mentir, gonfler, tricher, paraître mieux pour gagner du creux, assomment toute tentative de réelle humanité.

     

    « Je voulais être,

    Je me suis fait avoir. »

     

    Et savoir exprimer l’essentiel en deux phrases, c’est un art.

     

    « Entre moi et le bleu du ciel,

    Le langage institutionnel. »

     

    Tout est provisoire même le titre est une sorte de pense pas bête libert’air qui sans se prendre au sérieux, ni donner de leçons à personne, creuse des issues de secours vers des cieux plus sauvages, plus authentiques, vers la liberté d’être soi envers et avec tout en échappant aux injonctions de l’artifice.

     

    « Connaissant la musique,

    Je reste hors de portée. »

     

    « De nos jours,

    Réfléchir,

    C’est refléter

    Ce qui est proposé. »

     

    « La nature enfin dominée,

    Belle et triste comme un herbier. »

     

    « Tout est cher,

    Même la réalité a augmenté. »

     

    « C’est vous qui composez votre menu,

    Et c’est comme cela qu’ils nous ont eus. »

     

    « Avoir un cœur de pierre

    Pour faire carrière. »

     

    Mais l’auteur, s’il pense que son nom n’a pas d’importance, ne se cache pas tant que ça : maniant l’humour sans céder à la facilité, il s’expose au contraire, se dénude, dans sa fragilité, son handicap à la normalité et ses « rêves savonnettes ».

     

    « Si je devais résumer ma vie :

    Tant pis ! »

     

    « J’ai pris de la mort avec sursis. »

     

    « Avec la société d’aujourd’hui,

    J’ai des rapports non consentis. »

     

    « Ma vie parmi les hommes :

    Syndrome de Stockholm. »

     

    « Pas évident,

    quand nos centres d’intérêt

    Sont à la marge. »

     

    « Mes utopies

    Sur un bûcher

    Sont accusées

    De sorcellerie. »

     

    « Depuis le temps que la lutte est finale... »

     

    « Je me suis coupé de la société

    Et la plaie ne s’est jamais refermée. »

     

     

    Si vains les efforts pour « en être ».

     

    « L’ego gonflé à bloc

    Pour aller en soirée

    Tenter de s’éclater. »

     

    « Toujours à fond,

    Mais en surface. »

     

    « Merde, le fond de ma pensée est percé ! »

     

    « Miroir, miroir, mon beau miroir,

    Suis-je le plus rebelle ? »

     

    « Suis-je négatif parce que j’ai refusé

    d’être un cliché ? »

     

    « Je reste à l’écart

    Et il se creuse. »

     

     

    Comme il le dit lui-même, Mix ô ma prose fait

    «  de la poésie

    Par souci d’intégrité

    Car c’est bien connu,

    Elle ne se vend pas. »

     

    « Pour être précis,

    La formule exacte est :

    Poète autotorturé »

     

     

    Mais le poète a pris l’option linguistique pour mettre à jour nos tics de langage.

     

    « Ah des tics !

    J’ai eu peur, j’avais compris

    "d’éthique" ! »

     

     

    « J’ai beau lécher les vitrines,

    Aucune trace de cyprine. »

     

     

    « Et pour une fois

    Qu’il y a quelque chose de gratuit

    c’est la méchanceté »

     

     

    «  Ainsi les publicités pourraient être

    mensongères ? »

     

     

    «  Au lieu de la campagne

    C’est la ville qu’on devrait battre. »

     

     

    Il gratte le vernis qui recouvre nos mots pour nous faire entendre ce qui est vraiment dit :

     

     

    « Même pour la lecture,

    Ils nous ont foutu des grilles. »

     

     

    « Même le respect

    Il faut le forcer. »

     

     

    « Avec tous ces profils,

    On ne se regarde plus en face. »

     

     

    « Quand on aime, on ne compte pas

    Mais on se calcule. »

     

     

    « Les décisions sont si lourdes

    Qu’il nous faut un porte-parole. »

     

     

    « Je ne connais pas le prix de la vie,

    Mais il m’a tout l’air soldé ces temps-ci. »

     

     

    « On a plus de compassion pour les batteries ;

    Quand elles sont faibles, on les recharge. »

     

     

    « Sinon pour la prise de conscience,

    C’était le bon voltage ? »

     

     

    « Ne dites pas que l’on va droit dans le mur ;

    Faites comme tout le monde, dites futur. »

     

     

    Il dévoile l’absurde dont nos cécités quotidiennes camouflent l’évidence.

     

     

    « À part l’épargne,

    Y’a quoi comme plan ? »

     

     

    « Rien ne marche,

    Tout fonctionne. »

     

     

    « Même nos codes se barrent. »

     

     

    « Le plus inquiétant

    C’est que tout soit normal. »

     

     

    « Tellement intégré

    Que j’ai disparu. »

     

     

    « Il y a un scénario à la base

    Ou c’est improvisé ? »

     

     

    « Putain les gens,

    Merde, quoi !

    Ça se voit !!! »

     

     

    Tout est provisoire même le titre est un petit shoot qui devrait être remboursé par la Sécu :

     

    « Bien sûr que l’on a progressé ;

    Au départ, il y avait un point

    Et on a une ligne à l’arrivée. »

     

    « Franchement, Dieu n’est pas si con

    Aucune enquête de satisfaction. »

     

     

    Petite mais efficace piqûre de rappel pour temps sombre : tant qu’il y a de l’humour, il y a encore une chance pour qu’il y ait de la vie, de la vraie, vivante, impertinente qui se glisse en douce sous des plumes de poètes, là où elle sait qu’elle sera respectée, protégée.

     

     

    Cathy Garcia

     

     mix-o-ma-prose-par-morgan-prudhomme.jpgDerrière Mix ô ma prose se cache Olivier Boyron, un Viennois d’origine qui a eu le privilège de grandir dans la « vallée de la mort ». Malgré un cadre apaisant et propice au recueillement, il peine à s’adapter au monde qui l’encercle. Pour lui, le chaos n’est déjà plus une théorie mais une réalité dont il dépassera la friction au travers de nombreuses expériences : écriture, dessins, peintures, théâtre de rue… Mix ô ma prose, lui, nait en 2002 d’une rencontre avec le slam dont il devient un des pionniers en Rhône-Alpes avec La Section lyonnaise des Amasseurs de Mots et Les Polysémiques, association qu’il fonde à la même période. En 2006 il co-fonde La Tribut du Verbe, une compagnie de slam poésie qui propose toujours spectacles et performances. En 2016 Les Polysémiques rajoutent une branche éditions à leurs activités, il en devient le responsable d’éditions. Malgré tout, toujours mal à l’aise avec les conventions, il stoppera net sa déjà courte bio.