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CITATIONS - Page 110

  • Saïd Mohamed

     

    Revenir sur ton ventre noyer ma détresse à l’hôtel des carnages

    en soudoyant le gardien de nuit

    après une errance de bar en bar

    pour resquiller la lumière

     

    in L'éponge des mots

     

     

     

  • Marguerite Yourcenar

     

    Fonder des bibliothèques, c'était encore construire des greniers publics, amasser des réserves contre un hiver de l'esprit qu'à certains signes, malgré moi, je vois venir.

    in Mémoires d'Hadrien  

     

     

     

  • Ernst Meister

     

    Mélancolie

    Et toute parole est adieu,
     lancé à travers la porte de la maison des morts,
     où chante une tête d'ossements,
     où des doigts d'ossements jouent
     la vieille romance :

    Livide - la face interne de la rouge enveloppe de la
     pomme,
     Plus livide encore l'enfant sur la marche de pierre,
     quand tombe le soir et qu'il tremble,
     ne sait pas où partit sa mère,
     qui pleurait et répète sans cesse,
     que son sang coule,
     qu'elle s'évide... s'écoule... s'éva...

    Vous les êtres, où êtes-vous, qui tenez les mots,
     nous tenez ?
     Vous les anges ? - les anges gisent en leur cercueil,
     empoussiérés de la neige des soupirs.
     Ils gisent dans cette autre salle de la maison,
     où des doigts d'ossements jouent la 
      vieille romance :

    Livide - la face interne de la rouge enveloppe de la pomme...



    in L’Étoile du possible

    traduction de l’allemand par Denis Thouard et Françoise Lartillo

     

     

     

     

  • Saïd Mohamed

     

    Pas de gloire à se combler d’alcool

    Pour s‘inventer des cataplasmes.

     Boire encore et tordre le cou aux sortilèges.

     Capitaine au long cours veillant sur l’histoire du hasard.

     Taillader son chemin dans l’aventure de rues lisses.

     

     in L'éponge des mots

     

     

     

  • Ossip Mandelstam

     

    À mes lèvres je porte ces verdures,  

    Ce gluant jugement de feuilles,  

    Cette terre parjure, mère  

    Des perce-neige, des érables, des chênes.

    Vois comme je deviens aveugle et fort  

    De me soumettre aux modestes racines,  

    Et n'est-ce pas trop de splendeur  

    Aux yeux que ce parc fulminant ?

    Les crapauds, telles des billes de mercure,  

    Forment un globe de leurs voix nouées,  

    Les rameaux se changent en branches  

    Et la buée en chimère de lait.

     

    30 avril 1937

    (traduit par Philippe Jaccottet)

     

     

  • André Laude

     

    Combien de taureaux dans les ruelles de l’errance où je cherche Marie-Juana au visage d’enfance abîmé par les matelots de Sydney, Vancouver et Brest-Recouvrance. Combien de taureaux fous derrière mon front de rêveur. Combien de vers dans la sombre tombe où repose mon ami. Combien de clous enfoncés dans ce cercle rouge mon coeur. Combien de prophètes et de sourciers au bout des déserts. Je cherche Marie-Juana une femme sans âge, elle est sorcière du monde des légendes des pays verts. Elle est l’hostie sur mes lèvres et la lampe à huile au fond de mes yeux. Combien de taureaux aveugles et combien de feux et combien de morts dans des guerres pour d’obscures îles.

     

     

  • Sam Shepard

     

     Le missionnaire européen était assis accroupi avec les Indiens Hurons en grand cercle autour d’un feu de camp. C’était une position à laquelle il n’était pas habitué, et il avait le sentiment qu’elle ne l’aiderait pas à convaincre les Indiens de partager son point de vue. Néanmoins il leur a exposé courageusement l’idée selon laquelle il n’était pas un mais deux. En l’entendant les guerriers ont éclaté de rire et ont commencé à jeter de gros bâtons et de la poussière dans le feu. Un étrange mélange de terreur et de ressentiment a alors envahi le cœur du missionnaire. Lorsque les rires ont cessé, il a poursuivi son exposé. Avec patience, il a expliqué aux sauvages que ce corps fait de chair et de sang qu’ils voyaient assis devant eux n’était qu’une coquille extérieure, et qu’en lui un corps invisible plus petit habitait, qui un jour s’envolerait pour vivre dans les cieux. Les Hurons ont gloussé de plus belle, en se faisant des signes de tête entendus tout en vidant les cendres de leurs pipes en pierre dans le feu crépitant. Le missionnaire avait le sentiment d’être profondément incompris, et était sur le point de se lever pour regagner sa tente, vexé, lorsqu’un vieil homme près de lui l’a arrêté en lui saisissant l’épaule. Il lui a expliqué que tous les guerriers et les chamans présents dans le cercle connaissaient l’existence de ces deux corps et qu’ils avaient également de petits êtres qui vivaient en eux, au cœur de leurs poitrines, et qui s’envolaient eux aussi au moment de la mort. Cette nouvelle a réjoui le missionnaire, et l’a convaincu que les Indiens étaient désormais sur le même chemin spirituel que lui. Avec un zèle renouvelé, il a demandé au vieil homme où, selon son peuple, ces petits êtres intérieurs s’en allaient. Les Hurons ont tous recommencé à rire, et le vieil homme a désigné du doigt la cime d’un énorme cèdre millénaire dont la silhouette se dressait dans la lueur du feu. Il a dit au missionnaire que ces « petits êtres » allaient au sommet de cet arbre puis descendaient dans son tronc et ses branches, où ils vivaient pour l’éternité, et que c’était pour cela qu’il ne pouvait pas l’abattre pour construire sa petite chapelle.  

     

    in Chroniques des jours enfuis