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CITATIONS - Page 106

  • Pierre Emmanuel

     

    Chien noir qui sors de la muraille ensanglantée  reviens flairer leurs derniers pas, ô hurle encore à la Mort dans le cirque sourd de nos années !  Le tueur dit : sautent les crânes ! et les crânes  font sauter avec eux le ciel. Le tueur dit :  la grenade, en plein tas ! et le volcan éclate  éclaboussant les murs de flamme et de pensée.  Le tueur dit : brûlez ! et les os de la terre  craquent dans son rictus haineux. Le tueur dit :  que le vent fasse place nette ! et le vent vient  docile, éparpiller les cendres. Le tueur  dit : RI-EN, il n’y a RI-EN. Mais si, tueur  il y a ce chien qui se souvient de toi, ton âme  de désespoir aboie sans trêve en ce chien noir.

     

    in Tristesse Ô ma Patrie, 1946

     

     

     

  • Jany Pineau

     

    Décalée

    Un peu

    En rade

    Tendue

     

    Déboussolée

     

    Malgré ce qui va droit

     

     (...)

     

    Il est temps d'aller

     

    D'aller noircir

    Les petits matins froids

     

     

    in En train de dérailler

     

     

     

     

  • Ossip Mandelstam



     À mes lèvres je porte ces verdures,
     Ce gluant jugement de feuilles,
     Cette terre parjure, mère
     Des perce-neige, des érables, des chênes.

    Vois comme je deviens aveugle et fort
     De me soumettre aux modestes racines,
     Et n'est-ce pas trop de splendeur
     Aux yeux que ce parc fulminant?

    Les crapauds, telles des billes de mercure,
     Forment un globe de leurs voix nouées,
     Les rameaux se changent en branches
     Et la buée en chimère de lait.

    30 avril 1937 
    traduit par Philippe Jaccottet)

     

     

     

  • Kate Braverman

     

    Les poètes enfoncent leurs têtes dans les fours. Attirés qu’ils sont par le pouls de la flamme bleue. Leurs crânes sont des plazzas de chagrin et de pourriture. Ils ont au fond des yeux des entrepôts et des jetées. Il y a le déchirement atroce du cœur au moment de partir. Puis ils s’enquillent du monoxyde de carbone par la bouche. N’ont de cesse de tomber malades sous l’évangile fielleux de la lune. 

     in Bleu éperdument

     

     

     

  • Luis Sepúlveda

     

    « - Ce violon, quand l’avez-vous perdu, l’ami ?

    - Qui vous a dit ça ? Je ne peux pas l’avoir perdu puisque je ne l’ai pas encore trouvé, déclare t-il dans une nouvelle démonstration de logique écrasante. »

     

    in Dernières nouvelles du Sud

     

     

  • Ossip Mandelstam


    Armé de la vision des guêpes étroites
     Qui sucent l'axe de la terre, l'axe de la terre,
     Je pressens tout ce qu'il m'a fallu connaître,
     Je m'en souviens par cœur et vainement.

    Et je ne dessine pas, ne chante pas,
     Ne guide pas l'archet à la voix noire:
     Je me contente de boire la vie et j'aime
     À envier les guêpes fortes et rusées.

    Oh, qu'un jour vienne, n'importe quand,
     Où la piqûre de l'air et la chaleur de l'été
     M'obligent, une fois franchis soleil et mort,
     À entendre l'axe de la terre, l'axe de la terre.

    8 février 1937

     traduit par Jean-Claude Schneider

     

     

     

     

  • Black Elk, Sioux-Oglala

     

    La deuxième paix est celle qui se crée entre deux individus, la troisième et celle qui soude deux nations. Mais au-dessus de tout cela il vous faut comprendre que la paix ne sera pas possible entre les nations tant qu’on ne sera pas convaincu que la véritable paix – comme je l’ai souvent dit – se trouve au cœur même de l’âme humaine.

     

     

     

  • Edmond Jabes

     

    Je suis à la recherche d’un homme que je ne connais pas,
     qui jamais ne fut tant moi-même
     que depuis que je le cherche. A-t-il mes yeux, mes mains
     et toutes ces pensées pareilles
     aux épaves de ce temps ?

    Saison des mille naufrages,
     la mer cesse d’être la mer,
     devenue l’eau glacée des tombes.
     Mais, plus loin, qui sait plus loin ? 
     


     in Chansons pour le repas de l’ogre (1943-1945)

     

     

  • Roberto Juarroz

     

     Tandis que tu fais une chose ou l'autre,
     quelqu'un est en train de mourir.

    Tandis que tu brosses tes souliers,
     tandis que tu cèdes à la haine,
     tandis que tu écris une lettre prolixe
     à ton amour unique ou non unique.

    Et même si tu pouvais ne rien faire,
     quelqu'un serait en train de mourir,
     essayant en vain de rassembler tous les coins,
     essayant en vain de ne pas regarder fixement le mur.

    Et même si tu étais en train de mourir,
     quelqu'un de plus serait en train de mourir,
     en dépit de ton désir légitime
     de mourir un bref instant en exclusivité.

    C'est pourquoi si l'on t'interroge sur le monde,
     réponds simplement : quelqu'un est en train de
     mourir.

    in Poésie verticale, traduit par Roger Munier