Carolyn Carlson
Je voudrais parfois tout abandonner, être poète seulement,
affranchie du lieu et de l’espace rien que ce pas nu...
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Je voudrais parfois tout abandonner, être poète seulement,
affranchie du lieu et de l’espace rien que ce pas nu...
Nous ne voyons jamais les choses telles qu'elles sont,
nous les voyons telles que nous sommes.
J'ai au cœur une bête sauvage qui ne sort que la nuit et pour quelques secondes. Elle s'empare des restes abandonnés par le jour - feuille, visage ou parole - et elle regagne précipitamment son trou, ayant trouvé de quoi manger pour deux siècles. Ce n'est jamais la même chose dont elle se nourrit - ici un voyage, là une lecture, ailleurs un silence, - mais c'est toujours la même joie qui est cherchée et parfois atteinte, une joie légère et enfantine comme une tâche de soleil.
Le poète descend du songe
La terre seule me rassure, quelle que soit la part de boue qu'elle contient.
in La garde du cœur
Il n'y a pas de hasard. Il y a juste des rendez vous.
L’essence du monde
Des diplodocus broutent
Les racines des bao-
babs morts vingt mille lieues sous
Le trajet du pétro-
lier qui s’est échoué dans
l’Atlantique en première
page du Monde à la caisse
de la station essence
in Quelques microsecondes sur terre
Les Tilleuls du Square/Gros Textes 2015. 77 pages, 7 €.
Oui, la vie porte l'absolu et il revient à l'homme de l'incarner ici, qui ne l'atteindra jamais. Oui, la beauté, la poésie, l'amour, l'éros, la joie, la subversion, l'autonomie, l'indépendance sont des valeurs contemporaines qu'il reste à défendre. Oui, le but de l'homme est l'amour, toujours plus d'amour. Oui, n'en déplaise aux marchands, aux esthètes, aux cyniques, aux épargnants, aux religieux et aux athées, la vie se conjugue dans la dépense, le don, l'ouverture, l'acceptation, la perte. Ceux qui l'osent ont appris que l'écriture est habitée de sexualité comme le ventre, et qu'il faut s'y enfoncer avec la même ardeur que les consonnes masculines fouaillent la béance des voyelles dans la phrase. C'est au prix de cette conscience-là, et de l'enjeu qu'elle représente, que l'esprit circule entre les lettres et porte le souffle. Les poètes le savent, les prophètes et les saints : que les mots sont aussi sexuels que le corps des femmes et que le souffle les féconde s'ils se laissent épouser.
in La clôture des merveilles: Une vie d'Hildegarde de Bingen
Fasciné par les mailles du filet
On finit par croire qu’on ne pourra
Échapper à la raison qui vient à nous.
in Souffles
L‘insulte nous a cueilli au cœur de la joie. Déplumé l’oiseau aux sept couleurs. Sidaïque l’oncle Jo des Amériques. La petite Jeanne s’injecte de l’héroïne.
Comme des orphelins, efflanqués nous ne croyons plus en rien. Nous avons vu tant de désastres, de boue ruisseler des montagnes, de louves pleines les flancs ronds, de vagabonds pointer sur la carte du ciel une étoile rouge. De marins condamnés à errer d’île en île (…) étrangement ballotés entre l’histoire d’un monde aux urgences de grisaille et l’impatience de vivre.
in L'éponge des mots
Nous avancions lentement sur une route de graviers car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés.
in Dernières nouvelles du Sud
Avec la soif
Qui est un des lieux du poème.
in Triptyque du veilleur
Je suis morte à ta porte
cette nuit en chienne
Tu m’as laissée
éparpillée
sur le trottoir
et tu lisais
probable
ton journal
in Demain l’Amazone
ILS
saisissent le jour nouveau
à bras le corps
et lui font passer un sale quart d'heure
Ensuite ils ont quartier libre
Jusqu'au lendemain
in Mais qui sont-ils ? Minicrobe 33
dégorgez des chimères la
crinière trempée et qu’appareille
enfin le galion des embruns
cinglant ses sortilèges
délavez des légendes la pourpre et la dorure
mettez à nu le blanc dont le temps fait des spectres
in Ah ! salines des aubes…