Erri de Luca
Surveillés par des gardiens, nous sommes coupables de voyages
in Aller simple
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Surveillés par des gardiens, nous sommes coupables de voyages
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C'est plus fort que vous : il vous est nécessaire de refuser une quantité considérable de rencontres, afin de préserver une chose dont la plus juste formule est "rien" ; ne rien faire, rien dire, presque rien être. Vous y découvrez le cœur subtil du temps, son cœur battu par le rien du sang dans les veines. C'est un état limite dont vous avez besoin, une mince ligne de rien entre l'ennui et le désespoir, et la joie qui passe en funambule sur ce fil, la joie qui se nourrit précisément de rien
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge,
Dans le velours trompeur de la neige,
Dans l'haleine de quelques chiens réunis,
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Abreuvée de lune camomille au bar des petites heures,
elle aime la peau de chagrin et la monnaie de singe
qui réclame sa part de miracles.
A la fin, nous nous souviendrons non pas des mots de nos ennemis,
mais des silences de nos amis.
la mer se referme plus rapide que le désert.
in Aller simple
Des mains m’ont saisi, douaniers du Nord, gants en plastique et masque sur la bouche. Ils séparent les morts des vivants, voici la récolte de la mer, mille de nous enfermés dans un endroit pour cent.
in Aller simple
Je rêvais de toucher la tristesse du monde au bord désenchanté d’un étrange marais je rêvais d’une eau lourde où je retrouverais les chemins égarés de ta bouche profonde j’ai senti dans mes mains un animal immonde échappé à la nuit d’une affreuse forêt et je vis que c’était le mal dont tu mourais que j’appelle en riant la tristesse du monde une lumière folle un éclat de tonnerre un rire libérant ta longue nudité une immense splendeur enfin m’illuminèrent et je vis ta douleur comme une charité rayonnant dans la nuit la longue forme claire et le cri de tombeau de ton infinité.
in L’Archangélique et autres poèmes
Je voudrais parfois tout abandonner, être poète seulement,
affranchie du lieu et de l’espace rien que ce pas nu...
Nous ne voyons jamais les choses telles qu'elles sont,
nous les voyons telles que nous sommes.
J'ai au cœur une bête sauvage qui ne sort que la nuit et pour quelques secondes. Elle s'empare des restes abandonnés par le jour - feuille, visage ou parole - et elle regagne précipitamment son trou, ayant trouvé de quoi manger pour deux siècles. Ce n'est jamais la même chose dont elle se nourrit - ici un voyage, là une lecture, ailleurs un silence, - mais c'est toujours la même joie qui est cherchée et parfois atteinte, une joie légère et enfantine comme une tâche de soleil.
Le poète descend du songe
La terre seule me rassure, quelle que soit la part de boue qu'elle contient.
in La garde du cœur
Il n'y a pas de hasard. Il y a juste des rendez vous.
L’essence du monde
Des diplodocus broutent
Les racines des bao-
babs morts vingt mille lieues sous
Le trajet du pétro-
lier qui s’est échoué dans
l’Atlantique en première
page du Monde à la caisse
de la station essence
in Quelques microsecondes sur terre
Les Tilleuls du Square/Gros Textes 2015. 77 pages, 7 €.