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CITATIONS - Page 115

  • Christian Bobin

     

    J'ai au cœur une bête sauvage qui ne sort que la nuit et pour quelques secondes. Elle s'empare des restes abandonnés par le jour - feuille, visage ou parole - et elle regagne précipitamment son trou, ayant trouvé de quoi manger pour deux siècles. Ce n'est jamais la même chose dont elle se nourrit - ici un voyage, là une lecture, ailleurs un silence, - mais c'est toujours la même joie qui est cherchée et parfois atteinte, une joie légère et enfantine comme une tâche de soleil.

     

     

  • Perrin Langda

     

    L’essence du monde

     

    Des diplodocus broutent

    Les racines des bao-

    babs morts vingt mille lieues sous

    Le trajet du pétro-

    lier qui s’est échoué dans

    l’Atlantique en première

    page du Monde à la caisse

    de la station essence

     

    in Quelques microsecondes sur terre

    Les Tilleuls du Square/Gros Textes 2015. 77 pages, 7 €.

     

     

     

     

     

  • Lorette Nobécou

     

    Oui, la vie porte l'absolu et il revient à l'homme de l'incarner ici, qui ne l'atteindra jamais. Oui, la beauté, la poésie, l'amour, l'éros, la joie, la subversion, l'autonomie, l'indépendance sont des valeurs contemporaines qu'il reste à défendre. Oui, le but de l'homme est l'amour, toujours plus d'amour. Oui, n'en déplaise aux marchands, aux esthètes, aux cyniques, aux épargnants, aux religieux et aux athées, la vie se conjugue dans la dépense, le don, l'ouverture, l'acceptation, la perte. Ceux qui l'osent ont appris que l'écriture est habitée de sexualité comme le ventre, et qu'il faut s'y enfoncer avec la même ardeur que les consonnes masculines fouaillent la béance des voyelles dans la phrase. C'est au prix de cette conscience-là, et de l'enjeu qu'elle représente, que l'esprit circule entre les lettres et porte le souffle. Les poètes le savent, les prophètes et les saints : que les mots sont aussi sexuels que le corps des femmes et que le souffle les féconde s'ils se laissent épouser.

    in La clôture des merveilles: Une vie d'Hildegarde de Bingen

     

     

     

  • Saïd Mohamed

     

    L‘insulte nous a cueilli au cœur de la joie. Déplumé l’oiseau aux sept couleurs. Sidaïque l’oncle Jo des Amériques. La petite Jeanne s’injecte de l’héroïne.

    Comme des orphelins, efflanqués nous ne croyons plus en rien. Nous avons vu tant de désastres, de boue ruisseler des montagnes, de louves pleines les flancs ronds, de vagabonds pointer sur la carte du ciel une étoile rouge. De marins condamnés à errer d’île en île (…) étrangement ballotés entre l’histoire d’un monde aux urgences de grisaille et l’impatience de vivre.

     

    in L'éponge des mots

     

     

  • Luis Sepúlveda

     

    Nous avancions lentement sur une route de graviers car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés. 

     

    in Dernières nouvelles du Sud

     

     

  • Kouki Rossi

     

    Je suis morte à ta porte

    cette nuit en chienne

    Tu m’as laissée

    éparpillée

    sur le trottoir

    et tu lisais

    probable

    ton journal

     

    in Demain l’Amazone

     

     

     

  • Paul Guiot

     

     ILS

    saisissent le jour nouveau

    à bras le corps

    et lui font passer un sale quart d'heure

    Ensuite ils ont quartier libre

    Jusqu'au lendemain

     

    in Mais qui sont-ils ? Minicrobe 33

     

     

     

     

  • Vera Feyder

     

    dégorgez des chimères la

    crinière trempée et qu’appareille

    enfin le galion des embruns

    cinglant ses sortilèges

    délavez des légendes la pourpre et la dorure

    mettez à nu le blanc dont le temps fait des spectres

     

     in Ah ! salines des aubes…

     

     

     

     

  • Blaise Cendrars

     

    Et alors, j'ai pris feu dans ma solitude car écrire c'est se consumer... L'écriture est un incendie qui embrase un grand remue-ménage d'idées et qui fait flamboyer des associations d'images avant de les réduire en braises crépitantes et en cendres retombantes. Mais si la flamme déclenche l'alerte, la spontanéité du feu reste mystérieuse. Car écrire c'est brûler vif, mais c'est aussi renaître de ses cendres.  

    in Lettre à Edouard Peisson, Aix-en-Provence le 21 août 1943