Francis Giauque
mais ce n’est pas la paix
ce n’est jamais la paix nulle part
ni dans la chambre close
ni sur le lit défait
qui ressemble soudain à un piège
où la mort assemble les pièces
de son misérable échiquier
In Terre de dénuement
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mais ce n’est pas la paix
ce n’est jamais la paix nulle part
ni dans la chambre close
ni sur le lit défait
qui ressemble soudain à un piège
où la mort assemble les pièces
de son misérable échiquier
In Terre de dénuement
ivres à l’égal
de ces jonchées de bleu
dans la tanière obscure du soleil
in Dans la tanière obscure du soleil
Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent. Et ce n’est pas pour qu’elle triomphe mais pour qu’elle s’abîme avec lui, avant de consommer un divorce fécond, que le poète marche à sa perte, d’un pied sûr. Sa chute, il n’a pas le pouvoir de se l’approprier, aucun droit de la revendiquer et d’en tirer bénéfice. Ce n’est qu’accident de route, à chaque répétition s’aggravant. Le poète n’est pas un homme moins minuscule, moins indigent et moins absurde que les autres hommes. Mais sa violence, sa faiblesse et son incohérence ont pouvoir de s’inverser dans l’opération poétique et, par un retournement fondamental, qui le consume sans le grandir, de renouveler le pacte fragile qui maintient l’homme ouvert dans sa division et lui rend le monde habitable.
in Moraines
Il nous faut mener double vie dans nos vies, double sang dans nos coeurs, la joie avec la peine, le rire avec les ombres, deux chevaux dans le même attelage, chacun tirant de son côté, à folle allure. Ainsi allons-nous, cavaliers sur un chemin de neige, cherchant la bonne foulée, cherchant la pensée juste, et la beauté parfois nous brûle, comme une branche basse giflant notre visage, et la beauté parfois nous mord, comme un loup merveilleux sautant à notre gorge.
in La folle allure
Cependant la nuit marche, et sur l’abîme immense
Tous ces mondes flottants gravitent en silence,
Et nous-mêmes, avec eux emportés dans leurs cours
Vers un port inconnu nous avançons toujours !
in Les étoiles
Tu sais briser les fers
L’azur ouvre les bras
Il t’offre des abeilles
Est-ce que cela fait mal
D’arracher les dards
De la tête du ciel ?
in Penser maillée
Gobe le monde
Croque à pleines dents
Les mots, les mouches
Le gros sel, l’herbe folle
Le jus de vent en bouche
in Penser maillée
rien ne nous force à devenir
comme tous ces chiens
dressés pour la morsure
in Galop chatoyant
On relit ce qu’on a écrit sans le reconnaître.
Ivresse de la prière païenne qui se nourrit d’elle-même
À laquelle aucun parler n’est comparable.
Ce mystère ne nous appartient pas.
En bouche vient le fleuve,
Message jamais interrompu ni commencé.
in L'éponge des mots
Je ne serai jamais plus libre – je veux dire jamais plus indépendant
je veux dire jamais plus responsable de moi je veux dire jamais plus individu
je veux dire jamais plus seul qu’en ce moment
On perd le sens du vivre quand
La pensée s’emballe
Le mental tournant à vide voudrait rentabiliser
le moindre geste hiérarchiser chaque action
Ainsi vient l’impression de « perdre son temps »
alors qu’on perd seulement le sens du vivre
Comment apprécier l’insolence des moineaux
et convaincre l’ombre du bien-fondé de la lumière
Survivre aux ratages de l’existence et à cette nostalgie qui éreinte.
in L’éponge des mots
L’amour avec la peur l’amour stérile l’amour sans amitié l’amour injuste par manque insuffisance que ce soit dans un lit un nid dans les buissons l’amour s’il n’est pas expansion universelle dans chaque fibre de matière chaque rayon de conscience l’amour sans amour est inutile
in L’Amour d’Amirat
De la forme sans contours appellée « rien »
Nous connaissons l’existence
depuis les temps anciens.
tes mains plus belles qu’une source
ton visage incertain et fuyant
je voyais tout je te voyais
partout où le jour recommence
in passé simple