Vera Feyder
Il viendrait. Il aurait l’âge de ses mains – de très charnels arpèges,
un regard à dépecer la nuit, une voix à prendre feu aux mots.
in L’inconnu
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Il viendrait. Il aurait l’âge de ses mains – de très charnels arpèges,
un regard à dépecer la nuit, une voix à prendre feu aux mots.
in L’inconnu
Dans le ciel, les oiseaux semblent pétris d’infini.
J’ai gardé au fond de ma poche le ticket froissé.
in L'éponge des mots
De quoi souffres-tu ? Comme si s’éveillait dans la maison sans bruit l’ascendant d’un visage qu’un aigre miroir semblait avoir figé. Comme si, la haute lampe et son éclat abaissés sur une assiette aveugle, tu soulevais vers ta gorge serrée la table ancienne avec ses fruits. Comme si tu revivais tes fugues dans la vapeur du matin à la rencontre de la révolte tant chérie, elle qui sut, mieux que toute tendresse, te secourir et t’élever. Comme si tu condamnais, tandis que ton amour dort, le portail souverain et le chemin qui y conduit. De quoi souffres-tu ? De l’irréel intact dans le réel dévasté. De leurs détours aventureux cerclés d’appels et de sang. De ce qui fut choisi et ne fut pas touché, de la rive du bond au rivage gagné, du présent irréfléchi qui disparaît. D’une étoile qui s’est, la folle, rapprochée et qui va mourir avant moi.
in Rémanence
Quand je serai morte, et que sur moi, avril rayonnant
Secouera sa chevelure lourde de pluie,
Même si tu te penchais sur moi, le cœur brisé,
Je ne m'en soucierais pas. ...
J'aurai la paix, la paix des arbres feuillus
Quand la pluie courbe leurs branches,
Je serai plus muette et mon cœur plus froid
Que tu ne l'es aujourd'hui.
in Fleuves vers la mer
Je jure de ne plus savoir retourner chez moi.
in L'éponge des mots
On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes
qu’il est capable de supporter.
« I have a dream »
Moi aussi mais c’était il y a longtemps…
Je viens tout juste d’avoir quatre-vingt quinze ans, lui a-t-elle répondu avec une moue coquette.
- Depuis quand ?
- maintenant, c’est aujourd’hui mon anniversaire.
in Dernières nouvelles du Sud
Tout a déjà été dit, mais comme personne n’écoute, il faut sans cesse recommencer.
L'amour, c'est que tu sois pour moi le couteau avec lequel je fouille en moi.
mais ce n’est pas la paix
ce n’est jamais la paix nulle part
ni dans la chambre close
ni sur le lit défait
qui ressemble soudain à un piège
où la mort assemble les pièces
de son misérable échiquier
In Terre de dénuement
ivres à l’égal
de ces jonchées de bleu
dans la tanière obscure du soleil
in Dans la tanière obscure du soleil
Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent. Et ce n’est pas pour qu’elle triomphe mais pour qu’elle s’abîme avec lui, avant de consommer un divorce fécond, que le poète marche à sa perte, d’un pied sûr. Sa chute, il n’a pas le pouvoir de se l’approprier, aucun droit de la revendiquer et d’en tirer bénéfice. Ce n’est qu’accident de route, à chaque répétition s’aggravant. Le poète n’est pas un homme moins minuscule, moins indigent et moins absurde que les autres hommes. Mais sa violence, sa faiblesse et son incohérence ont pouvoir de s’inverser dans l’opération poétique et, par un retournement fondamental, qui le consume sans le grandir, de renouveler le pacte fragile qui maintient l’homme ouvert dans sa division et lui rend le monde habitable.
in Moraines
Il nous faut mener double vie dans nos vies, double sang dans nos coeurs, la joie avec la peine, le rire avec les ombres, deux chevaux dans le même attelage, chacun tirant de son côté, à folle allure. Ainsi allons-nous, cavaliers sur un chemin de neige, cherchant la bonne foulée, cherchant la pensée juste, et la beauté parfois nous brûle, comme une branche basse giflant notre visage, et la beauté parfois nous mord, comme un loup merveilleux sautant à notre gorge.
in La folle allure