Yves Artufel
Je vais jusqu’à l’horizon pousser ma brouette de décombres. Après on avisera.
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Je vais jusqu’à l’horizon pousser ma brouette de décombres. Après on avisera.
Au crépuscule, elle descend de sa colline et mène son errance dans les quartiers du centre, là où les ruelles enchevêtrées se dépelotent sous ses pas. L’automne, l'hiver, saisons où l'ombre s’éternise dans le brouillard, on dirait qu’elle navigue plutôt qu'elle ne marche.
Sa silhouette est bien connue. Beaucoup l’ont dessinée : rythme de courbes et de creux, les hanches qui entraînent, les épaules qui attendent. une large chevelure créée pour le sommeil et pour les agonies.
Elle porte toujours un manteau noir et c‘est à peu près tout ce qu’elle montre.
Ou, les nuits de chaleur, une robe étroite et courte comme une main qui la tiendrait entièrement et qui la serrerait jusqu’au spasme. Sa nudité, lis-dessous, est alors si forte que le désir ne supporte plus sa douleur.
Des enfants la suivent, titubants. Ils ont rongé leurs mains et s’épouvantent de l'appel, qui les pousse encore.
Celui-là qui croit en l’éternité et qui vient tout juste de communier donnerait son âme pour un regard sur la peau qui se cache, qu’il ne peut même pas se représenter et dont ses rêves portent le tourment.
Et cet autre aux yeux bleus qui cherche une paupière de lèvres plus grande que lui et qui a déjà envie de mourir.
Et combien encore ! Ainsi ce garçon à genoux qui ne peut faire autre chose qu’adorer et qui ruisselle au-dedans.
Lily marche en tête et c’est comme si elle était toujours seule, en avant, au-delà de tous les désirs possibles et hors d’atteinte des supplications.
Elle va du trottoir au porche, de la fontaine au fleuve, du jardin public aux berges de la nuit. Elle court dans les escaliers. Elle entre par une porte et sort par une autre. Sa déambulation n’a ni cesse ni raison.
Elle n’est étrangère ni aux églises ni aux cimetières. Elle aime les lieux où l’on se glisse. Les grands miroirs du monde où elle est seule à se voir.
Derrière elle. Dans son dos, le long de son échine et plus bas, où la croupe se scinde, elle sent le souffle pressé de ses suiveurs - sa cour haletante et qui se croit conquérante et ne cesse de grandir, la ville des hommes à la traque de ses odeurs.
La grande Lily pute et son peuple de liliputiens.
Depuis que le sexe de la femme les a laissé choir sur le carreau, ils n’ont désir que de la retrouver. Tout ce qu’ils font, c’est revenir. Aux trousses de Lily, les éperdus se hâtent. Ils s’amalgament en soupirs, en larmes, en émanations et suintements : énorme tendresse de désespoir monomane. Elle n’aurait qu’un geste à faire, comme tendre les mains par-derrière, pour tirer, d’un coup, tous les diables par leur queue.
Mais qu'en ferait-elle ? Elle n’est pas le joueur de flûte de Hameln, même si le fleuve, ici, est aussi profond que la mer.
Le désir bourdonne mais la reine ne se laisse pas rejoindre.
Alors les rues, la nuit, ont l’air de courir en rond, les ombres d’épaissir l’ombre, les rêves de suffoquer d’impuissance. Les désirs soupirés ont une telle odeur de crasse infantile que Lily, tandis que l’aurore émerge sur cette face d’elle-même que nul n’a encore vue, est soudain prise du besoin tout entier de crier.
Ce cri, elle le retient. Elle ne veut pas qu'il lui échappe.
Elle l'offrira plutôt.
in Lily transbordée
Parlons-en de l'amour:
Depuis la naissance de mes seins à eux-mêmes,
comme une chose nouvelle
soumise aux joies et aux épreuves qui mènent à
sa maturation,
depuis la naissance de mes seins à leur propre
convoitise et à celle des autres,
j’ai porté sur mon épaule la lourdeur du regard des hommes.
j’ai aimé la nudité de mon corps bougeant dans l’eau du fleuve.
Ils m'ont reproché de donner naissance à leur désir.
j’ai aimé les routes et les jardins sauvages.
Ils m'ont reproché d’attirer les violeurs par mon inconséquence.
j’ai aimé les femmes, mes sœurs, leurs formes douces.
Ils m'ont reproché de ne pas tout sacrifier à la procréation.
J’ai aimé l’amour,
donné sans rechigner.
Et ils m’ont reproché de n'être pas la servante d'un seul
in Le doux parfum des temps à venir
Je vous préviens, je ne rends plus les intentions qu'on me prête.
Alors, inutile de réclamer, de vous plaindre.
in l'impossible séjour
Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.
Je crois que s’il n’y a pas de poésie et pas de sensualité,
il n’y a plus rien dans la société.
Quelle tranquillité! Le chant de la cigale pénètre dans la roche.
Détachée de l’arbre, une feuille meurt.
Je connais des routes qui deviennent des chemins, qui s’égarent dans l’herbe folle. D’autres ont un destin funeste, elles enflent jusqu’à six, huit, dix voies et finissent en autoroutes.
in Disparates
in Traction Brabant 72
Nulle branche dans la forêt que ne visite le printemps.
Je veux faire de toi, ce que fait le printemps avec les cerisiers.
Dehors, la ville me montra tous ses trous, ses coins, ses appels, ses escaliers comme des trappes, ses boîtes qui se referment, ses lumières sèches qui s’allument et s’éteignent, ses rideaux qui se tirent, ses rues où les foules remontent comme des mauvaises digestions, ses souterrains où elles pendent par grappes, ses ronds-points où elles font exprès d’être nombreuses et de grouiller sur place et de coller ensemble comme les œufs des poissons, ses cafés où les jambes s’entremêlent sous les tables, ses taxis où les bras se croisent sur des dos. L’amour mouillait tout ça, coulait dessus comme une rinçure de vaisselle, y gloussait comme un évier qui se vide.
in Le bonheur des tristes
Un grain de poésie suffit à parfumer tout un siècle.
Seulement parce que je me trompe
je rencontre ce qui ne se cherche pas.