Zehra Doğan - Prison N°5
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(…) révolution, réaction, trahison, l’état s’érige avec plus de puissance, et encore plus répressif — la route tourne, l’histoire recommence encore et toujours : lourde botte éternellement posée sur le visage de l’humanité.
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La vision naît au moment du soulèvement — mais dès que la « Révolution » triomphe et que l’État revient, le rêve et l’idéal sont déjà trahis.
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Un choc frontal avec l’État terminal, l’État de l’information méga-entrepreneurial, l’empire du Spectacle et de la Simulation, ne produirait absolument rien, si ce n’est quelques martyres futiles. Ses fusils sont tous pointés sur nous, et nos pauvres armes ne trouvent pour cible que l’hysteresis, la vacuité rigide, un Fantôme capable d’étouffer la moindre étincelle dans ses ectoplasmes d’information, une société de capitulation, réglée par l’image du Flic et l’œil absorbant des écrans télés.
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La dernière parcelle de Terre n’appartenant à aucun État-nation fut absorbée en 1899. Notre siècle est le premier sans terra incognita, sans une frontière. La nationalité est le principe suprême qui gouverne le monde — pas un récif des mers du Sud qui puisse être laissé ouvert, pas une vallée lointaine, pas même la Lune et les planètes. C’est l’apothéose du « gangstérisme territorial ». Pas un seul centimètre carré sur Terre qui ne soit taxé et policé… en théorie.
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La question anarchiste dans ce cas devrait être : pourquoi se soucier affronter un « pouvoir » qui a perdu toute signification et qui n’est plus que pure simulation ? De tels affrontements ne produiront que d’horribles et dangereux spasmes de violence de la part des têtes pleines de merde-en-guide-de-cerveau qui ont hérité des clés de toutes les armureries et toutes les prisons.
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L’« apathie » (c’est-à-dire la sain ennui du Spectacle éculé), éloigne la moitié de la nation des urnes ; l’anarchie n’a jamais obtenu autant ! (…) Là encore, il y a des parallèles positives : le « réseautage » comme alternative à la politique est pratiqué à bien des niveaux de la société, et l’organisation non hiérarchique a atteint une grande popularité, même en dehors du mouvement anarchiste, simplement parce que ça marche.
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Où et pour quand est le monde de la créativité sans médiation ?
(…)
L’aliénation est beaucoup plus dangereuse que de vieilles idéologies surannées, édentées et mourantes. S’accrocher mentalement à des « idéaux » — qui s’avèrent n’être en fait que de pures projections de notre ressentiment et de notre impression d’être des victimes — ne fera jamais avancer notre projet. La TAZ n’est pas le présage d’une quelconque Utopie sociale toujours à venir, à laquelle nous devons sacrifier nos vies pour que les enfants de nos enfants puissent respirer un peu d’air libre. La TAZ doit être la scène de notre autonomie présente, mais elle ne peut exister qu’à la condition que nous nous reconnaissions déjà comme des êtres libres.
(…) une rigidité hystérique vient de plus en plus masquer un vide, un abîme du pouvoir.
in TAZ zone autonome temporaire, traduit de l’anglais, éd.originale 1991
Le système s'effondrera si nous refusons d'acheter ce qu'ils veulent nous vendre, leurs idées, leur version de l'histoire, leurs guerres, leurs armes, leur notion d'inévitabilité. Rappelez-vous de ceci : nous sommes nombreux et ils sont peu nombreux. Ils ont plus besoin de nous que nous n'en avons d'eux. Un autre monde, non seulement possible, mais il arrive.
Les journées calmes, je l'entends respirer.
La liberté extérieure que nous atteindrons dépend du degré de liberté intérieure que nous aurons acquis. Si telle est la juste compréhension de la liberté, notre effort principal doit être consacré à accomplir un changement en nous-même.
Un moineau blessé ne pleure pas. C’est peut-être pour cela que nous sommes si peu à nous attarder, nous passons devant l’évènement, le drame bientôt est derrière nous. Une question de dimension. Les vies miniatures nous concernent-elles ? Nous avons si souvent tendance à confondre le petit et le lointain. A moins d’être un enfant, aussitôt à genoux, dans la panique du cœur. A moins de n’avoir pas grandi nous-mêmes, d’être encore et à jamais justement des enfants ; remontent alors les urgences oubliées : lâcher la main raisonnable qui nous entraîne, faire des nôtres un nid maladroit, chercher une boîte à tapisser de feuilles, de tissu ou de coton. Un moineau blessé ne vole plus. Il est à terre. Et si nous le quittons pour lever les yeux, que voyons-nous d’autre que le ciel qui semble descendre pour l’ensevelir, et notre enfance avec lui ?
in Chroniques incertaines
L’espace nous est donné sans limites. Je ne parle pas de la caverne aux étoiles mais des lointains sur terre où sont nos équipages, de ce désir à perte de vue qui a goût de poussière, de pierre à feu, qui a goût d’autre temps et de sueur mêlés.
L’instant nous est donné sans partage. Je ne parle pas du sablier jeté contre le mur mais du réel soudain plus vaste dans une herbe qui tremble, sous le sabot d’un cheval, au fond d’un puits saturé de sel.
Rêve ça veut dire
aile de sommeil en cire
qui s'éprend du soleil et fond,
feuilles en équilibre admirable
qui paraissent posées sur les branches
alors qu'on voit bien
qu'il n'y a pas d'arbre,
c'est entendre chanter des oui par milliers
dans la gorge du non.
- Qu'est-ce que je fais dans cette société de merde ?
- la merde est un engrais : enfonce en elle tes propres graines.
in Le livre de la Genèse de poche
L'homme a un corps, c'est pourquoi le malheur a prise sur lui. S'il n'en possédait point, quel événement pourrait le frapper ? C'est pourquoi, à celui qui se soucie des autres autant que de lui-même on peut confier le monde. Seul celui qui aime les autres autant que lui-même est digne de les gouverner.
Sous la porte de corne
du grand jardin privé
d'un dieu qui me rend chèvre
je rêve pour de faux :
J'ai du corbeau dans l'âme
un peu de neige au bec
des plumes dans les manches
du goudron dans la voix
du cabot dans le cœur
du flair dans le flacon
un beau collier sans laisse
un os sous le manteau
du chat dans le regard
du velours sous le coude
les griffes du silence
au creux des poings bavards
du renard dans l'approche
des fuites dans la gorge
du vent dans le pelage
de la pluie sous la langue
J'ai du corbeau dans l'âme
du cabot dans le cœur
du chat dans le regard
du renard dans l'approche
et un loup sous le masque