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CATHY GARCIA-CANALES - Page 157

  • HF Thiéfaine

     

    PAGE NOIRE

    nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
    d’imaginer la peur à l’heure du temps zéro
    nous n’avons plus le temps pour les larmes & les rires
    plus le temps de flirter avec les chaînes-info
    notre besoin de paix, d’amour & d’illusions
    s’est perdu dans le feu de notre hypocrisie
    quand nous cherchions en vain là-bas dans les bas-fonds
    sous le marbre des morts l’entrée d’un paradis

    nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
    d’imaginer nos yeux de chiens hallucinés
    nous n’avons plus le temps pour les larmes & les rires
    plus le temps d’éviter à nos corps de sombrer
    les rats inoculés ont quitté l’arrière-cour
    & les mouches tombent avant de goûter aux festins
    quand de joyeux banquiers cherchent un nouveau tambour
    pour battre le retour du veau d’or clandestin

    nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
    d’imaginer nos lois tombant d’un Sinaï
    nous n’avons plus le temps pour les larmes & les rires
    plus le temps d’oublier ceux qui nous ont trahis
    le décalogue se brise en milliards de versions
    mais les nouveaux Moïse n’intéressent plus Rembrandt
    & dans les ruines obscures des salles de rédaction
    les rotatives annulent le sacre du printemps

    nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
    d’imaginer nos pleurs d’esclaves à Babylone
    nous n’avons plus le temps pour les larmes & les rires
    plus le temps de prier les vierges & les madones
    j’entends les harmonies d’un chant de rémission
    d’un cantique atonal aussi vieux que nos races
    & puis j’entends les cloches de la résurrection
    quand j’arrache le suaire qui nous colle à la face

    nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
    d’imaginer nos rêves au rythme du chaos
    nous n’avons plus le temps pour les larmes & les rires
    plus le temps d’affronter la beauté de nos maux
    j’ai rangé nos désirs au fond de l’univers
    entre deux météores & une comète en feu
    & j’ai mis de côté Telemann & Mahler
    pour ne pas oublier la BO de nos jeux

    nous n’avons plus le temps d’imaginer le pire
    d’imaginer l’amour au temps des sentiments
    nous n’avons plus le temps pour les larmes & les rires
    la nuit gronde & se lève du côté de l’Orient
    les visions incolores des peuples asservis
    demain joueront peut-être avec un jour nouveau
    quand les enfants-cosmos en visite à Paris
    caresseront les chevreuils aux sorties du métro

     

     

     

  • Hic et nunc

    Hier j'ai entendu à la radio le terme "écologie pragmatique" sans doute en opposition avec une écologie qui serait utopique, l'un et l'autre ne veulent strictement rien dire, comme 95 % de ce qu'on entend actuellement venant des "autorisés à parler", civilisation du blablabla, il faut être totalement sourd et aveugle pour ne pas déprimer. J'ai souvent eu honte de faire partie d'une espèce qui se laisse ainsi mener par le pire d'elle-même et par ses roquets en chef de meute et qui en redemande de l'hypnose séductrice d'influenceurs-ceuses en tout genre et surtout des plus mauvais, mais là ça devient intenable, pour moi il n'y a plus de judicieuse radicalité assez radicale pour stopper cette folie et surtout elle sera toujours étouffée écrasée par ce besoin de continuer encore et encore à sucer tout ce qui est suçable, à pomper ce qui est pompable. Nous sommes toutes et tous complètement incohérents et de tenter de ne pas l'être — ce qui a été un des objectifs premiers de ma vie depuis plus de 25 ans maintenant et peut-être même depuis que je suis en âge de réfléchir —c'est épuisant car au final cela sert surtout à mesure l'ampleur de la solitude et des difficultés que cela entraine, ceci dit je suis plus motivée que jamais, plus je tombe, plus je suis consciente que c’est essentiel de lutter contre la peur que cela provoque ! J'ai toujours au fond de ma poche un peu de poudre de perlimpinpin d'espoir — pas de celle qui se jette aux yeux, plutôt celle à diluer jour après jour dans la citerne grise du découragement — l’espoir que quelque chose va faire ding ou bing ou clash soudainement et en même temps dans la tête de chacun-e d'entre nous, partout sur cette planète ! Et je dois dire qu’un certain nombre de personnes et notamment des jeunes mettent de la couleur dans ma poudre mais je n'oublie pas que des hurluberlus de notre espèce sont bien plus (ir)responsables que d'autres de l’humanité dans son ensemble : celles et ceux qui se prennent pour des hurluberélu-e-s pour toutes sortes de déraisons et puis nous autres habitants des pays qui se gavent depuis des siècles, des millénaires même et puis les hommes bien-sûr de cette planète, si, si, on en est quand même là à cause d'une vision typiquement et arrogamment masculine (dont les hommes n'ont pas le monopole, je parle ici en terme de valeurs et de façon de considérer le vivant). L’homme blanc (ou moins blanc mais très riche) hétéronormé a fait le monde à son image, on voit ce que ça donne alors quoi ? On continue comme ça ?
    Bref, sous mes airs de poète artiste atypique, décalée et au summum de mon impouvoir, ma pensée est toujours très clairement écologique, écoféministe même puisque le déséquilibre est trop énorme, très librement spirituelle, radicalement décroissante et liberterre, c’est le fruit d’un long parcours de réflexion mais aussi d’intuitions fortes et très précoces. J'ai accepté de payer le vrai prix de mon atypisme (quand j’ai arrêté de tenter de m’éradiquer moi-même comme le font toutes celles et tous ceux qui ne correspondent pas aux codes imposés), ce qui ne m'a ouvert cependant aucun espace légitime dans cette société surformatée et hypernormative sous des airs faussement open et foldingue, un prix qui chaque jour m'oblige à surmonter ma détresse, mes doutes, mes peurs, ce foutu fond de culpabilité, un épuisement de l'âme, tout ce que vous autres qui me côtoyez depuis plus ou moins longtemps et de toutes sortes de façon, appelez ma force, ma créativité, mon courage, cette lumière dans mes yeux etc. Je vous remercie infiniment, nombre d’entre vous êtes ou avez été un sincère et précieux soutien mais voilà, je vous attends surtout depuis si longtemps, car le changement ce n'est pas ce soir, demain ou petit à petit, le changement c'est maintenant ou jamais ! Nous n'avons plus beaucoup de temps et toutes celles et ceux qui ont compris depuis trop longtemps déjà sont fatigué-e-s de tenir la torche allumée, vraiment, je peux le voir, l’entendre et moi-même à ma propre mesure et déception après déception, je n’en peux plus.
    Alors voilà, aujourd'hui même, tout ce qui nous tue, tout ce qui tue, oppresse, manque de respect à cette planète et à toutes les formes de vie doit tomber, aujourd'hui même, maintenant, là, de suite !!!
     
    cgc
     
     

  • Stephanie Law

    Stephanie Law_n.jpg

     

    Veuillez, je vous prie, me laisser procéder à ma défragmentation. Laissez-moi me rassembler, me ressembler, contempler, le temps qu’il faudra, la belle couleur orangée de cette tisane qui n’a rien coûté si ce n’est le gaz pour amener l’eau à ébullition. Il y a encore quelques sources buvables et gratuites. Il y a encore des fleurs sur des arbustes qu’on débroussaille aux tractopelles. Il y a cette incroyable faculté du monde végétal de continuer à germer, à jaillir, à grandir, à pousser sans qu’on ne le lui demande. Quelques boutons de pissenlit, quelques feuilles de mélisse et le corps jouit d’être compris, tandis que les oiseaux cherchent ce qu’il faut pour faire leurs nids.

     

    Les animaux, les arbres, les plantes partagent le même bateau-terre, le même espace et de quel droit le leur interdisons-nous ? De quel droit les détruisons-nous ?

     

     

    in Ourse (bi)polaire

     

     

     

  • Tessa Horrock - Pebbles

    Tessa Horrocks  (2).jpg

     

    Le crayon est mon antenne, la peau est mon antenne, mes poumons avalent le vent, le cœur fait tambour avec le tonnerre. La bête est rusée, elle tourne, ne s’approche pas directement, elle a pissé à peine et tout reste sur sa soif. Un avion, ridicule moucheron, vient la narguer, son moteur résonne comme un chant de cathédrale, ça énerve la bête qui souffle des naseaux, gronde. Pour l’accueillir comme il se doit, avec respect, je lui offre de mon vin de gaillet et nous buvons ensemble, elle tourne plus vite, rugit sourdement mais je sais qu’elle tiendra sa grêle loin de mes plantes. Nous avons un pacte. Je laisse sa respiration s’unir à la mienne, l’air est un élément avec qui je partage de grandes affinités. La bête me répond avec force et douceur à la fois, le vin de gaillet répand sa saveur légèrement amère dans ma gorge. La bête est tout près, elle bouscule les objets, courbe les arbres, elle ne va pas tarder à mordre, mais elle est lumineuse et la voilà qui pisse sa joie sans retenue. Les gouttières recueillent : eau d’orage, le plus euphorisant des parfums. La bête me couve maintenant, tout s’est assombri, ma peau frissonne et je sens à quel point elle retient sa force pour ne rien détruire. Je reste dehors, un peu à l’abri sur la terrasse, entourée des chevaux de vents qui diffusent leurs prières. Je tiens un galet poli dans ma main, gris sombre et dense, comme si je tenais l’orage lui-même. La lumière est incroyable, la bête m’a prise à l’intérieur d’elle-même et tout est calme.

     

    in Le livre des sensation