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CATHY GARCIA-CANALES - Page 747

  • Lettres à ma génération, Sarah Roubato

     

    Michel Lafon, 28 janvier 2016.

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    140 pages, 10,95 €.

     

     

    Je fais partie des personnes dont Sarah Roubato parle dans sa deuxième lettre, qui raconte l’histoire de la première, Lettre à ma génération, celle qui donne son titre à l’ensemble du livre. C’était juste après les attentats de novembre 2015 à Paris, le choc, les réactions à chaud, les récupérations à tout va, le grand bombardement médiatique, et ce besoin de prendre une bolée d’air au-dessus de la mêlée, ne pas se laisser entraîner par cette grande vague émotionnelle, dont Naomi Klein parle si bien dans son livre La stratégie du choc.

     

    Légitime cette vague, cette indignation, mais trop uniforme, trop vite canalisée, avec des couloirs de pensée obligatoire, ne laissant pas le temps de la réflexion, de la dignité même, ne serait-ce que par égard pour les familles des victimes. Bref, c’est dans ce grand tohu-bohu que je suis tombée sur la lettre de Sarah, publiée sur Médiapart, et cet article comme quelques autres, m’a fait un bien fou car il résonnait déjà avec mes propres réflexions et avait justement cette sorte de recul, de lucidité à contre-courant du tsunami de la pensée unique, cette lettre « c’était une réaction à la réaction » et cette réaction m’a tellement plu que je l’ai relayée aussitôt. C’est comme ça que je suis entrée en contact avec Sarah Roubato, dont la démarche et le travail découvert dans la foulée et surtout la façon dont elle les définissait, m’ont paru des plus intéressants. Et puis voilà que cette lettre réapparait dans un livre, « ruminée par l’écriture littéraire (…) pétrie et reposée de l’urgence ».

     

    «  je ne suis qu’une lettre d’opinion, pas un essai. Je suis juste une petite lampe de poche qui essaie d’éclairer ce qui était trop souvent laissé dans l’ombre », et cette fois, elle est suivie de tout un ensemble de lettres, dont l’originalité tient, en plus de la personnalité bien marquée de leur auteur, à leurs destinataires : la deuxième donc est une lettre à internet, qu’elle interpelle ainsi « Machin, ça fait longtemps qu’on se connait et pourtant, je ne te comprends pas toujours » et c’est dans cette lettre qu’elle raconte le buzz, comme on dit, qui avait suivi la publication en ligne de Lettre à ma génération. Et puis on découvre d’autres lettres, comme celle à certains marchands parisiens, qui aborde de façon un peu inattendue, les questions d’identité, d’origine et de faciès, inattendue en tout cas pour ceux qui n’auraient pas cette bonne habitude de chercher à voir les choses depuis tout un tas de points de vue différents.

     

    Ce qui est vraiment très appréciable chez Sarah Roubato, c’est qu’elle n’hésite pas à tout interroger, tout remettre en question, un peu comme une enfant qui aurait échappé au formatage, dont la pensée serait restée libre et fonctionnant à plein régime, des facultés intactes où la connexion entre cœur et esprit n’est pas altérée. C’est sain et c’est jouissif de voir que cela existe encore. Une enfant avec une vieille âme, dotée d’une intelligence vive, un regard aiguisé, une belle curiosité issue d’un véritable intérêt pour les autres. Et du courage aussi, car il en faut pour rester soi-même et aller à contre-courant de la pensée unique, de la pensée qui se croit forte parce qu’affranchie de ce qu’elle taxe d’humanisme arriéré, comme si c’était une tare d’être sensible à la bonté, à la souffrance, de respecter tous les êtres vivants, et surtout les plus fragiles.

     

    Ainsi Sarah écrit aussi à son indifférence, celle qui permet de passer « à travers de ce satané monde », d’échapper à l’afflux permanent et intenable d’informations. « Les Lumières sont en train d’avorter de leur idéal. Le savoir accessible et universel est en train de se vomir dessus ». Cette indifférence, parfois nécessaire, mais qui nous empêche de voir que « la société est comme la peau d’un tambour ; chacun de nos gestes - ceux qu’on fait et même ceux qu’on ne fait pas - résonne partout. ».

     

    Et puis Sarah écrit à des personnes chères, comme sa maîtresse de CE1, à Jessie, musicienne des rues, à Martin, adolescent cassé passé par la case prison, des personnes qui l’ont touchée comme Pierrot, « le vagabond céleste », mais aussi à des personnes qui ont croisé sa route d’une autre façon, comme Émile Zola, Denise Glaser ou le docteur Louis Leakey, lui qui a « permis à toute une génération de primatologues de naître », en faisant confiance à trois femmes qui n’avaient aucune formation pour cela, mais en ayant « l’intuition que les femmes pouvaient développer de nouvelles méthodes d’observation ». Cette lettre là est un hommage à tous les passeurs, sans qui d’innombrables talents pourriraient sous la terre sans jamais germer, et elle met le doigt sur quelques chose de vraiment important, et qui manque cruellement aujourd’hui, de ces personnes sachant donner leur chance à d’autres, en leur faisant confiance tout simplement, quel que soit le terreau dont elles sont issues, quelles que soient leur formation ou non-formation initiale, en faisant confiance à leurs qualités humaines et au talent qui peut émerger de la passion et de l’originalité propre à chaque individu.

     

    Sarah écrit aussi à Echo, l’éléphant le plus filmé au monde, la matriarche du Parc National d'Amboseli, au Kenya, « une grande dame » et à Blanche-Neige qui s’est transformée en complexe et qui ouvre une réflexion sur la beauté conservée dans les musées. Elle écrit encore à des objets : à un piano, à une cassette, cet objet du siècle dernier et les souvenirs qu’elle fait remonter, à un carnet perdu…

     

    Et nous découvrons l’amoureuse des mots au travers de toutes ces lettres, l’écrivain qui ne sait « rien faire d’autre » et surtout, n’ayons pas peur des mots justement, nous découvrons et apprécions une belle âme.

     

    Cathy Garcia

     

    sarah roubato.jpgSarah Roubato se définit comme " pisteuse de paroles, chercheuse en trans-écritures, écouteuse à temps plein ". Ses champs de réflexion et d'action vont de l'anthropologie à l'écriture, en passant par la musique, avec toujours une même base, le terrain. Elle vit actuellement au Québec et voyage sans cesse, mais Paris reste sa ville de cœur. Sa "Lettre à ma génération", écrite à la suite des attentats du 13 novembre dernier et publiée par Médiapart, y a trouvé un écho retentissant. Son site :  http://www.sarahroubato.com/

     

     

     

     

     

     

     

  • Lorette Nobécou

     

    Oui, la vie porte l'absolu et il revient à l'homme de l'incarner ici, qui ne l'atteindra jamais. Oui, la beauté, la poésie, l'amour, l'éros, la joie, la subversion, l'autonomie, l'indépendance sont des valeurs contemporaines qu'il reste à défendre. Oui, le but de l'homme est l'amour, toujours plus d'amour. Oui, n'en déplaise aux marchands, aux esthètes, aux cyniques, aux épargnants, aux religieux et aux athées, la vie se conjugue dans la dépense, le don, l'ouverture, l'acceptation, la perte. Ceux qui l'osent ont appris que l'écriture est habitée de sexualité comme le ventre, et qu'il faut s'y enfoncer avec la même ardeur que les consonnes masculines fouaillent la béance des voyelles dans la phrase. C'est au prix de cette conscience-là, et de l'enjeu qu'elle représente, que l'esprit circule entre les lettres et porte le souffle. Les poètes le savent, les prophètes et les saints : que les mots sont aussi sexuels que le corps des femmes et que le souffle les féconde s'ils se laissent épouser.

    in La clôture des merveilles: Une vie d'Hildegarde de Bingen

     

     

     

  • Talisman magique islandais - Musée de la Sorcellerie & de la Magie, Holmavik, Islande

    Museum of Sorcery & Witchcraft, Holmavik, Iceland_n.jpg

     

    Bien plus récents que les runes qui constituent l’alphabet islandais, qui elles sont vieilles de plusieurs millénaires, les symboles mystiques sont apparus avec les premiers livres qui ont été diffusés en Islande, vers le 17e siècle. Les graphismes puisent leur inspiration dans le mysticisme médiéval et dans l’occultisme européen qui s’est développé pendant la Renaissance, mais ils contiennent souvent des runes, comme cette fourche à 3 branches, appelée Algiz, qui symbolise la protection. Chaque talisman a une utilité bien précise…

     

     

     

  • Saïd Mohamed

     

    L‘insulte nous a cueilli au cœur de la joie. Déplumé l’oiseau aux sept couleurs. Sidaïque l’oncle Jo des Amériques. La petite Jeanne s’injecte de l’héroïne.

    Comme des orphelins, efflanqués nous ne croyons plus en rien. Nous avons vu tant de désastres, de boue ruisseler des montagnes, de louves pleines les flancs ronds, de vagabonds pointer sur la carte du ciel une étoile rouge. De marins condamnés à errer d’île en île (…) étrangement ballotés entre l’histoire d’un monde aux urgences de grisaille et l’impatience de vivre.

     

    in L'éponge des mots

     

     

  • Le pyromane adolescent suivi de Le sang visible du vitrier, James Noël

     

    Points Seuil, novembre 2015

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    160 pages, 6,90 €

     

    Le pyromane adolescent porte bien son nom, pour l’effusion de mots dans l’élan d’un printemps qui déborde, chaque poème semble être un premier jet, que le poète laisse derrière lui, sans se retourner, une poésie qui tient autant du chien fou que du félin sautant de toit en toit, agile séducteur.

    Aussi c’est surtout l’énergie qu’on en retiendra, une énergie sincère, désordonnée, fougueuse

     

    de beaux fruits qui exploseront de rire

    dans le jus de la bouche

     

    L’urgence de mettre un flux incessant et fiévreux de mots sur le désir comme sur les plaies, car

    c’est l’encre qui fait que

    le poète

    trouve dans l’horizon

    domicile fixe

     

    Éros donc pour un pyromane adolescent tout entier dans sa dévotion aux filles de feu aux innombrables prénoms, de Montréal, de Rome ou de Bahia, filles des îles et de partout où elles incendient le regard. Pyromane papillonnant de l’une à l’autre, impossible pour ce « buveur de kérosène » de résister à l’appel des flammes.

     

    « si je viens nu

    ouvre ta nuit

    portes et fenêtres »

     

    Une légèreté trop rageuse cependant pour ne pas voir à travers le sang du vitrier, son pays « cette mine d’oubli » où « les rafales raturent », son île écartelée et « le beau naufrage du vivre ».

     

    une terre sur pilotis

    avec du sang dans son parterre

    terre ligotée

     

    par l’ombre de Thanatos,

     

    le couteau

    par malheur

    détient un sens aiguisé

    des entrailles

    de la vie

     

    Chaque poème ou presque de la seconde partie, y est cependant dédié à une personne précise, souvent un poète, peut-être pour contrer justement par les vivants et la mémoire de ceux qui ont vécu, cette drôle de bête que

     

    la mort

    qui nous colle à la peau

    jusqu’à nous déboussoler

    pour nous faire tomber

    dans le domaine public

    des astres et des trous noirs

     

    Éros contre Thanatos, faire l’amour à mort et sans vainqueur, car comme le dit la passante qui avait du chien, ce qui compte poète, c’est que « t’as le cœur qui sent bon ! »

     

    Le poète qui nous dit

     

    je rends les armes

    et vous recommande

    une seule bombe sous le manteau

    le mot d’amour

     

    Cathy Garcia

     

     

    1201838154.jpgJames Noël, né en 1978, est un écrivain, chroniqueur et poète prolifique. Il occupe une place emblématique dans les lettres haïtiennes contemporaines. Cofondateur de la luxuriante revue IntranQu’îllité, James Noël écrit régulièrement pour Mediapart et a coordonné plusieurs anthologies, dont Anthologie de poésie haïtienne, disponible en Points Poésie.

     

    Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Luis Sepúlveda

     

    Nous avancions lentement sur une route de graviers car, selon la devise des Patagons, se hâter est le plus sûr moyen de ne pas arriver et seuls les fuyards sont pressés. 

     

    in Dernières nouvelles du Sud

     

     

  • Dévore l’attente, Laurent Bouisset

     

    avec des images d’Anabel Serna Montoya,

    Édition Le Citron Gare, novembre 2015

    http://lecitrongareeditions.blogspot.fr/

    CouvertureDévorel'attenteLaurentBouisset.jpg

    85 pages, 10 €.

     

     

    Avec Dévore l’attente, le ton est donné, l’auteur a les crocs, il a faim, il en veut. Il exulte, ressent et aspire le monde par tous les pores, autant qu’il en recrache venin et sueur. Il en veut le poète et il en veut aussi à ceux qui commettent l’indifférence.

     

    Comment ils font pour faire ?

    Comment ils actionnent, eux ?

    Et ils actionnent quoi ? Du chiffre

    encore ? Et du numéralisable ?

     

    Alors il balance, il crache, il tempête, il fait claquer les mots, la rage, va se perdre pour mieux se retrouver, entre banlieue lyonnaise, Guyane et Guatemala, entre Mostar, Mexique et Marseille. Il fonce vers le suicide de son je-cage.

     

    Dévore l’attente, c’est de l’impatience brute, des poèmes en désordre chronologique rassemblant une bonne dizaine d’années de vie, soulignés par de belles photos en noir et blanc et des peintures d’Anabel Serna Montoya, une énergie difficile à contenir, même les mots n’y suffisent pas, M’emmerdent les mots ! Je jette la feuille ! Explose mon Bic !, le cri peut-être mais alors quelle solitude car crier c’est tout seul

     

    L’énergie du poète là elle est physique, adolescente au meilleur sens du terme, elle a les yeux trop ouverts pour ne pas voir, elle grimpe aussi haut qu’elle dégringole aussi vite, le spleen et l’idéal, toute en pulsions, répulsions, impulsions, alors elle cherche un exutoire, écrire comme crier, ou partir dribbler, ou partir tout court, loin, très loin et là l’énergie elle trouve des combats à mener. Car partout et surtout loin, il y a la beauté mais aussi l’injustice, la misère, la violence… et un monumental sentiment d’impuissance. Ce choc que tout voyageur ne peut éviter, le vrai voyageur, à nu.

     

    On voudrait le foutre à poil le monde et puis on réalise à quel point il est déjà nu et si maigre par endroit, on lui voit les os et le cœur aussi, qui bat boum boum jusqu’à exploser et on ne peut l’oublier cette explosion là, bien loin des tympans du Paris chic qui au passage en prend plein la gueule dans un long poème nommé La explosión del fruto gigantesco.

     

    Dévore l’attente ne fait pas dans la dentelle, c’est un peu oui, l’explosion d’un fruit gigantesque presque trop mûr et ça gicle de partout, férocement, mais la vie dans laquelle on a beau mordre, persiste à demeurer intacte, alors

     

    Accroupis face à l’œuf intact

    À l’âge mûr

     

    Nous rêvons sidérés l’éclat

    D’un hiver lent.

     

    Mais nulle résignation cependant chez Laurent Bouisset, il ne lâche rien, les crocs bien plantés dans la chair du vivre, Il ne partage pas ce défaut d’enthousiasme, dit il dans un poème nommé Coltrane et on y croit volontiers.

     

    Ah si le monde pouvait n’être qu’un grand festin sans barbelés

     

    Cathy Garcia

     

     

    Laurent Bouisset.jpgLaurent Bouisset est né à Lyon en 1981. Après avoir chanté et joué dans divers groupes de rock, il a décidé de se consacrer à l'écriture poétique et romanesque au début des années deux mille. Plusieurs de ses textes sont parus dans les revues Traction-brabant, Verso, Décharge, Nouveaux Délits, Pyro, Fureur et mystère, Incertain regard... Co-fondateur, en compagnie du peintre guatémaltèque Erick González, du blog de création collective http://fuegodelfuego.blogspot.fr/ où sont publiées ses réécritures et traductions de poètes latino-américains : Il lit régulièrement ses textes sur les ondes de Radio Galère, à Marseille (dans l'émission « DATAPLEX, RESISTANCES MUSICALES), et travaille à leur mise en musique (et en voix) en compagnie du musicien-photographe Fabien de Chavanes (https://soundcloud.com/ecriture-pentue/). Enfin nu le silence, son deuxième long poème (après Java dans Chaoïd n°10) est paru dans l'anthologie Triages 2014 des éditions Tarabuste.

     

    Des extraits lus par l'auteur :