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MES NOTES DE LECTURE : LITTÉRATURE, POÉSIE & AUTRE - Page 9

  • En territoire Auriaba de Jérôme Lafargue

    Quidam éditeur, 5 mars 2015

     

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    196 pages, 18,5 €

     

      

    « J’ai toujours pensé que ce monde ci est trop petit, ou plutôt que ce que l’on nous donne pour réalité ne constitue qu’une infime partie de l’infinité du monde. »

     

     

    Il y a quelque chose de très séduisant dans ce roman qui oscille entre rêve et réalité, et où les rêveurs lucides permettent au rêve d’interagir avec le réel, pour lancer des passerelles au-dessus du temps. Des hommes, un enfant, un loup, une traque mystérieuse, des haines familiales ancestrales, des territoires réels et imaginaires, un passé ancien qui écrit des destinées qui nous ballotent des côtes marocaines au Charleville de Rimbaud en passant par le Honfleur de Allais et cette date récurrente, le 20 octobre 1854 et puis l’océan immense, ses vagues sur lesquelles on surfe en parfaite osmose avec une nature indomptée, extérieure comme intérieure.

     

    C’est un roman difficile cependant à saisir, son rythme est déroutant, et c’est le genre de livre qu’il faudrait relire quand on arrive à la fin, pour rassembler le tout dans un ensemble plus palpable. Ainsi le roman semble être lui-même une sorte de rêve, l’a-t-on vraiment lu ? Un très bel imaginaire, un souffle puissant le parcourt, c’est organique, instinctif, les personnages y sont atypiques, en marge et dotés de solides personnalités. C’est aussi avec l’Histoire en filigrane, un regard critique concernant certains faits et attitudes, portant des fruits amers qui donnent encore des graines aujourd’hui.

     

    En territoire Auriaba, on a de la dignité, du courage, de l’intégrité, de l’authenticité, des qualités et des valeurs qui se font rares et l’auteur à petites touches, l’air de rien, révèle par contraste un portrait peu flatteur du monde contemporain dont les racines trempent dans bien des compromissions. En pénétrant ce territoire Auriaba, on songe à cette citation de Serge Bouchard :

     

    « Qui n'aime pas les loups n'aime pas la nuit, la nuit pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la face obscure de notre immense liberté. »

      

    Le narrateur, écrivain lui-même et qu’on imagine comme étant l’alter ego de l’auteur, allie la figure du loup avec celle du poète, et on n’est pas loin de la figure du chamane, rêveur lucide par excellence. Le genre de personnage à part, doté d’une conscience et une sensibilité exacerbées, conservant en lui comme une enfance encore intacte et qui se sent plus en osmose avec le monde sauvage que la société humaine, comme son ami La Serpe, ce qui n’ôte rien à une véritable générosité naturelle, bien au contraire.

      

    « Je ne fuis pas le monde, car il est là, je ne peux l’effacer, et je ne suis pas de ceux qui, esprits poseurs et inutiles, se constituent un bagage culturel immense pour mieux se distinguer des autres. Je suis au service de tous ceux qui veulent bien s’arrêter chez moi. On sait où me trouver s’il le faut. »

      

    Et chez lui, c’est forcément en territoire Auriaba.

     

      

    Cathy Garcia

     

      

     

    Lafargue2.jpgJérôme Lafargue est né en 1968 dans les Landes. Il est également l’auteur de L’Ami Butler (2007, Prix Initiales 2007, Prix ENS Cachan 2008, Prix des lycéens 2008 Fondation Prince Pierre de Monaco), Dans les ombres sylvestres (2009) et L’Année de l’hippocampe (2011), tous parus chez Quidam éditeur.

     

     

    Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire

    http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Dieu est rouge de Liao Yiwu

     

    traduit du chinois par Hervé Denès et Li Ru,

    Books Edition et Les Moutons Noirs, février 2015

      

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     462 pages, 24 €.

     

    Un pavé ! Un pavé dans la grande mare de Chine. Liao Yiwu nous livre ici le fruit d’un long travail, difficile aussi, celui de réunir autant de témoignages que possible de cette « histoire vraie de la survie et de l’essor du Christianisme en Chine, de Mao à Xi Ping ». Il a parcouru la Chine pour rencontrer des hommes, des femmes, souvent très âgés, mais d’autres plus jeunes aussi, qui répondent à ses questions dans des entretiens rapportés ici, et entrecoupés de « préludes », qui permettent d’en comprendre les contextes. Beaucoup de noms vont défiler, on s’y perd, des lieux aussi, où morts et vivants se côtoient dans un effort de mémoire, qu’on ne lira probablement pas de la même façon, si l’on est croyant ou pas, mais toujours est-il qu’à travers cette quête assez singulière, Liao Yiwu, en toute humilité, et dans un style qui lui est propre, simple et profond, nous livre un pan très peu connu, car aujourd’hui encore tabou, de l’Histoire contemporaine chinoise dans toute sa violence, avec ses drames et privations quasi ininterrompus. Avoir des témoignages directs, de personne à personne, des histoires individuelles aux destins souvent incroyables, est un trésor inestimable, car aujourd’hui encore il est extrêmement périlleux de fouiller dans ce récent passé et révéler des vérités. L’Histoire non officielle, non autorisée par le régime. L’auteur – qui a connu lui-même l’incarcération pour ses opinions - a dû souvent prendre de grandes précautions pour recueillir toutes ces confidences.

     

    Dieu est rouge car la religion chrétienne en Chine a pris très tôt une couleur particulière, rouge du régime auquel elle a dû survivre dans la clandestinité, qui tantôt a tenté de l’éradiquer, tantôt de l’absorber, la couleur rouge d’une ferveur exacerbée par les persécutions, le rouge du sang versé lors d’innombrables tortures et exécutions, aussi la symbolique du martyr a été vécue par bon nombre de ces personnes d’une façon non métaphorique, mais bien littéralement dans leur propre chair. Les vies de bon nombre d’entre elles s’apparentent à de véritables chemins de croix.

     

    On n’adhèrera pas forcément mais on ne pourra qu’admirer la force de conviction, le courage, l’abnégation et le dévouement que la foi chrétienne a donné à ces personnes et qui parfois semble avoir opéré ce qu’on pourrait appeler des miracles. Il est évident que tous ces témoignages sont aussi, même indirectement, une dénonciation des dérives et cruautés du régime communiste, surtout pendant la dite Révolution Culturelle, mais on y verra aussi plus loin que ça, comment les mauvaises choses – et l’Histoire en est pleine - en entraine des pires.

     

     

    Dieu est rouge est un livre majeur pour qui veut appréhender l’Histoire contemporaine de la Chine, il contient une masse d’informations de première main assez phénoménale, parfois c’est vraiment atroce, et d’une façon plus large cela ouvre un questionnement fondamental sur l’aide qu’une spiritualité bien ancrée peut apporter dans les épreuves. Un défi que le bouddhisme et le taoïsme qui étaient en place bien avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, semblent avoir eu du mal à relever, quand le communisme a eu la prétention de répondre à toutes les problématiques humaines en balayant d’un coup et sans discernement des savoirs millénaires.

     

    Un livre où l’humain est donc au premier plan, dans toute sa déchirure entre extrême élévation et extrême bassesse, et dans lequel on peut distinguer comme un vague espoir, quelque chose qui transcenderait politique et religion, et c’est cela sans doute que l’auteur, ni totalement croyant, ni totalement sceptique, mais profondément sensible et ayant soif de vérité, a voulu nous transmettre. Quelque chose qui fait qu’on pourrait croire encore… en l’Homme. Malgré un tout qui demeure d’une bêtise effroyable.

     

    Cathy Garcia

     

      

    auteur28.jpgLiao Yiwu, est un écrivain chinois né en 1958 dans le Sichuan. Il est l'un des auteurs contemporains les plus audacieux de sa génération et son talent se nourrit des scènes de la vie quotidienne, de rencontres fortuites et d'enquêtes qu'il mène auprès de ceux que l'on peut considérer comme les laissés-pour-compte d'une Chine en plein bouleversement. Poète vagabond inspiré par Baudelaire et Allen Ginsberg, Liao Yiwu devient célèbre en 1989 avec son poème Massacre, dédié aux opposants de la place Tian Anmen, qui l'envoie en prison de 1990 à 1994. Une expérience d'humiliations et de tortures qu'il raconte dans son livre majeur, Dans l'empire des ténèbres. Ses livres sont interdits en Chine, même s’il est l’un des écrivains chinois les plus lus clandestinement. Dieu est rouge est publié à Taïwan en 2011, la même année, il s'exile en Allemagne et reçoit le Prix frère et sœur Scholl. En 2012, Liao Yiwu est l'invité d'honneur du Festival international de Littérature de Berlin où il organise une exposition sur les « prisons, visibles et invisibles ». Il reçoit le prix de la Paix des éditeurs et libraires allemands. En septembre de la même année, il rend visite au 17e karmapa à Dharamsala en Inde et l'invite au Berlin International Literature Festival dans le but d'attirer l'attention sur les auto-immolations de Tibétains.

     

     

     Note publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Indalo de Christian Saint-Paul – Encres Vives n°441

     

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    avril 2015. Format A4, 16 pages, 6,10 €.

     

    C’est à une très belle flânerie andalouse que nous convie Christian Saint-Paul dans ce 441ème Encres Vives, placé sous le signe de l’indalo, la figure préhistorique qui est devenu le symbole de la ville et de la province d’Almeria, et qu’on pouvait déjà voir peint sur les maisons en guise de protection contre les orages et le mauvais œil. Christian Saint-Paul a le don de nous faire vivre les paysages, les lieux et leur histoire au travers de son regard de poète doublé d’un talent de conteur, et il ne fait pas que raconter ce qu’il a vu, il nous le fait voir, littéralement, c'est-à-dire ressentir aussi.

     

    « La nuit encore/le soleil étouffant/mutile la fermentation du sommeil/Nous vivons désormais/lovés dans ce désert/où la terre n’est que/poussière montant au ciel/ »

     

    Christian Saint-Paul a le regard d’un poète convaincu, tel Machado, de l’absolu nécessité d’être homme, en toute humilité, un homme à qui rien n’échappe, ni la beauté des lieux ni « des îlots d’immeubles/parsemés le long d’avenues/vides – sans utilité-/témoignent de la chute folle de la finance. »

     

    Le poète ne fuit pas le malaise, il l’affronte, le dénonce et ainsi « Nous apprenons à apprivoiser le vide/créé par l’appétence de l’homme. »

     

    Pas d’Andalousie sans l’ombre de Llorca, pas d’Espagne sans le souffle fiévreux d’un Don Quichotte, les eaux fortes de Goya et les « yeux noirs de feu névrotique » d’un Cordobès. Christian Saint-Paul nous emporte à la rencontre de l’âme andalouse, du duende tapi dans ses tréfonds. Une âme trempée « dans le souffre du soleil ». Ombre et lumière, voilà l’Andalousie et « la Bible infinie des étoiles ».

     

    Des pierres, des fantômes et des Vierges tristes, des enfants vifs sous des peaux brunes, de la ferveur et des brasiers lumineux. Des plaies de guerre, le sang des fusillés et des religions qui se côtoient dans de grands jardins, où coulent des fontaines, des forteresses et « les indénombrables châteaux en Espagne ! », des prières et « des rancœurs d’un autre âge qui agitent les cargos aux amarres. »

     

    Indalo est un beau périple, oui, qui ne peut laisser indifférent, car pourrait-il y avoir meilleur guide qu’un poète amoureux de la terre qu’il foule, et dont il sait voir, tous temps confondus, l’endroit et l’envers, le visible et l’invisible, le bonheur comme les larmes ?

     

    Cathy Garcia

     

     

    St-Paul-200px.jpgChristian Saint-Paul, est un poète véritablement passionné de poésie, de la poésie qui met l’humain et la relation à l’autre au premier plan. Il anime depuis plus de 25 ans l’émission, « Les Poètes » (le jeudi de 20h30 à 21h) sur Radio Occitanie (98.3 Mhz) avec son compère Claude Bretin et de nombreuses émissions ont été consacrées à la poésie du monde. On peut les réécouter ici :

    http://www.lespoetes.fr/emmission/emmission.html

    Il avait créé sa revue, « Florilège », avec un autre poète, Michel Eckhard, dans le courant des années soixante. Brel avait accepté de les parrainer. Nous sommes encore avant 68, Christian Saint-Paul entre alors à Sciences Po, mais s’engage aussi activement dans la lutte antifranquiste. Il créera une autre revue, « Poésie toute » et plus tard encore en 1983, « Le Carnet des Libellules » où il publiera de nombreux auteurs.

     

    Christian Saint-Paul a publié :

     

    Les peupliers (Jeune Force Poétique Française éd., 1966) Les murènes monotones (Jeune Force Poétique Française éd., 1967) L’homme de parole (Caractères éd., 1983), préface de Michel Eckhard Prélude à la dernière misogynie (De Midi éd., 1984), avant-propos de Jean Rousselot, couverture illustrée par Gil Chevalier et illustrations intérieures de Jean-Pierre Lamon et de Lucie Muller. Les murènes noyées (Carnets des Libellules éd., 1985) Les murènes monotones (De Midi/Poésie Toute éd., 1987) Transgression (Carnets des Libellules éd., 1987), préface de Claude Vigée A contre-nuit (La Nouvelle Proue éd., 1988), préface de Jean-Pierre Crespel Tendre marcotte (Carnets des Libellules éd., 1988), avant-propos de Michel Eckhart Les ciels de pavots (Encres Vives éd., 1991) Pour ainsi dire (Encres Vives éd., 1992), préface de Jean Rousselot Akelarre, La lande du bouc (Encres Vives éd., collection Lieu N°108, 2000) L’essaimeuse (Encres Vives éd., 2001) Ton visage apparaît sous la pluie (Encres Vives éd., collection Encres Blanches N°61, 2001), couverture illustrée par Patrick Guallino, postface de Alem Surrre-Garcia L’unique saison (Poésies Toutes éd., 2002), préface de Gaston Puel, postface de Monique-Lise Cohen Des bris de jours (Encres Vives éd., 2003), couverture illustrée par Christian Verdun, postface de Michel Cosem L’enrôleuse (Encres Vives éd., 2006), postface de Georges Cathalo Tolosa melhorament (Encres Vives éd., collection Lieu N°184, 2006), édition bilingue occitan/français, postface de l’auteur. Entre ta voix et ma voix, la malachite noire de la voix d’une morte (Multiples, 2009) Les plus heureuses des pierres (Encres Vives éd. N°361, 2009) Vous occuperez l’été (Cardère éditions) Hodié mihi, cras tibi (Encres Vives éd., Collection Lieu n°217, 2010)

     

     

     

  • Nous, les chats…, de Claude Habib

     

     Edition: Editions de Fallois, février 2015

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    190 pages, 15 €

     

    Autobiographie d’un chat en colère, d’un vrai chat, pas un chat qui s’est compromis, affadi, au contact de l’Homme, « En résumé, voici l’affaire : les hommes chérissent dans le chat un petit homme très joli. Le chat tient à l’homme comme à sa propre mère, une mère invalide et fort enlaidie. De part et d’autre, la relation repose sur l’imposture et sur l’hallucination ». Non, ici nous avons affaire à un chat réel, un chat des bois, un chat digne de son espèce, qui a donc forcément une très haute opinion de lui-même, car ce n’est pas rien d’être l’aboutissement de la création, la perfection incarnée. Faut savoir tenir son rang !

    « Nous sommes l’ourlet du monde. C’est là qu’il finit, et je puis ajouter – sans me vanter – qu’il finit bien. Sans nous la création serait dépenaillée, il y aurait un effilochement constant des espèces, une dégénérescence à la marge. Le monde cesserait d’être beau pour être plein, et plein de quoi, grands dieux ? Il serait plein d’oiseaux sans ailes, rempli de biches obèses et de bêtes fumistes, plein à craquer ».

    Et ce chat ici est sur le point de mourir, stupidement, à cause de cette infâmante et perfide créature : l’Homme. « Ils m’ont eu, c’est terrible à dire. Une femelle, en l’occurrence. Moi, la perfection de la nature, j’ai été défait par cette imperfection ambulante, cette variante du singe ». Alors, dans cet ultime moment avant l’agonie, il raconte. Il raconte tout : sa naissance, sa famille, son enfance, l’apprentissage, la vie dans les bois, ses amours, ses enfants, ses combats, son savoir, sa place dans l’univers et toute la ruse et l’habileté que nécessite la survie dans un monde hostile, fait de voitures et de routes (où les chats finissent plats) et de la ville de ces hommes qui n’ont de cesse d’accaparer toujours plus de territoire. Cette inepte et bruyante créature « armée comme il faut toujours craindre qu’ils le soient. Car c’est une race qui ne se suffit pas : ils comptent sur les accessoires ».

    Claude Habib fait preuve ici non seulement d’un talent littéraire vraiment appréciable mais aussi d’une véritable connaissance de nos félins, pas seulement le chat qui ronronne sur le canapé, mais LE chat, avec son instinct et un esprit libre, fier, portant un regard pertinent et sans concession sur l’espèce humaine.

    « Si le langage était une chose sérieuse, les hommes n’auraient jamais appris à parler à leurs objets.

    Avec les objets qui font du raffut, comment dormir ? Autour des hommes, l’insistance, voire l’insolence des choses est stupéfiante. Autant leurs animaux sont doux, autant leurs objets sont excités. Mais cela vient des hommes : l’importunité des choses est fonction de l’attention, proprement déplacée, qu’ils leur prêtent ».

    Et c’est drôle, très drôle et très intelligent. Juste un régal !

    « Vous croyez que le monde serait ce qu’il est, sans la peur des bois ? La peur du noir ? La peur du grand large et la peur du fond des eaux ? Mais ce serait infâme. Les bêtes déambuleraient, dehors comme dedans. Elles laisseraient des épluchures. Des bouses. Ôtez le danger, le monde devient un antre. Les ruminantes habitudes envahissent l’espace, elles vont jusqu’au ciel. L’univers tourne au terrier, tout s’effondre. Quoi, j’exagère ? Pas du tout. Dehors comme dedans, il n’y a que les hommes pour croire que c’est la formule du bonheur, la définition du paradis sur terre. Ce n’est pas la définition du paradis, c’est la description d’un camping… ».

     

    Cathy Garcia

     

     

     AVT2_Habib_8392.jpgClaude Habib, agrégée de lettres modernes, est professeur à l’Université de la Sorbonne nouvelle Paris 3. Elle a publié Le consentement amoureux. Rousseau, les femmes et la cité (Hachette Littératures) – Rousseau aux Charmettes (Éditions de Fallois, 2012) – Le goût de la vie commune (Flammarion, 2013) et deux autres romans  – Préfère l’impair (Viviane Hamy, 1996) – Un sauveur (Éditions de Fallois, 2008)… Elle a été critique littéraire (Esprit - l’Express) et elle est membre du jury du prix Guizot.

     

     Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/nous-les-chats-claude-habib

     

     

     

  • Chut de Charly Delwart

     

    Seuil, collection Fiction et Cie, 8 janvier 2015

     

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    176 pages - 17.00 €.

     

     

    « L’univers est un test d’intelligence » Timothy Leary

     

      

    Ce livre semble parfois un peu difficile à lire, le style de l’auteur est particulier, comme heurté, des tournures, des cassures, qui déstabilisent, mais en nous glissant dans la peau d’une jeune athénienne de 14 ans, Charly Delwart nous fait revivre les évènements qui ont fait culbuter la Grèce. La Grèce exsangue de la Troïka, otage du FMI, de la BCE et de comptes falsifiés avec la complicité de la Goldman Sachs…. Une Grèce qui ne peut oublier Alexandros Grigoropoulos « abattu par un policier lors d’une manifestation liée à la situation économique du pays », en 2008, il avait 15 ans. Une Grèce, grand laboratoire à ciel ouvert aux quatre veines, de politiques toujours plus d’austérité, une Grèce où les vieillards se suicident pour ne pas peser sur leurs enfants, le premier fut Dimitris Christoulas, pharmacien à la retraite de 77 ans, qui se met une balle dans la tête sur la place Syntagma. Une Grèce où des mères ne reviennent pas chercher leurs enfants à la crèche, sachant qu’au moins là-bas ils seront nourris, la Grèce qui bascule dans un gouffre sous la loupe de l’Europe… 

     

    La jeune fille qui s’exprime ici sous la plume de l’auteur, fait face à bien des bouleversements, à la fois à l’extérieur du foyer mais aussi à l’intérieur, un frère parti à l’étranger, les parents qui se séparent et même à l’intérieur d’elle-même à un âge sensible où l’enfance cède place à la femme en devenir. Aussi pour encaisser tous ces chocs, cet afflux de tensions et de nouvelles données, elle décide de ne plus parler. « Il y a une théorie qui disait que toute parole qu’on ne dit pas est une particule d’énergie qu’on garde pour soi, que cela rend plus fort, et c’est cela dont j’avais besoin, d’énergie, d’être plus concentrée, plus avec moi-même ». Ne plus parler donc, mais écrire, beaucoup et communiquer uniquement par écrit par le biais d’un cahier.

      

    Cette prise de distance va lui permettre de réfléchir, d’observer, car elle sait qu’elle fait partie de ceux qui devront reconstruire la Grèce, de ceux qui doivent voir au-delà du présent, au-delà des ruines et du foutu. Elle cherche à comprendre, cherche le parallèle entre tous les mouvements de contestation qui s’amplifient un peu partout dans le monde, avec la Californie du début des années 70, elle espère que du chaos une nouvelle et meilleure façon de vivre va émerger. Autour d’elle, les murs d’Athènes se sont eux aussi couverts d’écriture, comme s’ils crachaient des mots, des phrases, « des tags, des aplats de peinture rouge pour symboliser le sang des Grecs qui payaient le prix de l’austérité, tout ce qui véhiculait le ras-le-bol, une angoisse, une colère », des slogans qui dénoncent, qui haranguent, qui interpellent : FMI DEHORS, CECI EST UNE DÉMOCRATIE DE MERDE, RÉVOLTE, PAS DÉSESPOIR, ATHÈNES BRÛLE, JE ME FOUS DE VOTRE ARGENT, VIVEZ VOTRE GRÈCE EN MYTHE, AUCUN HOMME N’EST CLANDESTIN. Aussi, l’adolescente va elle aussi commencer à écrire sur les murs, clandestinement, des phrases qui lui viennent de ses observations et réflexion, des phrases inspirées mais différentes, des phrases de poètes et de philosophes qui ouvrent d’autres horizons, d’autres possibles, des phrases à elle, des phrases qui sont elle… « Prenant le tube de rouge à lèvres laissé par ma sœur pour écrire au-dessus mon nom : DIMITRA AEGIOLIS. La seule inscription à mettre ».

     

    C’est donc à une plongée dans la Grèce en ébullition, que nous convie l’auteur, et à la naissance d’une jeune femme, et c’est là tout l’intérêt de cette fiction, avec ce séjour chez la grand-mère de la narratrice, sur l’île de Sérifos, là où la Grèce est encore à l’image de l’aïeule. Une vieille femme enracinée, forte et digne, qui a connu la guerre et la dictature des Colonels, dans cette Grèce millénaire qui a traversé tant d’épreuves déjà et s’est toujours relevée. Une image « de courage et d’espoir ». Voilà ce qu’on retiendra de Chut. Une chute ou le e se fait muet, pour prendre le temps de se relever. « Or c’est parce que tout était trop réel que quelque chose semblait changer, que des initiatives apparaissaient ; les habitants comprenant qu’ils étaient interdépendants, face à l’impuissance du gouvernement, son abandon. »

     

    VOUS ÊTES FORTS DE CE QUE VOUS SAVEZ MAINTENANT.

     

    Une Grèce qui est donc aussi le laboratoire à ciel ouvert et sans y perdre de sang cette fois, un laboratoire des libertés, des nouvelles alternatives, de la solidarité « Un système d’aller-retour direct entre les gens qui n’était pas une alternative à l’euro mais à la vie elle-même (…), pour montrer que tous valaient ce qu’ils avaient à donner et non ce qu’ils avaient en banque. »

     

    Un hommage à tous ceux qui, dans le monde, ont écrit ou écrivent sur les murs pour la liberté et la dignité et à tous ceux qui œuvrent pour que le monde devienne meilleur.

     

      

    Cathy Garcia

      

     

    AVT_Charly-Delwart_2536.jpgCharly Delwart est né à Bruxelles en 1975. Il vit entre la Belgique et la France où il travaille dans le cinéma. Il a écrit trois livres : Circuit (Seuil, 2007 et Labor« Espace Nord » 2014), L'Homme de profil même de face (Seuil, 2010) et Citoyen Park (Seuil, 2012).

     

     

     

     

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/chut-charly-delwart

     

     

     

     

     

     

     

  • Les chiens du Seigneur – Histoire d’une chasse aux sorcières, de Roger Bevand –

     Cherche-Midi, janvier 2015

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    368 pages, 16,80 €.

      

     

    Roger Bevand nous place ici dans la peau de Jehan Gremper, un jeune clerc du diocèse de Constance, qui va accompagner et soutenir le prêtre inquisiteur Henry Institoris, dans la guerre aussi enragée qu’exaltée, que ce dernier a déclaré aux hérétiques maléficiers. Si le récit lui-même du jeune notaire est une fiction, Henry Institoris, « ce dominicain était bien un authentique chasseur de sorcières, qui sévissait à la fin du XVe s. aux confins du Saint Empire romain germanique. Et c’est pour avoir été le principal rédacteur du Marteau des Sorcières qu’il est surtout resté dans l’Histoire. » Jehan Gremper a lui aussi existé, mais on ne sait pratiquement rien de lui si ce n’est que « son nom et sa fonction sont explicitement mentionné dans la Bulle apostolique du pape Innocent VIII datée du 5 décembre 1484 », la Summis desiderantes affectibus (« Désireux d'ardeur suprême »), une [Bulle de sérieuse mise en garde contre la sorcellerie, donnant tous pouvoirs aux inquisiteurs Henry Institoris (de son vrai nom Heinrich Kramer) et Jacob Sprenger, pour l’éradiquer, texte qu’on pourra retrouver en intégralité en fin d’ouvrage. Ainsi, il faut lire ce livre comme un document historique, tous les faits, les évènements, étant eux aussi, hélas, authentiques, plutôt que comme un roman, qui dans ce cas manquerait de style, rythme et contrastes. On songe à La sorcière de l’historien Jules Michelet, publié en 1862, œuvre littéraire avant tout, bien plus romancé donc, qui avait été accusé en son temps de faire l’apologie du satanisme.

      

    Ici, le journal imaginaire de Jehan Gremper, qui démarre le 20 octobre de l’année 1984 à Ratisbonne, jusqu’à l’épilogue en 1530, est le prétexte pour découvrir ou approfondir la connaissance de cette époque de peurs et de superstitions, où on a vu surgir ces prêtres fanatiques, surnommés les chiens du Seigneur. Le Malleus Maleficarum (Le marteau des 71.jpgsorcières), ce manuel très complet à la fois théorique et pratique, destiné à démasquer, notamment avec l’appui de la torture, puis à punir les coupables de sorcellerie, bien qu’interdit en 1490 sur décision pontificale, « a déjà été réédité quatorze fois à Spire, Nuremberg, Bâle, Cologne, Lyon et Paris ! C’est sur la base de ce grand livre (dixit Jehan Gremper) que de vastes opérations d’éradication de la sorcellerie ont déjà pu avoir lieu un peu partout dans le saint Empire et jusqu’en Italie : cent quarante sorciers brûlés à Brescia en 1510, trois cent à Côme quatre ans plus tard… » Quand on sait qu’ « à Bournel (Lot-et-Garonne), une femme accusée de sorcellerie fut brûlée par des paysans en 1826 tandis qu’une autre sorcière était jetée dans un four à Camalès, dans le canton de Vic-en-Bigorre (Haute-Pyrénées) » en 1856, on en comprend les dégâts. D’ailleurs, si au départ hommes et femmes étaient sans distinction accusés de sorcellerie, très vite la chasse s’est tournée de façon très nette vers les femmes. « Pour d’évidentes raisons (dixit Jacob Sprenger, illustre doyen de la faculté de théologie de Cologne, co-auteur du marteau des sorcières), les femmes sont nettement plus enclines que les hommes à la sorcellerie. On sait depuis toujours que les filles d’Ève – celle par qui la faute originelle est arrivée – sont par nature plus concupiscentes que les hommes, plus curieuses et plus perverses aussi. Fragiles, crédules et faciles à séduire, elles mentent et manipulent facilement et sont de ce fait aisément manipulées par le diable. » In vulva infernum ! Par ailleurs « Chez l’homme abondent davantage et naturellement le discernement et la raison… La femme a besoin du mâle non seulement pour engendrer comme chez les autres animaux, mais même pour se gouverner ; car le mâle est plus parfait par sa raison et plus fort en vertu. »

      

    Des choses donc à se remettre en mémoire, à l’heure où l’obscurantiste c’est forcément l’autre, car si nous ne brûlons plus les hérétiques, il est d’autres travers concernant la peur et la haine de l’autre dans lesquels, sûrs de nos droits et de détenir le monopole de la raison et des vertus, nous pouvons retomber très facilement.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    Roger Bevand.jpg  Roger Bevand né à Farges (Ain) en 1949, a suivi des études supérieures de psychologie à Lyon. Après deux ans en coopération au Sénégal dans l'enseignement, il a passé l'essentiel de sa carrière dans les métiers de la gestion des ressources humaines en entreprise, en France et à l'étranger. Il a aussi été très engagé dans le milieu associatif (animateur de centre de vacances, entraîneur de club de football en banlieue...). Il vit à Villeurbanne, près de Lyon. Auteur de Miserere nobis (Actes Sud, 2010).

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

    Pour en savoir plus sur le marteau des sorcières :

    http://cathygarcia.hautetfort.com/archive/2015/04/28/le-malleus-maleficarum-marteau-des-sorcieres-5611930.html

     

     

     

     

     

     

     

  • avaler du sable d’Antônio Xerxenesky

     

    traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro

     

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    Asphalte, février 2015

    178 pages, 15 €.

     

     

    « Un fils qui ne savait même pas boire. Ça ne pouvait pas être un homme, un vrai. Surtout dans une ville où, selon Miguel, la sobriété est déraison. »

     

    Ce roman parle d’un homme qui nous raconte comment il écrit un roman sur l’histoire de ses ancêtres, et en même temps ce roman que nous lisons est aussi, le roman que cet homme écrit, et le roman qu’écrit cet homme démarre comme un western : Mavrak, petite ville perdue au milieu d’un désert du Far-West, sable, poussière, saloon, prostituées, une église qui a brûlé, deux familles rivales depuis des lustres, les Marlowe et les Ramirez… Un western donc, qui va finir comme un remake de La nuit des morts vivants. Sang, sable et poussière.

     

    « Il y avait la peur. Il y avait la peur partout. Aujourd’hui, les hommes ont peur pour un rien ; autrefois ils craignaient la nuit et la mort. Même avec un révolver dans la poche. Peu importait l’arme qui pesait dans l’étui. »

     

    L’histoire démarre par l’assassinat de Martín, le fils ainé des Ramirez et les coupables sont tout désignés. Mais les Marlowe nient être responsables de cette mort. Débarque alors un sheriff, Thornton, homme de foi et de probité, désigné par le gouvernement, pour mettre de l’ordre dans tout ça, suite à une lettre envoyée anonymement par un membre de la communauté.

     

    L’histoire elle-même ne cherche pas à être spécialement originale mais plutôt et même au contraire, à faire un beau clin d’œil cinématographique, avec des passages vraiment poétiques et pas mal d’ironie, en collant au plus près à certains styles de cinéma - ce qui explique qu’à la fin dans la liste des remerciements, on trouvera Sergio Leone, Clint Eastwood, Dario Argento et Takashi Miike, entre autre – mais l’originalité ici réside dans le fait que le livre narre aussi le processus de sa propre écriture, entre rêve et réalité, et là on ne saura pas si le narrateur fait partie de la fiction ou bien si c’est réellement un alter ego d’Antônio Xerxenesky, mais en tout cas il y a un incessant va et vient entre le western d’un côté et son auteur de l’autre, aux prises avec ses machines, à écrire et ordinateur, et ses bouteilles de tequila, ses questionnements existentiels – était-ce mieux ou pire du temps de ses ancêtres ? - son propre problème de paternité et comment celui-ci influe malgré lui sur son histoire.

     

    « Chaque fois que le soleil pénètre à travers les rideaux, annonçant la résurrection attendue du jour, je me lève et je regarde le monde se mettre en branle – voitures qui déchirent les avenues, travailleurs en retard qui courent. Je me dis que l’époque de mes ancêtres devait être pire. Je repasse des passages de l’histoire dans ma tête. Nous vivons dans un monde meilleur. La mort, aujourd’hui, ne se trouve pas dans le moindre souffle d’air. Ni dans le moindre grain de sable. »

     

    Parfois c’est un peu confus, chaotique, comme un saloon après la bagarre, le style est vif et efficace, comme un alcool de contrebande et les nostalgiques du Far-West y trouveront sans aucun doute bien du plaisir, et les amateurs de cinéma aussi, que ce soit le cinéma que l’on regarde ou celui que l’on se fait.

     

    A noter, de superbes photos noir et blanc en double page et en fin d’ouvrage, une playlist musicale sélectionnée par l’auteur pour prolonger le film.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

    Xerxenesky.jpgAntônio Xerxenesky est né à Porto Alegre en 1984. Avaler du sable est son premier roman. Il a collaboré à des journaux, magazines et sites lusophones et anglophones tels que Jornal do Brasil, The New York Times, Newsweek. En 2012, il a été désigné par la revue britannique Granta comme l'un des meilleurs jeunes écrivains brésiliens.

     

     

    Note parue sur La Cause Littéraire : http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

  • Silo de Hugh Howey

    traduit de l’anglais (USA) par Yoann Gentric et Laure Manceau

    Babel (Actes Sud) , novembre 2014

     

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    622 pages, 9,90 €  

     

    Silo est un roman d’anticipation (le premier tome d’une trilogie déjà publiée par Actes Sud dans la collection Exofictions en 2013-2014 et qui passe donc là en version poche). C’est aussi au départ une autoédition via amazon qui a fait donc blockbuster comme on dit en jargon outre-Atlantique, mais il n’est pas difficile d’admettre que quand on est entré dans Silo, on ne peut plus en sortir. Les plus de 600 pages nous tiennent en haleine, si bien qu’on ne focalise pas sur quelques défauts qui pourraient venir se glisser dans la trame. A vrai dire, on peut chipoter, trouver quelques facilités, incongruités, mais l’ensemble est juste vraiment prenant et le principal moteur ici pour poursuivre la lecture et le plaisir quasi enfantin, au sens noble sens du terme, qu’on y prend.

    Le silo semble être le dernier lieu habité de la Terre, dont l’atmosphère suite à on ne sait quelle apocalypse est devenue totalement irrespirable. Dans ce silo immense, des générations se sont succédé, en totale autonomie énergétique et très organisées. Chacun y a sa fonction mais ça ne semble pas contraignant au premier abord. La procréation y est sous contrôle, tout est sous contrôle, sous la supervision d’un maire, un shérif et son adjoint. 130 étages, un seul escalier central en acier et des mines encore plus bas, le tout enterré.

    Il y a de l’eau, de l’électricité, des jardins où le corps des décédés vient servir d’engrais, hôpital, nursery, ateliers, bureaux, écoles et au tout dernier étage supérieur, outre les bureaux du maire et shérif, une cafétéria et un salon adjacent, avec un grand écran sur lequel des caméras extérieures envoient les images du monde de la surface : un désert stérile, balayé par des vents violents, un ciel toujours gris traversé de lourds nuages.

    Au loin on devine les ruines des hautes tours d’une ancienne grande cité, mais plus personne ne sait qui y a vécu, ni quand. Dans la mémoire collective, subsistent cependant quelques histoires d’insurrections à l’intérieur même du silo et parfois l’envie de sortir s’empare de l’esprit d’un habitant au point de lui faire prononcer des paroles taboues ou commettre des actes répréhensibles. Pour ceux-là le vœu est exaucé. Ils sont arrêtés, mis en cellule puis autorisés à sortir via un sas hautement sécurisé, revêtus d’une combinaison intégrale spéciale, censée les protéger au maximum des mortelles toxines de l’atmosphère extérieure, au moins le temps de nettoyer les caméras qui s’y trouvent. Mais c’est une sortie sans retour. Chaque lendemain de nettoyage est un jour spécial pour tous les habitants du silo, et même ceux des étages les plus inférieurs remontent à cette occasion pour « admirer » la vue, grâce aux caméras débarrassées pour quelque temps de leur couche de poussière et de crasse. Au fond, chaque nettoyage, chaque combinaison qui se veut plus élaborée, plus fiable que la précédente, est l’occasion pour chacun de caresser en secret un espoir : « Cet espoir mortel et inexprimé qui vivait en chaque habitant du silo. Un espoir ridicule, fantastique. L’espoir que, peut-être pas pour soi, mais pour ses enfants, ou pour les enfants de ses enfants, la vie au-dehors redevienne un jour possible (…) ».

    Le nettoyage, c’est ce qui est arrivé à la femme du shérif Holston et cela le hante depuis nuit et jour. Il n’arrive pas à comprendre pourquoi sa femme est soudain devenue comme folle. Qu’avait-elle découvert pour souhaiter sortir et aller ainsi au-devant d’une mort certaine. Car les corps des nettoyeurs qui succombent tous au bout de quelques pas après avoir nettoyé les capteurs, gisent ci et là parmi les collines, comme autant de preuves que la vie dehors est impossible. Alors pourquoi vouloir sortir ? Et pourquoi tous sans exception, alors que certains même avaient dit qu’ils ne le feraient pas, pourquoi tous sans exception effectuent ce nettoyage ? Le doute s’insinue, ce fameux doute tabou, qui ronge Holston au point qu’il finira par suivre les traces de sa femme.

    Le cœur névralgique du silo se trouve au trente-quatrième étage, c’est le DIT, là où sont tous les serveurs, « leurs mémoires se rechargeant lentement de l’histoire récente après avoir été complètement effacées lors de l’insurrection ». C’est l’étage le moins peuplé du silo, « moins de deux douzaines d’hommes et de femmes – mais surtout d’hommes – y opéraient, au sein de leur propre petit royaume». Le DIT a son propre service de sécurité interne. On ne peut y entrer sans autorisation. Y officient des techniciens, informaticiens et des scientifiques dans les laboratoires où sont fabriquées les épaisses combinaisons des nettoyeurs.

    Voilà donc posés le décor et le début de cette dystopie aux innombrables rebondissements, qui raconte également beaucoup de choses sur le fonctionnement de l’humanité. Il serait vraiment dommage d’en révéler plus, mais il faut savoir que pas une seule page ici n’est superflue, que l’auteur a une vraie maîtrise de l’intrigue et de la narration, c’est à la fois simple et redoutablement efficace. Cette façon de vivre en vase clos et cette organisation verticale peuvent rappeler les tours des monades urbaines de Silverberg, mais la comparaison s’arrête là, Silo a vraiment sa propre originalité. Le savoir-faire et le génie des travailleurs manuels y sont fortement mis en avant, ceux du département des Machines, qui vivent et travaillent tout en bas, aux étages les plus inférieurs. C’est d’ailleurs une femme, Juliette, qui veut qu’on l’appelle Jules, qui travaille là avec les graisseux depuis de longues années sans jamais remonter, qui sera pressentie, à la demande de l’adjoint et de madame la Maire, pour hériter de l’étoile de shérif et succéder ainsi à Holston. Mais Juliette ne serait-elle pas porteuse de ce virus qui pourrait contaminer tout le silo ? Le directeur du DIT ne semble pas prêt en tout cas à donner son aval pour ce choix du nouveau shérif.

    Juliette a du génie, elle est obstinée, fière, indépendante, elle a le goût du risque et de la liberté, et surtout un incroyable don de survie : tout ce qui pourrait mettre en péril l’équilibre du silo…

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    hugh howey.jpgHugh Howey est né en 1975. Successivement capitaine de yacht et de voyage, puis employé dans une librairie universitaire, il vit désormais en Floride. Véritable phénomène éditorial, Silo (Actes Sud, 2013) s’est déjà vendu à plus de 500 000 exemplaires aux États-Unis et a été traduit en vingt-quatre langues. Suivent Silo Origines et Silo Générations (Actes Sud, 2014).

     

     

    Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

     

     

  • Une femme à gros seins qui court le marathon d’Éric Dejaeger

     

    Gros Textes, décembre 2014.

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    78 pages, 8 euros.

     

      

    On pourrait croire que ce titre – accompagné d’une illustration explicite de Sarah Dejaeger (toute ressemblance avec le nom de l’auteur n’est pas fortuite) est racoleur, et si certains tombent dans le panneau, ils seront punis de poésie, car Éric Dejaeger n’a rien à vendre et racoler n’est pas son genre, il aurait même plutôt tendance à rabrouer si on l’emmerde de trop près.

     

    Le titre est celui du poème du même nom :

    « Ce titre m’est venu

    À l’esprit

    En voyant une femme plantureuse

    Faire du jogging »…

     

    Si vous voulez connaître la suite, vous savez ce qu’il vous reste à faire, vous pourrez ainsi découvrir 66 autres poèmes d’un Dejaeger qui n’a pas peur de montrer sa sensibilité, un peu moins potache que dans les derniers recueils, celui-là nous rappelle plus les Pensées d’un ortieculteur (Les Ateliers du Tayrac, 2006) et Les contes de la poésie ordinaire (Mémor 2005). Le Dejaeger poète tranquille et assumé, compagnon fidèle (dit-il), père, grand-père, jardinier, fossoyeur de petites bêtes, dresseur de muret, contemplatif, paisible et lucide toujours, sans perdre son humour corrosif quand il s’agit d’épingler les travers de ses semblables et d’un monde à la con qui se croit korrekt et tout ça sans jamais se prendre trop au sérieux, surtout pas. Ce livre est dédié à ses « amies & amis qui comme moi s’amusent à écrire ». Ce côté ludique, fanfaron, d’une enfance qui vous collera toujours un poème dans le dos et « merde à celui qui le lit » et qui ne s’étonnera pas que les platanes puissent venger les escargots écrasés. Il y a du zen chez Dejaeger aussi, le recul du sage qui préfère grimacer comme singe que se pavaner la plume au fion et une attention non feinte à l’infime, au minuscule, c’est sans doute pour ça qu’il arrive que la part des anges, donne des ailes à sa plume. Et ce, pour notre plus grand bonheur, car la poésie de Dejaeger, elle est sacrément belle, avec une vraie simplicité, elle est du genre à vous mettre des petits frissons et des étoiles mouillées au coin des yeux. Dejaeger vous débusque l’amour sous un vieux pot à fleurs.

     

    L’amour est un cloporte schlass

    Qui cuve sous un vieux pot

    À fleurs

     

    Ne l’ennuie pas !

    Ne le réveille pas !

    Ne l’écrase pas !

    Peut-être que comme dans les contes

    Quand l’immonde bestiole

    En sera quitte

    De sa gueule de bois

    Elle se transformera

    En princesse charmante !

     

    Et avec ça il vous offre son cœur à déguster, à l’échalote, déglacé à la Chimay bleue.

     

     

    Cathy Garcia

    de-jaeger.jpgÉric Dejaeger (1958-20**) continue son petit mauvaishomme de chemin dans la littérature, commencé il y a plus de trente ans. Il compte à ce jour près de 700 textes parus dans une petite centaine de revues, ainsi qu'une trentaine de titres chez des éditeurs belges et français. Refusant les étiquettes, qui finissent toujours par se décoller et valser à la poubelle, il va sans problème de l'aphorisme au roman en passant par le poème, le conte bref, la nouvelle, voire le théâtre. Sans parler de l'incontournable revue Microbe, qu'il commet depuis de nombreuses années, de mèche avec Paul Guiot.

     

    Derniers titres parus :

    Grand cru bien côté - Cactus Inébranlable éd.  (2014)

    Grovisse de forme (avec André Stas) - Microbe (2014)

    Ouvrez le gaz trente minutes avant de craquer l’allumette - Gros Textes (2014)

    Un privé à bas bilan Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

    Les cancans de Cancale et environs (recueil instantané 3) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 64 exemplaires (2012)

    La saga Maigros – Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

    NON au littérairement correct ! – Éd. Gros Textes (2011)

    Un Grand-Chapeau-Noir-Sur-Un-Long-Visage in Banlieue de Babylone (ouvrage collectif autour de Richard Brautigan), Éd. Gros Textes (2010)

    Je ne boirai plus jamais d’ouzo… aussi jeune (recueil instantané 2) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 65 exemplaires (2010)

    Le seigneur des ânes – maelstrÖm réÉvolution (Belgique, 2010)

    Prises de vies en noir et noir – Éd. Gros Textes (2009)

    Trashaïkus – Les Éd. du Soir au Matin (2009)

    De l’art d’accommoder un prosateur cocu à la sauce poétique suivi de Règlement de compte à O.K. Poetry et de Je suis un écrivain sérieux – Les Éd. de la Gare (2009)

    Blog de l’auteur : http://courttoujours.hautetfort.com/

     

     

     

     

  • Pieds nus dans R. de Perrine Le Querrec

     

    Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, collection Pousse-café, février 2015.

     

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    28 pages, 5 €.

     

     

    Petit joyau ce pousse-café là, tête-bêche en plus : Pieds nus dans R. ou Barefoot in R. dans sa version anglaise, traduit en anglais par Derek Munn. Petit joyau car la plume de Perrine Le Querrec quand elle ne la laboure pas, vole au-dessus de la page, et il pleut des mots, il pleut de la langue de poète, de celle qui enivre, que l’on boirait encore et encore, jusqu’à tomber par terre ivre vivant ! Ce livre dédié à N. parle d’un il qui revient de R. pieds nus : j’ai perdu mes chaussure à R., me dit-il en arrivant. (…) R. qui se targue d’être la Ville, une ville tout en cadres en bordures en netteté. Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment perdre ses chaussures, sa raison, son assise et son apparence, comment se délacer - ô savoureux double sens -, s’égarer, se soustraire aux codes de R., nation d’ordre, de discipline où le premier pas de l’enfant est calculé à la courbe du rendement de R. ? Oui, comment ? Dans un rythme entrainant, envoûtant qui galope sur la page comme une épidémie de pieds nus justement, on se laisse gagner par l’exaltation liberterre de ce nudisme, deux pieds, nus de chair de veines et d’os, de pieds sans semblants, sans artifices ni parures. Ô délicieuse impudence, n’hésitez pas, emparez-vous de ces petites pages de rien du tout, énormes, qui dévalent, osez cette vision insupportable, crue, cruelle mordante, miraculeuse. N’hésitez pas, déchaussez vous !

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    perrine le querrec.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Ses rencontres avec de nombreux artistes et sa passion pour l’art nourrissent ses propres créations littéraires et photographiques. Elle a publié chez le même éditeur Coups de ciseaux, Bec & Ongles (adapté pour le théâtre par la Compagnie Patte Blanche) et Traverser le parc et La Patagonie. Et puis No control, Derrière la salle de bains, 2012 ; Jeanne L’Étang,  Bruit Blanc, avril 2013 ; De la guerre, Derrière la salle de bains, 2013 ; Le Plancher, Les doigts dans la prose, avril 2013. Elle vit et travaille à Paris comme recherchiste indépendante. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons. Perrine Le Querrec est une auteure vivante. Elle écrit dans les phares, sur les planchers, dans les maisons closes, les hôpitaux psychiatriques. Et dans les bibliothèques où elle recherche archives, images, mémoires et instants perdus. Dès que possible, elle croise ses mots avec des artistes, photographes, plasticiens, comédiens.

     http://entre-sort.blogspot.be/

     

      

    derek munn.jpgDerek Munn est né en Angleterre en 1956. Installé en France en 1988, il a enseigné l’anglais dans une école de langues à Paris pendant six ans. En 1994, il a déménagé dans le Sud-Ouest. Il a publié Mon cri de Tarzan, Laureli/Léo Scheer, Un paysage ordinaire, Christophe Lucquin Éditeur.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Le mémo d’Amiens de Jean-Louis Rambour

    éd. Henry, coll. La main aux poètes, octobre 2014. Vignette de couverture : Isabelle Clement.

     

     

     96 pages, 8 euros

     

    « C’est un pays étrange, cette ville, avec tous ces gens », c’est sur cette citation du Clézio que s’ouvre ce recueil, qui bien que tenant dans la poche, pèse son poids de vies humaines et d’un siècle condensé. 90 « poèmes-photos », 90 portraits de 14 lignes. Une ville, Amiens et des gens, des habitants. Des prénoms, quelques noms, des histoires, des rêves, des ambitions, des douleurs, des misères, des saloperies aussi de tout un siècle découpé en guerres, en entre-deux, en révolutions.

     

    « Ici Julia parle de la grande souffrance d’Amiens (…)

    La grande souffrance dit-elle Deux guerres mondiales

    À elle seule L’idée qu’on a pris forme humaine

    Pour vivre la somme des malheurs la note élevée

    Pris forme humaine pour offrir ses ruines »

     

    Toute cette grande machinerie de l’Histoire à coups de bottes, de pieds résolus, de pieds nus, de pieds noirs, d’escarpins tourbillonnant après l’amour, la grande marche de l’Histoire à coups de bombes, de bulldozers, de bâtiments qui s’effondrent, de bâtiments qui se dressent, de fermes qui disparaissent, de zones et d’entreprises aux noms anglo-saxons qui engraissent. Et les gens, les gens qui vivent tout ça, des gens qui habitent, font et défont la ville, des gens venus de là et d’ailleurs, tout plein de mémoire et de trous.

     

    On construit on construit Les ouvriers de Pi and Dji

    Ont besoin de murs autour de leurs lits

    De fenêtres pour imaginer des libertés

    Sans compter qu’il y a Good Year Cyclam

    Plastic Omnium Unither Scott Bader Vidam

    Whirpool Faiveley Mersen France Sans compter

    La guerre d’Algérie qui jusqu’ici distribue ses exils

     

    Beaucoup de noms dans le mémo d’Amiens, un mémo c’est fait pour ça, pour ne pas oublier, les noms de personnes, noms de rues, de places, de quartiers et de ciel et de pays aussi laissés derrière, mais dont quelques graines sont venus les unes après les autres, fleurir la ville de couleurs nouvelles. De parfums nouveaux.

     

    Geneviève, Rémi, Georges, Laurent, Isabelle, Lucienne, Léon… A eux seuls, les prénoms, tout un poème. Nemrod venu du Tchad jusqu’à cette ville d’Amiens où L’eau ne fait que glisser dans les tuyaux de cuivre et où la misère pourtant est belle de ses salle de bains/Et ses terrasses de café où la bière est en or. Là où Boris flotte avec les nuages des gitanes/La bière sa petite odeur d’urine d’âne surie.

     

    Il y a le travail, ses travailleurs et ses exclus et il y a le foot. Daniel (…) estime qu’un ballon est un bon résumé/De l’aventure humaine Tous les globes d’ailleurs/Plus généralement Les globes et les nombrils.

     

    Jennifer, Chaïma, Yliès, Caetano, Germain, Gilles, Jacqueline. Gilles qui se fait appeler Njango. Habib, Jésus, Anna et puis les épiciers, Monsieur et Madame Tellier. On ne pèse plus les pâtes/Le riz, la levure On ne râpe plus le fromage/On ne surveille plus l’intégrité des grains de café/On ne se fait plus servir  C’est le début du non-partage/On apprend le mot de self-service On s’en repaît (…) Le curé tente d’excommunier le chewing-gum/Mais en vain/On entre dans l’ère du self et du look

     

    Le château d’eau du Pigeonnier devient le poste de surpression d’eau potable dépendant du département eau et assainissement/De la mairie d’Amiens sous la responsabilité de l’agent Matthieu Bernard.

     

    Les temps changent, tout change mais la nuit a t’elle perdu la manie misérable d’accoucher ses cauchemars chats noirs/Ses ogres bossus aux manches de chandail/Luisantes de pailles et du mucus des limaces ?

     

    Amiens sous la plume de Jean-Louis Rambour nous laisse découvrir son intimité, les dessous de ses visages innombrables, son grand théâtre…

     

    Ch’est nous chés tchots/Conmédiens/Chés viux cabotants d’Anmiens*

     

    Le mémo d’Amiens est un hommage poignant, sensible mais surtout pas mièvre, au contraire digne, lucide, sans concession, hommage aux femmes et aux hommes, d’où qu’ils viennent, qui forment le vrai ciment des murs d’une ville, qui la font tenir debout, en lui offrant encore un souffle d’humanité, aussi chargé soit-il.

     

    Cathy Garcia

     

     

    *(C’est nous les petits comédiens/les vieux cabotins d’Amiens, dans la chanson d’adieu des marionnettes traditionnelles picardes, par Maurice Domon)

     

     

    Jean-Louis Rambour né en 1952, à Amiens, vit toujours en Picardie.

    Bibliographie :

    Mur, La Grisière, 1971
    Récits, Saint-Germain-des-Prés, 1976
    Petite biographie d’Édouard G., CAP 80, 1982
    Le poème dû à Van Eyck, L’Arbre, 1984
    Sébastien, Cahiers du Confluent, 1985
    Le poème en temps réel, CAP 80, 1986
    Composition avec fond bleu, Encres Vives, 1987
    Françoise, blottie, Interventions à Haute Voix, 1990
    Lapidaire, CAP 80, 1992
    Le bois de l’assassin, Polder, 1994
    Le guetteur de silence, Rétro-Viseur, 1995
    Théo, Corps Puce, 1996 / La Vague verte, 2005
    L’ensemblier de mes prisons, L’Arbre à paroles, 1996
    Le jeune homme salamandre, L’Arbre, 1999
    Scènes de la grande parade, Le Dé bleu, 2001
    Pour la fête de la dédicace, Le Coudrier, 2002
    La nuit revenante, la nuit, Les Vanneaux, 2005
    L’hécatombe des ormes, Jacques Brémond, 2006
    Ce monde qui était deux, Les Vanneaux, 2007

    Le seizième Arcane, Corps Puce, 2008 (préface de Pierre Garnier)
    Partage des eaux, Ateliers des éditions R. & L. Dutrou, 2009 (dessins de René Botti)
    Cinq matins sous les arbres, Vivement dimanche, 2009
    Clore le monde, L'Arbre à paroles, 2009 (frontispice de Benjamin Rondia)
    Anges nus, Le Cadran ligné, 2010
    mOi in the Sky, Presses de Semur, 2011
    La Dérive des continents, Musée Boucher-de-Perthes d'Abbeville, 2011 (huiles de Silère et préface de Pierre Garnier)
    Démentis, Les Révélés, 2011 (livre d'artiste réalisé avec le peintre Maria Desmée)
    La Vie crue, Corps Puce, 2012 (encres de Pierre Tréfois et préface de Ivar Ch'Vavar)
    Au Commencement était la bicyclette, Université de Picardie Jules-Verne, 2014 (25 textes pour le catalogue d'une exposition du peintre Silère)


    Jean-Louis Rambour a également publié des recueils de nouvelles et des romans : Les douze Parfums de Julia (sous le nom de Frédéric Manon), La Vague verte, 2000 (Prix du livre de Picardie Club de lecteurs 2001) ; Dans la Chemise d'Aragon, La Vague verte, 2002 (Prix du livre de Picardie 2003) ; Carrefour de l'Europe, La Vague verte, 2004 ; Et avec ceci, Abel Bécanes, 2007.

     

     

  • Bleu éperdument de Kate Braverman

    traduit de l’anglais (USA) par Morgane Saysana

    Edition: Quidam Editeur janvier 2015

     

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    245 pages, 20 €   

     

     

    Elles sont plusieurs, et parfois elles semblent n’être qu’une, quelle que soit leur condition sociale, toutes ces femmes que l’on découvre au fil des pages de Bleu éperdument. Ces fragments de vie rassemblés comme autant de nouvelles nous plongent dans un état fiévreux, à grand renfort d’alcool, de drogues dures ou douces et d’échappées plus tropicales : Hawaï comme un appel, refuge autant que lieu de perdition au sens premier du terme. Des femmes, célibataires, divorcées, mariées, mères ou pas, et des hommes, absents, ombres fantômes ou tortionnaires, qui les retiennent, les plombent, les manipulent, les tyrannisent, souvent des ratés, des épaves qui les tirent vers le bas, ces mères souvent seules avec leur fille… D’ailleurs l’amour, s’il y en a, est principalement maternel. De cet amour béton qui fait tenir debout envers et contre tout.

    « Nous sommes coupées en deux, songe-t-elle, nous sommes distendues, nous sommes magnifiées. Nous nous asseyons au creux de fontaines d’où l’eau jaillit par trop d’orifices. Nous posons la machine à écrire à même le sol, sous la table de la salle à manger, et vivons là. En sécurité avec le bois au-dessus de nos têtes. Nous restons assises là onze jours et onze nuits de rang, à nous perforer les veines des bras et des jambes. Nous écrivons des poèmes, à l’encre de sang. Nous nous croyons alors justifiées. Nos bras sont infectés. Nous savons bien n’être pas tout à fait à l’image de Dieu. Nous, profusions de trous. Notre genre est monumental. N’est-ce pas d’ailleurs ce que notre sculpture nous raconte ? Nous sommes l’appétit dépourvu de crâne. Nous sommes amputées. Nous enfantons sans maris. Nous donnons naissance à nos bébés dans la solitude absolue, comme une espèce de renégats. Nous n’avons ni tribus ni totems. Aucun rituel de consolation. Lorsque nous naissons ou mourrons, personne n’allume de cierge. Plus personne ne se souvient des litanies, des formules pour invoquer et divertir les dieux. Nous vivons seules. Célibataires durant des décennies. Larguées sur Terre puis désertées. Peut-être sommes-nous une mélopée ? Quelqu’un nous a écoutées choir. Peut-être sommes-nous une forme de pluie avilie ? ».

    Bleu éperdument est donc un livre de femmes, de mères et de filles, de femmes désabusées, perdues, des âmes éclopées, qui pour beaucoup fréquentent les Alcooliques Anonymes et qui font face au cap de la quarantaine avec plus ou moins d’aplomb et beaucoup de vertiges.

    « Figée sur place. Immobile. L’impression d’être plantée là depuis des années. Il ne te vient même pas à l’idée que tu peux remuer. Il ne te vient même pas à l’idée que tu peux enfreindre les règles. Le monde est un tissu de sortilèges et de vérités absolues ».

    Kate Braverman est avant tout poète et c’est une évidence ici, la poésie tient une place importante dans ces nouvelles, même si la condition de poète et l’insertion sociale y semblent antinomiques.

    « Elle s’interroge quant aux poètes qui mettent leur tête dans le four et des tuyaux pleins de monoxyde de carbone dans leur bouche. Peut-être est-ce un acte suprême d’alchimie, la transmutation du gaz et du poison en une substance qui absout. Sur la cuisinière dansent des flammèches bleues. Le genre de choses qui ancrent les univers. Pour les poètes, c’est toujours l’hiver. Ils sont debout au bord du parapet des ponts nocturnes. Leurs orteils pointés vers l’immense néant bleu. Le monde se fige et retient son souffle. A nouveau nous sommes des enfants. Les définitions bleues et fraîches nous les savons comme un enfant sait qu’il ne doit pas traverser la route ni toucher la flamme. Pourtant nous la touchons ».

    La couleur, dans Bleu éperdument comme son nom l’indique, a une place prépondérante. Physique. Les bleus d’abord, beaucoup de bleu, le bleu invraisemblable de l’océan ou « telle une hémorragie, prenant possession du ciel », des bleus dangereux, infectés, envahissants, traqueurs ou guérisseurs. « Elle examina sa main et l’air qui semblait bleuir à l’extrémité de ses doigts. C’est juste un glacis bleu, se dit-elle. Et sur les bords, une sorte de gaze bleue panse la blessure universelle ».

    Mais aussi le vert, « désinhibé, rebelle, ahurissant dans toutes ses nuances », et les jaunes, les orangés, le rouge, le blanc, le gris et même le noir. Les couleurs, toutes les couleurs, comme des émotions, un langage à part entière. La vision explose en sensations, parfois jusqu’à l’insupportable, « à donner envie d’enfoncer les doigts dans sa propre chair pour en arracher des lambeaux, c’est dire les maux que peuvent causer les couleurs ».

    Malgré la poésie, le feu de la langue, il y a quelque chose de terriblement déprimant dans Bleu éperdument, englué dans le blues de la génération post-soixante-huitarde, comme une mutation ratée, et c’est pourquoi toutes ces femmes, mères, filles, nanties ou démunies, finissent par se confondre dans un même accablement, souvent proche de l’anéantissement.

    « Entrais-je le matin dans la cuisine, vêtue de mon uniforme rassurant, c’était pour trouver ma mère plantée près du four, en robe de chambre, l’air ailleurs, fumant cigarette sur cigarette. Des plateaux de cookies refroidissaient sur le plan de travail. En général, il n’était pas rare qu’elle passe la nuit à en préparer, juste avant de céder à nouveau à la tentation de boire. Et durant des semaines, voire des mois, c’en était fini des cookies. Ma mère était occupée à picoler, la porte de sa chambre verrouillée, une bouteille de vodka sur sa table de chevet. La radio diffusait les Rolling Stones ou les Eagles. Puis, tout à coup, les cookies réapparaissaient par plateaux entiers ou enveloppés dans du papier aluminium et empilés. Elle reprenait les réunions et observait les trois premières étapes. Elle admettait avoir perdu la maîtrise de sa vie. Elle priait pour qu’une puissance supérieure à sa personne lui rende la raison. La troisième étape lui donnait du fil à retordre, car il lui fallait confier sa volonté et sa vie aux soins de Dieu tel qu’elle le concevait. L’ennui, c’est que ma mère ne concevait point Dieu ».

    Ennui profond, rêves avortés, cancers, tentations suicidaires, autodestruction assidue, montagnes russes de la lutte pour la survie, tout se passe sur un territoire géographique bien délimité, qu’on imaginerait pourtant plus léger, décontracté, lumineux, mais le piège est là, dans cette apparente nonchalance de ce mouchoir de poche californien des années 80 : Los Angeles, ses quartiers pauvres ou chics, comme Beverley Hills…

    « Du jour au lendemain, on a enrubanné de rouge les lampadaires, maculé de neige artificielle et de faux givre les vitrines et saturé les rues de cohortes de pins massacrés, décorés, livrés en pâture. (…) Un paysage salement esquinté, à la végétation corrompue ».

    Et puis les fugues contrastées vers Hawaï. « D’abord il y a l’attraction qu’exerce la verdure à l’aéroport de Lihue. Le petit avion en provenance d’Honolulu frôle dangereusement les montagnes surgies de nulle part. Les sommets d’un vert sans retenue, une sorte d’illumination de l’esprit ». Les plages, la jungle. Une sauvagerie, une innocence encore possible. Un goût, frelaté pourtant, de paradis perdu.

    Bleu éperdument a cet attrait étrange des narcotiques, qui fait que le soulagement que l’on éprouve en atteignant la fin du livre se transforme très vite en une irrésistible envie d’y replonger.

    « La seule source de lumière dans toute la maison est l’allumette qui embrase sa cigarette. Et elle réalise que la seule source de lumière au monde est la flamme qui nous consume à petit feu ».

     

    Cathy Garcia

     

    kate braverman t.jpgKate Braverman est née en 1950 à Philadelphie. Romancière, auteur de nouvelles et poétesse américaine, elle a grandi à Los Angeles. A lire aussi Lithium pour Médée, Quidam 2006.

     

     

     

     

    Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/bleu-eperdument-kate-braverman

     

     

     

     

  • Si nous vivions dans un endroit normal de Juan Pablo Villalobos

    Actes Sud octobre 2014, traduit de l’espagnol (Mexique) par Claude Bleton

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    190 pages, 17 €

        

     

    « Va te faire voir chez ta salope de mère, connard, enfoiré de merde ! » Ainsi débute ce succulent roman, juteux à souhait, un jus plutôt amer, mais drôle, terriblement drôle. De cet humour typiquement latino-américain, qui permet de témoigner des pires travers de la société avec un pied de nez à l’humiliation et l’injustice. Ici il s’agit du Mexique des années 80, avec ses absurdités (un pays surréaliste, avait dit Breton), sa mélasse de corruption, de trafics, de dangereux bouffons politiques, de fraude électorale, abus de pouvoir et compagnie. Dans le village de Lagos de Moreno, entre bétail, prêtres, ouailles hallucinées, élus véreux et démagogues, nationalistes populistes et autres illuminés, vit la famille d’Oreste, dit Oreo, comme les biscuits du même nom. Ou disons plutôt que la famille vit au-dessus du village, au sommet d’une colline, la Colline de la Foutaise. Lui et ses six frères et une sœur, tous affublés de prénoms grecs, lubie du père professeur d’éducation civique, et la mère, dévouée à la préparation des quesadillas au fromage. Base quasi unique de l’alimentation familiale et dont l’épaisseur et le nombre oscillent comme le statut familial, entre classe moyenne et classe pauvre, avec une tendance à stagner dans cette dernière.

    « Mais cette histoire de classe moyenne ressemblait aux quesadillas normales, qui ne pouvaient exister que dans un pays normal, dans un pays où on ne chercherait pas en permanence à vous pourrir la vie. Tout ce qui était normal était superchiant à obtenir. Le collège avait la spécialité d’organiser le génocide des extravagants pour en faire des personnes normales, c’était l’exigence des professeurs et des curés, qui râlaient enfin merde pourquoi ne pouvions-nous pas nous comporter comme des gens normaux. Le problème, c’est que si on les avait écoutés, si on avait suivi les interprétations de leurs enseignements au pied de la lettre, on aurait fini par faire tout le contraire, de foutues conneries complètement délirantes. On s’appliquait de notre mieux pour exécuter ce qui était exigé de nos corps en ébullition, on ne cessait de demander pardon pour de faux, car nous étions obligés de nous confesser tous les premiers vendredis du mois ».

    C’est Oreste qui s’exprime et lui qui raconte, dans sa langue dégourdie d’adolescent, la vie et les mésaventures familiales : la disparition de Castor et Pollux, les jumeaux pour de faux, dans un supermarché, le despotisme d’Aristote l’aîné, l’arrivée et la construction de la luxueuse maison des Polonais, juste à côté de leur boîte à chaussures jamais achevée et son plaque-plafond en amiante, puis le jour où lui et Aristote ont quitté la maison pour aller retrouver les jumeaux qui avaient été, selon Aristote, enlevés par les extra-terrestres.

    « On utilisa des pierres pointues, comme les Néanderthaliens d’antan, et on réussit à remplir les boîtes de poussières. Si c’était cela, la vie qui nous attendait, manger de la poussière à pleines dents, on aurait mieux fait de rester au chaud, près de nos quesadillas rachitiques. Notre fuite nous avaient rétrogradés d’un degré dans la lutte des classes et on se retrouvait maintenant à rôder dans le secteur des marginaux qui bouffaient de la terre par poignées.

    – Il y a trois sortes d’extraterrestres.

    – Hein ?

    – Je te le dis pour que tu sois préparé, je ne sais pas à qui nous aurons affaire.

    C’était la conversation idéale pour accompagner l’ingestion du thon à la terre ».

    Il y a aussi le pouvoir étrange de la boite rouge et son bouton grâce à laquelle Oréo survit seul quelques mois dans la rue et puis le retour à la boite à chaussures familiale, avant qu’elle ne finisse par être démolie pour laisser place à un quartier bien plus luxueux et exit la famille désormais indésirable…

    C’est le regard donc du jeune Oreo, ce regard impertinent et sans concession, qui donne toute sa saveur au roman, dans un contexte qui ne prête pourtant pas à rire.

    « Il me disait que l’argent n’avait aucune importance, que l’essentiel, c’était la dignité. Confirmé : nous étions pauvres ».

     

    Cathy Garcia

     

     

    200px-juan_villalobos_2012_979dddf95e0a9563b0284bc5e3e610d3.jpgJuan Pablo Villalobos est né au Mexique en 1973. Il a fait des études de marketing et de littérature et vit à Barcelone. Dans le terrier du lapin blanc (Actes Sud, 2011) est son premier roman.

     

     

     

     

    Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/si-nous-vivions-dans-un-endroit-normal-juan-pablo-villalobos

     

     

     

     

  • Les paradoxes du lampadaire suivi de A NY, textes, collages et photos de Marc Tison

     

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    Un recueil élancé, format vertical sur papier lisse et luisant comme une ville la nuit, un remix/réécriture d’un  texte publié  dans la revue collective  « Numéro 8 » en 2008 suivi de A NY, remix/réécriture d’un texte publié par « contre-poésie » en 2011.

     

    « La ville est une arythmie (…) constance de la règle : l’urbain bruit ». Magistralement rendue ici par Marc Tison, la ville, sa schizophrénie jour/nuit, ses monstres, ses perditions et ses « fausses nostalgies des solitudes paisibles/Dans l’indifférence speedée des changements de métro ». Une langue qui claque, qui swingue, qui râpe et dérape sur le béton, le bitume, aiguillonne le lecteur, le pousse, le bouscule de boulevards rutilants en « sombres chemins de rescousses », de fantasmes en sordides réalités, sans jamais céder à la facilité d’un hymne bidon à une urbanité trop souvent à la limite du bidon elle aussi, au contraire l’auteur, lucide, nous livre la désintégration des romantismes/ Ravalement des façades à l’heure du dégueuli.

     

    La ville accélère ses respirations, la ballade dans les rues des mémoires achève les souvenirs arnaques/A coup de béton, patchwork électrique de villes et d’ivresses, paradoxes du lampadaire quand l’agitation diurne mute au gris.

     

    La ville picole/Sec siphone/Pour s’oublier.

    (…)

    A corps et à cris dans un 15 mètres carré

    La ville fornique

    Même absente d’amour

     

    La faune urbaine dépecée ici sous la plume sans concession de l’auteur, la tendresse vient plus facilement avec la nuit, quand sortent les exclus du périmètre tendu au cordeau économique, quand des jeunesses mêlées d’affection bousculent/Les morales de contrition à Istanbul, quand les révoltes paraissent encore possibles ou en tout cas moins vaines, à contre jour du décorum constructiviste, de la ville en action concentriquel’homme urbain se regarde le nombril/Cyclope onaniste s’imaginant partouzer la foule.

     

    Désabusé Marc Tison ? Non, pas totalement, car Reviendra le temps des cerises nous dit-il, Parce qu’il reste des cerisiers.

     

    La ville appartient aux enfants sauvages

    Pétris de justice

    Quoiqu’en disent les connards qui

    S’enfuient

    Chaque week-end.

     

    La ville… Métal et fleurs/parfumés au méthanol des distilleries clandestines/Au sous-sol des nouveaux immeubles/Déjà mis en ruine/En cours de démolition.

     

    Et le poète écrit :

     

    Le premier métro vient d’arriver

    Encore je ne dormirai pas

    Jamais

     

    Tandis qu’il se rappelle avoir vu à New-York sur le ferry touristique un couple de retraités amérindiens tourner le dos à la statue de la liberté.

     

    Et tant de choses encore… à lire* dans ce petit bijou qui palpite de l’énergie toujours inconcevable de l’espoir.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

    *Les paradoxes du lampadaire suivi de A NY

    24 pages. Format 10×21 fermé.

    5€ (frais de port inclus) à commander à

    Marc Tison 12 rue du ravelin 31300 Toulouse

     

     

    Tison NB.jpgMarc Tison est né en 1956 entre les usines et les terrils, dans le nord de la France. Fondamental. A la lisière poreuse de la Belgique. Conscience politique et d’effacement des frontières. Lit en 1969 un premier poème de Ginsberg. Électrisé à l’écoute de John Coltrane et des Stooges. Années 70’s : performe des textes de Jacques Prévert sur les scènes de collège. Premiers écrits. Puis l’engagement esthétique devient politique. Punk et free. Déclare, avec d’autres, la fin du punk en 1978. Premières publications dans des revues (dont Poètes de la lutte et du quotidien).  Écrit et chante plus d’une centaine de chansons dans plusieurs groupes jusqu’en 1992. En 1980, décide de ne plus envoyer de textes aux revues, le temps d’écrire et d’écrire des cahiers de phrases sans fin jusqu’en 1998 où il jette tout et s’interroge sur un effondrement du « moi ». Part alors à l’aventure analytique. L’an 2000 le voit déménager dans le sud ouest et rendre sa poésie de nouveau publique. Publication en revues (Nouveaux Délits n°50, Traction Brabant, Verso, Diérèse…), collectif Numéro 8, éditions Carambolage  2008. Publie Manutentions d’humanités, éditions Arcane 1, 2010 ; Topologie d’une diaclase, éd. Contre poésie 2012 ; Désindustrialisation, éd. Contre poésie 2012. L’équilibre est précaire, éd. Contre poésie, 2013. Trois affiches poèmes, éd. Contre poésie, 2013 ; quinze textes dans le livre d’artiste Regards du photographe Francis Martinal.  Engagé tôt dans le monde du travail. A pratiqué multiples jobs : chauffeur poids-lourd, concepteur- rédacteur publicitaire, directeur d’équipement culturel…. Il s’est spécialisé dans la gestion de projet de l’univers des musiques d’aujourd’hui. A élargi depuis son champ d’action à la gestion et l’accompagnement de projets culturels et d’artistes. Programme aussi des évènements liés à l’oralité, la poésie dite, et la « poésie action ».  Performances / installations d’action poésie (solo ou duo avec Éric Cartier) depuis 2011. http://marctison.wordpress.com/

     

     


  • Barbarie 2.0 d'Andrea H. Japp

     

    Flammarion, septembre 2014

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     436 pages, 21 €
     
     

    Quand Yann Lemadec, analyste de données, spécialisé en psychologie à la Brigade d’intervention secondaire, est discrètement recruté par Henri de Salvindon, grand patron de la DCRI, pour enquêter sur le meurtre sordide de Thomas Delebarre, un avocat général, Yann se doutait bien que les choses n’étaient pas très claires, pas plus que le rôle qu’on allait lui faire jouer. Il était trop fin limier sur le fonctionnement humain pour ne pas avoir senti l’opacité de l’affaire, mais il était loin d’imaginer qu’il venait de mettre le pied au cœur d’un affrontement d’une envergure telle, que le sort de l’humanité pouvait en dépendre. Il était loin d’imaginer à quel point cela allait le dépasser.

    L’enjeu est de taille et les deux groupes qui s’affrontent en secret sont tout aussi impitoyables l’un que l’autre. Ce qui les différencie c’est que l’un lutte et complote pour défendre sa caste au mépris de tout le reste, avec cynisme et avidité, seul compte le profit, toujours plus de profit, et l’autre lutte pour préserver l’espèce, quitte à en modifier un peu les gênes pour être de taille à lutter. Yann quant à lui, breton, beau mec, intelligent, gentil, cultivé, fait partie d’un groupe en voie de disparition, celui des électrons-libres, philosophes, humanistes et un peu rêveurs, qui ne peuvent concevoir d’aussi extrêmes radicalisations.

    Il sera ce fétu de paille baladé par les uns et les autres, accroché vaille que vaille à une quête obstinée de la vérité, avant d’être balayé en un claquement de doigt.

    On est ici de part et d’autre dans l’application de l’adage « la fin justifie les moyens ».

    « Nous avons raison, nous et le camp opposé. Le chaos se prépare. La seule inconnue demeure quand ? Quand aurons-nous raison ? »

    Sur fond de déferlement de violence, Barbarie 2.0 aborde des aspects sombres mais tout à fait tangibles du monde d’aujourd’hui. L’auteur s’appuie sur d’innombrables faits divers réellement arrivés ces dernières années et des notes en bas de pages (trop ?) renvoient à un bon nombre de liens, qui donnent par moment au roman une allure de documentaire.

    « Or comme disent les stars de l’économie numérique : si c’est gratuit, c’est que le produit, c’est toi ! La masse, le peuple quoi, a été de la chair à canon, puis à mines. C’est maintenant de la chair à écrans (…)».

    L’intrigue tient d’abord la route, son découpage garde le lecteur en haleine, peut-être trop même, car à mi-chemin on peut commencer à rester sur sa faim, comme s’il manquait quelque chose, comme si ce thriller ne tenait pas ses promesses, restait trop en surface.

    Un détail par exemple, mais qui peut devenir gênant à la longue, l’auteur a un goût prononcé pour les descriptions, notamment d’intérieurs, qui semblent parfois un peu incongrues, et on sent que l’auteur se fait plaisir mais le lecteur lui, peut avoir l’impression soudain de feuilleter un magazine d’art et décoration.

    Peut-être Andrea H. Japp s’est-elle ici attelée à un sujet trop lourd, où la fiction s’emmêle trop de références réelles et implique donc une dimension plus profonde, plus fouillée ? La fin d’ailleurs est bien trop simpliste au vu de toutes les questions justement qui ont été soulevées et il manque bien des paramètres pour pouvoir tenter d’y répondre. L’auteur, passionnée de neurobiochimie, propose cependant une lecture possible.

     

    « La Barbarie 2.0, la déferlante du sadisme à l’humaine. Toutes les conditions sont réunies. Notre trop grand nombre sur cette planète, nos haines des autres savamment orchestrées, les dysfonctionnements du cerveau engendrés par des carences, des pollutions, aggravés par les drogues, sans oublier une anesthésie générale des populations à qui l’on refourgue du pain et des jeux pour qu’elles ne voient rien venir, tant qu’elles peuvent payer. Les agneaux seront égorgés, seuls les fauves survivront. Les pires des fauves. L’automne est là et l’hiver arrive. Il durera ».

     

    Cathy Garcia

     
     
     

    andrea-h-japp.jpgNée en 1957, toxicologue de formation, Andrea H. Japp, pseudonyme de Lionelle Nugon-Baudon, se lance dans l’écriture de romans policiers en 1990 avec La Bostonienne, qui remporte le prix du festival de Cognac en 1991. Aujourd’hui, auteur d’une vingtaine de romans, elle est considérée comme l’une des « reines du crime » françaises. Elle est également auteur de romans policiers historiques, de nombreux recueils de nouvelles, dont Un jour, je vous ai croisés, de scénarios pour la télévision et de bandes dessinées.

     

    Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/