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MES NOTES DE LECTURE : LITTÉRATURE, POÉSIE & AUTRE - Page 9

  • L’homme-sirène de Carl-Johan Vallgren

     

    Traduit du suédois par Martine Desbureaux 

     

    JC Lattès, février 2015

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     310 pages, 21,50 €

     

     

    Terriblement noir, mais captivant, ce roman pourrait tout aussi bien être classé dans les romans pour ados, car il s’agit d’une histoire qui les concerne directement. L’histoire d’une collégienne, Petronella, dit Nella et son petit frère collégien lui aussi, Robert : deux enfants qui ont tout pour en baver. Un père en prison, mais c’est pire quand il en sort, une mère alcoolique qui ne s’occupe pas du tout d’eux, pas d’argent et quasi pas d’amis. Le petit frère, surnommé Robbie, lui est carrément devenu le souffre-douleur d’une bande de tortionnaires un peu plus âgés. Il cumule les tares et ces brimades quotidiennes n’arrangent rien. Sa sœur fait tout ce qu’elle peut pour le défendre, le soutenir et s’en occuper à la place des parents défectueux. Pire que défectueux, des parents qui en rajoutent dans les problèmes au lieu de les régler. Les tortionnaires en question, surtout leur chef, Gérard, ne se contentent pas de harceler Robbie, leurs petits jeux qui n’ont rien de drôles, deviennent de plus en plus cruels, cela vire à la persécution pure et dure et Nella devient victime à son tour d’humiliations et de chantage, quand d’autres exactions de la bande prennent un tournant bien plus compliqué.

     

    Le frère et la sœur surnagent tant bien que mal, persuadés, et pas forcément à tort, qu’on ne peut compter sur les adultes, à part peut être, celui que Nella appelle le Professeur, un Hongrois très cultivé, collectionneur un peu fou, qu’ils avaient rencontré à la bibliothèque, mais lui-même vit seul en marge de la société. Pour Nella, Robbie le petit frère, c’est toute sa vie, il n’y a que lui qui compte, le protéger quel qu’en soit le prix.

     

    C’est dans ce contexte ultra déprimant que quelque chose ou plutôt quelqu’un d’incroyable, d’impossible même, va faire irruption. Nella a un seul copain, un seul, Tommy et Tommy a deux grands frères, deux pêcheurs et ce qu’ils ont ramené, puis caché suite à une pêche un peu frauduleuse en eaux danoises, est tout simplement impensable. Une créature qui n’existe pas, qui ne peut pas exister et qui catalyse comme Robbie toute la haine et la cruauté de ceux qui l’ont capturé par accident, eux et d’autres aussi… Cette créature a une force hors du commun mais elle a été frappée, torturée, blessée et elle ne peut retourner d’où elle vient sans aide et c’est Nella qui va entrer en communication avec elle. Nella aidée de Tommy qui vont tenter de réparer, mais il est difficile et même dangereux d’aller contre la bêtise et l’inconscience humaine.

     

    Ce roman tout en décrivant une réalité sociale suédoise peu connue, s’appuie sur le côté le plus obscur de l’Homme, à côté de laquelle un monstre des abysses parait comme un ange de lumière, cette ombre qui pousse dans n’importe quel terreau pour développer cruauté, sadisme, haine de l’autre, lâcheté, cupidité. Certains y succombent par faiblesse, d’autres par on ne sait quoi d’irrémédiablement mauvais en eux, ceux là pour qui faire du mal devient un sacerdoce.

     

    L’homme-sirène nous pose une question, et il n’y aura pas de réponse, car il est peut-être impossible d’aller contre la bêtise et l’inconscience humaine. Aussi la question reste en suspens, comme un rêve qui met du temps à se dissiper, quelque chose qu’on a faillit toucher du doigt et qui a disparu, et avec elle, l’espoir que les choses puissent être autrement.

     

    Cathy Garcia

     

     

    AVT_Carl-Johan-Vallgren_2317.jpgCarl-Johan Vallgren est né en 1964 en Suède. Il est l'auteur de 9 romans, mais aussi musicien (7 disques produits à ce jour, sous son nom). Il vit à Stockholm. Il a reçu en 2002 le prix August pour son roman Les Aventures fantastiques d’Hercule Barfuss (Lattès, 2011). Traduit en 25 langues, ce livre a conquis le marché international et est devenu un best-seller dans plusieurs pays dont l’Italie, la Russie et l’Allemagne.

     

     

    Note publiée sur la Cause Littéraire.

     

     

     

  • asinus in fabula de Guido Furci

     

    Cardère, avril 2015

     

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    61 pages,12 €

     

    Comme une comptine à tue-tête, un refrain qui s’entête, asinus in fabula, c’est bizarre, c’est étrange et ça remue en dedans, ça nous embarque, nous entraîne comme un manège un peu fou, une comptine un peu noire, un peu effrayante même, « comme les coiffures des années 80 », comme le joueur de flûte de Hamelin qui viendrait chercher les mots pour aller les perdre quelque part, loin, là où ils ne pourraient plus dire le « cauchemar cauchemardesque », parce qu’ici les mots tricotent un texte de douleur et il faut absolument le détricoter. Au beau milieu des mots, un âne s’envole pour la lune, car il a les oreilles en forme d’hélice, vrillées c’est sûr, à force d’écouter la ritournelle qui s’emballe, tricote, détricote, et à la fin, les mots se répètent mais c’est raturé, barré, terminé, annulé. Asinus in fabula c’est dans la tête, un manège dans la tête qui rend un peu fou, un peu cruel et absurde, comme la mort quand elle prend un enfant de trois ans, un enfant comme Nicolas qui avait une maladie rare, Nicolas le cousin de Marion, moi je ne l’ai pas dit, c’est dans le livre et ça n’y est pas, c’est comme ça qu’on peut parler de ce qui ne tient pas dans les mots, alors on les jette en l’air, on les bat, on les mélange, on les rebat

     

    Avant que la nuit tombe

    Avant de tomber par terre

     

    asinus in fabula c’est drôle parfois car le rire c’est du désespoir barré, c’est de l’enfance, de la poésie, de la poésie dans un livre, mais peut-être pas, peut-être que « c’est juste un courant d’air », qui s’échappe par une portée de silence.

     

    Cathy Garcia

     

     

    guido furci.jpgGuido Furci (1984) a fait ses études à l’université de Sienne et à l’université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Il a également été élève de la sélection internationale à l’École normale supérieure de Paris (section Lettres et Sciences Humaines) et visiting scholar au département de littérature française de l’université de Genève. Actuellement boursier de la FMS (Fondation pour la Mémoire de la Shoah), il poursuit son travail de thèse entre la France et les États-Unis. A déjà publié : Figures de l’exil, géographies du double. Notes sur Agota Kristof et Stephen Vizinczey (par Marion Duvernois et Guido Furci) – Giulio Perrone Editore, Rome, 2012 ;  Fin(s) du monde (textes rassemblés par Claire Cornillon, Nadja Djuric, Guido Furci, Louiza Kadari et Pierre Leroux, Centre d’études et de recherches comparatistes, université Sorbonne nouvelle Paris 3) – Pendragon, Bologne, 2013.

     

     

    Pour se procurer asinus in fabula : http://www.cardere.fr/ficheLivre.php?idLivre=252

     

     

     

  • Restos humanos de Jordi Soler

     

    traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu

    Belfond, mars 2015

     

     

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    170 pages, 17,50 €.

     

     

    Difficile d’être un saint au Mexique, même si cette étrange vocation nous taraude comme elle taraude Empédocle, fils secret d’un curé licencieux qu’il appelait oncle, de même que son frère cadet, qui lui par contre ne vise pas la sainteté, mais le pouvoir et l’argent comme bien d’autres énergumènes qui garnissent ce roman. Un roman qui trace le portrait sans concession d’une société où la corruption est sans limite et les scrupules aussi volatiles que la vertu et la morale. Ainsi Empédocle, qui dans la vie ne s’est fixé d’autre but que d’aider ses semblables à s’améliorer, usant aussi bien d’inspiration jungienne, que de tarots et tout un méli-mélo new-ageux, aura bien du mal à se tenir à la sienne. Promenant sa sainteté autoproclamée qu’il s’offre de partager avec qui voudra, entre le marché et le bordel local, sa vocation est cependant réelle et affirmée, renforcée par les quolibets, les insultes et les volées de denrées plus ou moins avariées qu’il ne manque pas de recevoir sur son passage. Vêtu de ses sandales et d’une longue tunique blanche, sorte de christ bouffon et improbable au XXIe siècle, il est la risée de la plupart et révéré cependant par quelques bonnes femmes du cru. Tout aurait pu continuer longtemps comme ça, si seulement il n’était pas si difficile de suivre un chemin droit et immaculé au Mexique, surtout donc avec un frère qui suit un chemin totalement inverse, qui tendrait à devenir de plus en plus sulfureux, car rien n’est assez mauvais si ça permet de gravir l’échelle du pouvoir. C’est ainsi que notre ascète accroché à sa vocation coûte que coûte, bien décidé à ne pas se laisser déstabiliser par la peur ou la colère, se retrouve peu à peu au cœur de toutes sortes de trafics, sa cuisine transformée en magasin d’organes, sa maison en bordel clandestin, puis carrément associé, et toujours malgré lui, à la maffia russe et à des magouilles de plus en plus écœurantes, jusqu’à ne plus savoir qui il est et ce qu’il en est de sa sainteté, qui est devenue en fait un instrument de malfaisance entre les mains de son frère et ses comparses.

     

    Un roman aussi loufoque que cruel sur l’absurdité de la société, ici mexicaine, une parmi d’autres, gangrénée jusqu’à la moelle, la face puante du pouvoir, l’exploitation sans vergogne de toute misère et où tout est bon pour faire de l’argent, où en un clin de bistouri, chacun peut finir en fournisseur de pièces détachées. C’est un roman où l’humanité se résume à son avidité, c’est lamentable mais c’est drôle et en cela Restos humanos trouve sa place dans toute une littérature typiquement latino-américaine.

     

    Cathy Garcia

     

     

      

    ob_223114_jordi-soler-c-ulf-andersen-juillet-2016.jpgJordi Soler est né en 1963 près de Veracruz, au Mexique, dans une communauté d’exilés catalans fondée par son grand-père à l’issue de la guerre civile espagnole. Il a vécu à Mexico puis en Irlande avant de s’installer à Barcelone en 2005 avec sa femme, Franco-Mexicaine, et leurs deux enfants. Il est reconnu par la critique espagnole comme l’une des figures littéraires les plus importantes de sa génération. Cinq de ses livres ont été traduits en français : Les Exilés de la mémoire (Belfond, 2007), La Dernière Heure du dernier jour (Belfond, 2008), La Fête de l'ours (Belfond, 2011), Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres (Belfond, 2013) et Restos Humanos (Belfond, 2015). Tous sont repris chez 10/18.

     

    Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

  • Cigogne (nouvelles) de Jean-Luc A. d’Asciano

     

    Serge Safran éditeur – 5 mars 2015

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    184 pages, 16,90 €.


      

    C’est un véritable et déconcertant régal que nous sert ici Jean-Luc d’Asciano, en sept nouvelles, ciselées comme des joyaux rares, sept nouvelles étranges, dérangeantes, on en frissonne souvent. C’est beau et puis noir et mystérieux comme un lac profond. On navigue entre portraits de personnages atypiques, réalité sociale et contes initiatiques forcément un peu cruels, et drôles aussi. L’enfance y est très présente avec tout son potentiel de création et de destruction et puis des animaux, beaucoup d’animaux. En fait, c’est difficile à classer car c’est vraiment très original, l’auteur nous embarque dans un imaginaire d’une très grande richesse et on comprend tout de même que c’est le réel qui a servi de matériel de base, le réel comme une vase épaisse où puiser des choses qui paraissent si invraisemblables qu’elles sont forcément vraies. Il y est question des folies de chacun, des différences qui font que chaque humain est un continent à lui tout seul et de l’acceptation aussi, de la force du lien et de l’amour. Ainsi on y rencontrera bien-sûr une cigogne, qui a donné son nom à l’ensemble, mais aussi des frères siamois, une superbe trilogie chamane, inclassable, entre chasse aux cerfs, cirques et corbeaux, et puis un sdf doté d’antennes ultrasensibles qui trouve un abri sous la protection de l’esprit des ronces et un schizophrène reclus qui tente d’être lui-même dans un monde qui a du mal à lui laisser une place. Différentes façons d’y être justement, différentes façon de l’aborder ce monde, de le comprendre et quand la magie opère alors « la grimace arrive, la grande grimace, sa préférée : tout son visage se plisse, s’illumine, puis s’apaise en un immense, unique et calme sourire. »


    Cathy Garcia


      


    Jean-Luc d'Asciano.jpgJean-Luc A. d’Asciano est né à Lyon, mais a grandi à Nantes. Passe un doctorat de littérature et psychanalyse. Écrit des articles sur le roman noir, l’architecture, les arts contemporains ou la cuisine. Fonde les éditions de L’Œil d’or où il publie Petite mystique de Jean Genet (2007). Cigogne est son premier livre de fiction, premier recueil de nouvelles.


     

      

     

    Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire

    http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Le Succube du tyran, Pascal Pratz

     

    Éditions Lunatique, collection 36e DEUX SOUS, avril 2015.

     

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    32 pages, 4 €.

     

     

    On l’avale tout cru ce petit bouquin des éditions Lunatiques ! Aussi drôle que triste et pathétique finalement, comme le sont tous les tyrans, pathétiques je veux dire, mais on jubile à la lecture de cette courte mais dense satyre. Dense parce que tout y est, toute la panoplie et les délires des affreux qui tachent et pourrissent le monde de leur folie sanguinaire, avec leur cour de polichinelles cupides et tordus, imbéciles malsains au-delà du possible, qu’importe le nom du tyran, ils se ressemblent tous, à croire qu’ils sortent du même moule, et vrai que la meilleure des armes avec eux, ça pourrait bien être le ridicule. Le ridicule ne tue pas, dit-on et bien dans Le Succube du tyran, il tue, avec en renfort quelques potions et gouttes tantôt diurétiques, tantôt laxatives, aphrodisiaques ou bois débandé… « C’est un texte un peu potache » en dit l’auteur, la dernière cartouche peut-être dans un monde où de nouveaux genre de tyrans pullulent et se pavanent, le genre dont on n’a même pas envie de se moquer dans des livres, quoique… Parce que Pascal Pratz a raison sans doute en disant que « le rire potache est devenu, aujourd’hui, hélas, un très beau combat. » En tout cas, il nous régale d’un texte rageur, impertinent, et vraiment bien écrit, ce qui ne gâche rien, on aurait envie d’en tirer une pièce de théâtre. On ne peut pas se moquer de tout, mais du tyran, non seulement on peut, mais on doit se moquer. Et ouvertement si possible !

     

    Cathy Garcia

     

      

    Pascal Pratz.jpgPascal Pratz est ce qu’il est convenu d’appeler un touche-à-tout. Après des études (brillantes) en physique, il fut tour à tour et tout à la fois professeur de physique, mari (trois fois), musicien, chanteur, père (en cinq exemplaires dont il ne reste que quatre, hélas), peintre, photographe, écrivain et, finalement, éditeur, créant, en 2008, les éditions associatives Asphodèle. Il est aujourd’hui l’auteur d’une dizaine de livres dont deux romans (éd. du Petit Pavé), de récits, de nouvelles et d’un recueil d’aphorismes aux éd. Durand Peyroles.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

  • En territoire Auriaba de Jérôme Lafargue

    Quidam éditeur, 5 mars 2015

     

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    196 pages, 18,5 €

     

      

    « J’ai toujours pensé que ce monde ci est trop petit, ou plutôt que ce que l’on nous donne pour réalité ne constitue qu’une infime partie de l’infinité du monde. »

     

     

    Il y a quelque chose de très séduisant dans ce roman qui oscille entre rêve et réalité, et où les rêveurs lucides permettent au rêve d’interagir avec le réel, pour lancer des passerelles au-dessus du temps. Des hommes, un enfant, un loup, une traque mystérieuse, des haines familiales ancestrales, des territoires réels et imaginaires, un passé ancien qui écrit des destinées qui nous ballotent des côtes marocaines au Charleville de Rimbaud en passant par le Honfleur de Allais et cette date récurrente, le 20 octobre 1854 et puis l’océan immense, ses vagues sur lesquelles on surfe en parfaite osmose avec une nature indomptée, extérieure comme intérieure.

     

    C’est un roman difficile cependant à saisir, son rythme est déroutant, et c’est le genre de livre qu’il faudrait relire quand on arrive à la fin, pour rassembler le tout dans un ensemble plus palpable. Ainsi le roman semble être lui-même une sorte de rêve, l’a-t-on vraiment lu ? Un très bel imaginaire, un souffle puissant le parcourt, c’est organique, instinctif, les personnages y sont atypiques, en marge et dotés de solides personnalités. C’est aussi avec l’Histoire en filigrane, un regard critique concernant certains faits et attitudes, portant des fruits amers qui donnent encore des graines aujourd’hui.

     

    En territoire Auriaba, on a de la dignité, du courage, de l’intégrité, de l’authenticité, des qualités et des valeurs qui se font rares et l’auteur à petites touches, l’air de rien, révèle par contraste un portrait peu flatteur du monde contemporain dont les racines trempent dans bien des compromissions. En pénétrant ce territoire Auriaba, on songe à cette citation de Serge Bouchard :

     

    « Qui n'aime pas les loups n'aime pas la nuit, la nuit pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la face obscure de notre immense liberté. »

      

    Le narrateur, écrivain lui-même et qu’on imagine comme étant l’alter ego de l’auteur, allie la figure du loup avec celle du poète, et on n’est pas loin de la figure du chamane, rêveur lucide par excellence. Le genre de personnage à part, doté d’une conscience et une sensibilité exacerbées, conservant en lui comme une enfance encore intacte et qui se sent plus en osmose avec le monde sauvage que la société humaine, comme son ami La Serpe, ce qui n’ôte rien à une véritable générosité naturelle, bien au contraire.

      

    « Je ne fuis pas le monde, car il est là, je ne peux l’effacer, et je ne suis pas de ceux qui, esprits poseurs et inutiles, se constituent un bagage culturel immense pour mieux se distinguer des autres. Je suis au service de tous ceux qui veulent bien s’arrêter chez moi. On sait où me trouver s’il le faut. »

      

    Et chez lui, c’est forcément en territoire Auriaba.

     

      

    Cathy Garcia

     

      

     

    Lafargue2.jpgJérôme Lafargue est né en 1968 dans les Landes. Il est également l’auteur de L’Ami Butler (2007, Prix Initiales 2007, Prix ENS Cachan 2008, Prix des lycéens 2008 Fondation Prince Pierre de Monaco), Dans les ombres sylvestres (2009) et L’Année de l’hippocampe (2011), tous parus chez Quidam éditeur.

     

     

    Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire

    http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Dieu est rouge de Liao Yiwu

     

    traduit du chinois par Hervé Denès et Li Ru,

    Books Edition et Les Moutons Noirs, février 2015

      

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     462 pages, 24 €.

     

    Un pavé ! Un pavé dans la grande mare de Chine. Liao Yiwu nous livre ici le fruit d’un long travail, difficile aussi, celui de réunir autant de témoignages que possible de cette « histoire vraie de la survie et de l’essor du Christianisme en Chine, de Mao à Xi Ping ». Il a parcouru la Chine pour rencontrer des hommes, des femmes, souvent très âgés, mais d’autres plus jeunes aussi, qui répondent à ses questions dans des entretiens rapportés ici, et entrecoupés de « préludes », qui permettent d’en comprendre les contextes. Beaucoup de noms vont défiler, on s’y perd, des lieux aussi, où morts et vivants se côtoient dans un effort de mémoire, qu’on ne lira probablement pas de la même façon, si l’on est croyant ou pas, mais toujours est-il qu’à travers cette quête assez singulière, Liao Yiwu, en toute humilité, et dans un style qui lui est propre, simple et profond, nous livre un pan très peu connu, car aujourd’hui encore tabou, de l’Histoire contemporaine chinoise dans toute sa violence, avec ses drames et privations quasi ininterrompus. Avoir des témoignages directs, de personne à personne, des histoires individuelles aux destins souvent incroyables, est un trésor inestimable, car aujourd’hui encore il est extrêmement périlleux de fouiller dans ce récent passé et révéler des vérités. L’Histoire non officielle, non autorisée par le régime. L’auteur – qui a connu lui-même l’incarcération pour ses opinions - a dû souvent prendre de grandes précautions pour recueillir toutes ces confidences.

     

    Dieu est rouge car la religion chrétienne en Chine a pris très tôt une couleur particulière, rouge du régime auquel elle a dû survivre dans la clandestinité, qui tantôt a tenté de l’éradiquer, tantôt de l’absorber, la couleur rouge d’une ferveur exacerbée par les persécutions, le rouge du sang versé lors d’innombrables tortures et exécutions, aussi la symbolique du martyr a été vécue par bon nombre de ces personnes d’une façon non métaphorique, mais bien littéralement dans leur propre chair. Les vies de bon nombre d’entre elles s’apparentent à de véritables chemins de croix.

     

    On n’adhèrera pas forcément mais on ne pourra qu’admirer la force de conviction, le courage, l’abnégation et le dévouement que la foi chrétienne a donné à ces personnes et qui parfois semble avoir opéré ce qu’on pourrait appeler des miracles. Il est évident que tous ces témoignages sont aussi, même indirectement, une dénonciation des dérives et cruautés du régime communiste, surtout pendant la dite Révolution Culturelle, mais on y verra aussi plus loin que ça, comment les mauvaises choses – et l’Histoire en est pleine - en entraine des pires.

     

     

    Dieu est rouge est un livre majeur pour qui veut appréhender l’Histoire contemporaine de la Chine, il contient une masse d’informations de première main assez phénoménale, parfois c’est vraiment atroce, et d’une façon plus large cela ouvre un questionnement fondamental sur l’aide qu’une spiritualité bien ancrée peut apporter dans les épreuves. Un défi que le bouddhisme et le taoïsme qui étaient en place bien avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, semblent avoir eu du mal à relever, quand le communisme a eu la prétention de répondre à toutes les problématiques humaines en balayant d’un coup et sans discernement des savoirs millénaires.

     

    Un livre où l’humain est donc au premier plan, dans toute sa déchirure entre extrême élévation et extrême bassesse, et dans lequel on peut distinguer comme un vague espoir, quelque chose qui transcenderait politique et religion, et c’est cela sans doute que l’auteur, ni totalement croyant, ni totalement sceptique, mais profondément sensible et ayant soif de vérité, a voulu nous transmettre. Quelque chose qui fait qu’on pourrait croire encore… en l’Homme. Malgré un tout qui demeure d’une bêtise effroyable.

     

    Cathy Garcia

     

      

    auteur28.jpgLiao Yiwu, est un écrivain chinois né en 1958 dans le Sichuan. Il est l'un des auteurs contemporains les plus audacieux de sa génération et son talent se nourrit des scènes de la vie quotidienne, de rencontres fortuites et d'enquêtes qu'il mène auprès de ceux que l'on peut considérer comme les laissés-pour-compte d'une Chine en plein bouleversement. Poète vagabond inspiré par Baudelaire et Allen Ginsberg, Liao Yiwu devient célèbre en 1989 avec son poème Massacre, dédié aux opposants de la place Tian Anmen, qui l'envoie en prison de 1990 à 1994. Une expérience d'humiliations et de tortures qu'il raconte dans son livre majeur, Dans l'empire des ténèbres. Ses livres sont interdits en Chine, même s’il est l’un des écrivains chinois les plus lus clandestinement. Dieu est rouge est publié à Taïwan en 2011, la même année, il s'exile en Allemagne et reçoit le Prix frère et sœur Scholl. En 2012, Liao Yiwu est l'invité d'honneur du Festival international de Littérature de Berlin où il organise une exposition sur les « prisons, visibles et invisibles ». Il reçoit le prix de la Paix des éditeurs et libraires allemands. En septembre de la même année, il rend visite au 17e karmapa à Dharamsala en Inde et l'invite au Berlin International Literature Festival dans le but d'attirer l'attention sur les auto-immolations de Tibétains.

     

     

     Note publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Indalo de Christian Saint-Paul – Encres Vives n°441

     

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    avril 2015. Format A4, 16 pages, 6,10 €.

     

    C’est à une très belle flânerie andalouse que nous convie Christian Saint-Paul dans ce 441ème Encres Vives, placé sous le signe de l’indalo, la figure préhistorique qui est devenu le symbole de la ville et de la province d’Almeria, et qu’on pouvait déjà voir peint sur les maisons en guise de protection contre les orages et le mauvais œil. Christian Saint-Paul a le don de nous faire vivre les paysages, les lieux et leur histoire au travers de son regard de poète doublé d’un talent de conteur, et il ne fait pas que raconter ce qu’il a vu, il nous le fait voir, littéralement, c'est-à-dire ressentir aussi.

     

    « La nuit encore/le soleil étouffant/mutile la fermentation du sommeil/Nous vivons désormais/lovés dans ce désert/où la terre n’est que/poussière montant au ciel/ »

     

    Christian Saint-Paul a le regard d’un poète convaincu, tel Machado, de l’absolu nécessité d’être homme, en toute humilité, un homme à qui rien n’échappe, ni la beauté des lieux ni « des îlots d’immeubles/parsemés le long d’avenues/vides – sans utilité-/témoignent de la chute folle de la finance. »

     

    Le poète ne fuit pas le malaise, il l’affronte, le dénonce et ainsi « Nous apprenons à apprivoiser le vide/créé par l’appétence de l’homme. »

     

    Pas d’Andalousie sans l’ombre de Llorca, pas d’Espagne sans le souffle fiévreux d’un Don Quichotte, les eaux fortes de Goya et les « yeux noirs de feu névrotique » d’un Cordobès. Christian Saint-Paul nous emporte à la rencontre de l’âme andalouse, du duende tapi dans ses tréfonds. Une âme trempée « dans le souffre du soleil ». Ombre et lumière, voilà l’Andalousie et « la Bible infinie des étoiles ».

     

    Des pierres, des fantômes et des Vierges tristes, des enfants vifs sous des peaux brunes, de la ferveur et des brasiers lumineux. Des plaies de guerre, le sang des fusillés et des religions qui se côtoient dans de grands jardins, où coulent des fontaines, des forteresses et « les indénombrables châteaux en Espagne ! », des prières et « des rancœurs d’un autre âge qui agitent les cargos aux amarres. »

     

    Indalo est un beau périple, oui, qui ne peut laisser indifférent, car pourrait-il y avoir meilleur guide qu’un poète amoureux de la terre qu’il foule, et dont il sait voir, tous temps confondus, l’endroit et l’envers, le visible et l’invisible, le bonheur comme les larmes ?

     

    Cathy Garcia

     

     

    St-Paul-200px.jpgChristian Saint-Paul, est un poète véritablement passionné de poésie, de la poésie qui met l’humain et la relation à l’autre au premier plan. Il anime depuis plus de 25 ans l’émission, « Les Poètes » (le jeudi de 20h30 à 21h) sur Radio Occitanie (98.3 Mhz) avec son compère Claude Bretin et de nombreuses émissions ont été consacrées à la poésie du monde. On peut les réécouter ici :

    http://www.lespoetes.fr/emmission/emmission.html

    Il avait créé sa revue, « Florilège », avec un autre poète, Michel Eckhard, dans le courant des années soixante. Brel avait accepté de les parrainer. Nous sommes encore avant 68, Christian Saint-Paul entre alors à Sciences Po, mais s’engage aussi activement dans la lutte antifranquiste. Il créera une autre revue, « Poésie toute » et plus tard encore en 1983, « Le Carnet des Libellules » où il publiera de nombreux auteurs.

     

    Christian Saint-Paul a publié :

     

    Les peupliers (Jeune Force Poétique Française éd., 1966) Les murènes monotones (Jeune Force Poétique Française éd., 1967) L’homme de parole (Caractères éd., 1983), préface de Michel Eckhard Prélude à la dernière misogynie (De Midi éd., 1984), avant-propos de Jean Rousselot, couverture illustrée par Gil Chevalier et illustrations intérieures de Jean-Pierre Lamon et de Lucie Muller. Les murènes noyées (Carnets des Libellules éd., 1985) Les murènes monotones (De Midi/Poésie Toute éd., 1987) Transgression (Carnets des Libellules éd., 1987), préface de Claude Vigée A contre-nuit (La Nouvelle Proue éd., 1988), préface de Jean-Pierre Crespel Tendre marcotte (Carnets des Libellules éd., 1988), avant-propos de Michel Eckhart Les ciels de pavots (Encres Vives éd., 1991) Pour ainsi dire (Encres Vives éd., 1992), préface de Jean Rousselot Akelarre, La lande du bouc (Encres Vives éd., collection Lieu N°108, 2000) L’essaimeuse (Encres Vives éd., 2001) Ton visage apparaît sous la pluie (Encres Vives éd., collection Encres Blanches N°61, 2001), couverture illustrée par Patrick Guallino, postface de Alem Surrre-Garcia L’unique saison (Poésies Toutes éd., 2002), préface de Gaston Puel, postface de Monique-Lise Cohen Des bris de jours (Encres Vives éd., 2003), couverture illustrée par Christian Verdun, postface de Michel Cosem L’enrôleuse (Encres Vives éd., 2006), postface de Georges Cathalo Tolosa melhorament (Encres Vives éd., collection Lieu N°184, 2006), édition bilingue occitan/français, postface de l’auteur. Entre ta voix et ma voix, la malachite noire de la voix d’une morte (Multiples, 2009) Les plus heureuses des pierres (Encres Vives éd. N°361, 2009) Vous occuperez l’été (Cardère éditions) Hodié mihi, cras tibi (Encres Vives éd., Collection Lieu n°217, 2010)

     

     

     

  • Nous, les chats…, de Claude Habib

     

     Edition: Editions de Fallois, février 2015

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    190 pages, 15 €

     

    Autobiographie d’un chat en colère, d’un vrai chat, pas un chat qui s’est compromis, affadi, au contact de l’Homme, « En résumé, voici l’affaire : les hommes chérissent dans le chat un petit homme très joli. Le chat tient à l’homme comme à sa propre mère, une mère invalide et fort enlaidie. De part et d’autre, la relation repose sur l’imposture et sur l’hallucination ». Non, ici nous avons affaire à un chat réel, un chat des bois, un chat digne de son espèce, qui a donc forcément une très haute opinion de lui-même, car ce n’est pas rien d’être l’aboutissement de la création, la perfection incarnée. Faut savoir tenir son rang !

    « Nous sommes l’ourlet du monde. C’est là qu’il finit, et je puis ajouter – sans me vanter – qu’il finit bien. Sans nous la création serait dépenaillée, il y aurait un effilochement constant des espèces, une dégénérescence à la marge. Le monde cesserait d’être beau pour être plein, et plein de quoi, grands dieux ? Il serait plein d’oiseaux sans ailes, rempli de biches obèses et de bêtes fumistes, plein à craquer ».

    Et ce chat ici est sur le point de mourir, stupidement, à cause de cette infâmante et perfide créature : l’Homme. « Ils m’ont eu, c’est terrible à dire. Une femelle, en l’occurrence. Moi, la perfection de la nature, j’ai été défait par cette imperfection ambulante, cette variante du singe ». Alors, dans cet ultime moment avant l’agonie, il raconte. Il raconte tout : sa naissance, sa famille, son enfance, l’apprentissage, la vie dans les bois, ses amours, ses enfants, ses combats, son savoir, sa place dans l’univers et toute la ruse et l’habileté que nécessite la survie dans un monde hostile, fait de voitures et de routes (où les chats finissent plats) et de la ville de ces hommes qui n’ont de cesse d’accaparer toujours plus de territoire. Cette inepte et bruyante créature « armée comme il faut toujours craindre qu’ils le soient. Car c’est une race qui ne se suffit pas : ils comptent sur les accessoires ».

    Claude Habib fait preuve ici non seulement d’un talent littéraire vraiment appréciable mais aussi d’une véritable connaissance de nos félins, pas seulement le chat qui ronronne sur le canapé, mais LE chat, avec son instinct et un esprit libre, fier, portant un regard pertinent et sans concession sur l’espèce humaine.

    « Si le langage était une chose sérieuse, les hommes n’auraient jamais appris à parler à leurs objets.

    Avec les objets qui font du raffut, comment dormir ? Autour des hommes, l’insistance, voire l’insolence des choses est stupéfiante. Autant leurs animaux sont doux, autant leurs objets sont excités. Mais cela vient des hommes : l’importunité des choses est fonction de l’attention, proprement déplacée, qu’ils leur prêtent ».

    Et c’est drôle, très drôle et très intelligent. Juste un régal !

    « Vous croyez que le monde serait ce qu’il est, sans la peur des bois ? La peur du noir ? La peur du grand large et la peur du fond des eaux ? Mais ce serait infâme. Les bêtes déambuleraient, dehors comme dedans. Elles laisseraient des épluchures. Des bouses. Ôtez le danger, le monde devient un antre. Les ruminantes habitudes envahissent l’espace, elles vont jusqu’au ciel. L’univers tourne au terrier, tout s’effondre. Quoi, j’exagère ? Pas du tout. Dehors comme dedans, il n’y a que les hommes pour croire que c’est la formule du bonheur, la définition du paradis sur terre. Ce n’est pas la définition du paradis, c’est la description d’un camping… ».

     

    Cathy Garcia

     

     

     AVT2_Habib_8392.jpgClaude Habib, agrégée de lettres modernes, est professeur à l’Université de la Sorbonne nouvelle Paris 3. Elle a publié Le consentement amoureux. Rousseau, les femmes et la cité (Hachette Littératures) – Rousseau aux Charmettes (Éditions de Fallois, 2012) – Le goût de la vie commune (Flammarion, 2013) et deux autres romans  – Préfère l’impair (Viviane Hamy, 1996) – Un sauveur (Éditions de Fallois, 2008)… Elle a été critique littéraire (Esprit - l’Express) et elle est membre du jury du prix Guizot.

     

     Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/nous-les-chats-claude-habib

     

     

     

  • Chut de Charly Delwart

     

    Seuil, collection Fiction et Cie, 8 janvier 2015

     

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    176 pages - 17.00 €.

     

     

    « L’univers est un test d’intelligence » Timothy Leary

     

      

    Ce livre semble parfois un peu difficile à lire, le style de l’auteur est particulier, comme heurté, des tournures, des cassures, qui déstabilisent, mais en nous glissant dans la peau d’une jeune athénienne de 14 ans, Charly Delwart nous fait revivre les évènements qui ont fait culbuter la Grèce. La Grèce exsangue de la Troïka, otage du FMI, de la BCE et de comptes falsifiés avec la complicité de la Goldman Sachs…. Une Grèce qui ne peut oublier Alexandros Grigoropoulos « abattu par un policier lors d’une manifestation liée à la situation économique du pays », en 2008, il avait 15 ans. Une Grèce, grand laboratoire à ciel ouvert aux quatre veines, de politiques toujours plus d’austérité, une Grèce où les vieillards se suicident pour ne pas peser sur leurs enfants, le premier fut Dimitris Christoulas, pharmacien à la retraite de 77 ans, qui se met une balle dans la tête sur la place Syntagma. Une Grèce où des mères ne reviennent pas chercher leurs enfants à la crèche, sachant qu’au moins là-bas ils seront nourris, la Grèce qui bascule dans un gouffre sous la loupe de l’Europe… 

     

    La jeune fille qui s’exprime ici sous la plume de l’auteur, fait face à bien des bouleversements, à la fois à l’extérieur du foyer mais aussi à l’intérieur, un frère parti à l’étranger, les parents qui se séparent et même à l’intérieur d’elle-même à un âge sensible où l’enfance cède place à la femme en devenir. Aussi pour encaisser tous ces chocs, cet afflux de tensions et de nouvelles données, elle décide de ne plus parler. « Il y a une théorie qui disait que toute parole qu’on ne dit pas est une particule d’énergie qu’on garde pour soi, que cela rend plus fort, et c’est cela dont j’avais besoin, d’énergie, d’être plus concentrée, plus avec moi-même ». Ne plus parler donc, mais écrire, beaucoup et communiquer uniquement par écrit par le biais d’un cahier.

      

    Cette prise de distance va lui permettre de réfléchir, d’observer, car elle sait qu’elle fait partie de ceux qui devront reconstruire la Grèce, de ceux qui doivent voir au-delà du présent, au-delà des ruines et du foutu. Elle cherche à comprendre, cherche le parallèle entre tous les mouvements de contestation qui s’amplifient un peu partout dans le monde, avec la Californie du début des années 70, elle espère que du chaos une nouvelle et meilleure façon de vivre va émerger. Autour d’elle, les murs d’Athènes se sont eux aussi couverts d’écriture, comme s’ils crachaient des mots, des phrases, « des tags, des aplats de peinture rouge pour symboliser le sang des Grecs qui payaient le prix de l’austérité, tout ce qui véhiculait le ras-le-bol, une angoisse, une colère », des slogans qui dénoncent, qui haranguent, qui interpellent : FMI DEHORS, CECI EST UNE DÉMOCRATIE DE MERDE, RÉVOLTE, PAS DÉSESPOIR, ATHÈNES BRÛLE, JE ME FOUS DE VOTRE ARGENT, VIVEZ VOTRE GRÈCE EN MYTHE, AUCUN HOMME N’EST CLANDESTIN. Aussi, l’adolescente va elle aussi commencer à écrire sur les murs, clandestinement, des phrases qui lui viennent de ses observations et réflexion, des phrases inspirées mais différentes, des phrases de poètes et de philosophes qui ouvrent d’autres horizons, d’autres possibles, des phrases à elle, des phrases qui sont elle… « Prenant le tube de rouge à lèvres laissé par ma sœur pour écrire au-dessus mon nom : DIMITRA AEGIOLIS. La seule inscription à mettre ».

     

    C’est donc à une plongée dans la Grèce en ébullition, que nous convie l’auteur, et à la naissance d’une jeune femme, et c’est là tout l’intérêt de cette fiction, avec ce séjour chez la grand-mère de la narratrice, sur l’île de Sérifos, là où la Grèce est encore à l’image de l’aïeule. Une vieille femme enracinée, forte et digne, qui a connu la guerre et la dictature des Colonels, dans cette Grèce millénaire qui a traversé tant d’épreuves déjà et s’est toujours relevée. Une image « de courage et d’espoir ». Voilà ce qu’on retiendra de Chut. Une chute ou le e se fait muet, pour prendre le temps de se relever. « Or c’est parce que tout était trop réel que quelque chose semblait changer, que des initiatives apparaissaient ; les habitants comprenant qu’ils étaient interdépendants, face à l’impuissance du gouvernement, son abandon. »

     

    VOUS ÊTES FORTS DE CE QUE VOUS SAVEZ MAINTENANT.

     

    Une Grèce qui est donc aussi le laboratoire à ciel ouvert et sans y perdre de sang cette fois, un laboratoire des libertés, des nouvelles alternatives, de la solidarité « Un système d’aller-retour direct entre les gens qui n’était pas une alternative à l’euro mais à la vie elle-même (…), pour montrer que tous valaient ce qu’ils avaient à donner et non ce qu’ils avaient en banque. »

     

    Un hommage à tous ceux qui, dans le monde, ont écrit ou écrivent sur les murs pour la liberté et la dignité et à tous ceux qui œuvrent pour que le monde devienne meilleur.

     

      

    Cathy Garcia

      

     

    AVT_Charly-Delwart_2536.jpgCharly Delwart est né à Bruxelles en 1975. Il vit entre la Belgique et la France où il travaille dans le cinéma. Il a écrit trois livres : Circuit (Seuil, 2007 et Labor« Espace Nord » 2014), L'Homme de profil même de face (Seuil, 2010) et Citoyen Park (Seuil, 2012).

     

     

     

     

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/chut-charly-delwart

     

     

     

     

     

     

     

  • Les chiens du Seigneur – Histoire d’une chasse aux sorcières, de Roger Bevand –

     Cherche-Midi, janvier 2015

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    368 pages, 16,80 €.

      

     

    Roger Bevand nous place ici dans la peau de Jehan Gremper, un jeune clerc du diocèse de Constance, qui va accompagner et soutenir le prêtre inquisiteur Henry Institoris, dans la guerre aussi enragée qu’exaltée, que ce dernier a déclaré aux hérétiques maléficiers. Si le récit lui-même du jeune notaire est une fiction, Henry Institoris, « ce dominicain était bien un authentique chasseur de sorcières, qui sévissait à la fin du XVe s. aux confins du Saint Empire romain germanique. Et c’est pour avoir été le principal rédacteur du Marteau des Sorcières qu’il est surtout resté dans l’Histoire. » Jehan Gremper a lui aussi existé, mais on ne sait pratiquement rien de lui si ce n’est que « son nom et sa fonction sont explicitement mentionné dans la Bulle apostolique du pape Innocent VIII datée du 5 décembre 1484 », la Summis desiderantes affectibus (« Désireux d'ardeur suprême »), une [Bulle de sérieuse mise en garde contre la sorcellerie, donnant tous pouvoirs aux inquisiteurs Henry Institoris (de son vrai nom Heinrich Kramer) et Jacob Sprenger, pour l’éradiquer, texte qu’on pourra retrouver en intégralité en fin d’ouvrage. Ainsi, il faut lire ce livre comme un document historique, tous les faits, les évènements, étant eux aussi, hélas, authentiques, plutôt que comme un roman, qui dans ce cas manquerait de style, rythme et contrastes. On songe à La sorcière de l’historien Jules Michelet, publié en 1862, œuvre littéraire avant tout, bien plus romancé donc, qui avait été accusé en son temps de faire l’apologie du satanisme.

      

    Ici, le journal imaginaire de Jehan Gremper, qui démarre le 20 octobre de l’année 1984 à Ratisbonne, jusqu’à l’épilogue en 1530, est le prétexte pour découvrir ou approfondir la connaissance de cette époque de peurs et de superstitions, où on a vu surgir ces prêtres fanatiques, surnommés les chiens du Seigneur. Le Malleus Maleficarum (Le marteau des 71.jpgsorcières), ce manuel très complet à la fois théorique et pratique, destiné à démasquer, notamment avec l’appui de la torture, puis à punir les coupables de sorcellerie, bien qu’interdit en 1490 sur décision pontificale, « a déjà été réédité quatorze fois à Spire, Nuremberg, Bâle, Cologne, Lyon et Paris ! C’est sur la base de ce grand livre (dixit Jehan Gremper) que de vastes opérations d’éradication de la sorcellerie ont déjà pu avoir lieu un peu partout dans le saint Empire et jusqu’en Italie : cent quarante sorciers brûlés à Brescia en 1510, trois cent à Côme quatre ans plus tard… » Quand on sait qu’ « à Bournel (Lot-et-Garonne), une femme accusée de sorcellerie fut brûlée par des paysans en 1826 tandis qu’une autre sorcière était jetée dans un four à Camalès, dans le canton de Vic-en-Bigorre (Haute-Pyrénées) » en 1856, on en comprend les dégâts. D’ailleurs, si au départ hommes et femmes étaient sans distinction accusés de sorcellerie, très vite la chasse s’est tournée de façon très nette vers les femmes. « Pour d’évidentes raisons (dixit Jacob Sprenger, illustre doyen de la faculté de théologie de Cologne, co-auteur du marteau des sorcières), les femmes sont nettement plus enclines que les hommes à la sorcellerie. On sait depuis toujours que les filles d’Ève – celle par qui la faute originelle est arrivée – sont par nature plus concupiscentes que les hommes, plus curieuses et plus perverses aussi. Fragiles, crédules et faciles à séduire, elles mentent et manipulent facilement et sont de ce fait aisément manipulées par le diable. » In vulva infernum ! Par ailleurs « Chez l’homme abondent davantage et naturellement le discernement et la raison… La femme a besoin du mâle non seulement pour engendrer comme chez les autres animaux, mais même pour se gouverner ; car le mâle est plus parfait par sa raison et plus fort en vertu. »

      

    Des choses donc à se remettre en mémoire, à l’heure où l’obscurantiste c’est forcément l’autre, car si nous ne brûlons plus les hérétiques, il est d’autres travers concernant la peur et la haine de l’autre dans lesquels, sûrs de nos droits et de détenir le monopole de la raison et des vertus, nous pouvons retomber très facilement.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    Roger Bevand.jpg  Roger Bevand né à Farges (Ain) en 1949, a suivi des études supérieures de psychologie à Lyon. Après deux ans en coopération au Sénégal dans l'enseignement, il a passé l'essentiel de sa carrière dans les métiers de la gestion des ressources humaines en entreprise, en France et à l'étranger. Il a aussi été très engagé dans le milieu associatif (animateur de centre de vacances, entraîneur de club de football en banlieue...). Il vit à Villeurbanne, près de Lyon. Auteur de Miserere nobis (Actes Sud, 2010).

     

    Note parue sur : http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

    Pour en savoir plus sur le marteau des sorcières :

    http://cathygarcia.hautetfort.com/archive/2015/04/28/le-malleus-maleficarum-marteau-des-sorcieres-5611930.html

     

     

     

     

     

     

     

  • avaler du sable d’Antônio Xerxenesky

     

    traduit du portugais (Brésil) par Mélanie Fusaro

     

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    Asphalte, février 2015

    178 pages, 15 €.

     

     

    « Un fils qui ne savait même pas boire. Ça ne pouvait pas être un homme, un vrai. Surtout dans une ville où, selon Miguel, la sobriété est déraison. »

     

    Ce roman parle d’un homme qui nous raconte comment il écrit un roman sur l’histoire de ses ancêtres, et en même temps ce roman que nous lisons est aussi, le roman que cet homme écrit, et le roman qu’écrit cet homme démarre comme un western : Mavrak, petite ville perdue au milieu d’un désert du Far-West, sable, poussière, saloon, prostituées, une église qui a brûlé, deux familles rivales depuis des lustres, les Marlowe et les Ramirez… Un western donc, qui va finir comme un remake de La nuit des morts vivants. Sang, sable et poussière.

     

    « Il y avait la peur. Il y avait la peur partout. Aujourd’hui, les hommes ont peur pour un rien ; autrefois ils craignaient la nuit et la mort. Même avec un révolver dans la poche. Peu importait l’arme qui pesait dans l’étui. »

     

    L’histoire démarre par l’assassinat de Martín, le fils ainé des Ramirez et les coupables sont tout désignés. Mais les Marlowe nient être responsables de cette mort. Débarque alors un sheriff, Thornton, homme de foi et de probité, désigné par le gouvernement, pour mettre de l’ordre dans tout ça, suite à une lettre envoyée anonymement par un membre de la communauté.

     

    L’histoire elle-même ne cherche pas à être spécialement originale mais plutôt et même au contraire, à faire un beau clin d’œil cinématographique, avec des passages vraiment poétiques et pas mal d’ironie, en collant au plus près à certains styles de cinéma - ce qui explique qu’à la fin dans la liste des remerciements, on trouvera Sergio Leone, Clint Eastwood, Dario Argento et Takashi Miike, entre autre – mais l’originalité ici réside dans le fait que le livre narre aussi le processus de sa propre écriture, entre rêve et réalité, et là on ne saura pas si le narrateur fait partie de la fiction ou bien si c’est réellement un alter ego d’Antônio Xerxenesky, mais en tout cas il y a un incessant va et vient entre le western d’un côté et son auteur de l’autre, aux prises avec ses machines, à écrire et ordinateur, et ses bouteilles de tequila, ses questionnements existentiels – était-ce mieux ou pire du temps de ses ancêtres ? - son propre problème de paternité et comment celui-ci influe malgré lui sur son histoire.

     

    « Chaque fois que le soleil pénètre à travers les rideaux, annonçant la résurrection attendue du jour, je me lève et je regarde le monde se mettre en branle – voitures qui déchirent les avenues, travailleurs en retard qui courent. Je me dis que l’époque de mes ancêtres devait être pire. Je repasse des passages de l’histoire dans ma tête. Nous vivons dans un monde meilleur. La mort, aujourd’hui, ne se trouve pas dans le moindre souffle d’air. Ni dans le moindre grain de sable. »

     

    Parfois c’est un peu confus, chaotique, comme un saloon après la bagarre, le style est vif et efficace, comme un alcool de contrebande et les nostalgiques du Far-West y trouveront sans aucun doute bien du plaisir, et les amateurs de cinéma aussi, que ce soit le cinéma que l’on regarde ou celui que l’on se fait.

     

    A noter, de superbes photos noir et blanc en double page et en fin d’ouvrage, une playlist musicale sélectionnée par l’auteur pour prolonger le film.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

    Xerxenesky.jpgAntônio Xerxenesky est né à Porto Alegre en 1984. Avaler du sable est son premier roman. Il a collaboré à des journaux, magazines et sites lusophones et anglophones tels que Jornal do Brasil, The New York Times, Newsweek. En 2012, il a été désigné par la revue britannique Granta comme l'un des meilleurs jeunes écrivains brésiliens.

     

     

    Note parue sur La Cause Littéraire : http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

  • Silo de Hugh Howey

    traduit de l’anglais (USA) par Yoann Gentric et Laure Manceau

    Babel (Actes Sud) , novembre 2014

     

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    622 pages, 9,90 €  

     

    Silo est un roman d’anticipation (le premier tome d’une trilogie déjà publiée par Actes Sud dans la collection Exofictions en 2013-2014 et qui passe donc là en version poche). C’est aussi au départ une autoédition via amazon qui a fait donc blockbuster comme on dit en jargon outre-Atlantique, mais il n’est pas difficile d’admettre que quand on est entré dans Silo, on ne peut plus en sortir. Les plus de 600 pages nous tiennent en haleine, si bien qu’on ne focalise pas sur quelques défauts qui pourraient venir se glisser dans la trame. A vrai dire, on peut chipoter, trouver quelques facilités, incongruités, mais l’ensemble est juste vraiment prenant et le principal moteur ici pour poursuivre la lecture et le plaisir quasi enfantin, au sens noble sens du terme, qu’on y prend.

    Le silo semble être le dernier lieu habité de la Terre, dont l’atmosphère suite à on ne sait quelle apocalypse est devenue totalement irrespirable. Dans ce silo immense, des générations se sont succédé, en totale autonomie énergétique et très organisées. Chacun y a sa fonction mais ça ne semble pas contraignant au premier abord. La procréation y est sous contrôle, tout est sous contrôle, sous la supervision d’un maire, un shérif et son adjoint. 130 étages, un seul escalier central en acier et des mines encore plus bas, le tout enterré.

    Il y a de l’eau, de l’électricité, des jardins où le corps des décédés vient servir d’engrais, hôpital, nursery, ateliers, bureaux, écoles et au tout dernier étage supérieur, outre les bureaux du maire et shérif, une cafétéria et un salon adjacent, avec un grand écran sur lequel des caméras extérieures envoient les images du monde de la surface : un désert stérile, balayé par des vents violents, un ciel toujours gris traversé de lourds nuages.

    Au loin on devine les ruines des hautes tours d’une ancienne grande cité, mais plus personne ne sait qui y a vécu, ni quand. Dans la mémoire collective, subsistent cependant quelques histoires d’insurrections à l’intérieur même du silo et parfois l’envie de sortir s’empare de l’esprit d’un habitant au point de lui faire prononcer des paroles taboues ou commettre des actes répréhensibles. Pour ceux-là le vœu est exaucé. Ils sont arrêtés, mis en cellule puis autorisés à sortir via un sas hautement sécurisé, revêtus d’une combinaison intégrale spéciale, censée les protéger au maximum des mortelles toxines de l’atmosphère extérieure, au moins le temps de nettoyer les caméras qui s’y trouvent. Mais c’est une sortie sans retour. Chaque lendemain de nettoyage est un jour spécial pour tous les habitants du silo, et même ceux des étages les plus inférieurs remontent à cette occasion pour « admirer » la vue, grâce aux caméras débarrassées pour quelque temps de leur couche de poussière et de crasse. Au fond, chaque nettoyage, chaque combinaison qui se veut plus élaborée, plus fiable que la précédente, est l’occasion pour chacun de caresser en secret un espoir : « Cet espoir mortel et inexprimé qui vivait en chaque habitant du silo. Un espoir ridicule, fantastique. L’espoir que, peut-être pas pour soi, mais pour ses enfants, ou pour les enfants de ses enfants, la vie au-dehors redevienne un jour possible (…) ».

    Le nettoyage, c’est ce qui est arrivé à la femme du shérif Holston et cela le hante depuis nuit et jour. Il n’arrive pas à comprendre pourquoi sa femme est soudain devenue comme folle. Qu’avait-elle découvert pour souhaiter sortir et aller ainsi au-devant d’une mort certaine. Car les corps des nettoyeurs qui succombent tous au bout de quelques pas après avoir nettoyé les capteurs, gisent ci et là parmi les collines, comme autant de preuves que la vie dehors est impossible. Alors pourquoi vouloir sortir ? Et pourquoi tous sans exception, alors que certains même avaient dit qu’ils ne le feraient pas, pourquoi tous sans exception effectuent ce nettoyage ? Le doute s’insinue, ce fameux doute tabou, qui ronge Holston au point qu’il finira par suivre les traces de sa femme.

    Le cœur névralgique du silo se trouve au trente-quatrième étage, c’est le DIT, là où sont tous les serveurs, « leurs mémoires se rechargeant lentement de l’histoire récente après avoir été complètement effacées lors de l’insurrection ». C’est l’étage le moins peuplé du silo, « moins de deux douzaines d’hommes et de femmes – mais surtout d’hommes – y opéraient, au sein de leur propre petit royaume». Le DIT a son propre service de sécurité interne. On ne peut y entrer sans autorisation. Y officient des techniciens, informaticiens et des scientifiques dans les laboratoires où sont fabriquées les épaisses combinaisons des nettoyeurs.

    Voilà donc posés le décor et le début de cette dystopie aux innombrables rebondissements, qui raconte également beaucoup de choses sur le fonctionnement de l’humanité. Il serait vraiment dommage d’en révéler plus, mais il faut savoir que pas une seule page ici n’est superflue, que l’auteur a une vraie maîtrise de l’intrigue et de la narration, c’est à la fois simple et redoutablement efficace. Cette façon de vivre en vase clos et cette organisation verticale peuvent rappeler les tours des monades urbaines de Silverberg, mais la comparaison s’arrête là, Silo a vraiment sa propre originalité. Le savoir-faire et le génie des travailleurs manuels y sont fortement mis en avant, ceux du département des Machines, qui vivent et travaillent tout en bas, aux étages les plus inférieurs. C’est d’ailleurs une femme, Juliette, qui veut qu’on l’appelle Jules, qui travaille là avec les graisseux depuis de longues années sans jamais remonter, qui sera pressentie, à la demande de l’adjoint et de madame la Maire, pour hériter de l’étoile de shérif et succéder ainsi à Holston. Mais Juliette ne serait-elle pas porteuse de ce virus qui pourrait contaminer tout le silo ? Le directeur du DIT ne semble pas prêt en tout cas à donner son aval pour ce choix du nouveau shérif.

    Juliette a du génie, elle est obstinée, fière, indépendante, elle a le goût du risque et de la liberté, et surtout un incroyable don de survie : tout ce qui pourrait mettre en péril l’équilibre du silo…

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    hugh howey.jpgHugh Howey est né en 1975. Successivement capitaine de yacht et de voyage, puis employé dans une librairie universitaire, il vit désormais en Floride. Véritable phénomène éditorial, Silo (Actes Sud, 2013) s’est déjà vendu à plus de 500 000 exemplaires aux États-Unis et a été traduit en vingt-quatre langues. Suivent Silo Origines et Silo Générations (Actes Sud, 2014).

     

     

    Note parue sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

     

     

  • Une femme à gros seins qui court le marathon d’Éric Dejaeger

     

    Gros Textes, décembre 2014.

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    78 pages, 8 euros.

     

      

    On pourrait croire que ce titre – accompagné d’une illustration explicite de Sarah Dejaeger (toute ressemblance avec le nom de l’auteur n’est pas fortuite) est racoleur, et si certains tombent dans le panneau, ils seront punis de poésie, car Éric Dejaeger n’a rien à vendre et racoler n’est pas son genre, il aurait même plutôt tendance à rabrouer si on l’emmerde de trop près.

     

    Le titre est celui du poème du même nom :

    « Ce titre m’est venu

    À l’esprit

    En voyant une femme plantureuse

    Faire du jogging »…

     

    Si vous voulez connaître la suite, vous savez ce qu’il vous reste à faire, vous pourrez ainsi découvrir 66 autres poèmes d’un Dejaeger qui n’a pas peur de montrer sa sensibilité, un peu moins potache que dans les derniers recueils, celui-là nous rappelle plus les Pensées d’un ortieculteur (Les Ateliers du Tayrac, 2006) et Les contes de la poésie ordinaire (Mémor 2005). Le Dejaeger poète tranquille et assumé, compagnon fidèle (dit-il), père, grand-père, jardinier, fossoyeur de petites bêtes, dresseur de muret, contemplatif, paisible et lucide toujours, sans perdre son humour corrosif quand il s’agit d’épingler les travers de ses semblables et d’un monde à la con qui se croit korrekt et tout ça sans jamais se prendre trop au sérieux, surtout pas. Ce livre est dédié à ses « amies & amis qui comme moi s’amusent à écrire ». Ce côté ludique, fanfaron, d’une enfance qui vous collera toujours un poème dans le dos et « merde à celui qui le lit » et qui ne s’étonnera pas que les platanes puissent venger les escargots écrasés. Il y a du zen chez Dejaeger aussi, le recul du sage qui préfère grimacer comme singe que se pavaner la plume au fion et une attention non feinte à l’infime, au minuscule, c’est sans doute pour ça qu’il arrive que la part des anges, donne des ailes à sa plume. Et ce, pour notre plus grand bonheur, car la poésie de Dejaeger, elle est sacrément belle, avec une vraie simplicité, elle est du genre à vous mettre des petits frissons et des étoiles mouillées au coin des yeux. Dejaeger vous débusque l’amour sous un vieux pot à fleurs.

     

    L’amour est un cloporte schlass

    Qui cuve sous un vieux pot

    À fleurs

     

    Ne l’ennuie pas !

    Ne le réveille pas !

    Ne l’écrase pas !

    Peut-être que comme dans les contes

    Quand l’immonde bestiole

    En sera quitte

    De sa gueule de bois

    Elle se transformera

    En princesse charmante !

     

    Et avec ça il vous offre son cœur à déguster, à l’échalote, déglacé à la Chimay bleue.

     

     

    Cathy Garcia

    de-jaeger.jpgÉric Dejaeger (1958-20**) continue son petit mauvaishomme de chemin dans la littérature, commencé il y a plus de trente ans. Il compte à ce jour près de 700 textes parus dans une petite centaine de revues, ainsi qu'une trentaine de titres chez des éditeurs belges et français. Refusant les étiquettes, qui finissent toujours par se décoller et valser à la poubelle, il va sans problème de l'aphorisme au roman en passant par le poème, le conte bref, la nouvelle, voire le théâtre. Sans parler de l'incontournable revue Microbe, qu'il commet depuis de nombreuses années, de mèche avec Paul Guiot.

     

    Derniers titres parus :

    Grand cru bien côté - Cactus Inébranlable éd.  (2014)

    Grovisse de forme (avec André Stas) - Microbe (2014)

    Ouvrez le gaz trente minutes avant de craquer l’allumette - Gros Textes (2014)

    Un privé à bas bilan Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

    Les cancans de Cancale et environs (recueil instantané 3) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 64 exemplaires (2012)

    La saga Maigros – Cactus Inébranlable éd. (Belgique, 2011)

    NON au littérairement correct ! – Éd. Gros Textes (2011)

    Un Grand-Chapeau-Noir-Sur-Un-Long-Visage in Banlieue de Babylone (ouvrage collectif autour de Richard Brautigan), Éd. Gros Textes (2010)

    Je ne boirai plus jamais d’ouzo… aussi jeune (recueil instantané 2) – Autoédition – Tirage strictement limitée à 65 exemplaires (2010)

    Le seigneur des ânes – maelstrÖm réÉvolution (Belgique, 2010)

    Prises de vies en noir et noir – Éd. Gros Textes (2009)

    Trashaïkus – Les Éd. du Soir au Matin (2009)

    De l’art d’accommoder un prosateur cocu à la sauce poétique suivi de Règlement de compte à O.K. Poetry et de Je suis un écrivain sérieux – Les Éd. de la Gare (2009)

    Blog de l’auteur : http://courttoujours.hautetfort.com/

     

     

     

     

  • Pieds nus dans R. de Perrine Le Querrec

     

    Ed. Les Carnets du Dessert de Lune, collection Pousse-café, février 2015.

     

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    28 pages, 5 €.

     

     

    Petit joyau ce pousse-café là, tête-bêche en plus : Pieds nus dans R. ou Barefoot in R. dans sa version anglaise, traduit en anglais par Derek Munn. Petit joyau car la plume de Perrine Le Querrec quand elle ne la laboure pas, vole au-dessus de la page, et il pleut des mots, il pleut de la langue de poète, de celle qui enivre, que l’on boirait encore et encore, jusqu’à tomber par terre ivre vivant ! Ce livre dédié à N. parle d’un il qui revient de R. pieds nus : j’ai perdu mes chaussure à R., me dit-il en arrivant. (…) R. qui se targue d’être la Ville, une ville tout en cadres en bordures en netteté. Comment cela a-t-il pu arriver ? Comment perdre ses chaussures, sa raison, son assise et son apparence, comment se délacer - ô savoureux double sens -, s’égarer, se soustraire aux codes de R., nation d’ordre, de discipline où le premier pas de l’enfant est calculé à la courbe du rendement de R. ? Oui, comment ? Dans un rythme entrainant, envoûtant qui galope sur la page comme une épidémie de pieds nus justement, on se laisse gagner par l’exaltation liberterre de ce nudisme, deux pieds, nus de chair de veines et d’os, de pieds sans semblants, sans artifices ni parures. Ô délicieuse impudence, n’hésitez pas, emparez-vous de ces petites pages de rien du tout, énormes, qui dévalent, osez cette vision insupportable, crue, cruelle mordante, miraculeuse. N’hésitez pas, déchaussez vous !

     

    Cathy Garcia

     

     

     

    perrine le querrec.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Ses rencontres avec de nombreux artistes et sa passion pour l’art nourrissent ses propres créations littéraires et photographiques. Elle a publié chez le même éditeur Coups de ciseaux, Bec & Ongles (adapté pour le théâtre par la Compagnie Patte Blanche) et Traverser le parc et La Patagonie. Et puis No control, Derrière la salle de bains, 2012 ; Jeanne L’Étang,  Bruit Blanc, avril 2013 ; De la guerre, Derrière la salle de bains, 2013 ; Le Plancher, Les doigts dans la prose, avril 2013. Elle vit et travaille à Paris comme recherchiste indépendante. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons. Perrine Le Querrec est une auteure vivante. Elle écrit dans les phares, sur les planchers, dans les maisons closes, les hôpitaux psychiatriques. Et dans les bibliothèques où elle recherche archives, images, mémoires et instants perdus. Dès que possible, elle croise ses mots avec des artistes, photographes, plasticiens, comédiens.

     http://entre-sort.blogspot.be/

     

      

    derek munn.jpgDerek Munn est né en Angleterre en 1956. Installé en France en 1988, il a enseigné l’anglais dans une école de langues à Paris pendant six ans. En 1994, il a déménagé dans le Sud-Ouest. Il a publié Mon cri de Tarzan, Laureli/Léo Scheer, Un paysage ordinaire, Christophe Lucquin Éditeur.