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MES NOTES DE LECTURE : LITTÉRATURE, POÉSIE & AUTRE - Page 8

  • Demain 17 heures Copacabana de Guénane

     

    Éditions Apogée 2014

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    237 pages, 18 €.

     

    Guénane nous entraine dans le sillage d’un coup de foudre sous l’égide du poète Saint Pol-Roux, et nous voilà plongés à sa suite dans le Brésil des années 70. Dans ce roman, il y a quatre-vingts pour cent d’autobiographie et vingt pour cent de caïpirinha arrangée, comme elle le confie elle-même, et tout lecteur qui a eu la chance de franchir l’océan pour poser les pieds sur cette terre de braises, sentira frémir en lui, les symptômes de cette douce maladie, ce virus brasiliensis dont on ne peut plus jamais se défaire.

     

    Du Maranhão et de l’Amazonie au Minas Gerais, Brasilia, Belo Horizonte et plus au sud encore, Rio de Janeiro, quelques-uns des points les plus névralgiques de ce pays immense, sans oublier le sertaõ mangé de lumière et de désespérance, toute l’âme du Brésil est évoquée dans ces deux cent et quelques pages. Sa beauté, ses disparités, ses rythmes, ses rites, ses mystères, sa folie, sa monstruosité. Romancé ? Mais le pays lui-même est un gigantesque roman, quand il vous prend, il vous tient, ne vous lâche plus, c’est de la magie pure, une obscure sorcellerie. Même avec toutes ses douleurs, ses laideurs, l’injustice qui frappe, le fossé entre les classes et tout le poids de l’Histoire et des populations broyées.

     

    « trop d’enfants à manger dans les poubelles, enfouis jusqu’à la taille, à fouir les décharges, leurs îles aux trésors, à en mourir de torpeur sous les émanations de la décomposition, le ventre enflé à force d’être vide ; (…) Luxo, lixo, étrange langue qui joue sur une seule voyelle pour nommer le luxe et les ordures. »

     

    Brésil qui danse et « ici la nuit les rats mangent les bébés. Clouants tropiques (…), les paradis sont des livres que la vie ne lit pas. »

     

    Et dans les années 70, la dictature… « Mais nous sommes en plein miracle économique, en réalité nous décollons et nous pourrissons en même temps, là est le miracle… », explique l’homme aux yeux de perdition aqueuse qui a enlevé la Bretonne et lui offrira le cercle magique de son nom. Quant à l’y enfermer, c’est une autre histoire. La fille est une Bretonne passée par la Prusse, difficile à soumettre.

     

    Guénane a glissé dans ce livre, outre un vécu très personnel, la langue même du Brésil, fondante, envoûtante, elle l’entremêle à sa langue natale, délicieusement. Les Brésiliens ne parlent pas, ils vibrent, ils se caressent de diminutifs.

     

    On lit et on voyage, on plonge et on souffre aussi, le virus se réveille… Il est inexplicable, mais si vous l’avez attrapé, alors vous savez.

     

    On la suit donc volontiers, pas à pas, cette vive et attachante francesinha, cette pimenta, toute jeune, curieuse et entêtée, faite sans aucun doute du même bois que ce rouge Brésil, rouge sang qui bat aux tempes, qui fouette l’âme, qui fait sursauter, danser et pleurer tout à la fois. « la houille humaine, le radium humain (…). C’est ainsi que Saint-Pol-Roux appelle cette énergie dépensée par les yeux, les mains, les cris, les battements du cœur ».

     

    Terre d’énergie, le Brésil l’est sans aucun doute, riche de tout son sang mêlé, contre lequel nulle suprématie ne pourra rien, diluée, emportée, brassée dans la convergence et l’impétuosité des fleuves, jusqu’à l’océan-femme, la belle Iemanja, qui les accueillent tous en son sein fier.

     

    Et la francesinha, est-ce un Brésilien de quinze ans son aîné qu’elle a épousé ou bien le Brésil tout entier ?  Car à ce pays si contrasté, on peut aussi confier ses blessures, ses manques. Il se tisse des liens secrets entre lui et ceux qui ont le cœur boiteux et l’âme à vif.

     

    « Si tu savais ne jamais arriver, partirais-tu ? » lit-on dans un poème de Saint-Pol-Roux. La réponse est oui, mille fois oui. Il y a des rendez-vous auxquels,on n’échappe pas. Demain 17 heures Copacabana.

     

     

    Cathy Garcia

     

     

    393548940.jpgLa ville de Lorient ayant été anéantie par les bombes alliées, Guénane est née le 26 juillet 1946, "en exil" au cœur de la Bretagne. Elle a grandi dans la vallée du Blavet, fleuve canalisé par Napoléon, en un lieu où régnait une usine sidérurgique et où continue d'étouffer son enfance. Après des études de lettres à Rennes où elle a enseigné, elle a longtemps vécu en Amérique du Sud. Elle réside aujourd’hui en Bretagne Sud là où le Blavet se jette dans la mer.

     

    Bibliographie :

    Poésie/ Au-delà du bout du monde, La porte, 2015 •  L'approche de Minorque, la porte, 2014 •  Dans la gorge du diable, Apogée, 2013 •  La guerre secrète, Apogée, 2011 •  La ville secrète, Rougerie, 2011 •  Couleur femme, Rougerie, 2007 •  L'Ile Subtile, Rougerie, 2007 •  Ile, Rougerie, 2006 •  L'océan te l'apprendra, Rougerie (2005) •  L'idée d'île, Rougerie, 2003 •  Une île dans le regard, Rougerie, 2002 •  Un fleuve en fer forgé, Rougerie, 2002 •  Poing d'ombre, Rougerie, 2000

    Plaquettes/ Venise ruse, La Porte, 2012 •  Hoedic (Caneton), La Porte, 2010 •  Le Mot de la fin, Apogée, 2010 •  Sein, La Porte, 2009 •  L'île frôlée, La Porte, 2005

    Prose/ Deux récits : 40 pieds sur le Rhum, G.D Editions, 2003 •  L'ange gardien, éditions Blanc Silex, 2001

    Romans, nouvelles/  Demain 17 heures Copacabana, éd. Apogée, 2014 •  L'Approche de l'Equinoxe, nouvelle avec bois poli signé Christophe Carmellino •  Carnet des Sept Collines, Jean-Pierre Huguet Editeur ,2007 •  Pax, Amers Editions, 2002

     

    http://guenane.olympe.in/

     

     

     

  • L’étrange bibliothèque de Haruki Murakami

     

    traduit du japonais par Hélène Morita, illustrations de Kat Menschik

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    Belfond, novembre 2015. 72 pages, 17 €.

     

    Un jeune garçon qui voulait simplement emprunter des livres à la bibliothèque, se retrouve enfermé dans une cellule au fin fond d’un labyrinthe obscur, prisonnier d’un vieillard terrifiant, et sous la garde d’un homme-mouton passif et bienveillant qui fait de délicieux beignets. Comme un rêve qui bascule très vite dans le pire des cauchemars, cette histoire n’aurait pas déplu à Lewis Carroll. Avec pour ingrédients le mystère, le bizarre, l’absurde et une frontière très poreuse entre le poétique et l’épouvante, on y retrouve le goût immodéré de l’auteur pour les bibliothèques et les ambiances pesantes mais comme évaporées. Il y est question de nourriture de l’esprit et de nourriture pour le ventre et d’un menaçant mélange des deux. Il y est aussi question d’un chien féroce, d’un étourneau et d’une petite fille très belle. Bien que la fin puisse laisser le lecteur sur sa faim, très vite, celui-ci se rendra compte que son esprit est retourné dans le labyrinthe pour tenter de démêler le sens caché de cette histoire, et c’est là que tout l’art de Murakami opère. Il réussit à se frayer un chemin dans notre tête et à y déposer tout un tas de questionnements, comme une souris viendrait y déposer des souriceaux. L’ambiance noire et angoissante de L’étrange bibliothèque est formidablement mise en valeur par les vraiment superbes illustrations, en plein page, de l’artiste berlinoise Kat Menschik, qui font de cet ouvrage un très beau livre à glisser dans sa bibliothèque, en prenant garde à ne pas y glisser à son tour.

     

    Cathy Garcia

     

     

    Harukami.pngNé à Kyoto en 1949, Haruki Murakami est un des auteurs japonais contemporains les plus lus au monde. Pressenti pour le prix Nobel depuis 2006, il est traduit en cinquante langues. Fils d’enseignants en littérature japonaise, Haruki Murakami passe son enfance dans une ville portuaire, Kobe, entouré de livres et de chats. Plus tard, il poursuit des études de théâtre et de cinéma à l’université de Waseda. Son imagination est très tôt séduite et façonnée par la littérature américaine, notamment les romans de Raymond Carver, de Raymond Chandler ou de Scott Fitzgerald. Dès 1974, il ouvre un petit bar de jazz, le « Peter Cat », à Tokyo, qu’il va tenir pendant sept ans avant de devenir écrivain. C’est en regardant un match de base-ball, au moment précis où le joueur américain Dave Hilton frappe la balle, qu’Haruki Murakami eut l’idée d’écrire son premier roman, Écoute le chant du vent (1979 – non traduit en Français) qui remporte un succès immédiat et se voit couronné du Prix Gunzo des Nouveaux Écrivains. Premier tome d’une trilogie, ce roman est suivi du Flipper de 1973 (1980) et de La Chasse au mouton sauvage (1982). Haruki Murakami devient dès lors l’un des écrivains japonais les plus populaires au monde. Après la publication de plusieurs romans à succès, Haruki Murakami s’installe à l’étranger. De 1986 à 1989, il vit en Grèce, à Rome et enfin aux États-Unis, où il enseigne la littérature japonaise dans plusieurs universités, dont celle de Princeton. Mais la grave crise économique et sociale que traverse le Japon incite l’écrivain à retourner sur ses terres natales dès 1995. Très marqué par le tremblement de terre de Kōbe, qui lui inspire par la suite le recueil de nouvelles Après le tremblement de terre, Haruki Murakami s’intéresse également à l’attaque terroriste au gaz sarin dans le métro de Tokyo, perpétrée par la secte Aum. Cette tragédie fera l’objet d’un grand livre d’enquête, Underground, dans lequel l’auteur donne la parole aux témoins et aux victimes de l’attaque. Le thème de l’attentat dans le métro figure également dans 1Q84. La plupart des romans d’Haruki Murakami sont traduits en France chez Belfond et repris aux éditions 10/18, parmi lesquels les célèbres Au sud de la frontière, à l'ouest du soleil, Les Amants du Spoutnik, Kafka sur le rivage ou encore La Ballade de l'impossible. Haruki Murakami a reçu, tout au long de sa carrière, plusieurs distinctions littéraires prestigieuses, notamment le prix Yomiri Literary Prize, le prix Kafka 2006 et le prix Jérusalem de la liberté de l’individu dans la société. Après la trilogie 1Q84, qui a connu un immense succès planétaire, son nouveau roman L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage, numéro un des ventes de livres en 2013 au Japon, paraît aux éditions Belfond à la rentrée 2014. En plus de son travail de romancier, Haruki Murakami est le traducteur en japonais de plusieurs écrivains anglo-saxons incontournables, dont Scott Fitzgerald, John Irving, J.D Salinger ou Raymond Carver. De ce dernier, Haruki Murakami affirme qu’il est le professeur le plus important de son existence, ainsi que son plus grand ami en littérature. Haruki Murakami est également journaliste et essayiste.

     

    cette note a été publiée sur la Cause Littéraire.

    http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

  • Puerto Apache de Juan Martini

    traduit de l’espagnol (Argentine) par Julie Alfonsi et Aurélie Bartolo

    éd. Asphalte, octobre 2015.

     

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    224 p., 21 €.

     

     

    Puerto Apache est un polar social, trempé dans un humour noir et amer sur des airs de cumbia, qui à travers le récit d’un seul narrateur, aborde le quotidien d’un des bidonvilles autogérés de Buenos Aires. Bâti sur une ancienne friche industrielle sur la rive du río de la Plata, c’est un des lieux où ont atterri bon nombre de personnes pendant la crise monumentale qui a frappé l’Argentine, au début des années 2000. Des exclus porteurs d’un élan malgré tout, qui espéraient donner à ce lieu une forme de dignité.

     

    Et celui qui raconte, c’est Le Rat.

     

    Le Rat, c’est le fils du Vieux, celui qui tient les rênes de Puerto Apache, qui fait marcher la boutique… Les filles surtout. Comme tout lieu à la marge, faut bien se débrouiller, car même si les habitants s’autoproclament comme « un problème du XXIe siècle », ils savent bien que ce n’est pas de l’extérieur qu’il va se résoudre ce problème. Alors tout le monde se débrouille et la débrouille ça finit souvent par tremper dans la magouille, on fait un peu de rapine, des petits trafics, des petits boulots, comme faire passer des messages chiffrés, juste des chiffres, c’est ce que fait le Rat pour le Pélican, un caïd de la ville. Ça paye un peu et le Rat ne se pose pas trop de questions, rien de mal, juste délivrer des chiffres, jusqu’au soir où trois hommes déboulent chez lui et l’embarquent pour un passage à tabac conséquent et incompréhensible. Alors là ça rigole plus, de plus une bande d’inconnus font une descente aussi dans le bidonville, foutent le feu, tabassent le Vieux qui ne s’en remettra pas et quand un chef de meute est sur la touche, les rivalités explosent.

     

    Déjà la vie à Puerto Apache, ce n’est pas facile, mais là ça pue vraiment. Des poissons de plus en plus gros viennent là où il y a de l’argent à se faire et le sang coule, le sang ça attire les gros prédateurs, ceux qui ne vivent pas dans la marge, ceux qui jouent dans une autre cour, plus spacieuse, qui trempent dans la magouille sans en avoir l’air, bien à l’abri de leur impunité de politiciens. Les corrompus qui se débarrassent des gêneurs et raflent toute la mise : les trafics, les hommes de mains et les belles pouliches comme Marú.

     

    Marú, le Rat il l’a dans la peau, il y a bien sa femme Jenifer et ses deux enfants, mais Marú c’est Marú. C’est la petite amie du Pélican, elle aussi bosse pour lui mais dans ses restaurants où elle prend de plus en plus de responsabilités. Elle aime l’argent Marú, elle ne vit pas à Puerto Apache, mais dans un chouette et vaste appartement, toujours grâce au Pélican, mais le Rat en est certain, celui qu’elle préfère, c’est lui. Et il vit son histoire avec elle sans trop se cacher.

     

    Mais se faire casser la gueule comme ça, sans explication, le Rat ça ne lui convient pas du tout. Alors il ne lâche pas l’affaire, il veut savoir qui et pourquoi. Ce n’est pas un idiot le Rat, il sait lire et écrire, il réfléchit, il aime les mots, l’ «intellectuel du ghetto » comme l’a surnommé son ami Cúper. Alors il raconte les évènements à sa manière, souvent cocasse, d’une manière assez décousue, avec des bonds subits dans le futur et puis des retours en arrière, parfois c’est presque monotone pourtant, glauque, étouffant. Puerto Apache c’est un piège. C’est comme foutu, il ne peut y avoir de futur, à part finir avec une ou plusieurs balles dans le corps ou en taule pour vingt ans. Toti, son voisin travelo a eu de la chance, quand la télé est venue faire un reportage sur Puerto Apache, il a eu un coup de foudre pour un des types de la télé et l’attirance a été réciproque, alors il a pu quitter Puerto Apache pour aller vivre avec son nouvel ami.

     

    C’est ça, il n’y a pas d’autres alternatives, Puerto Apache c’est un problème insoluble, la seule issue, c’est de se tirer.

     

    Ce que Juan Martini met en évidence ici, et sans fioriture, c’est que bien que la pauvreté ne soit pas forcément synonyme de criminalité, il n’est pas possible d’être un enfant de chœur dans un bidonville, mais la pauvreté avant tout est synonyme de vulnérabilité, et la vulnérabilité attirent les gros prédateurs, la pègre à col blanc, sans scrupule, toute pleine de convoitise, qui sait user des autres, surtout ceux considérés comme les plus négligeables, pour satisfaire ses appétits aussi insatiables que dégueulasses.

     

    C’est l’intérêt majeur de ce roman, son côté quasi documentaire.

     

    Cathy Garcia

     

     

    JM.jpgJuan Martini est un écrivain argentin, né en 1944. Pendant la dictature militaire, il s'exile en Espagne et dirige une collection de romans noirs dans une grande maison d'édition. Il vit actuellement à Buenos Aires, où il donne des ateliers d'écriture. Il est l'auteur d'une quinzaine de romans et recueils de nouvelles. Son œuvre, profondément inspirée par le genre policier et caractéristique d'une certaine littérature de l'exil, est considérée comme incontournable du panorama littéraire argentin.

     

    Note publiée sur le site de la Cause Littéraire

     

     

  • Illska d'Eiríkur Örn Norddahl

     

    trad. Eric Boury

    Métailié août 2015

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    600 pages, 24 €

     

     

     

    Illska est une pièce monumentale, en taille pour commencer, presque 600 pages bien denses. Illska est comme une immense tapisserie murale au tissage parfois très resserré, où les motifs sont formés d’un mélange de temps qui finissent presque par se confondre : passé et présent historiques, passé et présent des individus, des protagonistes de cette histoire, avec une toile de fond amplement maculée du sang de l’Holocauste et notamment d’évènements qui se sont déroulés en Lituanie. Comme fil conducteur de la trame : l’idéologie populiste de droite (lire « fasciste ») en Europe aujourd’hui et tout particulièrement en Islande, et surtout comment l’Histoire et la politique viennent interférer en permanence, parfois même de façon obsessionnelle et souvent pour le pire, dans la vie intime des personnages du roman.

    Personnages dont les trois principaux sont Agnès, Omar et Arnor, tous trois Islandais, mais seul Arnor est réellement de souche comme on dit.

    Agnès est d’origine lituanienne et ses parents sont retournés vivre là-bas, dans cette petite ville de Jurbakas, où se sont déroulés tous les « évènements » pendant la guerre. Le grand-père paternel d’Agnès, Romualdas, était devenu milicien, comme son frère Mykolas, qui lui était chef de la police, et Romualdas avait même endossé l’uniforme de la gestapo. Ils avaient ainsi assassiné, entre autres, les arrière-grands-parents maternels d’Agnès qui eux étaient Juifs, et proches amis pourtant des arrière-grands-parents paternels. Les parents d’Agnès ignoraient ce fait lorsqu’ils se sont rencontrés et aimés, sans quoi il n’y aurait sans doute jamais eu d’Agnès Lukauskai, mais ils l’ont su plus tard et cela explique aussi l’obsession d’Agnès depuis toute jeune, pour l’Holocauste.

    Cela explique moins, alors qu’elle vit avec Omar, pourquoi elle va tomber dans les bras d’Arnor, une fascination certes proche de la haine, mais fascination tout de même. Arnor est un néonazi islandais, qu’elle voulait interroger dans le cadre de son mémoire sur la montée du populisme en Europe, mais un néonazi qui méprise Hitler, un personnage étrange, solitaire, bien plus intelligent, plus érudit que la plupart de ses congénères. Et très mignon avec ça.

    Agnès et Omar auront un fils, mais peut-être est-il d’Arnor ? Omar mettra le feu à leur maison avant de s’envoler pour l’Europe sur les traces de l’Holocauste, comme s’il allait y trouver la réponse à cette question : pourquoi Arnor ?

    Il est impossible de résumer Illska, mais nous saurons tout, et dans le moindre détail, tout du passé, du présent de la vie de chacun, de leur famille et de l’horreur d’un passé plus lointain encore qui sera narré au présent, comme si on y était. Et tout ça se mélange, avec d’autres histoires, de voisins, de copains étudiants et d’autres personnages qui tracent le portrait d’une Islande un peu moins flatteur que celui que le pays voudrait se donner. Cette tapisserie gigantesque non dénuée d’humour, mais un humour bien noir, pèse son poids de malheur, d’erreurs et de destins qui se percutent.

    Illska est à la fois un roman sur le couple, la famille, la parentalité et surtout comment cela peut devenir des valeurs refuge – souvent à tort et travers – pour contrer le vide intérieur qui est le lot de bon nombre d’entre nous dans la société actuelle, et pas seulement en Islande, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’amour véritable. Illska tourne beaucoup autour de la question de l’identité, de l’appartenance ou du refus d’appartenance et par extension, évoque le danger identitaire, et c’est donc avant tout une très ambitieuse œuvre sociopolitique, avec un regard qui se dote d’un recul historique. On en ressort comme essoufflé, avec un goût amer en bouche, car quelle que soit l’époque ou l’idéologie, lorsque le mal est en marche, qu’il est légitimé, qu’on peut classer les individus en désirables ou indésirables, que le meurtre et donc toute les humiliations imaginables sont tolérés, encouragés ou même légalisés, alors l’horreur dépasse tout. Illska est un vertige. Cette tapisserie aux motifs qui alternent sans arrêt et de plus en plus vite, peut donner mal à la tête.

    Ce qu’il en ressort c’est que tout le monde se retrouve un peu victime, un peu bourreau, rien n’est tout noir, tout blanc, le mal entraîne le mal tout autant parfois que de vouloir à tout prix faire le bien, et seul l’amour, le véritable, c’est-à-dire celui qui sait pardonner, aurait la possibilité d’arrêter le sang que l’on fait couler, mais ce n’est pas facile, ce n’est jamais gagné, car « toute violence nous prive d’humanité. Que nous soyons celui qui frappe ou celui qui encaisse les coups ».

     

    Cathy Garcia

     

    Eiríkur-Örn-Norðdahl-©-Philippe-Matsas1-300x460.jpgEiríkur Örn Norđdahl est né à Reykjavik en 1978 et a grandi à Isafjordur. Il a commencé à écrire vers 2000, mais la nécessité l’a amené à faire d’autres choses pour gagner sa vie. Il a vécu à Berlin en 2002-2004 puis dans plusieurs pays d’Europe du Nord, en particulier à Helsinki (2006-2009) et en Finlande (2009-2011) et dernièrement au Viêtnam. En 2004, il a été un des membres fondateurs du collectif poétique d’avant-garde Nyhil, en Islande. En 2008, il a reçu le Icelandic Translators Award pour sa traduction du roman de Jonathan Lethem, Les Orphelins de Brooklyn. Il a obtenu une mention Honorable au Zebra Poetry Film Festival de Berlin en 2010 pour son animation poétique, Höpöhöpö Böks. En 2012, Norddahl a reçu le Icelandic Literary Prize, catégorie fiction et poésie, ainsi que le Book Merchants’ Prize pour son roman Illska.

     

    Note paru sur : http://www.lacauselitteraire.fr/illska-eirikur-oern-norddahl

     

     

     

  • Le Démon de l’île solitaire d'Edogawa Ranpo

    traduit du japonais par Miyako Slocombe

    Edition: Wombat, mai 2015,

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    320 pages, 23 €  
     

    Un vrai régal ce roman, vraiment surprenant, un polar frisson d’une grande classe, au style limpide et très agréable à lire, qui parut d’abord en feuilleton dans les années 1929-1930 et qui n’a pas pris une ride, grâce peut-être aussi à une excellente traduction. On se laisse en tout cas très facilement happé par un suspense en tension permanente, avec un plaisir d’enfant, chaque énigme résolue ouvrant la porte à de nouveaux mystères. Minoura, le narrateur, est entraîné malgré lui dans cette histoire rocambolesque qui fera de lui un détective autodidacte, en tombant follement amoureux de celle qui sera la première victime d’un tueur énigmatique et ceci dans une chambre close, rappelant Le mystère de la chambre jaune.

    Enquête, aventure, chasse au trésor et épouvante, le démon de l’île solitaire est un subtil mélange d’ambiances noires et romantiques, qui rappellent effectivement tout à la fois Conan Doyle, l’île du Docteur Moreau et Edgard Poe, le tout à la sauce japonaise. C’est tout à fait volontaire de la part de l’auteur, de son vrai nom Tarô Hirai, dont le pseudonyme fait référence justement à Edgard Poe. L’auteur aborde ici des sujets sensibles centrés sur le corps, comme la monstruosité, l’handicap physique, le rejet et l’homosexualité.

    C’est un classique de la littérature japonaise, considéré comme le chef d’œuvre d’Edogawa Ranpo, qui est traduit ici en Français pour la première fois, et vraiment ça serait dommage de passer à côté !

     

    Cathy Garcia

     

    Edogawa Ranpo.jpgEdogawa Ranpo, nom de plume de Tarô Hirai (1894-1965) choisi en hommage à Edgar Allan Poe, est le maître de la littérature policière et fantastique japonaise des années 1920 à 1960. Inventeur en 1925 du personnage de détective Kogorô Akechi, il popularise la littérature policière au Japon et créera en 1955 le premier prix décerné à ce genre, qui porte toujours son nom. Tout en assumant ses influences occidentales (Edgar Poe, H. G. Wells, Conan Doyle, Gaston Leroux…), Ranpo insuffle à ses récits un ton unique, mêlant érotisme, perversion, grotesque et macabre, dans des novellas noires comme La Chenille, La Bête aveugle ou Le Lézard noir (adapté au théâtre par Yukio Mishima) devenus des classiques de la littérature japonaise. Père du mouvement « ero guro nansensu », son influence marquera aussi durablement le cinéma (de La Bête aveugle de Yasuzô Masumura à Inju de Barbet Schroeder) comme le manga (Suehiro Maruo).

     

    Cette note a été publié sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Les maîtres du printemps d’Isabelle Stibbe

    Serge Safran éditeur, août 2015 

    9791090175358_1_75.jpg

    181 pages, 17,90 €.

     

    « Ici vous entendrez parler acier, métallurgistes, syndicalistes, ici vous entendrez parler usines, nationalisation, chômage. Si pour vous ces mots sont synonymes de nuisances et de laideur, s’ils vous font l’effet de répulsifs, si vous prétendez qu’ils doivent être réservés aux colonnes des journaux, section économie ou société, refermez aussitôt ce livre ou, pour les plus modernes d’entre vous, éteignez votre liseuse, en tout cas passez votre chemin, ce texte n’est pas pour vous, autant vous prévenir tout de suite. Entre le ciel et la boue, préférez le ciel, c’est moins salissant. »

     

    Voilà, le ton est donné, ce livre qui a autant de corps que d’âme, une écriture travaillée à la hauteur du sujet, est dédié avant tout « aux combattants sincères de Florange », puis dédié plus largement à tous les travailleurs de ces hauts-fourneaux de Lorraine qui ont fermé, les uns après les autres et dédié encore plus largement à la mémoire ouvrière, sans misérabilisme, sans naïveté. Fouillé, il vise avec justesse son but, mettre en lumière la dignité de cette classe considérée comme une sous-classe, classe qui après avoir été exploitée pendant plus d’un siècle, se voit maintenant mise à la rue, comme un encombrant obsolète.

     

    Ici, il est question des hauts-fourneaux d’Aublange, une ville fictive qui rime avec « Hayange, Hagondange, Florange, Gandrange, Uckange », dans la très réelle vallée de la Fensch, sous les cieux gris d’une Lorraine fortement marquée par ses traditions minières et sidérurgiques.

     

    L’histoire on la connait, c’est celle de Florange, le choc des annonces de fermeture, ou de « mise en sommeil » comme on dit des activités d’un ou plusieurs hauts-fourneaux, décidées par un propriétaire qui vit à l’autre bout du monde, ne s’intéresse qu’au cours de la Bourse qui elle ne s’intéresse certainement pas aux êtres, aux personnes, aux familles que la valse pochtronne de ses cours, assassinent de la façon la plus cynique qu’il soit.

     

    Et puis il y a les médias avides de sensationnel, d’images fortes, mais rarement présents quand il s‘agit d’aborder le fond des sujets et les politiciens très poings levés en période électorale, promettant haut et fort ce qui deviendra ensuite vagues possibilités de relance « si l’horizon économique se dégage ». Ha, les jolies formules !

     

    Vos cœurs sont aussi durs que les talons avec lesquels vous marchez sur la figure des pauvres. Jack London, Le Talon de fer.

     

    La lutte acharnée de David contre Goliath, de l’ouvrier dont le statut a dégringolé du plus bas à plus bas encore : d’exploité il est passé à indésirable, quantité négligeable qu’on efface d’un clic de souris.

     

    « Les parents quand ils faisaient la grève, c’était pour des augmentations de salaire. Les fils, aujourd’hui, ils font grève pour continuer à travailler. »

    Certains se résignent, d’autres veulent prendre les fusils, ça finit par voter Front national, lequel se nourrit de la détresse comme le vautour de la charogne. Et puis d’autres, montent au front, au vrai front, celui qui demande de la détermination et du courage, car même lorsqu’on n’a plus rien à perdre, on peut encore perdre beaucoup. Pierre est l’un de ceux-là.

     

    Pierre, de famille espagnole, arrivée en France alors qu’il avait huit ans. Pierre qui se voyait plutôt prof de sport ou musicien, mais certainement pas ouvrier des hauts-fourneaux comme son père. « Je me suis juré : jamais de la vie j’irai bosser là, plutôt crever. ». Jusqu’au jour où il découvre la coulée, fasciné. « C’est extraordinaire quand tu vois la fonte en fusion qui jaillit, ce feu qui se déverse avec une puissance incroyable et que tu assistes à ça, c’est tellement plus grand que toi que tu ne voudrais être ailleurs pour rien au monde, et là tu l’aimes ton usine, tu l’as dans la peau. Après, tu as beau revoir ce spectacle cent mille fois, tu ne t’en lasses jamais. » Car le travail de l’ouvrier, ça peut aussi être ça, malgré les difficultés, la pénibilité : une histoire d’amour.

     

    Et puis des histoires d’amitié aussi, de la véritable cohésion sociale « toutes les nationalités rassemblées. Les Algériens, les Italiens, les Espagnols, les Portugais. (…) tout le monde se serrait les coudes  ». Il peut y avoir de la poésie dans les hauts-fourneaux comme partout, la poésie c’est dans le regard de celui qui regarde, dans la langue qu’on partage avec d’autres, avec des expressions comme vider le loup, pratiquer la sucette, faire une belle bonnette… Ce n’est pas seulement du rendement, de la sueur et des chiffres. C’est une aventure humaine, dangereuse aussi, on peut y laisser un pied, une jambe ou plus encore, et ça ne peut pas être juste balayé comme ça, d’un claquement de doigt, tout à la poubelle, sans autre justification que le cours de la Bourse.

     

    « Tout à coup le silence. La boucheuse a injecté la masse d’argile réfractaire dans le trou de coulée. Un couvercle sur leur tombe. Cette fois c’est vraiment la dernière coulée. »

     

    Friches industrielles et chômeurs longue durée.

     

    « La flexibilité du travail, vous savez ce que ça veut dire ? Du chantage : « Mes conditions ou rien. » La précarité légalisée, institutionnalisée pour au bout du compte en revenir au travail journalier. (…) C’est ça le progrès ? Moi j’appelle ça avoir le pistolet sur la tempe. »

     

    Le titre du livre, Les maîtres du printemps, fait référence à la citation de Pablo Neruda « Nos ennemis peuvent couper les fleurs mais ils ne seront jamais les maîtres du printemps ». Une phrase qui leur parle à ceux-là qui se battent pour leur usine « que le commun des mortels trouve laide, bruyante et sale ». Pour eux, « c’est une fleur qui a la robustesse d’une gentiane de montagne et qui aujourd’hui est devenue aussi fragile qu’une orchidée. »

     

    Dans Les maîtres du printemps, trois hommes s’expriment en alternance. L’auteur nous invite dans leur tête, dans leurs pensées, même les plus intimes : Pierre Artigas, le syndicaliste, qui lutte avec ses tripes, dont la belle gueule et la prestance plait, bien malgré lui, aux médias, alors que ce qui importe là ce n’est pas de plaire, mais d’être entendu ; Max Oberlé, l’artiste contemporain, qui déteste être vieux, qui a le cancer, qui ne ressent aucune motivation à réaliser l’œuvre monumentale qu’on lui demande pour le Grand Palais et c’est un reportage sur les hauts-fourneaux de Aublange qui va lui donner cette motivation, il va leur commander la fabrication des pièces et faire une œuvre, une Antigone monumentale, en soutien au combat de ces sidérurgistes. Une soudaine prise de conscience « J’ai eu honte de moi, de toute ma vie de privilégié, peut-être, de mon égoïsme sûrement. Petite crise d’humilité qui ne me ressemble pas. »; et enfin Daniel Longueville, député, politicien donc, un des rares de son espèce à être issu justement de la classe ouvrière, une classe qu’il a trahie en quelque sorte aux yeux de sa famille cévenole. Une origine qu’il dissimule, dont il a honte, mais qui stimule sans doute son engagement pour sauver les haut-fourneaux d’Aublange.

     

    C’est un puissant projecteur braqué sur la réalité sociale que nous livre ici Isabelle Stibbe, une réflexion sur l’humain, à travers les regards, les pensées et les souvenirs entrecroisés de trois hommes : l’ouvrier syndicaliste, l’artiste célèbre et le politicien ambitieux. Sont-ils au fond si différents ? Finalement celui qui doute le moins, c’est peut-être Pierre. Mais c’est surtout qu’il n’a pas le temps de douter, l’issue de son combat est une question de vie ou de mort sociale. Max lui ne bande plus, pense à la mort et pour la première fois de sa vie, son art lui parait secondaire. Daniel tremble à l’idée qu’on puisse voir l’ouvrier en lui, « cette angoisse pierreuse qui ne tarit jamais vraiment malgré les échelons gravis, les rêves réalisés », alors que lui se voit ministre, mais on ne peut complètement renier d’où l’on vient. Ambitieux Daniel, mais peut être pas totalement arriviste. C’est ce qui le différencie de ses pairs, car il a beau avoir emprunté l’ascenseur social, ça ne fera jamais de lui un des leurs. L’un de ceux qui n’ont jamais connu autre chose que l’univers étriqué de l’élite.

     

    Les maîtres du printemps est un livre qui fait du bien, qui redonne même de la dignité au lecteur. On n’a pas besoin de voter à gauche pour le lire, c’est un livre sur l’humanité, sur ce qui pourrait faire voler en éclat le système des castes, car c’est bien de cela qu’il s’agit, de castes plus encore que de classes. En réalité aujourd’hui, le sort des personnes, des entreprises, des municipalités, de régions entières, de pays même, comme des politiciens, se joue au casino boursier. Les joueurs n’ont aucun scrupule et aucun compte à rendre. Le combat semble perdu d’avance « car comment lutter contre l’avidité de la finance, cette soiffarde qui ne se repait jamais ? »

     

    Cela dit le dernier chapitre s’intitule « Espoirs ».

     

    Je sais bien qu’à la fin vous me mettrez à bas ;

    N’importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !

    Edmond de Rostand, Cyrano de Bergerac

     

    Alors on laissera le dernier mot à Daniel, qu’on aimerait, non pas entendre dans la bouche des élus, on entend suffisamment de mensonges comme ça, mais qu’on aimerait voir dans leurs actes et plus encore dans les résultats de leurs actes :

     

    « On ne peut pas vivre toute la vie sous les lois du marché qui ne sont pas des lois, qui sont seulement l’incarnation des instincts les plus bas comme le profit et l’écrasement d’autrui. L’homme vaut mieux que cela non ? »

     

    Cathy Garcia

     

    isabelle stibbe.jpgIsabelle Stibbe est née à Paris en 1974. Après des débuts dans le droit international, elle est responsable des publications à la Comédie-Française puis au Grand Palais, critique d’opéra… Actuellement secrétaire générale de l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet, elle enseigne également à l’Institut d’études théâtrales de l’Université Paris-III.  Elle a publié Bérénice 34-44, son premier roman, chez le même éditeur en 2013.

     

     

    Cette note a paru sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Tout ce qui m’est arrivé après ma mort de Ricardo Adolfo

     

     traduit du portugais par Elodie Dupau

    Éditions Métailié, 6 avril 2015

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    174 pages, 17,50 €.

     

    Tout ce qui m’est arrivé après ma mort est une farce sur l’exil, aussi drôle que pathétique, dérangeante aussi, car l’auteur brouille un peu les pistes, ce qui lui permet de montrer comment chacun de nous, quel qu’il soit, bien installé dans sa peau de lecteur-voyeur-ricaneur, pourrait lui aussi un jour basculer et devenir le clown de sa propre histoire. Car à vrai dire notre identité, notre assurance, nos certitudes, ne tiennent qu’à un fil et si ce fil est coupé, quand tous les repères disparaissent, que l’on ne comprend plus personne et que personne ne nous comprend, et que l’on devient quantité négligeable, un immigré donc, une statistique, une ombre, alors on peut se perdre très facilement. Se perdre dans une ville étrangère et surtout se sentir étranger à soi-même. Un exil plus pernicieux encore.

     

    Brito  est un personnage clownesque. Doublement perdus avec son épouse et son tout petit garçon, dans une ville sur l’île, et on devinera au bout d’un moment qu’il s’agit de l’Angleterre, et loin du pays, qu’on sait être le Portugal, où Brito était postier.

     

    Après la mort, c’est quand on a été forcé de tout quitter et que l’on doit renaitre dans un autre pays, sans aucune carte en main. La moindre erreur peut entrainer un enchainement fatidique d’évènements plus aberrants les uns que les autres, avec l’impossibilité totale de stopper ce flux. Cette perte en avant rappelle à certains moments des romans de Paul Auster.

     

     

    Brito, son épouse Carla et leur petit garçon, s’apprêtent à regagner leur maison, une minuscule chambre en vérité, qui fait office aussi de cuisine, de salon et de véranda, et ils rapportent avec eux et ce malgré Brito, une valise rouge à roulette toute neuve que Carla a voulu s’offrir, lors de cette sortie familiale unique et hebdomadaire de lèche-vitrines dans la ville qui rayonne de tous ses feux, ou presque… Car en réalité  « la dernière mode était de fermer des boutiques plutôt que d’en ouvrir (…) des devantures condamnées, des façades aveugles, clouées à coup de marteau pour cacher ce qu’il n’y avait pas à vendre. ».

      

    Une panne de métro suivie des réactions intempestives de Brito, et la famille, faute de pouvoir se faire comprendre, aussi bien que faute d’un désir de compréhension de ceux qui ne les comprennent pas, se voit forcée d’emprunter une sortie inconnue. Ce sera le début d’une longue nuit d’errance. « Il n’y a que le présent qu’on n’allait pas perdre puisqu’il nous collait à la peau. »

      

    L’auteur a choisi de nous présenter un personnage dont on peut rire, un total antihéros qu’on ne peut même pas vraiment prendre en pitié. Ses incessants dialogues intérieurs, que ce soit avec lui-même ou avec un Dieu auquel il ne croit pas vraiment, mais qu’il juge vindicatif avec ses trucs cyniques et canailles, sont une vraie farce à eux tout seul, comme les dialogues entre lui et Carla, son épouse excédée mais liée à lui vaille que vaille, car elle a choisit de le suivre alors qu’il voulait fuir le pays pour ne pas aller en prison, en espérant au passage y gagner une vie meilleure qu’au pays pour elle et les siens. Cet increvable espoir de l’immigré qui se paye au prix fort, celui de la transparence.

     

    « Un jour, tout seul, sur le chemin de la maison, j’ai fait exprès de rentrer dans un poteau pour m’assurer que j’étais bien là, que je n’étais pas le fruit de mon imagination. J’existais, selon le poteau, et jamais je n’ai réussi à comprendre pourquoi personne ne me voyait. »

      

    C’est une véritable tragi-comédie, une pièce de théâtre à l’intérieur du roman. Carla subit comme une double peine, d’une part l’exil et toutes ses difficultés, illusions et déceptions et par-dessus tout le sentiment de solitude, d’isolement et puis elle est la seule à travailler en faisant des ménages dans des bureaux et donc à gagner de l’argent et d’autre part un mari totalement démuni et anxiogène, à l’imagination exacerbée, qui extrapole continuellement et se complique les choses lui-même notamment avec sa théorie de la double-contradiction. En gros,plus il veut mieux faire et plus les situations empirent et les efforts qu’il fait sur lui-même pour être efficace sont désespérément drôles. Mais pourrait-il vraiment faire mieux ?

      

    « La vie sur l’île m’avait placé dans une position nouvelle. (…) Sur l’île, elle n’était la femme que d’un immigré de plus, sans nom ni faits, d’un jobard quelconque. La femme d’un homme qui faisait honte, même à moi. »

      

    C’est un roman sur l’impuissance la plus complète, on a envie de rire, mais c’est très amer aussi, car en réalité ce n’est pas drôle. Brito est une catastrophe, même pas véritablement sympathique car lui-même est couard, égoïste, ignorant et facilement raciste, car même immigré, il reste Européen malgré tout. Son épouse aurait envie de pouvoir l’attacher et le museler pour que les choses n’empirent pas plus, mais dans cet exil total, où on ne peut parler à personne, où personne même ne semble vous voir, le couple en mal du pays devient le rafiot que l’on ne quitte pour rien au monde. Une miette de meilleur, un cargo de pire et les difficultés forcent le lien.

     

    L’auteur réussit donc tout en se moquant gentiment de ses personnages, à mettre peut-être plus encore en exergue que n’importe lequel d’entre nous pourrait être à leur place, car personne n’est fait pour supporter d’être un immigré, un exilé de force et quand quelque chose nous tombe dessus comme ça, tout le monde pourrait très facilement basculer dans cette farce amère et devenir le pantin pathétique de sa propre histoire.

     

    Une façon cocasse (on notera entre autre le clin d’œil au cliché de l’immigré portugais avec la valise, sauf que celle-ci est neuve, rouge, rutilante et roulante) d’aborder l’air de rien et c’est tout de même un tour de force, absolument tous les aspects et toutes les problématiques de l’exil. « C’était un serpent qui mordait beaucoup de queues ».

     

    L’auteur  a choisit le ton de la badinerie pour montrer à quel point parler des immigrés d’une façon générale, ça ne veut rien dire. Les immigrés sont aussi des étrangers les uns pour les autres, voire des ennemis. Il y autant de situations différentes que de personnes différentes. D’innombrables histoires individuelles et donc forcément très complexes.

      

    Et la bêtise n’ayant pas de frontière, bringuebalés dans un monde absurde, comment ne pas devenir plus absurdes encore ?

      

     

     Cathy Garcia

     

     

     

    R-Adolfo.jpgRicardo Adolfo est né à Luanda, en Angola, en 1974. Il a vécu à Lisbonne, Macao, Londres, Amsterdam et il réside actuellement à Tokyo. Publicitaire, il est l'auteur de romans, nouvelles, fictions courtes et livres jeunesse. Depuis l'étranger, il croque son pays, le Portugal, avec humour et ironie, souvent sans concession. Il nourrit ses écrits d'un quotidien qu'il aime à saisir au détour d'un dialogue, d'une situation, d'un événement. Ses romans ont été publiés en Hongrie, en Espagne, en Suède et au Japon.

     

     

    Cette note a été publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

     

  • La barbe ensanglantée de Daniel Galera

     

    traduit du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli

     

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    Gallimard (Collection Du monde entier), 19 mars 2015

    512 pages, 24,90 €.

     

     

    Fascinant ce roman, et puissant, il se déroule de façon un peu heurté parfois, ou bien cela vient peut-être de la traduction, mais très vite on se retrouve comme hypnotisé par son mouvement, un balancement entre ressac océanique et l’ondulation du serpent.

     

    Le personnage principal n’est pas le narrateur et on ne connaîtra pas son nom. L’auteur use de la troisième personne pour en parler, mais pourtant très vite on a vraiment l’impression d’être à l’intérieur de sa tête. Déboussolé par la perte de sa petite amie qui l’a quitté pour son frère, à qui il ne veut pas pardonner cette trahison, puis par le suicide de leur père, dont lui seul a été prévenu par le père en personne, qui l’a fait venir juste avant de passer à l’acte, pour lui faire promettre de faire piquer sa vieille chienne, pour qu’elle ne souffre pas de son départ. Et qui a remis aussi sur le tapis, le mystère de la disparition de son père à lui, le grand-père donc du personnage principal, qui aurait été assassiné dans une petite commune au bord de l’océan au sud du pays.

     

    Comme une graine qu’il aurait semé de père à fils, juste avant de tirer sa révérence, et le petit-fils donc, plante tout, son appart et son travail à Porto Allegre, pour aller vivre lui aussi à Garopaba, dans un tout petit appartement humide, à quelques mètres de ce qu’il reste de l’ancien port de pêche. Un appartement où aurait vécu aussi son grand-père. Sans trop savoir ce qu’il cherche vraiment, il tente de se renseigner sur celui-ci, mais très vite à la simple évocation de son nom, les visages se ferment. De plus lui-même est atteint d’une pathologie étrange et handicapante, la prosopagnosie, l’impossibilité de se souvenir des visages, pas même du sien. Ce qui rajoute à l’étrangeté de sa situation.

     

    Comprendre ce qui est arrivé à son grand-père, dont il est en plus le portrait craché, commence cependant à tourner à l’obsession et c’est de cette quête dont il est question tout au long de ces 500 et quelques pages. Le personnage principal s’y absorbe au point d’en faire une quête d’identité quasi métaphysique dans laquelle il va sombrer peu à peu, comme dans une sorte d’auto-envoûtement.

     

    C’est un athlète, très physique et très bon nageur, il trouvera vite un poste d’entraineur dans la nouvelle piscine locale, puis un petit groupe de personnes désirant être entrainées à courir. Se partageant entre ces activités et la nage dans l’océan par tous les temps, un semblant d’équilibre se met en place, même s’il lui est difficile de nouer de véritables liens, à cause de son problème de prosopagnosie, dont il n’a pas envie de parler. C’est encore l’été, mais bientôt l’hiver arrive, les touristes partent, ne restent que les autochtones et divers personnages un peu en marge, plus ou moins paumés.

     

    Il se fera deux copains, de beuveries surtout, dont un bouddhiste, et des femmes aussi vont croiser sa route, mais ce sont comme des rendez-vous manqués, creusant toujours plus en lui le goût de la solitude, comme un vide, obstinant. S’occuper de la chienne de son père aussi est devenu une obsession, même après que celle-ci se soit fait percuter par une moto, au point de ne peut-être plus jamais pouvoir remarcher, mais il y passera tout l’argent et l’énergie qu’il faut, cette chienne ne doit pas mourir, malgré la promesse faite à son père, peut-être parce qu’avec elle c’est tout une part de lui-même qui disparaîtrait ?

     

    Avec ce roman on entre aussi au cœur de la vie et des changements en cours dans ce village de pêcheur qui s’est vu transformé en station de tourisme estival, la pêche allant toujours déclinant, où le temps se divise désormais entre belle saison et l’hiver où la vie y est plus difficile. Déprimante même pour beaucoup. Passer un premier hiver à Garopaba peut ressembler à un passage initiatique.

     

    Entre passé et présent, légendes et superstitions, rêve et réalité, un quotidien d’une extrême banalité et une brutalité sous-jacente qui couve en permanence, notre personnage principal par une sorte d’obstination, se retrouve à perpétuer lui-même les vieilles histoires, dans lesquelles il s’empêtre comme un poisson pris au filet.

     

    Mais découvrir la vérité, c’est aussi découvrir ce que l’on ne veut pas savoir.

     

    Père, fils, grand-père, quelque chose dans le sang comme une violence vraiment primitive, une puissance qui gronde dans les veines comme un océan. Comme un océan en pleine nuit, noir et plein de sa force colossale, comme la vie quand il faut savoir se relever et vraiment savoir nager pour ne pas y laisser sa peau, ou pire encore.

     

    La barbe ensanglantée est un roman dense et riche dans la profusion de détails sans jamais être ennuyeux, un de ces romans qui imprègnent fortement, comme des odeurs d’embruns qui mettent du temps à se dissiper. Un goût de sel, de sang et d’amertume.

      

    Cathy Garcia

     

      

     

    daniel-galera.jpgDaniel Galera, né en 1979 à São Paulo, est l’un des auteurs les plus prometteurs de la littérature brésilienne actuelle. Pionnier de l’utilisation d’internet dans le champ de la création littéraire, il a animé des fanzines électroniques et fondé la maison d’édition indépendante « Livros do Mal ». Auteur prolifique, il s’essaie aussi bien au roman qu’au conte, à la nouvelle ou à la bande dessinée.

     

     

     

    Bibliographie : « Laila » dans Brésil 25. Nouvelles 2000-2015, anthologie dirigée et préfacée par Luiz Ruffato, Métailié, à paraître en 2015, traduit par Emilie Audigier. ; Cachalot, avec le dessinateur Rafael Coutinho, Cambourakis, 2012, traduit par Dominique Nédellec ; Paluche, Gallimard, 2010, traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli.

     

    Cette note a été publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

     

  • Mon amour, de Julie Bonnie

     Grasset, 4 mars 2015

     

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     224 pages, 17, 50 €.

     

      

     

    Je suis passée de l’autre côté d’une barrière dont j’ignorais l’existence. Finie, la vie de jolie fille. Bienvenue dans le monde des mères et des sourires complices de femmes. Adieu les regards d’hommes. Je m’étonne. 

     

    Au centre de Chambre 2, le premier roman de Julie Bonnie, il y avait déjà le corps, le corps des femmes totalement chamboulé et parfois même saccagé par la maternité, il y avait déjà l’art et la musique et le fossé que la naissance d’un enfant pouvait creuser entre l’homme et la femme. Fossé physique, fossé psychique, parfois un gouffre. Julie Bonnie a une façon très particulière, splendide et ultra sincère de raconter ce corps, les émotions et les sentiments souvent contradictoires qui l’écartèlent. Dans Mon amour, son deuxième roman nous retrouvons cette matière qui lui tient à cœur.

     

    Ici, il y a une femme qui vient d’accoucher, la mère donc, d’une petite Tess. Et un homme, en pleine ascension vers sa gloire, pianiste virtuose de jazz, le père donc, et lui-même fils d’un grand pianiste. Tess a quatre jours quand le père part en tournée internationale avec trois autres musiciens. C’était prévu avant même qu’elle ne tombe enceinte, alors elle, sa fée comme il l’appelle, se retrouve seule à Paris en plein été, avec son tout petit bébé.

     

    « Je ne sais pas ce que je vais faire de ma peau aujourd’hui, j’imagine que Tess saura, elle. Toi, ce sera les musiciens, l’avion, les concerts, les hôtels, les filles. Mon amour, pas les filles, pense à moi, ne m’oublie pas. Ne nous oublie pas. Je suis fatiguée déjà. »

     

    Le roman se construit sous forme de lettres, de lettres qui tiennent plus du journal intime, car elles n’atteignent pas réellement le destinataire. Trop de vérités en elles. Ce sont donc des lettres surtout à soi-même. D’abord celles d’une jeune femme livrée à elle-même dans cette toute nouvelle fonction maternelle et celles de son homme parti pour un mois de tournée autour du monde. Un mois, ce n’est rien, mais pour une maman qui vient d’accoucher, c’est un siècle.

     

    Deux amants, deux univers qui s’éloignent l’un de l’autre à la vitesse des avions que lui enchaîne de son côté et de la métamorphose encore plus rapide et irrévocable de la femme en mère, aux prises avec son sentiment d’abandon et la découverte de cette nouvelle et monstrueuse forme d’amour qui l’engloutit toute entière. L’amour pour son bébé.

     

    « Je l’aime d’une façon qui n’existe pas, avec la force de la mer déchaînée »

     

    Mère trop seule, mère angoissée, traversée de sentiments totalement ambivalents, contradictoires, d’émotions trop violentes qu’elle voudrait partager avec l’homme qu’elle aime.

     

    « Je crois que je vais l’avaler, la remettre dans mon ventre, pour que tout redevienne simple, que tu sois près de moi. »

     

    Lui est totalement obnubilé par son art et ses angoisses de musicien, pas prêt en réalité à être père, lui qui doit surpasser lui-même un père absent qui avait finit par quitter sa mère alors qu’il avait douze ans, un père qu’il déteste mais qui demeure toujours aussi écrasant.

      

    « Ce salopard n’a jamais pris la peine de me regarder. Il ne m’a jamais vu. »

     

    Elle est devenue mère mais lui est encore cet enfant de douze ans qui veut tuer le père.

     

    Julie Bonnie a un rare talent de savoir si bien raconter ce moment extrêmement ambigu de l’entrée en maternité, ce passage initiatique souvent d’une grande violence où le corps est à la fois meurtri, abimé et magnifié, sublime d’animalité.

     

    C’est fou ce que le corps traverse. Toi, ton sexe est impeccable. Rien n’a changé. On peut difficilement parler d’égalité. Parce que, en ce qui me concerne… Tout a changé. Je me dis que je ne referai jamais l’amour. J’ai moins mal. Voilà de quoi je me contente. Et toi, tu joues au bout du monde. 

     

    La plus grande fragilité et la plus incroyable puissance se rejoignent là, au centre, dans le ventre des femmes. Julie Bonnie trouve les mots justes pour dire la peur, la colère, la détresse de la femme seule avec son bébé, cet « animal tyrannique » qui lui prend tout et dont elle tombe pourtant folle amoureuse, parfois instantanément, d’autres fois il faut un peu de temps, du temps pour s’habituer à toute cette confusion.

     

    Il y a une fille qui habite mon corps et qui préfèrerait être seule aujourd’hui. Sans homme, sans enfant. Je la balaie chaque fois qu’elle pointe le bout de son nez, mais elle murmure dans le creux de mon oreille que ma nouvelle vie est un cachot dont on ne sort plus. Je ne serai jamais plus celle que j’étais.

     

    Et la peur aussi de ne plus être la femme qui séduit l’homme qu’elle aime.

     

    Maintenant je suis la mère de ton enfant. Je suis la femme qu’on trompe.

     

    Et effectivement, même si elle ne le saura pas, lui qui ne sait pas être seul, se réveille avec Suzanne. Suzanne qui suivra la tournée, Suzanne... « Elle m’écoute, elle m’entend. »

     

    Sydney dit : « En tournée, ça ne compte pas mec, c’est comme un bonus de vie dans un jeu vidéo. »

      

    La fée qui lutte contre la rage de se sentir abandonnée avec un bébé de quatre jours, qui essaye pourtant d’écouter, d’entendre les problèmes de la tournée, les affres et les doutes de l’artiste totalement centré sur lui-même, tout pour ne pas voir ça comme de l’égoïsme, mais c’est trop, il est trop loin d’elle, aussi bien physiquement qu’en pensées, étranger à tout ce qu’elle vit, étranger au père qu’il devrait être et déjà trop proche du père qu’il ne voulait surtout pas être, le sien.

     

    Aussi, elle accepte de passer un peu de temps avec une connaissance, l’ami d’une amie, Georges. Georges-le-Géant, un peintre, un homme massif mais torturé par sa peinture. Une boule de feu. Un artiste encore, mais solitaire, sans public. D’ailleurs elle aussi était une artiste, le dessin, les illustrations, mais elle avait laissé ça de côté pour suivre son homme, comme si son art à lui importait plus que le sien.

     

    Nous marchons côte à côte, je suis rassurée. Georges est une ombre immense.

      

    Se promener avec Georges, parler avec Georges, manger un repas préparé par Georges, Georges qui va faire les courses pour remplir les placards vides car il faut manger et bien manger. « C’est un homme drôle, gentiment maladroit, prévenant, qui me prépare un repas délicieux. J’ai vraiment besoin qu’on s’occupe de moi.» Pouvoir confier Tess entre les grandes mains de Georges et prendre le temps d’une longue douche, prendre du temps, un tout petit peu de temps pour elle. Être dessinée endormie par Georges, un sein nourricier dénudé, rendue belle dans la plénitude de ses courbes, abandonnées au sommeil, elle et l’enfant, et pouvoir s’aimer à nouveau, aimer son corps à travers ce dessin griffonné au stylo. « Équilibre, sensualité. Il me plait le corps de cette fille, sur le carton ». Tous ces petits moments comme des petits morceaux d’ouate, vont plonger la nouvelle maman dans un présent à vivre ici et maintenant. George empêtré dans son grand corps est touché par elle, touché par Tess. Quelqu’un d’attentif, attentionné, effrayant un peu car vraiment étrange, habité de visions, mais qui est là, qui la voit, qui prend soin d’elle, la nourrit, la soulage de cette solitude impossible avec un bébé. Et Julie Bonnie écrit pour ces femmes, ces femmes qui culpabilisent de ne pas y arriver, de ne pas être ce qu’on attend d’elle, juste heureuses et parfaites. La maternité dans la vie d’une femme c’est bien plus complexe, bien plus dévastateur qu’une image d’Épinal, cela demande un courage inouï, c’est aussi grandiose que brutal, et pas une femme n’est pareille à une autre, mais pour toutes, l’isolement est une chose terrible.

      

    Mes émotions, mon amour, sont d’une violence si incontrôlable et me laissent vulnérable. Si vulnérable.

      

    Et en même temps, cela donne une force toute aussi inouïe.

     

    Ces lettres qui s’entremêlent, car chacun des personnages qui traversent ce roman viendra poser ses mots dans la trame et lui donner ainsi une richesse de sensations, d’expériences, de couleurs, d’émotions, de musiques. Des morceaux de vie comme des uppercuts et quelques échappées vers le rêve, voire le fantastique, sur lesquels planent les notes d’Almost Blue de Chet Baker.

     

    Une réussite encore Mon amour, qui nous touche profondément.

     

    Cathy Garcia

     

     

    Julie Bonnie.jpgNée à Tours le 3 mars 1972, Julie Bonnie a donné son premier concert à 14 ans. Chanteuse, violoniste, guitariste, elle a chanté dans toute l’Europe pendant dix ans avant de travailler en maternité jusqu’en 2013. Elle est l’auteur d’un premier roman, Chambre 2 (Belfond, 2013, Pocket, 2014), lauréat du prix du roman Fnac 2013.

     

     

     

  • Têtes blondes de Perrine Le Querrec

     éditions Lunatique, 4 juillet 2015. 80 pages, 8 euros.

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    En couverture, « La Main de Gaïa », photo d’Isabelle Vaillant.

     

    Abus, abandon, aliénation, agression, dépression, démence, isolement, paranoïa, peur, violences psychologiques, physiques et ce jusqu’à ce que mort s’ensuive… On retrouve dans ce recueil de nouvelles, au titre faussement léger, les thématiques qui travaillent au corps à corps Perrine Le Querrec, la vase dans laquelle sa plume va puiser. Ces têtes blondes, tantôt victimes, tantôt bourreaux, parlent d’enfance, de jeunesse saccagées par la folie des uns ou des autres, dans un climat toujours très oppressant, « comme à la maison où on doit sculpter sa place dans le marbre des cris », se dit la petite fille dans Fourmilière.

     

    Difficile de respirer, Perrine le Querrec écrit une langue d’apnée. Le lecteur est pris au piège.

     

    La première nouvelle nous happe dans un tourbillon de parures, de boutiques, de cabines d’essayage, et une enfant putain de sa mère qui n’a qu’un souhait, disparaître. Petite lolita contrainte par une mère toxique, on pense à Irina Ionesco et sa fille Eva.

     

    De même Foyer, peut faire penser au film Mommy du québécois Xavier Dolan.

     

    Des ambiances empesées comme des camisoles amidonnées, des bouches suturées, maison, foyer, couvent, société, dans lesquels on s’enferme ou se fait enfermer, abandonner, dépecer.

      

    Têtes blondes peut-être, mais surtout têtes coupées.

     

    Cathy Garcia

     

     

     

      

    103603315_o.jpgPerrine Le Querrec est née à Paris en 1968. Ses rencontres avec de nombreux artistes et sa passion pour l’art nourrissent ses propres créations littéraires et photographiques. Elle a publié aux Carnets du Dessert de Lune : Coups de ciseaux, Bec & Ongles (adapté pour le théâtre par la Compagnie Patte Blanche), Traverser le parc, La Patagonie et Pieds nus dans R. Et puis No control, Derrière la salle de bains, 2012 ; Jeanne L’Étang,  Bruit Blanc, avril 2013 ; De la guerre, Derrière la salle de bains, 2013 ; Le Plancher, Les doigts dans la prose, avril 2013. Elle vit et travaille à Paris comme recherchiste indépendante. Les heures d’attente dans le silence des bibliothèques sont propices à l’écriture, une écriture qui, lorsqu’elle se déchaîne, l’entraîne vers des continents lointains à la recherche de nouveaux horizons. Perrine Le Querrec est une auteure vivante. Elle écrit dans les phares, sur les planchers, dans les maisons closes, les hôpitaux psychiatriques. Et dans les bibliothèques où elle recherche archives, images, mémoires et instants perdus. Dès que possible, elle croise ses mots avec des artistes, photographes, plasticiens, comédiens. http://entre-sort.blogspot.be/

     

     

     

  • L’homme-sirène de Carl-Johan Vallgren

     

    Traduit du suédois par Martine Desbureaux 

     

    JC Lattès, février 2015

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     310 pages, 21,50 €

     

     

    Terriblement noir, mais captivant, ce roman pourrait tout aussi bien être classé dans les romans pour ados, car il s’agit d’une histoire qui les concerne directement. L’histoire d’une collégienne, Petronella, dit Nella et son petit frère collégien lui aussi, Robert : deux enfants qui ont tout pour en baver. Un père en prison, mais c’est pire quand il en sort, une mère alcoolique qui ne s’occupe pas du tout d’eux, pas d’argent et quasi pas d’amis. Le petit frère, surnommé Robbie, lui est carrément devenu le souffre-douleur d’une bande de tortionnaires un peu plus âgés. Il cumule les tares et ces brimades quotidiennes n’arrangent rien. Sa sœur fait tout ce qu’elle peut pour le défendre, le soutenir et s’en occuper à la place des parents défectueux. Pire que défectueux, des parents qui en rajoutent dans les problèmes au lieu de les régler. Les tortionnaires en question, surtout leur chef, Gérard, ne se contentent pas de harceler Robbie, leurs petits jeux qui n’ont rien de drôles, deviennent de plus en plus cruels, cela vire à la persécution pure et dure et Nella devient victime à son tour d’humiliations et de chantage, quand d’autres exactions de la bande prennent un tournant bien plus compliqué.

     

    Le frère et la sœur surnagent tant bien que mal, persuadés, et pas forcément à tort, qu’on ne peut compter sur les adultes, à part peut être, celui que Nella appelle le Professeur, un Hongrois très cultivé, collectionneur un peu fou, qu’ils avaient rencontré à la bibliothèque, mais lui-même vit seul en marge de la société. Pour Nella, Robbie le petit frère, c’est toute sa vie, il n’y a que lui qui compte, le protéger quel qu’en soit le prix.

     

    C’est dans ce contexte ultra déprimant que quelque chose ou plutôt quelqu’un d’incroyable, d’impossible même, va faire irruption. Nella a un seul copain, un seul, Tommy et Tommy a deux grands frères, deux pêcheurs et ce qu’ils ont ramené, puis caché suite à une pêche un peu frauduleuse en eaux danoises, est tout simplement impensable. Une créature qui n’existe pas, qui ne peut pas exister et qui catalyse comme Robbie toute la haine et la cruauté de ceux qui l’ont capturé par accident, eux et d’autres aussi… Cette créature a une force hors du commun mais elle a été frappée, torturée, blessée et elle ne peut retourner d’où elle vient sans aide et c’est Nella qui va entrer en communication avec elle. Nella aidée de Tommy qui vont tenter de réparer, mais il est difficile et même dangereux d’aller contre la bêtise et l’inconscience humaine.

     

    Ce roman tout en décrivant une réalité sociale suédoise peu connue, s’appuie sur le côté le plus obscur de l’Homme, à côté de laquelle un monstre des abysses parait comme un ange de lumière, cette ombre qui pousse dans n’importe quel terreau pour développer cruauté, sadisme, haine de l’autre, lâcheté, cupidité. Certains y succombent par faiblesse, d’autres par on ne sait quoi d’irrémédiablement mauvais en eux, ceux là pour qui faire du mal devient un sacerdoce.

     

    L’homme-sirène nous pose une question, et il n’y aura pas de réponse, car il est peut-être impossible d’aller contre la bêtise et l’inconscience humaine. Aussi la question reste en suspens, comme un rêve qui met du temps à se dissiper, quelque chose qu’on a faillit toucher du doigt et qui a disparu, et avec elle, l’espoir que les choses puissent être autrement.

     

    Cathy Garcia

     

     

    AVT_Carl-Johan-Vallgren_2317.jpgCarl-Johan Vallgren est né en 1964 en Suède. Il est l'auteur de 9 romans, mais aussi musicien (7 disques produits à ce jour, sous son nom). Il vit à Stockholm. Il a reçu en 2002 le prix August pour son roman Les Aventures fantastiques d’Hercule Barfuss (Lattès, 2011). Traduit en 25 langues, ce livre a conquis le marché international et est devenu un best-seller dans plusieurs pays dont l’Italie, la Russie et l’Allemagne.

     

     

    Note publiée sur la Cause Littéraire.

     

     

     

  • asinus in fabula de Guido Furci

     

    Cardère, avril 2015

     

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    61 pages,12 €

     

    Comme une comptine à tue-tête, un refrain qui s’entête, asinus in fabula, c’est bizarre, c’est étrange et ça remue en dedans, ça nous embarque, nous entraîne comme un manège un peu fou, une comptine un peu noire, un peu effrayante même, « comme les coiffures des années 80 », comme le joueur de flûte de Hamelin qui viendrait chercher les mots pour aller les perdre quelque part, loin, là où ils ne pourraient plus dire le « cauchemar cauchemardesque », parce qu’ici les mots tricotent un texte de douleur et il faut absolument le détricoter. Au beau milieu des mots, un âne s’envole pour la lune, car il a les oreilles en forme d’hélice, vrillées c’est sûr, à force d’écouter la ritournelle qui s’emballe, tricote, détricote, et à la fin, les mots se répètent mais c’est raturé, barré, terminé, annulé. Asinus in fabula c’est dans la tête, un manège dans la tête qui rend un peu fou, un peu cruel et absurde, comme la mort quand elle prend un enfant de trois ans, un enfant comme Nicolas qui avait une maladie rare, Nicolas le cousin de Marion, moi je ne l’ai pas dit, c’est dans le livre et ça n’y est pas, c’est comme ça qu’on peut parler de ce qui ne tient pas dans les mots, alors on les jette en l’air, on les bat, on les mélange, on les rebat

     

    Avant que la nuit tombe

    Avant de tomber par terre

     

    asinus in fabula c’est drôle parfois car le rire c’est du désespoir barré, c’est de l’enfance, de la poésie, de la poésie dans un livre, mais peut-être pas, peut-être que « c’est juste un courant d’air », qui s’échappe par une portée de silence.

     

    Cathy Garcia

     

     

    guido furci.jpgGuido Furci (1984) a fait ses études à l’université de Sienne et à l’université de Paris 3 – Sorbonne Nouvelle. Il a également été élève de la sélection internationale à l’École normale supérieure de Paris (section Lettres et Sciences Humaines) et visiting scholar au département de littérature française de l’université de Genève. Actuellement boursier de la FMS (Fondation pour la Mémoire de la Shoah), il poursuit son travail de thèse entre la France et les États-Unis. A déjà publié : Figures de l’exil, géographies du double. Notes sur Agota Kristof et Stephen Vizinczey (par Marion Duvernois et Guido Furci) – Giulio Perrone Editore, Rome, 2012 ;  Fin(s) du monde (textes rassemblés par Claire Cornillon, Nadja Djuric, Guido Furci, Louiza Kadari et Pierre Leroux, Centre d’études et de recherches comparatistes, université Sorbonne nouvelle Paris 3) – Pendragon, Bologne, 2013.

     

     

    Pour se procurer asinus in fabula : http://www.cardere.fr/ficheLivre.php?idLivre=252

     

     

     

  • Restos humanos de Jordi Soler

     

    traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu

    Belfond, mars 2015

     

     

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    170 pages, 17,50 €.

     

     

    Difficile d’être un saint au Mexique, même si cette étrange vocation nous taraude comme elle taraude Empédocle, fils secret d’un curé licencieux qu’il appelait oncle, de même que son frère cadet, qui lui par contre ne vise pas la sainteté, mais le pouvoir et l’argent comme bien d’autres énergumènes qui garnissent ce roman. Un roman qui trace le portrait sans concession d’une société où la corruption est sans limite et les scrupules aussi volatiles que la vertu et la morale. Ainsi Empédocle, qui dans la vie ne s’est fixé d’autre but que d’aider ses semblables à s’améliorer, usant aussi bien d’inspiration jungienne, que de tarots et tout un méli-mélo new-ageux, aura bien du mal à se tenir à la sienne. Promenant sa sainteté autoproclamée qu’il s’offre de partager avec qui voudra, entre le marché et le bordel local, sa vocation est cependant réelle et affirmée, renforcée par les quolibets, les insultes et les volées de denrées plus ou moins avariées qu’il ne manque pas de recevoir sur son passage. Vêtu de ses sandales et d’une longue tunique blanche, sorte de christ bouffon et improbable au XXIe siècle, il est la risée de la plupart et révéré cependant par quelques bonnes femmes du cru. Tout aurait pu continuer longtemps comme ça, si seulement il n’était pas si difficile de suivre un chemin droit et immaculé au Mexique, surtout donc avec un frère qui suit un chemin totalement inverse, qui tendrait à devenir de plus en plus sulfureux, car rien n’est assez mauvais si ça permet de gravir l’échelle du pouvoir. C’est ainsi que notre ascète accroché à sa vocation coûte que coûte, bien décidé à ne pas se laisser déstabiliser par la peur ou la colère, se retrouve peu à peu au cœur de toutes sortes de trafics, sa cuisine transformée en magasin d’organes, sa maison en bordel clandestin, puis carrément associé, et toujours malgré lui, à la maffia russe et à des magouilles de plus en plus écœurantes, jusqu’à ne plus savoir qui il est et ce qu’il en est de sa sainteté, qui est devenue en fait un instrument de malfaisance entre les mains de son frère et ses comparses.

     

    Un roman aussi loufoque que cruel sur l’absurdité de la société, ici mexicaine, une parmi d’autres, gangrénée jusqu’à la moelle, la face puante du pouvoir, l’exploitation sans vergogne de toute misère et où tout est bon pour faire de l’argent, où en un clin de bistouri, chacun peut finir en fournisseur de pièces détachées. C’est un roman où l’humanité se résume à son avidité, c’est lamentable mais c’est drôle et en cela Restos humanos trouve sa place dans toute une littérature typiquement latino-américaine.

     

    Cathy Garcia

     

     

      

    ob_223114_jordi-soler-c-ulf-andersen-juillet-2016.jpgJordi Soler est né en 1963 près de Veracruz, au Mexique, dans une communauté d’exilés catalans fondée par son grand-père à l’issue de la guerre civile espagnole. Il a vécu à Mexico puis en Irlande avant de s’installer à Barcelone en 2005 avec sa femme, Franco-Mexicaine, et leurs deux enfants. Il est reconnu par la critique espagnole comme l’une des figures littéraires les plus importantes de sa génération. Cinq de ses livres ont été traduits en français : Les Exilés de la mémoire (Belfond, 2007), La Dernière Heure du dernier jour (Belfond, 2008), La Fête de l'ours (Belfond, 2011), Dis-leur qu’ils ne sont que cadavres (Belfond, 2013) et Restos Humanos (Belfond, 2015). Tous sont repris chez 10/18.

     

    Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

  • Cigogne (nouvelles) de Jean-Luc A. d’Asciano

     

    Serge Safran éditeur – 5 mars 2015

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    184 pages, 16,90 €.


      

    C’est un véritable et déconcertant régal que nous sert ici Jean-Luc d’Asciano, en sept nouvelles, ciselées comme des joyaux rares, sept nouvelles étranges, dérangeantes, on en frissonne souvent. C’est beau et puis noir et mystérieux comme un lac profond. On navigue entre portraits de personnages atypiques, réalité sociale et contes initiatiques forcément un peu cruels, et drôles aussi. L’enfance y est très présente avec tout son potentiel de création et de destruction et puis des animaux, beaucoup d’animaux. En fait, c’est difficile à classer car c’est vraiment très original, l’auteur nous embarque dans un imaginaire d’une très grande richesse et on comprend tout de même que c’est le réel qui a servi de matériel de base, le réel comme une vase épaisse où puiser des choses qui paraissent si invraisemblables qu’elles sont forcément vraies. Il y est question des folies de chacun, des différences qui font que chaque humain est un continent à lui tout seul et de l’acceptation aussi, de la force du lien et de l’amour. Ainsi on y rencontrera bien-sûr une cigogne, qui a donné son nom à l’ensemble, mais aussi des frères siamois, une superbe trilogie chamane, inclassable, entre chasse aux cerfs, cirques et corbeaux, et puis un sdf doté d’antennes ultrasensibles qui trouve un abri sous la protection de l’esprit des ronces et un schizophrène reclus qui tente d’être lui-même dans un monde qui a du mal à lui laisser une place. Différentes façons d’y être justement, différentes façon de l’aborder ce monde, de le comprendre et quand la magie opère alors « la grimace arrive, la grande grimace, sa préférée : tout son visage se plisse, s’illumine, puis s’apaise en un immense, unique et calme sourire. »


    Cathy Garcia


      


    Jean-Luc d'Asciano.jpgJean-Luc A. d’Asciano est né à Lyon, mais a grandi à Nantes. Passe un doctorat de littérature et psychanalyse. Écrit des articles sur le roman noir, l’architecture, les arts contemporains ou la cuisine. Fonde les éditions de L’Œil d’or où il publie Petite mystique de Jean Genet (2007). Cigogne est son premier livre de fiction, premier recueil de nouvelles.


     

      

     

    Cette note paraîtra sur la Cause Littéraire

    http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Le Succube du tyran, Pascal Pratz

     

    Éditions Lunatique, collection 36e DEUX SOUS, avril 2015.

     

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    32 pages, 4 €.

     

     

    On l’avale tout cru ce petit bouquin des éditions Lunatiques ! Aussi drôle que triste et pathétique finalement, comme le sont tous les tyrans, pathétiques je veux dire, mais on jubile à la lecture de cette courte mais dense satyre. Dense parce que tout y est, toute la panoplie et les délires des affreux qui tachent et pourrissent le monde de leur folie sanguinaire, avec leur cour de polichinelles cupides et tordus, imbéciles malsains au-delà du possible, qu’importe le nom du tyran, ils se ressemblent tous, à croire qu’ils sortent du même moule, et vrai que la meilleure des armes avec eux, ça pourrait bien être le ridicule. Le ridicule ne tue pas, dit-on et bien dans Le Succube du tyran, il tue, avec en renfort quelques potions et gouttes tantôt diurétiques, tantôt laxatives, aphrodisiaques ou bois débandé… « C’est un texte un peu potache » en dit l’auteur, la dernière cartouche peut-être dans un monde où de nouveaux genre de tyrans pullulent et se pavanent, le genre dont on n’a même pas envie de se moquer dans des livres, quoique… Parce que Pascal Pratz a raison sans doute en disant que « le rire potache est devenu, aujourd’hui, hélas, un très beau combat. » En tout cas, il nous régale d’un texte rageur, impertinent, et vraiment bien écrit, ce qui ne gâche rien, on aurait envie d’en tirer une pièce de théâtre. On ne peut pas se moquer de tout, mais du tyran, non seulement on peut, mais on doit se moquer. Et ouvertement si possible !

     

    Cathy Garcia

     

      

    Pascal Pratz.jpgPascal Pratz est ce qu’il est convenu d’appeler un touche-à-tout. Après des études (brillantes) en physique, il fut tour à tour et tout à la fois professeur de physique, mari (trois fois), musicien, chanteur, père (en cinq exemplaires dont il ne reste que quatre, hélas), peintre, photographe, écrivain et, finalement, éditeur, créant, en 2008, les éditions associatives Asphodèle. Il est aujourd’hui l’auteur d’une dizaine de livres dont deux romans (éd. du Petit Pavé), de récits, de nouvelles et d’un recueil d’aphorismes aux éd. Durand Peyroles.