Louis Savary
on ne fait pas
la poésie
elle est
déjà faite
in Opium de personne
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on ne fait pas
la poésie
elle est
déjà faite
in Opium de personne
L’état amoureux semble être son état naturel et donner le la à toutes ses émotions. C’est une inclination permanente face à tout ce qui l’entoure. Il voudrait bien sortir de ce nuage qui brouille ses pensées et rend chaque pas hasardeux, mais la ridicule blessure ne se referme pas. Il tombe amoureux à tous les coins de rue. D’une voix, d’un visage, d’un chat, d’un chien, d’un grillon, d’un jardin, d’un ciel d’hiver ou de printemps. Cette énamoration chronique lui donne un air idiot, il le sait bien, c’est pourquoi il travaille à se composer d’autres visages, plus détachés, plus rusés, plus conformes. Il dissimule du mieux qu’il peut l’encombrante plaie sous des froideurs factices, de fausses exécrations.
Tâter aux ruines des rues
Avec un air de montgolfière
Proposer un nuage aux dames de mes rencontres
in Orage
et si l’homme
entre oubli et secret
accrochait les amarres du vivre
au revers de ses songes
in Au juste amont du songe
Faudrait voir à cesser de nous prendre pour des cons
Bon, bien-sûr, je ne dis pas que quelquefois, peut-être…
Hier, on est allé à la chasse aux poètes
Faut pas croire, ça giboie, et en toute saison
Ce qui vole à douze pieds, c’est pas d’la petite bière
C’est du gibier, mon gars, qu’on prend plaisir à voir
Les ailes déployées pour cinq minutes de gloire
Entre nous, on le surnomme « les beaux de l’air »
in La chasse aux poètes
en des temps ralentis
ils prononcent
l’élégie du silence
qui s’ébruitera jusqu’aux berges
où l’on devient caillou
in Au juste amont du songe
J’ai toujours peur
de mon visage
dans le regard de l’autre
J’ai toujours peu parce qu’obscurément je sais
que je suis coupable de tout
Pensez :
Je viens d’ailleurs
Ma voix est rauque
je suis différent
Mon sang
a coulé d’un feuillage inconnu
ici
j’ai toujours peur
Et pourtant
j’aimerais avec chacun
parler
de la pluie
et du beau temps
leur montrer à tous
les vieilles photos jaunies
de là-bas
du pays
Mais je ne peux pas
faire le premier geste
car j’ai toujours peur
Mais je vous demande
Pardon
in Avec ma gueule de métèque
« Que fais-tu grand-mère, assise là, dehors, toute seule ? »
Eh bien, vois-tu, j’apprends. J’apprends le petit, le minuscule, l’infini. J’apprends les os qui craquent, le regard qui se détourne. J’apprends à être transparente, à regarder au lieu d’être regardée. J’apprends le goût de l’instant quand mes mains tremblent, la précipitation du cœur qui bat trop vite. J’apprends à marcher doucement, à bouger dans des limites plus étroites qu’avant et à y trouver un espace plus vaste que le ciel.
« Comment est-ce que tu apprends tout cela grand-mère ? »
J’apprends avec les arbres, et avec les oiseaux, j’apprends avec les nuages. J’apprends à rester en place, et à vivre dans le silence. J’apprends à garder les yeux ouverts et à écouter le vent, j’apprends la patience et aussi l’ennui ; j’apprends que la tristesse du cœur est un nuage, et nuage aussi le plaisir; j’apprends à passer sans laisser de traces, à perdre sans retenir et à recommencer sans me lasser.
« Grand-mère, je ne comprends pas, pourquoi apprendre tout ça ? »
Parce qu’il me faut apprendre à regarder les os de mon visage et les veines de mes mains, à accepter la douleur de mon corps, le souffle des nuits et le goût précieux de chaque journée ; parce qu’avec l’élan de la vague et le long retrait des marées, j’apprends à voir du bout des doigts et à écouter avec les yeux. J’apprends qu’il faut aimer, que le bonheur des autres est notre propre bonheur, que leurs yeux reflètent dans nos yeux et leurs cœurs dans nos cœurs. J’apprends qu’on avance mieux en se donnant la main, que même un corps immobile danse quand le cœur est tranquille. Que la route est sans fin, et pourtant toujours exactement là.
« Et avec tout ça, pour finir, qu’apprends-tu donc grand-mère ? »
J’apprends, dit la grand-mère à l’enfant, j’apprends à être vieille !
in J'apprends
Il court sous les jupes de la Tour Eiffel. Quelle santé de fer ! Paré pour vivre centenaire. Ces gens qui renient le temps, qui passent et emprisonnent leur vingt ans à coups de bistouri et d’hygiène de vie, ces gens, sans âge, quoiqu’ils fassent, ont la tête d’une cage avec leur jeunesse dedans.
Pour l’instant l’humanité se cherche :
Pas facile de descendre de l’homme,
il s’arrête jamais.
in Petite suite sur une espèce en voie de mutation
J’ai pour mission le vent des plaines
Et des orages
in La mort est plus futée qu’une souris
Nous sommes sans limites
Et l'abondance est notre mère.
Pays ceinturé d'acier
Aux grands yeux de lacs
À la bruissante barbe résineuse
Je te salue et je salue ton rire de chutes.
Pays casqué de glaces polaires
Auréolé d'aurores boréales
Et tendant aux générations futures
L'étincelante gerbe de tes feux d'uranium.
Nous lançons contre ceux qui te pillent et t'épuisent
Contre ceux qui parasitent sur ton grand corps d'humus
et de neige
Les imprécations foudroyantes
Qui naissent aux gorges des orages.
in Totems
Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dent,
par la faim sans dent,
poussière mâchée par des dents qui sont siècles, par des
siècles qui sont famines,
dis-moi, jarre brisée, tombée en pousière, dis-moi,
la lumière naît-elle d’un os frotté contre un autre, d’un
homme contre un autre, d’une faim contre une autre,
jusqu’à l’étincelle, le cri, la parole,
jusqu’à ce que jaillisse enfin l’eau et que croisse l’arbre aux
grandes feuilles de turquoise ?
in Liberté sur Paroles
Etoiles salvatrices
boussoles des égarés
Paroles s’envolent sur le dos
De l’oubli
Ou alors c’est la nuit
qui s’éveille et se promène dans ma tête
et court dans ma poitrine sans un bruit
en plein jour