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CITATIONS - Page 137

  • Christian Monginot

     

     

    L’état amoureux semble être son état naturel et donner le la à toutes ses émotions. C’est une inclination permanente face à tout ce qui l’entoure. Il voudrait bien sortir de ce nuage qui brouille ses pensées et rend chaque pas hasardeux, mais la ridicule blessure ne se referme pas. Il tombe amoureux à tous les coins de rue. D’une voix, d’un visage, d’un chat, d’un chien, d’un grillon, d’un jardin, d’un ciel d’hiver ou de printemps. Cette énamoration chronique lui donne un air idiot, il le sait bien, c’est pourquoi il travaille à se composer d’autres visages, plus détachés, plus rusés, plus conformes. Il dissimule du mieux qu’il peut l’encombrante plaie sous des froideurs factices, de fausses exécrations.

     

     

     

  • Pascal Perrot

     

    Faudrait voir à cesser de nous prendre pour des cons

     Bon, bien-sûr, je ne dis pas que quelquefois, peut-être…

     Hier, on est allé à la chasse aux poètes

     Faut pas croire, ça giboie, et en toute saison

     

    Ce qui vole à douze pieds, c’est pas d’la petite bière

     C’est du gibier, mon gars, qu’on prend plaisir à voir

     Les ailes déployées pour cinq minutes de gloire

     Entre nous, on le surnomme « les beaux de l’air »

      

    in La chasse aux poètes

     

     

     

  • André Laude

     

      

    J’ai toujours peur

     de mon visage

     dans le regard de l’autre

     J’ai toujours peu parce qu’obscurément je sais

     que je suis coupable de tout

     

      

    Pensez :

     Je viens d’ailleurs

     Ma voix est rauque

     je suis différent

     Mon sang

     a coulé d’un feuillage inconnu

     ici

     j’ai toujours peur

     Et pourtant

     j’aimerais avec chacun

     parler

     de la pluie

     et du beau temps

     leur montrer à tous

     les vieilles photos jaunies

     de là-bas

    du pays

     

    Mais je ne peux pas

     faire le premier geste

     car j’ai toujours peur

     Mais je vous demande

     Pardon

     

     

    in Avec ma gueule de métèque

     

     

     

     

  • Joshin Luce Bachoux

     

    « Que fais-tu grand-mère, assise là, dehors, toute seule ? »

    Eh bien, vois-tu, j’apprends. J’apprends le petit, le minuscule, l’infini. J’apprends les os qui craquent, le regard qui se détourne. J’apprends à être transparente, à regarder au lieu d’être regardée. J’apprends le goût de l’instant quand mes mains tremblent, la précipitation du cœur qui bat trop vite. J’apprends à marcher doucement, à bouger dans des limites plus étroites qu’avant et à y trouver un espace plus vaste que le ciel.

    « Comment est-ce que tu apprends tout cela grand-mère ? »

    J’apprends avec les arbres, et avec les oiseaux, j’apprends avec les nuages. J’apprends à rester en place, et à vivre dans le silence. J’apprends à garder les yeux ouverts et à écouter le vent, j’apprends la patience et aussi l’ennui ; j’apprends que la tristesse du cœur est un nuage, et nuage aussi le plaisir; j’apprends à passer sans laisser de traces, à perdre sans retenir et à recommencer sans me lasser.

    « Grand-mère, je ne comprends pas, pourquoi apprendre tout ça ? »

    Parce qu’il me faut apprendre à regarder les os de mon visage et les veines de mes mains, à accepter la douleur de mon corps, le souffle des nuits et le goût précieux de chaque journée ; parce qu’avec l’élan de la vague et le long retrait des marées, j’apprends à voir du bout des doigts et à écouter avec les yeux. J’apprends qu’il faut aimer, que le bonheur des autres est notre propre bonheur, que leurs yeux reflètent dans nos yeux et leurs cœurs dans nos cœurs. J’apprends qu’on avance mieux en se donnant la main, que même un corps immobile danse quand le cœur est tranquille. Que la route est sans fin, et pourtant toujours exactement là.

    « Et avec tout ça, pour finir, qu’apprends-tu donc grand-mère ? »

    J’apprends, dit la grand-mère à l’enfant, j’apprends à être vieille !

        in J'apprends

     

     

     

  • Fabrice Marzuolo

     

    Il court sous les jupes de la Tour Eiffel. Quelle santé de fer ! Paré pour vivre centenaire. Ces gens qui renient le temps, qui passent et emprisonnent leur vingt ans à coups de bistouri et d’hygiène de vie, ces gens, sans âge, quoiqu’ils fassent, ont la tête d’une cage avec leur jeunesse dedans.

     

     

     

  • Pierre Bastide

     

     

    Pour l’instant l’humanité se cherche :

     

    Pas facile de descendre de l’homme,

     

    il s’arrête jamais.

     

     

     in Petite suite sur une espèce en voie de mutation

     

     

     

     

  • Gilles Hénault

     

    Nous sommes sans limites
    Et l'abondance est notre mère.
    Pays ceinturé d'acier
    Aux grands yeux de lacs
    À la bruissante barbe résineuse
    Je te salue et je salue ton rire de chutes.
    Pays casqué de glaces polaires
    Auréolé d'aurores boréales
    Et tendant aux générations futures
    L'étincelante gerbe de tes feux d'uranium.
    Nous lançons contre ceux qui te pillent et t'épuisent
    Contre ceux qui parasitent sur ton grand corps d'humus
    et de neige
    Les imprécations foudroyantes
    Qui naissent aux gorges des orages.

    in Totems

     

     

     

  • Octavio Paz

     

    Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dent,

    par la faim sans dent,

    poussière mâchée par des dents qui sont siècles, par des

    siècles qui sont famines,

    dis-moi, jarre brisée, tombée en pousière, dis-moi,

    la lumière naît-elle d’un os frotté contre un autre, d’un

    homme contre un autre, d’une faim contre une autre,

    jusqu’à l’étincelle, le cri, la parole,

    jusqu’à ce que jaillisse enfin l’eau et que croisse l’arbre aux

    grandes feuilles de turquoise ?

     

     

     in Liberté sur Paroles