Marguerite Yourcenar
Je pensais avec un serrement au cœur, que rien n'est plus lent
que la véritable naissance d'un homme.
in Mémoires d'Hadrien
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Je pensais avec un serrement au cœur, que rien n'est plus lent
que la véritable naissance d'un homme.
in Mémoires d'Hadrien
Tu as tous les visages et aucun,
Tu es toutes les heures et aucune,
Tu ressembles à l'arbre et au nuage,
Tu es tous les oiseaux plus un astre,
Tu ressembles au tranchant de l'épée
Et à la coupe de sang du bourreau,
Lierre qui avance, enveloppe et déracine
L'âme et la divise d'elle-même,
Écriture de feu sur le jade,
Crevasse dans la roche, reine des serpents,
Colonne de vapeur, source dans le roc,
Cirque lunaire, pic des aigles,
Grain d'anis, épine minuscule
Et mortelle qui donne des peines immortelles.
Mets-moi en mouvement
fais que je tourne
que je me torde et me tende
vers les bruits et les voix qui appellent.
Porte-moi à bout de lèvres
fais moi une échelle avec tes mots
sois le sabre
ouvre-moi en dedans
là où ça résiste encore
pour que je ressente mieux le monde.
Remplis-moi de ta force vive
et de ta sève d’homme
je veux dire d’humain
qui sait étreindre la douleur
pour en faire autre chose.
Fais-moi vivante.
Mets en moi le mouvement
saisis-moi au cœur et aux hanches
Serre-moi à réunir tous mes morceaux.
Je tremble autant que les feuilles brunes
et l’automne qui s’effraie déjà des pas de l’hiver.
Serre-moi dans le chaud de tes bras
et de tes mots d’amour.
Je n’avais plus où me blottir avant toi.
Fais-moi vivante.
in Rose
- Tu sais Charly, il faut aimer... Il faut aimer dans la vie, beaucoup. Ne jamais avoir peur de trop aimer. C'est ça le courage... Ne sois jamais égoïste avec ton cœur. S'il est rempli d'amour alors montre-le. Sors-le de toi, et montre-le au monde... Il n'y a pas assez de cœurs courageux... Il n'y a pas assez de cœur en dehors... C'est de ton bonheur dont je te parle... Pour que ta vie sois belle, aime le plus possible. Et n'aie jamais peur de souffrir. Et méprise ceux qui te mettront en garde. Ils seront moins heureux que toi. Ceux qui redoutent la souffrance ne croient pas en la vie.
in Le Cœur en dehors
Rien n’est plus proche au monde du courage que le désespoir…
in Le dernier grenadier du monde
Le diable sort au chant du corbeau
La première nuit à tire-d’aile, nous avons pris notre envol.
Tout juste sortis de l’enfer, nous avons niché
dans l’arbre à lunes
parce que l’arbre de vie
était chargé de citrons
et que l’arbre de mort
avait blanchi sous les cocons laiteux des anges.
Nous avons secoué l’arbre et les lunes
sont tombées à côté des crânes de mastodonte
éraflés et abrasés par le sable.
Respect pour les hommes, respect pour leurs âmes invisibles, ou si rarement, si pathétiquement devinées ; respect pour leurs tristes corps qu’eux-mêmes ne respectent pas, se contentant de les chérir, de les torturer, ou de les nier. Respect pour les choses dont les hommes abusent avec plus d’inconscience encore, et qu’ils traitent plus mal qu’ils ne le font de leur propre cœur. Respect pour le silence, plein de pressentiments des voix futures ; respect pour le passé, qui est présent, comme dans l’écrin, la marque laissée par la bague disparue, et respect pour l’instant présent, qui ira bientôt s’ajouter au passé, attiré par l’aimantation du Temps. Respect pour les anges qui sont nos gardiens et sont peut-être nos âmes ; respect pour nos démons aussi, qui ne sont que l’ombre portée par nos anges. Respect pour Dieu, même s’il n’est pas, parce que ne pas être n’est après tout qu’une manière un peu plus noble et plus pure d’exister, et parce que nous le possédons du moins sous forme de désir et d’attente. Respect pour l’amour, que les hommes et les femmes ne respectent plus, parce qu’ils ont peur qu’on les oblige à en être dignes.
Extrait d’un hommage à Reiner Maria Rilke, 1936
joggeuse de grand fond, tu cours
jusqu’au bout du continent
jusqu’au bout du siècle
champs minés, océans, naufrages
jets de plomb et de sang
squelettes en pile
le long de ton chemin
tu repousses ce que tu hais
cette panoplie d’objets blessants
à la portée de n’importe quelle bouche
de n’importe quelle main
mensonges, rancunes et petits fusils
tu cours, tu voles
tu vas vers la beauté
tes bras acrobates
tes paumes
béantes
in La marathonienne
J'écris pour me taire.
Life will break you. Nobody can protect you from that, and living alone won’t either, for solitude will also break you with its yearning. You have to love. You have to feel. It is the reason you are here on earth. You are here to risk your heart. You are here to be swallowed up. And when it happens that you are broken, or betrayed, or left, or hurt, or death brushes near, let yourself sit by an apple tree and listen to the apples falling all around you in heaps, wasting their sweetness. Tell yourself you tasted as many as you could.”
La vie te brisera. Personne ne peut te protéger de cela, et vivre seul non plus, car la solitude te brisera aussi avec sa nostalgie. Tu dois aimer. Tu dois ressentir. C'est la raison pour laquelle tu es ici sur terre. Tu es là pour risquer ton cœur. Tu es là pour te faire avaler. Et quand il arrive que tu sois cassé, trahi, ou abandonné, ou blessé, ou que la mort balaye tout près, assieds-toi près d'un pommier et écoute les pommes tomber en tas tout autour de toi, dilapidant leur douceur. Dis-toi que tu en as goûté autant que tu as pu.
(ma traduction)
Là où le sol s’est enlaidi, là où toute poésie a disparu du paysage, les imaginations s’éteignent, les esprits s’appauvrissent, la routine et la servilité s’emparent des âmes et les disposent à la torpeur et à la mort. Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitaient la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves, détérioraient les climats, entouraient les cités de zones marécageuses et pestilentielles ; puis, quand la nature, profanée par eux, leur était devenue hostile, ils la prenaient en haine, et, ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissaient de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois.
in Du Sentiment de la nature dans les sociétés modernes, 1866
ce soir
la faim lui a carrément coupé l'appétit
ce soir
elle ne serait pas contre une petite cure d'intoxication
ce soir
il n'y a qu'elle et le vent
sur le balcon plein sud
elle et le vent et les bleus sur ses jambes
pas sûr que ce soit la parole du Seigneur
qui fasse fredonner son cœur
Ces choses auxquelles nous apportons tout notre soutien
n’ont rien à voir avec nous,
et nous nous en occupons
par ennui par peur par avidité
par manque d’intelligence ;
notre halo de lumière et notre bougie
sont minuscules,
si minuscules que nous ne le supportons pas,
nous nous débattons avec l’Idée
et perdons le Centre :
tout en cire mais sans la mèche,
et nous voyons des noms qui jadis signifièrent sagesse,
comme des panneaux indicateurs dans des villes fantômes,
et seules les tombes sont réelles.
Ma bougie brûle par les deux bouts ;
Elle ne passera pas la nuit ;
Mais ah, mes ennemis, et oh, mes amis —
Elle donne une belle lumière !
Écoute, mon cœur ; dans cette flûte chante
la musique du parfum des fleurs sauvages,
des feuilles étincelantes et de l'eau qui brille;
La musique d'ombres sonores, d'un bruit d'ailes
et d'abeilles.
La flûte a ravi son sourire des lèvres
de mon ami et le répand sur sa vie.
in La corbeille de fruits