Werner Lambersy
je suis
Dans ce malaise
De savoir que la beauté existe
Sans que je sache
Ce que je puis espérer encore
D’elle et du monde
Dans l’horreur de son retrait
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je suis
Dans ce malaise
De savoir que la beauté existe
Sans que je sache
Ce que je puis espérer encore
D’elle et du monde
Dans l’horreur de son retrait
Ce sont mes voix qui chantent
pour qu’ils ne chantent pas, eux,
les muselés grisement à l’aube
les vêtus d’un oiseau désolé sous la pluie.
Il y a, dans l’attente,
une rumeur de lilas qui se brise.
Et il y a, quand vient le jour,
un morcellement du soleil en petits soleils noirs.
Et quand c’est la nuit, toujours,
une tribu de mots mutilés
cherche asile dans ma gorge,
pour qu’ils ne chantent pas, eux,
les funestes, les maîtres du silence.
in Les travaux et les nuits, traduction de Jacques Ancet
J'ignorais que tout poème
est une émeute
maintenant je sais
qu'il peut ébranler
l'ordre de l'univers
les cloches sonnent sans raison et nous aussi
nous marchons pour échapper au fourmillement des routes
avec un flacon de paysage une maladie une seule
une seule maladie que nous cultivons la mort
je sais que j’en porte la mélodie en moi et n‘en ai pas peur
J'ai travaillé dur à ajourer la chambre, creusant dans les murs de larges ouvertures,
pour décrocher le soir venu les étoiles des branches nues.
Des grosses pierres blanches et lisses
Quelques arbres plus loin
Un peintre vide son encrier
À grandes ailes passe un aigle
Nul ne le voit ni l’entend
Seul le pinceau sait où il se trouve
Le soir plus personne sinon l’eau toujours
in Homme Montagne
Mais dans nos sociétés riches et prétentieuses, ce trop-plein d’antennes est sévèrement puni. Les sans-fard inspirent la honte et le mépris, alors ils fanent ou enragent, et c’est le début de l’enfer. On les met dans des hôpitaux, on les force à manger des médicaments pour les remettre droit, on leur enlève la parole puisqu’ils parlent mal la langue de papa et maman, on leur enlève leurs droits, parfois leurs noms.
in Prologue de Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?
nous tenons debout par erreur entre nos mains tout s’effiloche nos pas mènent à des soleils mous seuls les sucs digestifs du Rien assurent notre rédemption puisque nulle horloge ne vient confirmer notre perception des miracles
in Une brèche dans la tapisserie des ombres
Aujourd’hui les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien.
Là où les Hommes oublient d’aller
les montagnes sont criblées de fleurs et de trous de serrures
orbites creuses des géants
bouche de la fée pétrifiée dans le sel
des enfants d’argile
des galeries pour l’âme
Si je marche là-bas
ma clé imaginaire ouvre toutes les portes
les sanctuaires dans la roche
La poésie toujours a sa demeure dans le ventre des montagnes
là où toutes les pierres ont un visage
À sa naissance, l’homme est faible et malléable. Quand il meurt, il est dur de chair et de cœur. Le bois de l’arbre qui pousse est tendre et souple. Quand il sèche et perd sa souplesse, l’arbre meurt. Cœur sec et force sont les compagnons de la mort. Malléabilité et faiblesse expriment la fraîcheur de l’existant. C’est pourquoi ce qui a durci ne peut vaincre.
De la souffrance vient la sensibilité dont naît l’intelligence..
Tout le monde parle de savoir-vivre, mais personne du savoir-souffrir..
Ce qui importe ce n’est pas le poids qui t'accable, c’est comment tu te courbes pour ne pas casser..
Ce n’est pas le bruit qui t’abasourdit, c’est comment tu écoutes les murmures du monde..
Ce n’est pas la force du vent qui t'emporte, c’est comment tu hisses tes voiles..
Ce n’est pas la hauteur des vagues qui te frappent, c’est comment tu t’y laves..
Ce n’est pas l’absence de lumière qui t'entoure,
c’est comment tu chantes dans le noir..
Ce n’est pas ce que tu perds, c’est comment tu ouvres ton cœur pour la suite..
Ce n’est pas la quantité de larmes que tu verses, c’est comment tu souris en pleurant..
Ce qui importe, ce n’est pas l’intensité du feu que tu traverses..
C’est comment tu danses dans les flammes.
Au-dessus de moi, par delà le treillis noir des fils électriques,
le ciel pendait tout près de la terre.
in La mitrailleuse d’argile