Eugène Ionesco

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Nous portons le collier serré de l’insouciance
Sur nos coups durs, nos coups de foudre et de soleil.
On nous a enseigné la fugue et les buissons ;
Le bonheur fait toujours partie de nos absences.
Nous sommes juste injustifiés ; en même temps
que le temps passe, nous passons la main sur vous.
La caresse est en nous et le poing hors de nous.
In Dehors s’enlise dans nos plaies
ses fossettes, un halo lumineux
sur la toile recouverte de suie et de sueur
l'empreinte de ses doigts érige des ponts
le long du temps qui goutte à intervalle régulier
et forme une flaque pourpre à ses pieds
la fêlure dans sa voix, un frisson dans la nuit
qui engloutit les sourires les caresses les envies de cavale
des corps qui ne savent plus s'ils jouissent pour de bon
ou s'ils ont appris malgré eux à se confondre
dans ce décor sinistre où leurs yeux ne brillent plus ;
ses pommettes, un volcan en feu
que creuse les agendas où la vie se débat aux heures aux lieux
aux petits cercueils prévus à cet effet
les codes les couleurs c'est pas fait pour les chiens
en-dessous de ses ongles y'a un peu de bleu
un peu de rouge aussi ce sont des choses qui arrivent
quand on refait le monde de ses propres mains
et comme elle fait de grands gestes
on dirait qu'elle sculpte une musique dans le noir
la poésie c'est pas fait pour les chaînes
"Il existe un tunnel obscur dans la Lumière Infinie. On l'appelle « Temps ».
Lorsqu'un humain entre dans ce tunnel,
On appelle cela « naître ».
Lorsqu'un humain marche au long de ce tunnel, On appelle cela « vivre ».
Lorsqu'un humain sort de ce tunnel,
On appelle cela « mourir ».
Considérer que vivre se réduit à évoluer au long de ce tunnel obscur,
Cela s'appelle « illusion ».
Percer des trous dans ce tunnel obscur,
Cela s'appelle « science ».
Savoir que la Lumière est autour du tunnel,Cela s'appelle « Foi ».
Voir la Lumière dans le tunnel obscur,
Cela s'appelle « Amour ».
Voir la Lumière à travers le Tunnel obscur,
Cela s'appelle « Sagesse ».
Éclairer le tunnel obscur de sa propre Lumière, Cela s'appelle « Sainteté ».
Confondre la Lumière et le Tunnel obscur,
Cela est au-delà des mots."
extrait du Tao Te King
Je suis celle qui part sans partir, celle qui reste-fuit
Écrire est une nuit. Mes pas dans cette nuit profonde.
Vertige. Tige de feu. Pensée morbide. Taire. Se taire.
Mycélium de pourriture répandu en soi, en silence.
Lancinant ce bruit sans bruit. Bouffée-désir de l’explosion.
Au milieu de l'hiver, j'ai découvert en moi un invincible été.
Je vois comme ma tâche particulière de stimuler la réflexion sur ce qu’il y a d’éternel et de spécifiquement humain, qui vit dans l’âme de chacun, mais que l’homme ignore le plus souvent, bien qu’il ait là son destin entre les mains : il poursuit à la place des chimères. En fin de compte, pourtant, tout s’épure jusqu’à ce simple élément, le seul sur lequel l’homme puisse compter dans son existence : la capacité d’aimer. Cet élément peut se développer à l’intérieur de l’âme de chacun, jusqu’à devenir le principe directeur capable de donner un sens à sa vie. Mon devoir est de faire en sorte que celui qui voit mes films ressente le besoin d’aimer, et qu’il perçoive l’appel de la beauté.
in Le Temps scellé, 2004, Petite Bibliothèque des Cahiers
De peur que je n'apprenne à te connaître trop facilement, tu joues avec moi. Tu m'éblouis de tes éclats de rire pour cacher tes larmes. Je connais tes artifices. Jamais tu ne dis le mot que tu voudrais dire. De peur que je ne t'apprécie pas, tu m'échappes de cent façons. De peur que je te confonde avec la foule, tu te tiens seule à part. Je connais tes artifices. Jamais tu ne prends le chemin que tu voudrais prendre. Tu demandes plus que les autres, c'est pourquoi tu es silencieuse. Avec une folâtre insouciance, tu évites mes dons. Je connais tes artifices. Jamais tu ne prends ce que tu voudrais prendre.
in Le Jardinier d'amour, XXXV
Dans le ventre mou de la nuit
Aux pattes encre repliées
Sur les immeubles de l’avenue,
Les lumières aux fenêtres
Comme cœurs las
Faiblement battent,
Et tremblent les intérieurs feutrés
in Traction Brabant 75
C'est hélas une évidence que plus le singe se rapproche de l'homme,
plus il devient triste.
Je ne descends plus des grands singes
La lignée est éteinte
Exterminée dans les salons climatisés des banques d’investissement
Je n’enfante plus des gens sauvages
Mon sperme est défolié, il est minable et minuscule
in Des nuits au mixer


Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
Ô souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la sœur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L’œil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient ;
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?
Guernesey, 2 novembre 1855, jour des morts.