Oscar Wilde
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Quand son esprit monte au plafond, elle se regarde, elle se voit dans le lit, et la grand-mère ajoute un ciel sur chaque chose. Elle regarde les objets, elle fait le tour de la pièce, elle ajoute un ciel pour chaque meuble, un ciel sur la télé, un ciel sur des bouts de pain, un ciel sur les yaourts, un ciel par couverture, un ciel sur le plancher, un ciel sur le gymnase, un ciel sur chaque enfant, Salim, Sara, un ciel sur chaque tête, et un ciel sur chacune de leurs dents, un ciel sur leur front, un ciel sur chaque mèche et tout devient léger.
un jour peut-être
les corps qui furent poussière
redeviendront des roses,
et les cœurs
des chardons pleins d’épines
que rongeront les ânes.
pas ce soir.
les jours comme des graviers
se jettent sur les tombes
pour épeler les prières.
les désirs comme des tournevis
ne s’agencent pas dans le bon trou,
et la croix d’un mot
peut faire vivre un homme
jusqu’à ce que son existence s’assèche
comme les neiges bleues au sommet de la chance.
Durant plus d'un jour de paresse j'ai pleuré sur le temps perdu. Pourtant il n'est jamais perdu, mon Seigneur ! Tu as pris dans mes mains chaque petit moment de ma vie. Caché au cœur des choses, tu nourris jusqu'à la germination la semence, jusqu'à l'épanouissement le bouton, et la fleur mûrissante jusqu'à l'abondance du fruit. J'étais là, sommeillant sur mon lit de paresse et je m'imaginais que tout ouvrage avait cessé. Je m'éveillai dans le matin et trouvai mon jardin plein de merveilles et de fleurs.
in Le Jardinier d'Amour
La sublimation a vécu. La pulsion a trouvé un regain de toute-puissance dans un monde qui ne supporte aucune limite pour la satisfaire. Immédiateté, vitesse, fluidité appellent une société sans frustration ni délai. Que ce soit dans l’espace public (les actualités, les faits divers, la pornographie normative, les attitudes «décomplexées») ou sur le divan (patient déprimé, désaxé), la société post-industrielle et post-traumatique de l’après-guerre admet mal qu’on «sublime». Il faut au sujet narcissique un champ opératoire simple et direct à ses pulsions, sinon, il se déprime. La frustration n’est plus supportable, trouvons-lui donc sans cesse de nouveaux objets à ses appétits. L’abstraction, le style, la précision sont passés à l’ennemi, toutes ces choses nous «ralentissent». On ne possède pas un livre, ce n’est ni un investissement ni un instrument ; la lecture prend du temps, et ne produit rien d’autre qu’une capacité accrue à rêver et à penser. L’absence de style dans les productions culturelles est aussi préoccupante que le sont les vies sous pression, moroses et fonctionnelles - tellement plus nombreuses que des vies habitées, voulues.Un monde qui parvient à sublimer est un monde qui prend une forme, qui n’est pas informe comme l’actuelle confusion générale destine le nôtre à l’être.
(…) Le Niger compte un million de kilomètres carrés, dont seuls 40 000 cultivables. Partout ailleurs vivent des bergers nomades qui gardent quelques 20 millions de têtes de bétail : chèvres, moutons, ânes, chameaux, zébus. Le prix des médicaments pour ces animaux ˗ antiparasites, vaccins, vitamines ˗ est monté en flèche depuis que le Fond Monétaire a obligé le gouvernement à fermer son Office national vétérinaire, ouvrant son marché aux multinationales. Depuis, les bergers, de plus en plus nombreux à perdre leur troupeau, ont dû fuir vers les faubourgs de Niamey ˗ ou des capitales alentour : Abidjan, Cotonou. C’est encore le Fond monétaire qui a obligé le gouvernement nigérien à fermer ses dépôts de grains ˗environ 40 000 tonnes de céréales, principalement du mil ˗, lesquels servaient à intervenir lorsque les sécheresses répétées, les invasions de sauterelles ou la soudure annuelle affamaient la population. Le Fond considérait que ces interventions faussaient le marché ; le gouvernement, pris à la gorge par sa dette extérieure, dut plier.
Le Niger est le deuxième producteur mondial d’uranium : ses réserves au milieu du désert sont immenses ˗ et l’uranium est l’un des minerais les plus convoités. Pourtant, le pays n’en tire pas beaucoup de bénéfices : l’entreprise d’État française Areva a toujours eu le monopole* de son exploitation et la redevance qu’elle payait à l’État nigérien était dérisoire.
* jusqu’en 2007, depuis les Chinois ont rejoint la partie, l’auteur en parle plus loin
(…)
Le Niger dépense cinq dollars annuels par habitant en matière de santé. Les États-Unis, par exemple, en déboursent 8600 ; la France, 4950 ; l’Argentine, 890 ; la Colombie, 432. En 2009, il y avait 538 médecins dans tout le Niger, un pour 28000 habitants, alors que dans un pays moyennement riche comme l’Équateur, les Philippines ou l’Afrique du Sud, on en compte un pour 1000. Ce chiffre figure dans une publication officielle du gouvernement qui précise que l’année suivante, en 2010, il n’en restait que 349 ; un médecin pour 43 000 habitants. L’émigration de ceux qui savent ou peuvent et veulent échapper à la misère et aux maladies génère un surcroit de maladies et de misère. Les pays riches ˗ qui dressent des barrières murs bateaux mitrailleuses pour stopper les migrants au bord du désespoir ˗ font venir volontiers les rares professionnels qui parviennent à se former dans ces parages désolés.
in La faim , éd. Buchet-Chastel, octobre 2015
Un enfant qui n’est pas chéri par son village,
le brûlera pour en sentir la chaleur.
Mais le vent n'aura point mon livre, ô cieux profonds !
Ni la sauvage mer, livrée aux noirs typhons,
Ouvrant et refermant ses flots, âpres embûches ;
Ni la verte forêt qu'emplit un bruit de ruches ;
Ni l'église où le temps fait tourner son compas ;
Le pré ne l'aura pas, l'astre ne l'aura pas,
L'oiseau ne l'aura pas, qu'il soit aigle ou colombe,
Les nids ne l'auront pas ; je le donne à la tombe.
in Traduit de la nuit
Que resterait-il de nos existences à chacun de nous si nous en retranchions les heures pendant lesquelles nous avons simulé une mentalité et une moralité qui ne sont point nôtres ? Nous sommes habitués à porter le masque, si bien qu’il nous paraît étrange de laisser voir notre vraie figure, de proclamer d’une voix franche et personnelle ce que nous savons être la vérité. Par veulerie, nous n’avons même pas la chance d’être bon, quand nous voudrions l’être.
Je voudrais m'absenter
des villes,
des réseaux,
des échanges
déserter l'algorithme
porter la parole
jusqu'à son dénuement
in La Relève
Un autre a-t-il pris ton nid
tandis que tu étais en quête d’un rêve au bout du monde?
in Traduit De La Nuit (1935)
Excès d’iode en lune noire
la nuit colle à l’océan
aplatit tes songes
désenfouit l’ossature du silence
in La fleur de l’âge
la nuit
est
une larme
à comètes
tu peux
fermer
les volets
poète
la chauve-souris
est là
qui authentifie
ton paraphe
de ciel
in Écailles de nuit