Danse macabre
Il est doux d’entendre sonner jusqu’au jour
Ses genoux creux contre les os de l’amour.
De boire dans les orbites de l’Amie
Le vieux mensonge des pleurs en eau de pluie.
Et de sentir les rayons des lunes hautes
Glisser romantiquement entre ses côtes.
Il est doux, il est sage, il est bien
De n’être plus, de n’être plus rien.
Comme on est joyeux, léger, comme on se porte
Bien, quand la vermine, la vermine est morte.
Laissons aux bardes les sinistres ballades ;
Lennore, Helen, faisons de bonnes gambades.
Écartez-vous, rue, escargots, citronnelle ;
Voici Laure, la plus gaie et la plus belle.
Il est doux, il est sage, il est bien
De n’être plus, de n’être plus rien.
Plus de maîtresse, plus de chien, plus de Dieu ;
C’est tout ce que je veux, c’est tout ce qu’il veut.
Passants là-bas, cavalier et cheval noir
Venez donc un peu par ici, venez voir.
Il s’est enfui, personne, la route sonne.
Ô comme le désir de vivre m’étonne !
Il est doux, il est sage, il est bien
De n’être plus, de n’être plus rien.
Clic-clac
de vertèbres
qui craquent
et dans les ténèbres
mélancoliques
ici, là-bas, où ?
clac-clic,
de dansantes reliques
Mains et pieds traversés de clous.
Amour remariée, entends-tu ma voix ?
Cette nuit, dis-moi, combien, combien de fois ?
Mon fils, mon fils, sais-tu déjà épeler
Mon nom sur la pierre moussue et pelée ?
Sganarelle, hi hi hi ! voici tes gages :
Treize queues de rats, trois yeux de chats sauvages.
Il est doux, il est sage, il est bien
De n’être plus, de n’être plus rien.
in Les Sept solitudes, 1906