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CITATIONS - Page 100

  • Kate Braverman

     

    Elle examina sa main et l’air qui semblait bleuir à l’extrémité de ses doigts. C’est juste un glacis bleu, se dit-elle. Et sur les bords, une sorte de gaze bleue panse la blessure universelle.

     

    in Bleu éperdument

     

     

  • Medoruma Shun

     

    Moi j’aimais bien me tenir dans la clairière du sanctuaire, les yeux fermés j’écoutais le chant des oiseaux, les insectes et le bruissement des feuilles, je respirais l’odeur de la forêt, un mélange de feuilles mortes, de terre, d’eau, de fleurs et d’écorce d’arbre, je sentais que les divinités de la forêt sacrée me regardaient. Je restais debout et j’avais l’impression de devenir un arbre ou une plante, mon corps bourgeonnait ici et là, des fleurs s’épanouissaient au bout de mes doigts, je devenais légère comme un voile de mariée, prêt à s’envoler, c’était comme si mon corps se déployait pour se mêler à la forêt. Je pouvais passer des heures là-bas sans m’en lasser.

     

    in L’âme de Kôtarô contemplait la mer

     

     

     

  • Guénane

     

    Poète funambule danseur de corde

    sur la ligne de vie nul ne sait

    si le balancier dépend du poids de ta peine

     

    Voltige n’est pas le contraire de profondeur

     

    in La sagesse est toujours en retard (Rougerie mars 2016)

     

     

     

  • Renée Vivien

     

    J'ai si longtemps respiré l'air des forêts, l'air vibrant de neige, je me suis si souvent mêlée aux

    Blancheurs vastes et désertes, que mon âme est un peu l'âme des louves fuyantes.

     

     

  • Guillaume Apollinaire

     

    Ma queue éclatait sous tes lèvres  

    Comme une prune de Juillet  

    La plume au vent qu’on taille en rêve  

    N’est pas plus folle je le sais  

    Que la volage aux amours brèves

    Il me souvient de Félicie  

    Que je connus le jour de Pâques  

    Et dont la moniche roussie  

    S’ouvrait en coquille Saint-Jacques  

    De septembre à la fin Avril

    Il me souvient de la Dona  

    Qui faisait l’amour en cadence  

    Et dont la figue distilla  

    Un alcool d’une violence  

    Mais je ne vous dis que cela.

     

    in Poésies libres

     

     

     

  • Michelle Caussat

     

    J’ai gravi bien des escaliers, j’ai pleuré sur bien des tombes

    Je me suis sentie espionnées, comme par l’œil d’un poisson mort.

    La belle pluie bleue m’a lavée de tous ces mystères, m’a défaite comme une fleur.

    Maintenant qu’il fait nuit, dans la compagnie d’un chat blanc et roux,

    j’égrène des fruits de mémoire, je tâche d’attendre le jour.

    Il viendra avec ses voitures et ses paroles déchirant le foulard d’un songe,

    crevant la rue de klaxons et de détritus.

     

    in Traction Brabant n°65

     

     

     

  • Benjamin Fondane (mort à Auschwitz-Birkenau en 1944)



     Élégie

    Je me suis déchaussé pour entrer dans la maison
     du passé, j'ai ouvert le piano aux dents jaunes
     j'ai essayé ma voix comme un couteau cassé

    ce n'est rien. Je vous dis que ce n'est rien. À peine
     un souffle qui pourrait éteindre une bougie
     un cœur usé qui craint les escaliers raidis
     une main qui tâtonne pour trouver une clé
     qui n'ouvre rien qui ne soit déjà ouvert depuis
     longtemps, une molle jambe qui fait sur le tapis

    des traces.

     

     

  • Gaston Bachelard

     

    Mon plaisir est encore d’accompagner le ruisseau,

    De marcher le long des berges, dans le bon sens, dans le sens de l’eau qui coule, de l’eau qui mène la vie ailleurs, au village voisin. Mon « ailleurs » ne va pas plus loin.

     

     

  • René Daumal



     Triste petit train de vie

    Celle qui pourrit dans mon cœur
     c'est la lueur qui se nourrit des peurs
     qui rôdent chantant le malheur,
     en haut, en bas, toujours.

    Nuit sur la nuit, c'est fête, enfonçons la
     détresse
     sous l'ouate d'une joie épaisse ;
     nuit sur la nuit, c'est la faiblesse
     du cœur brisé

    La pourriture est dans mon souffle et ce
     vent
     c'est le siffleur fascinant, c'est la dent,
     c'est le goût de saumure de ce gouffre avant
     la fuite en bas.

    Plaie du jour à mon flanc !
     la nuit, c'est mon sang
     qui s'enfuit par ce trou blanc,
     soleil qui me baigne jusqu'au petit matin,
     m'ôte la faim
     au petit matin de ma fin,

    personne n'entend, personne,
     personne ne tend la main,
     je suis l'aiguille,
     l'aiguille dans le tas de foin,
     le foin sans fin, l'étouffeur à la fin...

    personne ne vient, personne ne pleure,
     sauf toujours la même, la terreur.

    in Le Contre-Ciel