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CATHY GARCIA-CANALES - Page 654

  • Jacques Prévert

     

    Les clefs de la ville


    Les clefs de la ville

    Sont tachées de sang

     L’Amiral et les rats ont quitté le navire

     Depuis longtemps

     Sœur Anne ma sœur Anne

     Ne vois-tu rien venir

     Je vois dans la misère le pied nu d’un enfant

     Et le cœur de l’été

     Déjà serré entre les glaces de l’hiver

     Je vois dans la poussière des ruines de la guerre

     Des chevaliers d’industrie lourde

     A cheval sur des officiers de cavalerie légère

     Qui paradent sous l’arc

     Dans une musique de cirque

     Et des maîtres de forges

     Des maîtres de ballet

     Dirigeant un quadrille immobile et glacé

     Où de pauvres familles

     Debout devant le buffet

     Regardent sans rien dire leurs frères libérés

     Leurs frères libérés

     A nouveau menacés

     Par un vieux monde sénile exemplaire et taré

     Et je te vois Marianne

     Ma pauvre petite sœur

     Pendue encore une fois

     Dans le cabinet noir de l’histoire

    Cravatée de la Légion d’Honneur

     Et je vois

     Barbe bleue blanc rouge

     Impassible et souriant

     Remettant

     Remettant les clefs tachées de sang

     Aux grands serviteurs de l’Ordre

    L’Ordre des grandes puissances d’argent. 

     

     

     

  • Jacques Prévert

     

    Hélas ! Hélas !
    Trois ou quatre fois hélas!
    Voilà le mauvais temps, la crise et tout et tout.
    Le capital en prend un coup,
    ll se roule par terre et il gueule,
    ll bave même un petit peu,
    Toute la famille est inquiète.
    Qu'est-ce que c'est ?
    Ce n’est rien, c‘est la crise, ça va passer.

    Mais, dans sa cuisine, la bourgeoise sanglote,
    D'une main elle fait le signe de la Croix,
    De l‘autre elle fait la cuisine, la mayonnaise.
    Avec ses pieds, elle berce les enfants,
    Avec sa bouche, elle leur chante une berceuse.
    Mais les petits enfants,
    Les petits bourgeois ne veulent pas dormir,
    lls entendent, venant de très loin,
    Les pas et les cris des marcheurs de la faim.
    Leur bonne mère leur a dit :
    Si vous n‘êtes pas sages, les chômeurs vont venir et ils vont vous prendre.

    Les petits bourgeois ont très peur.
    Il y a des ogres dans le sous-sol de la maison.
    Il y a des chômeurs dans les environs.

     

     

     

     

  • Bertolt Brecht

     

    Nos défaites, voyez-vous,
    Ne prouvent rien, sinon
    Que nous sommes trop peu nombreux
    À lutter contre l’infamie,
    Et nous attendons de ceux qui regardent
    Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.

     

     

     

  • Patti Smith - La chanson de l'écrivain

     

    Je n'ai pas voulu travailler
    n'ai pas voulu gagner mon pain
    Juste me pelotonner avec ma jarre
    dans le soyeux sorgho
    j'ai mis ma natte dans les roseaux
    les hommes de la ville m'ont appelé
    oh ma vie
    quelle importance
    les roseaux cesseront ils de plier
    le lépreux se retournera-t-il
    je n'ai pas soufflé dans ma corne
    j'ai pris un saké puis un autre
    les hommes de la ville m'ont appelé
    ivre de ciel
    quelle importance mon cri
    la lune enflera-t-elle
    la flamme vacillera-t-elle
    bonsaï bonsaï
    mieux vaut écrire
    et puis mourir
    dans le cratère bleu
    cerclé de paille
    j'ai entendu
    les hommes m'appeler
    la voie est dure
    la porte étroite
    quelle importance que je parle
    de foin fraîchement fauché
    mon oreiller
    j'ai bu un saké puis un autre
    n'ai pas souci d'avoir ni d'errer
    ai tracé mon nom sur l'eau
    non rien vraiment au-dessus
    bonsaï bonsaï
    mieux vaut écrire
    et puis mourir
    mille souvenirs
    mille prières
    à l'écart parmi les faïences
    nous tirons les jarres
    des étagères
    buvons à notre congé
    de nous-mêmes
    que nous soyons
    roi ou mendiant
    toujours siffleront les roseaux
    toujours murmurera le cœur

     

     

     

     

  • Fragments de Corinne Pluchart

     

    Éditions Vagamundo 2016

     

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    144 pages, 13 €.

     

     

    Fragments est un recueil de silences, et n’est-ce pas le plus difficile à atteindre avec des mots : le silence ? Ici, ils sont de différentes textures, ponctués de souffle, recueillis comme une prière ou « le silence brutal –coupant la gorge » Les images sont comme des petites taches devant les yeux, des taches de bleu souvent, ou plus grises, plus sombres comme la pierre, le granit.

     

    - et de s’écorcher les genoux

    sur la ténacité des pierres.

     

    Il y a le vide, l’absence,

     

    L’absence de l’autre

    son seuil

    et la pluie derrière

    brouillant les peaux.

     

    Le vide et l’absence dans lesquels s’engouffrent la mer ou la lumière.

     

    Bords cousus

    un à un par la lumière

    plus bas – la mer

     

    Sur ton front, cicatrices bleues.

     

    Il y a l’appel de l’horizon et puis des angles qui reviennent, ainsi que le mot disloqué. Fragments, fragiles, translucides, comme des fragments de peaux, lorsque celle-ci perd d’elle-même pour mieux se régénérer. Transmutation. L’espace extérieur et l’espace intérieur fusionnent, dans une sorte d’alchimie par laquelle l’esprit cherche à s’élever, à s’arracher au plus dense, au rugueux, au douloureux mais dont la réalité n’est pas niée.

     

    le monde –

    comme une bavure à l’intérieur.

     

    Fragments est divisé en quatre temps : Déflagration, Silence, Passage, Seuil. On sent que c’est un recueil qui a demandé une longue maturation, qui sous une apparente simplicité touche à quelque chose d’infiniment spirituel qui échappe aux mots et dont la nature se fait à la fois le réceptacle et le catalyseur. C’est très beau et presque pur, comme une larme.

     

    Nul horizon

    Pour enfouir la blessure silencieuse

    Et l’azur noué,

    Comme un linceul de lumière.

     

    Cathy Garcia

     

     

    photo-pluchart.jpgCorinne Pluchart est née le 7 mars 1966, à Meaux, en Seine-et-Marne. Elle vit à Sains, où elle enseigne en école maternelle. Depuis l’adolescence, elle écrit, marche, interroge, observe le paysage, l’océan. Elle compose en écriture et peinture, mue par un profond désir de lumière. De l’abbaye du Mont-Saint-Michel jusqu’au lointain Finistère, son pays de cœur, le chemin la traverse dans une solitude amie. Fragments est son premier livre publié. Son blog : http://corinne.pluchart.over-blog.com/