Aldous Huxley

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Les clefs de la ville
Les clefs de la ville
Sont tachées de sang
L’Amiral et les rats ont quitté le navire
Depuis longtemps
Sœur Anne ma sœur Anne
Ne vois-tu rien venir
Je vois dans la misère le pied nu d’un enfant
Et le cœur de l’été
Déjà serré entre les glaces de l’hiver
Je vois dans la poussière des ruines de la guerre
Des chevaliers d’industrie lourde
A cheval sur des officiers de cavalerie légère
Qui paradent sous l’arc
Dans une musique de cirque
Et des maîtres de forges
Des maîtres de ballet
Dirigeant un quadrille immobile et glacé
Où de pauvres familles
Debout devant le buffet
Regardent sans rien dire leurs frères libérés
Leurs frères libérés
A nouveau menacés
Par un vieux monde sénile exemplaire et taré
Et je te vois Marianne
Ma pauvre petite sœur
Pendue encore une fois
Dans le cabinet noir de l’histoire
Cravatée de la Légion d’Honneur
Et je vois
Barbe bleue blanc rouge
Impassible et souriant
Remettant
Remettant les clefs tachées de sang
Aux grands serviteurs de l’Ordre
L’Ordre des grandes puissances d’argent.

Hélas ! Hélas !
Trois ou quatre fois hélas!
Voilà le mauvais temps, la crise et tout et tout.
Le capital en prend un coup,
ll se roule par terre et il gueule,
ll bave même un petit peu,
Toute la famille est inquiète.
Qu'est-ce que c'est ?
Ce n’est rien, c‘est la crise, ça va passer.
Mais, dans sa cuisine, la bourgeoise sanglote,
D'une main elle fait le signe de la Croix,
De l‘autre elle fait la cuisine, la mayonnaise.
Avec ses pieds, elle berce les enfants,
Avec sa bouche, elle leur chante une berceuse.
Mais les petits enfants,
Les petits bourgeois ne veulent pas dormir,
lls entendent, venant de très loin,
Les pas et les cris des marcheurs de la faim.
Leur bonne mère leur a dit :
Si vous n‘êtes pas sages, les chômeurs vont venir et ils vont vous prendre.
Les petits bourgeois ont très peur.
Il y a des ogres dans le sous-sol de la maison.
Il y a des chômeurs dans les environs.

Je vous préviens, je ne rends plus les intentions qu'on me prête.
Alors, inutile de réclamer, de vous plaindre.
in l'impossible séjour

Nos défaites, voyez-vous,
Ne prouvent rien, sinon
Que nous sommes trop peu nombreux
À lutter contre l’infamie,
Et nous attendons de ceux qui regardent
Qu’ils éprouvent au moins quelque honte.

Je crois que s’il n’y a pas de poésie et pas de sensualité,
il n’y a plus rien dans la société.

Je n'ai pas voulu travailler
n'ai pas voulu gagner mon pain
Juste me pelotonner avec ma jarre
dans le soyeux sorgho
j'ai mis ma natte dans les roseaux
les hommes de la ville m'ont appelé
oh ma vie
quelle importance
les roseaux cesseront ils de plier
le lépreux se retournera-t-il
je n'ai pas soufflé dans ma corne
j'ai pris un saké puis un autre
les hommes de la ville m'ont appelé
ivre de ciel
quelle importance mon cri
la lune enflera-t-elle
la flamme vacillera-t-elle
bonsaï bonsaï
mieux vaut écrire
et puis mourir
dans le cratère bleu
cerclé de paille
j'ai entendu
les hommes m'appeler
la voie est dure
la porte étroite
quelle importance que je parle
de foin fraîchement fauché
mon oreiller
j'ai bu un saké puis un autre
n'ai pas souci d'avoir ni d'errer
ai tracé mon nom sur l'eau
non rien vraiment au-dessus
bonsaï bonsaï
mieux vaut écrire
et puis mourir
mille souvenirs
mille prières
à l'écart parmi les faïences
nous tirons les jarres
des étagères
buvons à notre congé
de nous-mêmes
que nous soyons
roi ou mendiant
toujours siffleront les roseaux
toujours murmurera le cœur
Éditions Vagamundo 2016

144 pages, 13 €.
Fragments est un recueil de silences, et n’est-ce pas le plus difficile à atteindre avec des mots : le silence ? Ici, ils sont de différentes textures, ponctués de souffle, recueillis comme une prière ou « le silence brutal –coupant la gorge » Les images sont comme des petites taches devant les yeux, des taches de bleu souvent, ou plus grises, plus sombres comme la pierre, le granit.
- et de s’écorcher les genoux
sur la ténacité des pierres.
Il y a le vide, l’absence,
L’absence de l’autre
son seuil
et la pluie derrière
brouillant les peaux.
Le vide et l’absence dans lesquels s’engouffrent la mer ou la lumière.
Bords cousus
un à un par la lumière
plus bas – la mer
Sur ton front, cicatrices bleues.
Il y a l’appel de l’horizon et puis des angles qui reviennent, ainsi que le mot disloqué. Fragments, fragiles, translucides, comme des fragments de peaux, lorsque celle-ci perd d’elle-même pour mieux se régénérer. Transmutation. L’espace extérieur et l’espace intérieur fusionnent, dans une sorte d’alchimie par laquelle l’esprit cherche à s’élever, à s’arracher au plus dense, au rugueux, au douloureux mais dont la réalité n’est pas niée.
le monde –
comme une bavure à l’intérieur.
Fragments est divisé en quatre temps : Déflagration, Silence, Passage, Seuil. On sent que c’est un recueil qui a demandé une longue maturation, qui sous une apparente simplicité touche à quelque chose d’infiniment spirituel qui échappe aux mots et dont la nature se fait à la fois le réceptacle et le catalyseur. C’est très beau et presque pur, comme une larme.
Nul horizon
Pour enfouir la blessure silencieuse
Et l’azur noué,
Comme un linceul de lumière.
Cathy Garcia
Corinne Pluchart est née le 7 mars 1966, à Meaux, en Seine-et-Marne. Elle vit à Sains, où elle enseigne en école maternelle. Depuis l’adolescence, elle écrit, marche, interroge, observe le paysage, l’océan. Elle compose en écriture et peinture, mue par un profond désir de lumière. De l’abbaye du Mont-Saint-Michel jusqu’au lointain Finistère, son pays de cœur, le chemin la traverse dans une solitude amie. Fragments est son premier livre publié. Son blog : http://corinne.pluchart.over-blog.com/