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CATHY GARCIA-CANALES - Page 727

  • Ossip Mandelstam



     À mes lèvres je porte ces verdures,
     Ce gluant jugement de feuilles,
     Cette terre parjure, mère
     Des perce-neige, des érables, des chênes.

    Vois comme je deviens aveugle et fort
     De me soumettre aux modestes racines,
     Et n'est-ce pas trop de splendeur
     Aux yeux que ce parc fulminant?

    Les crapauds, telles des billes de mercure,
     Forment un globe de leurs voix nouées,
     Les rameaux se changent en branches
     Et la buée en chimère de lait.

    30 avril 1937 
    traduit par Philippe Jaccottet)

     

     

     

  • Anneke Balvert

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    LES SORCIÈRES

     

    les sorcières aux veines

    ouvertes aux quatre vents

    les sorcières ont des chiens

    qui lèchent leur sang

    les sorcières sont trop bonnes

    on leur prend et elles donnent

    encore en corps et damnés soient

    ceux qui ne comprennent

    que les sorcières sont grandes d’âmes 

    même quand elles collent

    les lambeaux déchirés

    de leur cœur

    sur des murs

    aux visages d’hommes.

     

     cg 2010

     

     

     

  • Kate Braverman

     

    Les poètes enfoncent leurs têtes dans les fours. Attirés qu’ils sont par le pouls de la flamme bleue. Leurs crânes sont des plazzas de chagrin et de pourriture. Ils ont au fond des yeux des entrepôts et des jetées. Il y a le déchirement atroce du cœur au moment de partir. Puis ils s’enquillent du monoxyde de carbone par la bouche. N’ont de cesse de tomber malades sous l’évangile fielleux de la lune. 

     in Bleu éperdument

     

     

     

  • Souriez, vous êtes ruiné d’Yves Bourdillon

    éditions du Rocher, 22 avril 2016

     

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    510 pages, 19,90 €.

     

     

    Une farce au vitriol et donc forcément indigeste, qui dépeint à grands traits décomplexés une France actuelle, de fiction certes, mais à peine…. Avec pour personnage central, le narrateur, antihéros, journaliste (comme l’auteur) qui travaille pour Le Journal, un journal « de gauche », qui soutient ouvertement la position des Indignés, Enragés, Sans-Slibards, qui s’affrontent avec « leurs concurrents, tout aussi remontés contre le pouvoir » qui « crient : « Nous n’avons plus que l’impôt sur les os », ou bien plus intello et vulgaire à la fois « Léviathan, on t’encule », les libéraux donc, fédérés en « les Baudets » par autodérision. Léviathan étant une métaphore qu’avait utilisée le philosophe anglais Hobbes, pour faire référence à un état tout puissant.

    Fred Beaumont donc, couvre pour Le Journal, les évènements qui mettent le pays sans dessus dessous, grève et pénuries de presque tout, manifestations, émeutes, affrontements permanents… sauf que Fred Beaumont, lui, ses opinions sont plutôt à l’opposé de la ligne que défend Le Journal. il a viré sa cuti depuis bien des années déjà, au profit de la ligne libérale, et faute de pouvoir s’y faire embaucher, même les journaux de droite manquant de moyens, il accepte donc de faire aussi des piges pour Libertas, sous la fausse identité de Paquette, journaliste fraîchement inventé et débarqué du Québec. Paquette, qui va donc défendre une position totalement contraire à celle de Fred Beaumont et avec autant de brio, dans un grand écart schizophrénique, où notre journaliste s’affronte lui-même à grand coups d’articles aussi virulents d’un côté que de l’autre.

     

    Défendant officiellement des opinions qui l’horripilent et en secret celles qui sont vraiment les siennes, ce grand écart ne va pas manquer de poser bien des problèmes, dans sa vie professionnelle comme privée. D’autant plus qu’il a le béguin pour Audrey, qui aime en lui le journaliste très engagé pour soutenir la cause qu’elle défend activement elle-même, celle des Indignés. Audrey qui vit dans un quartier suffisamment difficile pour être surnommé Mogadiscio et qui a un fils surnommé Tétine, ex petit dealer qui fréquente maintenant la fille de Fred, Chloé, qui elle est dans une grande école de commerce et projette à terme de se lancer dans la création d’entreprise, fréquentant donc d’autres étudiants d’un milieu bien plus « Libertas » que « Le Journal ». Seulement voilà, d’un côté comme de l’autre, les restrictions frappent, seul l’ennemi à abattre change, pour les uns ce sont les riches et le pouvoir, pour les autres c’est l’état qui les étouffe en les obligeant d’entretenir des pauvres via les aides sociales. Études coûteuses de Chloé donc que Fred doit financer, vu que son ex-femme, avocate, est partie défendre les victimes de génocides à travers le monde, occupation d’autant plus noble qu’elle rapporte peu et d’où la peur de Fred de se faire virer du Journal, s’il ne défend pas sa ligne avec assez de talent (comprendre : obtenir scoop sur scoop) ou si on découvrait ses convictions réelles. Bref, autant dire que la situation de Fred Beaumont n’est pas des plus confortable et quand il se confie à un couple d’amis à ce sujet, leur réaction n’est pas des plus accueillantes. Il défend cependant sa position :

     

    « D’accord, tout ça est un peu vertigineux, mais il suffira que je sois parfaitement hypocrite et schizophrène pendant quelques temps. Des millions de gens y arrivent, alors pourquoi pas moi ? Je ne suis quand même pas moins faux-cul que la moyenne quand je veux ! »

     

    Ce roman très irrévérencieux, très libre (ou libéral ?) où tout le monde semble en prendre pour son grade, flirte avec une amoralité tout à fait d’actualité, où absurde, mensonges et grands discours vont souvent de pair. La réalité étant à deux doigts de cette fiction, le sujet pourrait être plombant, mais ce roman est tellement drôle qu’on s’en délecte et on en redemande. Drôle, désabusé, grinçant, il sème la confusion et ridiculise toute prétention à juger de quoi que ce soit, car s’il est vrai qu’il n’y a que deux côtés à une barricade, tout est pourtant tout sauf simple, sinon que « Quoiqu’on tente, ne reste finalement que ce constat : on nait, on achète un canapé, puis on meurt. » 

     

    Et comme pour Fred Beaumont, on peut avoir la sensation que Les fils épars de l’existence se sont emberlificotés dans une espèce de scoubidou cosmique.

     

    Un vaste bordel, où chacun essaye de s’en sortir au mieux, avec plus ou moins - et plutôt moins - de panache, de courage ou de dignité, et plus ou moins de convictions. Selon celles du lecteur, la lecture de ce roman sera forcément différente, ouvrant la porte à des polémiques sans fin, cependant, là où on pourrait se mettre tous d’accord, c’est sur la nécessité d’accepter qu’il faut savoir rire avant tout de soi-même.

     

    Le toast final sera ainsi porté « Aux escrocs de tous les pays et de toutes les générations. (…) Aux Tartuffes, et à leurs cousins, les cocus. »

     

    Et « Aux sangsues ! À nos frères en humanité »

     

    Et aux requins, rémoras, pigeons, dindons, moutons tondus, baudets bâtés.

     

    En un mot……….. à la liberté.

     

    Souriez, vous êtes ruiné.

     

     

    Cathy Garcia

     

      

    Yves Bourdillon.jpgYves Bourdillon est reporter international au quotidien Les Échos depuis 1996 et suit les crises politiques, économiques et sociales aux quatre coins du monde. Souriez, vous êtes ruiné est son deuxième roman après Du Trapèze au-dessus des piranhas (éditions Anne Carrière, 2012, prix du premier roman du salon du livre d'Île de France).

     

    Note parue sur  http://www.lacauselitteraire.fr/