Thomas P. Peschak - Lost world of Aldabra
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traduit du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli
Gallimard (Collection Du monde entier), 19 mars 2015
512 pages, 24,90 €.
Fascinant ce roman, et puissant, il se déroule de façon un peu heurté parfois, ou bien cela vient peut-être de la traduction, mais très vite on se retrouve comme hypnotisé par son mouvement, un balancement entre ressac océanique et l’ondulation du serpent.
Le personnage principal n’est pas le narrateur et on ne connaîtra pas son nom. L’auteur use de la troisième personne pour en parler, mais pourtant très vite on a vraiment l’impression d’être à l’intérieur de sa tête. Déboussolé par la perte de sa petite amie qui l’a quitté pour son frère, à qui il ne veut pas pardonner cette trahison, puis par le suicide de leur père, dont lui seul a été prévenu par le père en personne, qui l’a fait venir juste avant de passer à l’acte, pour lui faire promettre de faire piquer sa vieille chienne, pour qu’elle ne souffre pas de son départ. Et qui a remis aussi sur le tapis, le mystère de la disparition de son père à lui, le grand-père donc du personnage principal, qui aurait été assassiné dans une petite commune au bord de l’océan au sud du pays.
Comme une graine qu’il aurait semé de père à fils, juste avant de tirer sa révérence, et le petit-fils donc, plante tout, son appart et son travail à Porto Allegre, pour aller vivre lui aussi à Garopaba, dans un tout petit appartement humide, à quelques mètres de ce qu’il reste de l’ancien port de pêche. Un appartement où aurait vécu aussi son grand-père. Sans trop savoir ce qu’il cherche vraiment, il tente de se renseigner sur celui-ci, mais très vite à la simple évocation de son nom, les visages se ferment. De plus lui-même est atteint d’une pathologie étrange et handicapante, la prosopagnosie, l’impossibilité de se souvenir des visages, pas même du sien. Ce qui rajoute à l’étrangeté de sa situation.
Comprendre ce qui est arrivé à son grand-père, dont il est en plus le portrait craché, commence cependant à tourner à l’obsession et c’est de cette quête dont il est question tout au long de ces 500 et quelques pages. Le personnage principal s’y absorbe au point d’en faire une quête d’identité quasi métaphysique dans laquelle il va sombrer peu à peu, comme dans une sorte d’auto-envoûtement.
C’est un athlète, très physique et très bon nageur, il trouvera vite un poste d’entraineur dans la nouvelle piscine locale, puis un petit groupe de personnes désirant être entrainées à courir. Se partageant entre ces activités et la nage dans l’océan par tous les temps, un semblant d’équilibre se met en place, même s’il lui est difficile de nouer de véritables liens, à cause de son problème de prosopagnosie, dont il n’a pas envie de parler. C’est encore l’été, mais bientôt l’hiver arrive, les touristes partent, ne restent que les autochtones et divers personnages un peu en marge, plus ou moins paumés.
Il se fera deux copains, de beuveries surtout, dont un bouddhiste, et des femmes aussi vont croiser sa route, mais ce sont comme des rendez-vous manqués, creusant toujours plus en lui le goût de la solitude, comme un vide, obstinant. S’occuper de la chienne de son père aussi est devenu une obsession, même après que celle-ci se soit fait percuter par une moto, au point de ne peut-être plus jamais pouvoir remarcher, mais il y passera tout l’argent et l’énergie qu’il faut, cette chienne ne doit pas mourir, malgré la promesse faite à son père, peut-être parce qu’avec elle c’est tout une part de lui-même qui disparaîtrait ?
Avec ce roman on entre aussi au cœur de la vie et des changements en cours dans ce village de pêcheur qui s’est vu transformé en station de tourisme estival, la pêche allant toujours déclinant, où le temps se divise désormais entre belle saison et l’hiver où la vie y est plus difficile. Déprimante même pour beaucoup. Passer un premier hiver à Garopaba peut ressembler à un passage initiatique.
Entre passé et présent, légendes et superstitions, rêve et réalité, un quotidien d’une extrême banalité et une brutalité sous-jacente qui couve en permanence, notre personnage principal par une sorte d’obstination, se retrouve à perpétuer lui-même les vieilles histoires, dans lesquelles il s’empêtre comme un poisson pris au filet.
Mais découvrir la vérité, c’est aussi découvrir ce que l’on ne veut pas savoir.
Père, fils, grand-père, quelque chose dans le sang comme une violence vraiment primitive, une puissance qui gronde dans les veines comme un océan. Comme un océan en pleine nuit, noir et plein de sa force colossale, comme la vie quand il faut savoir se relever et vraiment savoir nager pour ne pas y laisser sa peau, ou pire encore.
La barbe ensanglantée est un roman dense et riche dans la profusion de détails sans jamais être ennuyeux, un de ces romans qui imprègnent fortement, comme des odeurs d’embruns qui mettent du temps à se dissiper. Un goût de sel, de sang et d’amertume.
Cathy Garcia
Daniel Galera, né en 1979 à São Paulo, est l’un des auteurs les plus prometteurs de la littérature brésilienne actuelle. Pionnier de l’utilisation d’internet dans le champ de la création littéraire, il a animé des fanzines électroniques et fondé la maison d’édition indépendante « Livros do Mal ». Auteur prolifique, il s’essaie aussi bien au roman qu’au conte, à la nouvelle ou à la bande dessinée.
Bibliographie : « Laila » dans Brésil 25. Nouvelles 2000-2015, anthologie dirigée et préfacée par Luiz Ruffato, Métailié, à paraître en 2015, traduit par Emilie Audigier. ; Cachalot, avec le dessinateur Rafael Coutinho, Cambourakis, 2012, traduit par Dominique Nédellec ; Paluche, Gallimard, 2010, traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli.
Cette note a été publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/
J’ai pour mission le vent des plaines
Et des orages
in La mort est plus futée qu’une souris
Tout s’ouvre, palpite, frémit. Ne plus être spectateur mais participant à l’orgasme du vivant, se sentir immense et minuscule, être l’enfant feuille sous le chant de la pluie, la fleur, la pure couleur qui prend forme. À la croisée de toutes ces énergies, joie et respiration sont un seul et unique élan. Voir au-delà du voir, sentir…
cg in Le livre des sensations
Nous sommes sans limites
Et l'abondance est notre mère.
Pays ceinturé d'acier
Aux grands yeux de lacs
À la bruissante barbe résineuse
Je te salue et je salue ton rire de chutes.
Pays casqué de glaces polaires
Auréolé d'aurores boréales
Et tendant aux générations futures
L'étincelante gerbe de tes feux d'uranium.
Nous lançons contre ceux qui te pillent et t'épuisent
Contre ceux qui parasitent sur ton grand corps d'humus
et de neige
Les imprécations foudroyantes
Qui naissent aux gorges des orages.
in Totems
Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dent,
par la faim sans dent,
poussière mâchée par des dents qui sont siècles, par des
siècles qui sont famines,
dis-moi, jarre brisée, tombée en pousière, dis-moi,
la lumière naît-elle d’un os frotté contre un autre, d’un
homme contre un autre, d’une faim contre une autre,
jusqu’à l’étincelle, le cri, la parole,
jusqu’à ce que jaillisse enfin l’eau et que croisse l’arbre aux
grandes feuilles de turquoise ?
in Liberté sur Paroles
Des mots brindilles
Des mots combustion lumière
Des mots étourdissants d'étoiles
cg in Ailleurs simple (Nouveaux Délits, 2012)
Écrire pour noyer le poisson…
Jeter un oiseau dans le vide, une flamme au feu.
L’honnêteté vient quand on se tait. Silence. Par quel pouvoir… ?
Et ma phrase s’arrête, trois points de suspension. Le poids du silence.
Un chant de gitane me tord les tripes.
cg in Journal 1998
Etoiles salvatrices
boussoles des égarés
Paroles s’envolent sur le dos
De l’oubli
Toutes les frontières sont des plaies mal cicatrisées.
cg in Fugitive, Cardère 2014