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  • Pierre Colin

     

    Nous cherchons Aphrodite, elle est dans nos poussières. Sa taille et son nombril, les sources de sa nuque. Le matin n’a plus d’âge, l’oiseau quitte nos laines. Notre étoffe de chair se froisse sur la berge.

     

    Nous traquons l’éphémère, le ventre du ciel pur. L’oubli ne nous sied plus. Un jour, nous renaîtrons de ses restes barbares. Rien ne sera trop pur, trop loin, trop improbable.

     

    Ce que nous avons fait, nous savons le défaire.

     

      

    in Je ne suis jamais sorti de Babylone

     

     

  • Angelo Monne - Uno zio all’origine dell’uomo

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    Besoin de revenir à la terre, reconnexion, les pieds bien campés dessus, consciente des autres et de moi-même, plus recentrée. Voilà ce dont j’ai besoin. Cultiver le sens de l’humilité, oui, mais pas celui de l’inutilité. Je refuse d’être considérée comme inutile. Rien de vivant n’est inutile, mais je refuse aussi de confondre utile et servile… Je refuse de participer à l’engraissement de la plus grosse élite…

    cg in Journal 2007 

     

     

     

  • Dieu est rouge de Liao Yiwu

     

    traduit du chinois par Hervé Denès et Li Ru,

    Books Edition et Les Moutons Noirs, février 2015

      

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     462 pages, 24 €.

     

    Un pavé ! Un pavé dans la grande mare de Chine. Liao Yiwu nous livre ici le fruit d’un long travail, difficile aussi, celui de réunir autant de témoignages que possible de cette « histoire vraie de la survie et de l’essor du Christianisme en Chine, de Mao à Xi Ping ». Il a parcouru la Chine pour rencontrer des hommes, des femmes, souvent très âgés, mais d’autres plus jeunes aussi, qui répondent à ses questions dans des entretiens rapportés ici, et entrecoupés de « préludes », qui permettent d’en comprendre les contextes. Beaucoup de noms vont défiler, on s’y perd, des lieux aussi, où morts et vivants se côtoient dans un effort de mémoire, qu’on ne lira probablement pas de la même façon, si l’on est croyant ou pas, mais toujours est-il qu’à travers cette quête assez singulière, Liao Yiwu, en toute humilité, et dans un style qui lui est propre, simple et profond, nous livre un pan très peu connu, car aujourd’hui encore tabou, de l’Histoire contemporaine chinoise dans toute sa violence, avec ses drames et privations quasi ininterrompus. Avoir des témoignages directs, de personne à personne, des histoires individuelles aux destins souvent incroyables, est un trésor inestimable, car aujourd’hui encore il est extrêmement périlleux de fouiller dans ce récent passé et révéler des vérités. L’Histoire non officielle, non autorisée par le régime. L’auteur – qui a connu lui-même l’incarcération pour ses opinions - a dû souvent prendre de grandes précautions pour recueillir toutes ces confidences.

     

    Dieu est rouge car la religion chrétienne en Chine a pris très tôt une couleur particulière, rouge du régime auquel elle a dû survivre dans la clandestinité, qui tantôt a tenté de l’éradiquer, tantôt de l’absorber, la couleur rouge d’une ferveur exacerbée par les persécutions, le rouge du sang versé lors d’innombrables tortures et exécutions, aussi la symbolique du martyr a été vécue par bon nombre de ces personnes d’une façon non métaphorique, mais bien littéralement dans leur propre chair. Les vies de bon nombre d’entre elles s’apparentent à de véritables chemins de croix.

     

    On n’adhèrera pas forcément mais on ne pourra qu’admirer la force de conviction, le courage, l’abnégation et le dévouement que la foi chrétienne a donné à ces personnes et qui parfois semble avoir opéré ce qu’on pourrait appeler des miracles. Il est évident que tous ces témoignages sont aussi, même indirectement, une dénonciation des dérives et cruautés du régime communiste, surtout pendant la dite Révolution Culturelle, mais on y verra aussi plus loin que ça, comment les mauvaises choses – et l’Histoire en est pleine - en entraine des pires.

     

     

    Dieu est rouge est un livre majeur pour qui veut appréhender l’Histoire contemporaine de la Chine, il contient une masse d’informations de première main assez phénoménale, parfois c’est vraiment atroce, et d’une façon plus large cela ouvre un questionnement fondamental sur l’aide qu’une spiritualité bien ancrée peut apporter dans les épreuves. Un défi que le bouddhisme et le taoïsme qui étaient en place bien avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, semblent avoir eu du mal à relever, quand le communisme a eu la prétention de répondre à toutes les problématiques humaines en balayant d’un coup et sans discernement des savoirs millénaires.

     

    Un livre où l’humain est donc au premier plan, dans toute sa déchirure entre extrême élévation et extrême bassesse, et dans lequel on peut distinguer comme un vague espoir, quelque chose qui transcenderait politique et religion, et c’est cela sans doute que l’auteur, ni totalement croyant, ni totalement sceptique, mais profondément sensible et ayant soif de vérité, a voulu nous transmettre. Quelque chose qui fait qu’on pourrait croire encore… en l’Homme. Malgré un tout qui demeure d’une bêtise effroyable.

     

    Cathy Garcia

     

      

    auteur28.jpgLiao Yiwu, est un écrivain chinois né en 1958 dans le Sichuan. Il est l'un des auteurs contemporains les plus audacieux de sa génération et son talent se nourrit des scènes de la vie quotidienne, de rencontres fortuites et d'enquêtes qu'il mène auprès de ceux que l'on peut considérer comme les laissés-pour-compte d'une Chine en plein bouleversement. Poète vagabond inspiré par Baudelaire et Allen Ginsberg, Liao Yiwu devient célèbre en 1989 avec son poème Massacre, dédié aux opposants de la place Tian Anmen, qui l'envoie en prison de 1990 à 1994. Une expérience d'humiliations et de tortures qu'il raconte dans son livre majeur, Dans l'empire des ténèbres. Ses livres sont interdits en Chine, même s’il est l’un des écrivains chinois les plus lus clandestinement. Dieu est rouge est publié à Taïwan en 2011, la même année, il s'exile en Allemagne et reçoit le Prix frère et sœur Scholl. En 2012, Liao Yiwu est l'invité d'honneur du Festival international de Littérature de Berlin où il organise une exposition sur les « prisons, visibles et invisibles ». Il reçoit le prix de la Paix des éditeurs et libraires allemands. En septembre de la même année, il rend visite au 17e karmapa à Dharamsala en Inde et l'invite au Berlin International Literature Festival dans le but d'attirer l'attention sur les auto-immolations de Tibétains.

     

     

     Note publiée sur http://www.lacauselitteraire.fr/

     

     

     

  • Hery Mahavanona

    Vatovavy

     
    Vatovavy rocher femelle
    rocher femme
     rocher symbole dressé comme un sexe mâle
     je cherche désespérément sous ta toison drue hérissée de pitons
     les formes de femmes nues qu’on m’a tant ressassées
     femme couchée
     femme offerte
     femme refuge
     femme affalée dans l’attente du mâle
    vaine géométrie qui nargue les profanes
     hermétique architecture…
    je ne vois pas de sein
     je ne vois pas de sexe de femme
     je ne vois pas de silhouette callipyge
     qui m’inspirerait des pensées érotiques
     ou alors l’autre versant inaccessible aux curieux ?
     mais j’ai vu
     oui j’ai vu
     l’arborescence de la quintessence tanala
     et je pourrai rester des heures à la contempler
    Vatovavy
     j’imagine une femme
     j’imagine la Femme
     la femme tanala désormais debout
     source inépuisable de vie
     enfantant à tour de bras d’impitoyables avaleurs d’espace
     les seins nus mais qu’importe
     somondrara dardés qui enflamment le mâle
     ou seins flasques de précoces multipares
     irréversible érosion de ma source de vie
    et je revois Hitika
     je l’avais connue fillette mutine à la genèse de mes descentes
     longues tresses d’ambaniandro
     teint clair qui brillait tel une luciole dans le pénombre des veillées
     et pourtant on m’affirmait qu’elle était pure tanala, la belle affaire
     mais qu’importait cette dérisoire généalogie
     stériles immersions dans ses origines décryptées à travers des transes spirites
     proches de l’obsession
     elle était de Mahavanona et c’était l’essentiel
     princesse aux pieds nus et à la voix d’or
     son tempo éclairait les cantiques luthériens et les chœurs de dimanche
     le regard toujours effronté
     les nippes bridaient en vain sa beauté naissante
     et j’appréhendais avec effroi l’inévitable moment
     où un avaleur d’espace fusant des sentes escarpées
     allait butiner à la source ce nectar de première

    Ainsi fut fait…
    Je l’ai revue telle un maki femelle un gosse collé à son flanc
     sa beauté sauvage minée déjà par une lente déchéance

    Je revois Lily, elle s’appelait en réalité Julienne pour l’état civil, si toutefois elle en avait un, ce dont je doutais, Lily passait d’un lieu à l’autre par la magie d’unions coutumières, semant à tous vents des gosses dopés à la bilharziose qui mourraient au fur et à mesure que d’autres naissaient, Lily qui s’étonnait que je sois resté monogame et pendant si longtemps, elle avait épuisé sa jeunesse sur tant de sentiers conjugaux, hier elle était à Fenoarivo, le lendemain elle partait ailleurs avec un autre mari
     un autre enfant
     un autre deuil éphémère et naturel
     sous couvert de fatalité
     et aucune promesse pour les jours à venir
     Elle avait dû être belle
     avant que ses innombrables mouflets n’allongent ses jeunes seins jusqu’à la démesure et que la chique ne blesse grièvement son sourire sur son teint d’albâtre
     mais elle m’adorait. Dans ce pays on a le sens de la famille, dès qu’elle apprenait ma présence elle accourait toutes affaires cessantes, arborant telle une nouvelle médaille, un nouveau mari ou un nouveau bambin, il y en avait qui s’appelait Variste, je ne suis jamais arrivé à lui donner un âge tellement il ne grandissait pas

    Je revois Vony anéantie par une grossesse non désirée
     adultérine issue d’un coït sans lendemain
     encore une mère maki avec un gosse à son flanc
     mais celle-là avait fait pénitence
     demandé pardon à l’Eglise pour communier
     Il faut dire que sa voix manquait dans les cantiques de Noël
     la dernière fois que je suis revenu au pays
     elle avait réintégré la bergerie
     et repris une vie de bonne luthérienne

     Je revois Venige et son nom de nulle part, Venige aux longues échasses de sauterelle et un profil de pâtre grec, qui aurait cru qu’elle était du pays tanala, à peine quinze ans que déjà livrée en pâture à un avaleur d’espace, les muscles noueux et la vigueur qui engrosse les montagnes, deux enfants en deux ans sans coup férir et sans réelles ressources à part trimer dans une parcimonieuse rizière, bien entendu la famille eut droit au gros sel rituélique pour sceller l’union à la manière tanala et tout fut consommé jusqu’à l’insouciance juvénile de ma nièce et un beau jour le gendre fila sur de futiles prétextes vers les mirages constellés d’Ilakaka pour revenir six mois plus tard sans une once de saphir mais affublé d’une nouvelle compagne, il repartit aussitôt vers d’autres horizons à conquérir, d’autres proies pour prédateur, sans souci de son nouveau-né aussi menu qu’un moineau, il fallait le doper à l’hydrosol sur le conseils hautement éclairés d’un infirmier en retraite à dix kilomètres de là dans sa très officielle officine de Tolongoina.

    Oui, je revois toutes ces mères sans mari
     telles des makis traînant leur progéniture
     courant sur les sentes et cherchant l’eau de source
     elles caquetaient sous le soleil et considéraient sûrement
     que leur situation n’était pas si mal
     et quand d’autres mâles venaient par inadvertance élargir leur confrérie
     elles me disaient avec humour
     que c’était leur seule distraction
     que nenni !
     quand l’austère FLM daignait les absoudre après leur pénitence
     elles nous gratifiaient de polyphonies qui vous transfiguraient aux veillées de Noël
     mais elles n’étaient pas toutes filles mères
     il y en avait qui convolaient en justes noces chrétiennes
     bénédiction du pasteur à l’appui
     il y avait Hoara qui s’était mariée avec Eugène le catéchiste
     Hoara avait un pied bot et un sourire angélique
     je l’ai connue toute petite, elle venait toujours me faire des présents, trois fois rien mais sa gentillesse transcendaient ses offrandes, une corbeille de fruits, un couvre chef tanala trop petit pour ma grosse tête ou un coq que mon fils s’empressa de dénommer Phénix, sûrement pour s’assurer de son immortalité – Phénix fut volé dès le retour à Tanà mais peut-être qu’il vit encore quelque part avec un tel nom –

    elle était d’une famille nombreuse, Hoara, peu concernée par cette mortalité qui décime nos enfances, le père grabataire disparu il y a quelques années, je venais souvent le saluer mais il ne pouvait plus parler, il restait immobile sur sa natte, dans une maisonnette au dessus du Faraony comme s’il se recueillait en écoutant la respiration indolente du fleuve, curieusement ses filles ont toutes été mariées religieusement, un véritable tour de force et Hoara, ah Hoara et son sourire que je traquais à travers mon objectif pour le fixer pour la postérité, mais le résultat n’était jamais à la hauteur de la réalité et puis un jour Hoara vint nous dire qu’un catéchiste voulait la prendre pour femme, elle, la fillette au pied bot, il faut croire que le Bon Dieu avait décidément de bien tortueux et impénétrables chemins, effectivement le mariage eut bien lieu à Noël, sans fioriture, sans voile ni alliance, mais avec la bénédiction du pasteur Safina et sa voix de fausset qui faisait se tordre de rire ses paroissiennes, je me souviens, le catéchiste poussa la galanterie et la délicatesse jusqu’à se marier pied nu pour être à égalité avec Hoara et son pied bot, j’ai revu bien de mariages, bu et mangé, plaisanté, admiré des beautés mais jamais je n’étais aussi ému


    oui je revois toutes ces femmes tanala
     filles mères ou pas
     ces femmes précocement vieillies
     ces grand-mères flétries par le haut soleil du Faraony
     et les rigoureux hivers des plateaux
     et je te vois Vatovavy
     condensé de toutes les femmes

     
    tellement condensé que je ne te reconnais plus aucune forme féminine
     ton masque silencieux sur l’azur des collines
     mais ce pays sera femme ou ne sera plus
     et je flambe d’une colère qui ne tarira jamais

     
    craignant de brûler mon ultime patience
     à l’exégèse de tes oracles hermétiques
     j’arracherai cette croix de cimetière sur ce téton qui te sert de crâne
     sésame pour ton hypothétique félicité
     sauf respect des grottes funéraires accrochées à tes flancs semés de bucranes
     afin que tu deviennes désormais
     en ce haut lieu de notre souffle naissant
     dépouillé de fariboles
     notre phare pour les esprits tanala perdus dans les labyrinthes du monde
     étourdis du vin lourd des festins de transhumance
     à la recherche de leur mère
     patrie

     
     in Lumière océane du petit matin

     
    §  somondrara : seins d’adolescente)
     §  Vatovavy : rocher célèbre dans le sud est, à forme vaguement féminine, d’où son nom, et servant de repère pour les navires en mer