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CITATIONS - Page 30

  • Carl Gustav Jung

     

    Il est le Plein qui s’unit au vide.
    Il est l’accouplement sacré.
    Il est l’amour et son meurtre.
    Il est le saint et son traître.
    Il est la plus claire lumière du jour et la nuit la plus profonde de la folie.
    Le voir, c’est la cécité,
    Le connaître, c’est la maladie,
    L’adorer, c’est la mort,
    Le craindre c’est la sagesse,
    Ne pas lui résister, c’est le salut.

     

    Les Sept Sermons aux Morts  -  1916

     

     

     

  • Claude Ber

     

    Le ciel contre les cils. Comme au tréfil des doigts
    de la reconnaissance d'un visage. Le rideau d'un
    lyrisme italien tombe en bouillonné de scène.
    Sur le zigzag des routes. Sur un couchant d'opéra.
    Dans la pagaille du réel. Dans une chambre d'hôtel
    où des marins montent et les femmes tapinent près
    de la gare. A faire ses courses aux rayons de la vie,
    rien ne se perd, rien ne se crée. Apostrophe inévitable
    entre l'histoire et son récit. Une secousse sismique.
    Un trou d'air à ras du sol. Et il dégringole des quasars
    dans un vase de porcelaine. Du précieux dans les
    tuyauteries de l'évier. Au lieu de la paupière c'est
    l'arcade qui cligne. Et sur la nacre d'un coquillage
    l'expéditif de la pensée. Son rationnement. Simplement
    donc l'ombre des cils sur le cerne d'un visage fatigué.
    Un demi cercle orange derrière le dôme de la cathédrale.
    Du brouillé rosâtre autour. La rue beige sous les lampadaires.
    Du véridique énorme et calibré de cake débité à la coupe
    automatique. Capitonné au corps. Collé à la cornée. Je
    débloque l'issue de secours d'un coup de pied. Et je sors
    par mon dos.

     

    La mort n'est jamais comme, 2003

     

     

  • Lionel Mazari

     

    Nos yeux sont les larmes du ciel

    Nos larmes sont les yeux du diable

    Y’a du laisser-aller

    chez les laissés-pour-compte ;

    on n’va pas s’entraider ;

    on n’est pas dans un conte.

    Nos yeux sont les larmes du ciel

    Nos larmes sont les yeux du diable

    Pourtant je ne vois que des pages :

    du noir sur blanc,

    quelques images,

    et pas un seul grand.

    Nos yeux sont les larmes du ciel

    Nos larmes sont les yeux du diable

    A perte de vue :

    des enfants perdus.

    Pas-encore-des-hommes,

    c’est ce que nous sommes.

    Nos yeux sont les larmes du ciel

    Nos larmes sont les yeux du diable

    ...

    © l'impossible séjour

     

     

  • Jung

     

    Tous mes écrits sont pour ainsi dire des tâches qui me furent imposées de l’intérieur. Ils naquirent sous la pression d’un destin. Ce que j’ai écrit m’a fondu dessus, du dedans de moi-même. J’ai prêté la parole à l’esprit qui m’agitait.

     

     in Ma vie

     

     

     

     

  • François Corvol

    Avis

    Cherche être vivant

    Perdu le : date inconnue

    Nom : Doux et sonore

    Entraperçu pour la dernière fois quelque part aux environs du jour, parmi les nuages, ou forçant le pas dans une foule rapide. Le temps d’un courant d’air, à peine, tout juste. Peut-être déboussolé.

    Si trouvé, merci de ne pas me contacter, ni de contacter quiconque d’ailleurs à ce sujet, seulement le choyer comme il se doit, et l’étreindre longtemps, longtemps.

     

     

     

  • Nietzsche

    La notion de révélation, au sens ou soudain, avec une sûreté et une finesse indicible, quelque chose devient visible, audible qui ébranle et bouleverse au plus profond, cette notion décrit simplement l’état de fait. On entend, on ne cherche pas ; on prend on ne demande pas qui donne ; tel un éclair une pensée vous illumine, avec nécessité, sans hésitation dans la forme, – jamais le choix ne m’a été laissé.

     

    in Ecce homo

     

     

     

     

     

  • Anne Jullien

     

    mais le réel c’était ça, une âme

    grandiose à terre précipitée

    emmaillotée dans un corps dès le début

    qui ne voulait qu’exulter à hauteur

    d’étoiles et d’espaces et de vibrations

                                         

    in l’envol du bœuf

     

     

  • Pat Ryckewaert

     

    J’en appelle à ton silence
    pour retrouver ma voix
    et les cordes du ring
    me renvoient au milieu.
    Laisse le cri dans ta gorge
    l’instinct dans ta poche révolver
    il n’est plus le temps
    de la roulette russe et du froid sibérien.
    Regarde comme il fait beau ici
    sous le néon du jour
    au ciel rose de décembre
    la neige carbonique
    fait de la fourrure d’ange
    et des cendres qui craquent.
    J’ai replié mes ailes
    et la corneille est morte
    enfouie dans mon chagrin
    tu m’as fait tant de peine
    et du bien aussi, il y a longtemps.
    Regarde la fleur de ma bouche
    elle a le goût des autres
    et des baisers d’hier
    c’est un poème d’amour
    avec du souffre dedans
    et du sang sous les ongles
    d’avoir griffé la nuit, lacéré les heures
    la croute va se faire, je le sais
    pour soulager ta chair et ta mémoire.
    Regarde ce qu’il reste de nous
    dans nos gestes et nos cœurs qui hésitent
    on est à se recoudre ensemble
    dans un corset de mots.

     

    in La corneille

     

     

     

     

  • Daria Colonna

     

    Je coupe au couteau les coins de ma bouche, je suis tout sourire. Le siècle est un souper qui se trempe, s’arrose, s’asperge, se douche, s’inonde. J’apprends à respirer sous l’eau, à jurer du beau temps, je fais mon âge et je l’entends gémir, chaque mois, de corvée de culotte et de jours enclos. C’est par considération que je meurs.

     

    Je tourne autour des soleils jusqu’à ce que l’un d’eux me rajeunisse.

     

    Alors j’ai la joie et trois ans; pardonnez ma voix borgne, pardonnez l’enthousiasme, les mensonges de rien, le rire aigu, je suis un entrepôt de boue, d’agrumes et de limon où pousse un chapeau de fête.

     

    Laissez la pourriture recouvrir les murs de mes écoles.

     

    Demain j’irai mieux, je dormirai clouée à mes écrans, attachée à mes personnages de série, nous à nouveau, grouillantes de passés simples, pourries d’espérance, flanquées des versions les plus pâles du Christ. Je ressusciterai par balle, par colis, par habitude.

     

    Nous aurons toujours de quoi veiller.

     

     

  • Martin Caparrós

    La stratégie des dominants a toujours été de maintenir leurs dominés au niveau le plus bas possible. De déterminer à chaque fois ce niveau par la méthode empirique : essais et erreurs. L’erreur a pu consister en ce que des milliers de gens meurent de faim ou en ce qu’ils se dressent et exigent. (…) Alors entre en action la charité chrétienne ou sa version contemporaine, l’assistanat : donner aux pauvres le minimum pour qu’ils survivent et n’éclaboussent pas de leur sang ou de leurs os les écrans de télévision.

     

    (…) Mais nous ne sommes pas trop de manière abstraite, en général : certains sont en trop.

    (…) Si on administrait un jour aux patrons argentins — les riches et leurs représentants  — la dose adéquate de penthotal, il serait amusant de les entendre : ils pourraient parler de la manière de se débarrasser de cinq ou six millions de personnes. Ils l’envisageraient comme un véritable service à la patrie : le reste de la population vivrait plus confortablement, l’indice de criminalité chuterait, les sectes évangélistes perdraient de leur influence, il y aurait beaucoup d’espace libre pour de nouvelles cultures ou quartiers résidentiels, les transports en commun marcheraient mieux, l’État économiserait des ressources — en subsides, organismes, policiers, gardiens de prison — qu’il pourrait employer à améliorer par exemple les écoles, les universités et les hôpitaux que des usages éduqués utiliseraient avec discernement. On perdrait peut-être quelques footballeurs et quelques boxeurs, deux ou trois chanteurs ringards ; (…) et  ils auraient tous plus de difficultés à trouver des femmes de ménage mais, globalement, ils y gagneraient plus qu’ils n’y perdraient.

     

    in La faim, éd. Buchet-Chastel, octobre 2015