Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

RÉSONNANCE & COPINAGES - Page 3

  • Jan Richardson

    I cannot tell you
    how the light comes.
    What I know
    is that it is more ancient
    than imagining.
    That it travels
    across an astounding expanse
    to reach us.
    That it loves
    searching out
    what is hidden
    what is lost
    what is forgotten
    or in peril
    or in pain.
    That it has a fondness
    for the body
    for finding its way
    toward flesh
    for tracing the edges
    of form
    for shining forth
    through the eye,
    the hand,
    the heart.
    I cannot tell you
    how the light comes,
    but that it does.
    That it will.
    That it works its way
    into the deepest dark
    that enfolds you,
    though it may seem
    long ages in coming
    or arrive in a shape
    you did not foresee.


     

     

    Je ne peux vous dire 
    comment vient la lumière.
    Ce que je sais,
    c'est qu'elle est plus ancienne 
    que l'imagination.
    Qu'elle voyage 
    à travers un espace stupéfiant 
    pour nous atteindre.
    Qu'elle aime rechercher
    ce qui est caché
    ce qui est perdu
    ce qui est oublié
    ou en danger
    ou en souffrance.
    Qu'elle a une affection pour le corps
    pour trouver son chemin vers la chair
    pour tracer les contours des formes
    pour éclairer à travers l'œil,
    la main, 
    le cœur.
    Je ne peux vous dire 
    comment vient la lumière,
    mais peux vous assurer qu'elle vient.
    Qu'elle le fera.
    Qu'elle se forera une voie
    dans l'obscurité la plus profonde
    qui vous enveloppe,
    même si cela peut sembler
    prendre une éternité à venir
    ou arriver sous une forme
    que vous n'aviez pas prévue.

     

    traduit par moi-même

     

     

  • Anne Dufourmantelle

    La douceur a fait pacte avec la vérité ; elle est une éthique redoutable.

    Elle ne peut se trahir, sauf à être falsifiée. La menace de mort même ne peut la contrer.

    La douceur est politique. Elle ne plie pas, n'accorde aucun délai, aucune excuse. Elle est un verbe : on fait acte de douceur. Elle s'accorde au présent et inquiète toutes les possibilités de l'humain.

    De l'animalité, elle garde l'instinct, de l'enfance l'énigme, de la prière l'apaisement, de la nature, l'imprévisibilité, de la lumière, la lumière.

     

    in Puissance de la douceur

     

     

     

  • Georges de Cagliari

    LA BEAUTÉ

     

    Sous les pieds du désert, la beauté prend patience.

    Elle naîtra peut-être de l’épine dans le talon d’un nouveau-né,

    ou d’un foisonnement d’oracles à l’embouchure du silence,

    ou du parfum d’un trait entre le cri de l’œil et l’hégémonie des couleurs,

    mais toujours à partir d’un rien, comme une montagne d’un chant de pâtre.

    La beauté naîtra !

    Aussi évidente qu’un lait de brume sur l’aréole des matins.

    Elle aura pour berceau l’espace et le confinement,

    la laideur et le ciel marin,

    tout ce qui fait le sang de son enfantement.

    Contre les sentences des codes,

    malgré les griffons noirs assis sur les marches du trône,

    la beauté naîtra par surprise,

    par violence ou détournement,

    ou par magie d’esprit, dans la bure épaisse d’une folie élaborée !

    Et ce sera tresses d’azur dans l’échancrure des grottes

    et ce sera l’effarement des dunes,

    confites dans la comptabilité béates des ondulations.

    La beauté naîtra !

    Que les vagues le disent aux plages pachydermes :

    quelle que soit sa mature, elle accostera sur nos ères comme un galion d’épices pour l’ivresse des vents de terre,

    et ce sera jeux de vitrail dans la composition des pistes neuves à fouler.

    Qu’on l'assène aux masques assoupis sous la férule des beffrois !

    Ils peuvent faire rouler les dés,

    ils peuvent biseauter les cartes,

    la beauté viendra du dehors,

    par le chemin inexploré,

    par la douve vouée à la fermentation des herbes,

    par les premiers mots de l’enfant devant la porte condamnée !

    La beauté viendra.

    Déjà, des géométries impalpables s’instaurent entre le geste ancien et le battement d’ailes,

    déjà dans les pierres grises, une oasis mûrit .

    Regarde mieux !

    Non pas le cavalier et sa fanfare d’orgueil, mais la sculpture du vent entre sa monture et le ciel.

    Regarde mieux !

    Tu seras ébloui comme au commencement.

     

    in Cécité pour mieux voir, éd. de la Musaraigne

     

     

     

     

  • Stranieri Ovunque

    Contrairement à ce que voudrait nous faire croire la propagande raciste, les migrations ne concernent que pour 17 % les riches pays du Nord, et concernent tous les continents (en particulier l’Asie et l’Afrique) ; ce qui signifie que pour chaque pays pauvre, il s’en trouve un encore plus pauvre d’où fuient des migrants. La mobilisation totale imposée par l’économie et les États est un phénomène planétaire, une guerre civile non déclarée et sans frontière : des millions d’exploités errent dans l’enfer du paradis marchand, ballottés de frontière en frontière, enfermés dans des camps de réfugiés, encerclés par la police et l’armée, et gérés par les organisations dites de charité — complices des tragédies dont elles ne dénoncent pas les causes réelles dans le seul but de profiter de leurs conséquences —, entassés dans les « zones d’attente » des aéroports ou dans les stades, enfermés dans des camps […] pour être enfin ficelés et expulsés dans l’indifférence la plus totale. »

     

     in Partout des étrangers

     

     

  • Georges Didi-Huberman & Niki Giannari

    (...) Après tout, les réfugiés ne font que revenir. Ils ne « débarquent » pas de rien, ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venus de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de conjurer quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous des enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils « lointains » (comme on parle des cousins). L’autochtonie que vise, aujourd’hui, l’emploi paranoïaque du mot « identité », n’existe tout simplement pas et c’est pourquoi toute nation, toute région, toute ville ou tout village sont habités de peuples au pluriel, de peuples qui coexistent, qui cohabitent, et jamais d’« un peuple » autoproclamé dans son fantasme de « pure ascendance ». Personne en Europe n’est « pur » de quoi que ce soit — comme les nazis en ont rêvé, comme en rêvent aujourd’hui les nouveaux fascistes — et si nous l’étions par le maléfice de quelque parfaite endogamie pendant des siècles, nous serions à coup sûr génétiquement malades, c’est-à-dire « dégénérés ».


     
     in Passer, quoi qu’il en coûte

     

     

     

     

     

     

  • Éric Barbier - entretien avec Éric Chassefière - Francopolis, déc. 2023

    Dans le dernier numéro de l'année de Francopolis, la joie de lire et relire un ami de plume comme Eric Barbier dans un entretien avec Éric Chassefière (quelques extraits ci-dessous) qui a repris la revue et les publications d'Encres Vives de Michel Cosem.

     

     

    Le très proche lointain, le vol d’un aigle ou d’un vautour – ‘l’oiseau même seul est un grand peuple’ – une vive lumière sur les adrets, le voyage de la roche immense. Ce qui ainsi par ce souffle rapproche les mots, là où le poème se fait chemin.

     

    (…)

    la beauté relève de ce qui échappe aux définitions. La beauté, prétention ou réalité, une insurrection au plus près de soi, l’éphémère, le dérobé, l’agitation du temps dans l’image provisoirement immobile.  La beauté, tentation à poursuivre, elle qui devrait nous préserver de l’inattention, nous permettre de reprendre vie.

     

    (…) Le poème devrait faire apparaître cette mémoire qui sans vouloir recourir sans cesse au passé, dans un vivifiant tremblement, offre l’histoire à notre présent ; cette mémoire que la beauté éveille, langue singulière parole dénuée d’ornements, pour retrouver ce que les hommes ont en partage.

     

    (…) avancer par ses moyens dans les plus sérieuses ombres vers la pointe du dénuement pour voir apparaître une rive différente, pour arpenter un sol qui ne cède pas.

     

    Et sont publiés à la suite de l'entretien des poèmes inédits donc voici quelques extraits également :

     

    (...)

     

    L’entretien infini renverse le crépuscule

    se reposer dans un temps éloigné

    tout retrouver ne rien reconnaître

    tout deviner ne rien apprendre

    rester à vue : la main elle

    voudrait reprendre le témoignage de

    cette jouissance stupéfaite qui épouse

    la rousseur de la roche.

     

    Le vent après avoir livré

    cent-douze histoires à

    l’assemblée des carex disperse

    l’apprentissage résigné de l’homme.

     

    (…)

     

    J’ai retiré mes yeux

    de la nuit qui s’avançait

    peut-être ces cris l’occupaient-elles

    splendeur distante

    lumière d’après les orages

    telle la pierre lancée

    dans l’accalmie du ruisseau

    ou la graine échappée du fruit

    goûté lors d’un songe tumultueux

    je tente une présence parmi

    l’alphabet en friches

    de la commune obscurité.

     

    (…)

     

    Eaux violentes nouveaux prétextes

    elle vivrait déjà en nous

    cette charbonneuse patience

    la débauche du soleil

    débordera les maisons

    nous en boirons les mémoires

    à gorge primitive

    le visage doucement ébréché

    par les semblants du crépuscule.

     

     

     

     

    Hors de souffle

    hors de portée

    hors d’atteinte

    une saison trompeuse

    invite à ne plus rien quitter

    au plus près il ne s’agit

    ni de peur ni de mort

    tout reviendra

    dans un jour différent

    tout se répètera

    pour mieux nous abandonner

    hors de souffle.

     

    (…)

     

    Le soleil s’étend prudemment

    dans ta bouche

    genévriers bouses sèches

    douceur abrupte de la neige tôt venue

    évidence qui ne devra être répétée

    ni mutisme ni aveux

    savoir exactement

    ce qui pourra être déclaré

    les nuages rabrouent la pâleur nouvelle des versants

    lumière rase yeux courbés

    au retour s’imposent d’anciennes réponses.

     

    *

     

    Boire une gorgée pour

    saluer les autres saisons

    de l’homme ciel

    confédération de nuées

    la beauté devient un

    instant tendu entre

    deux absences une mer

    somnolente d’orties

    peuple plusieurs imaginations

    laquets bruyères fleuries

    virtuosité herbeuse de l’été.

     

    *

     

    Eaux blanches

    Eaux brunes

    écume de mai

    la neige tardive reste gardienne de leurs chants

    fragile perpétuité arbres sentinelles

    près du col

    pierres belliqueuses

    réconciliées dans le bleu du ciel

    Eaux blanches

    Eaux brunes

    comme tout ce qui difficilement s’énumère

    la beauté accueille voluptueusement nos interrogations

    reste l’abandon

    des guides

    nulle distance entre espoir et devenir

    Eaux blanches

    Eaux brunes

    aucune question ne sera retenue

    splendeur mal retranscrite

    où se rassemblent les

    vertus dissipées du jour.

     

    *

     

    Chaleur incrédule

    ciel fou d’exactitude

    une fête s’annonce

    l’été déjà la sait ultime

    dernières rumeurs d’une célébration

    reste une promesse dont personne

    ne certifiera l’accomplissement

    mais

    quel corps justement devrait

    se donner aux nuages tardifs

    mutisme sans réponses

    baiser profond sur les lèvres

    inattendues du rocher.

     

    *

     

    Cette lumière

    que l’on ne peut nommer

    marcher à distance nécessaire

    de l’ombre qui me suit

    repos fleurs méconnues

    ignorance que n’éteindrait

    aucun livre

    roche sévère comme

    une jeunesse sans mensonges

    le temps et le sentier

    se dérobent sous le pas

    longue présence

    mémoire que

    chaque jour

    retrouve.

     

    *

     

    Ce qui n’était

    même ruisseau

    prend langue de glace

    la mort

    ne porte pas un nom fidèle

    sur la lente vitre

    le jour naissant

    confirme

    l’indiscipline ouvragée

    du temps.

     

    *

     

    Lumière difficile

    la chaleur qui l’épuise

    doit provenir des temps

    les mieux oubliés

    et voilà comme image

    celle d’un homme

    qui parlerait d’autres saisons

    sur le chemin

    la poussière de l’été

    improvise certains détours.

     

    (...)

     

     Source : http://www.francopolis.net/salon2/E.Barbier-NovDec2023.html

     

     

  • Le dernier poème de Refaat Al Areer

     
    "Si je dois mourir
    tu dois vivre
    pour raconter mon histoire
    pour vendre mes effets
    et acheter une étoffe
    et quelques ficelles
    (une étoffe blanche avec une longue traîne)
    pour qu'un enfant quelque part à Gaza
    en regardant le paradis dans les yeux
    guettant son père parti dans un brasier
    sans dire adieu à personne
    pas même à sa chair
    pas même à lui-même
    voie le cerf-volant, mon cerf-volant tout là-haut
    que tu auras fabriqué, volant tout là-haut
    et pense un instant qu'un ange est là
    ramenant l'amour
    Si je dois mourir
    fais que cela apporte de l'espoir
    que ce soit un conte"
     
     
    Refaat Al Areer, poète palestinien, professeur de littérature anglaise, mort à Gaza sous les bombes la nuit dernière avec six membres de sa famille, donc quatre enfants.
     
     
    NON À LA GUERRE ! STOP !
     
     
     
     
     

  • Avi Katz - Israël

    Avi Katz (Israël).jpg

    Novembre 2023

     

     

     

    Article de 2018

    "le dessinateur israélien Avi Katz a été informé par le magazine The Jerusalem Report, pour lequel il officiait comme pigiste depuis 1990, qu’ils ne publieraient plus ses dessins, à la suite de la publication d’un dessin sur sa page Facebook avant sa publication par le magazine. Des membres du gouvernement israélien y sont représentés en cochons, sous la légende « Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres », célèbre citation du roman satirique, La Ferme des animaux de George Orwell.

     

    Le dessin fait référence à une photo de Benyamin Netanyahou et de membres du Likoud se prenant en selfie après l’adoption par la Knesset de la loi controversée sur l’Etat-nation qui sanctionne le statut d’Etat-Nation Juif d’Israël. Une loi jugée discriminatoire envers les populations non-juives d’Israël, la langue Arabe perdant par exemple le statut de langue officielle.

    Posté sur Facebook par son auteur avant sa publication par le Jerusalem Report, le dessin est devenu viral et a suscité de nombreuses réactions, principalement au sujet de la représentation des politiciens en cochons, jugée antisémite et choquante en Israël, le porc étant non kasher.

    L’éditeur du magazine qui a initialement validé le contenu du dessin, a alors averti Avi Katz de son intention de ne plus publier ses dessins, sous pression de la direction du journal, furieuse de cette publication anticipée. Dans un communiqué cité par le journal Times of Israël, les membres du Jerusalem Report expliquent que « suite à des considérations éditoriales prises par les rédacteurs en chef, il a été décidé de ne plus publier ses dessins, après que plusieurs d’entre eux ont suscité des réactions négatives ». Haim Watzman, journaliste au magazine dont les écrits accompagnaient régulièrement les dessins de Katz, a démissionné en réponse à l’éviction d’Avi Katz. Le dessinateur a bénéficié de nombreux soutiens parmi lesquels on compte des dessinateurs israéliens tels qu’Uri Fink, Michel Kichka mais aussi l’Union des journalistes d’Israël et l’organisation internationale PEN America. Finalement, il est à noter que Nissim Hezkyahu, fondateur et ancien président de l’Israel Cartoonists Associaton et directeur artistique du festival ANIMIX de dessin de presse et de BD qui se tiendra pour sa 18 ème édition à Tel Aviv en Août 2018, organise une exposition de dessins en réponse au licenciement d’Avi Katz et sortira un numéro spécial unique qui réunira tous les dessins exposés."

     

    Source : Cartooning for peace

     

     

     

  • Daniel Giraud - Gravé à l’esprit * Sin Ming

    Né en 1946 à Marseille, Daniel Giraud était arrivé en Couserans en 1972, après de multiples voyages qui l’avaient amené des montagnes chinoises aux fins fonds de l’Amérique profonde.  Comme il le disait : "Seul un poète peut traduire un poète." Et sans avoir appris le mandarin autrement que par lui-même, grâce à une méthode qui lui était propre et ses multiples voyages au pays de Lao Tseu, il en était devenu l’un des traducteurs les plus respectés et fidèles.

     

     

    grave-a-l-esprit-sin-ming.jpg

    https://atelierdelagneau.com/fr/accueil/279-grave-a-l-esprit-sin-ming-9782374280684.html

     

     

     

    "Daniel Giraud s’est donné la mort le vendredi 6 octobre 2023 à Saint-Girons en Ariège, où il avait élu domicile en 1972 après de nombreux voyages (Afrique, Asie, Amérique). Il avait écrit en 2016 : « Connaître la réalité de la conscience permet d’assister à sa propre mort, au centre du monde, mourir avant de mourir et réaliser sa vraie nature ». Et, dans le même ouvrage au titre profondément anarchiste, Comment s’affranchir de son thème astrologique (éditions Arqa), « Sentir que l’on n’est jamais né (et que nous ne mourrons jamais) nous affranchit de notre instant et lieu de "naissance" de notre corps, et donc de notre thème astrologique », l’astrologie étant pour lui « une gnose, une connaissance de l’art sacré, une interprétation des rapports entre l’être et le Cosmos ». Dans Tao et Anarchie, Daniel Giraud rapproche Tchouang Tseu (IVe siècle avant J.-C.) de Max Stirner et de Nietzsche, ces penseurs se méfiant du pouvoir de l’état et renvoyant chacun à lui-même, à une solitude affranchie du bien, du mal, et des structures oppressives. L’anarchie taoïste de Daniel Giraud croise aussi Lao Tseu et Cioran. Né en 1946 à Marseille, il a créé en 1977 la revue poétique et métaphysique Révolution intérieure, dont le dernier numéro paraîtra en 1987, et qui  donnera son nom à l’édition de ses écrits auto-publiés.

     

                Daniel Giraud a appris le mandarin par lui-même, mais ses traductions de Li Po (Albin Michel, 1989), Hsin Hsin Ming (Arfuyen, 1992), Hsan Shan (Orphée La Différence, 2016), du Tao Tö King (Courrier du Livre, 1989, et l’Harmattan, 2011) sont reconnues par des sinologues tels que Jacques Pimpaneau. Des récits de sagesse d’extrême orient (Gallimard, 2007) traversent les traditions du Tao et du Tch’an chinois « qui a donné le Zen au Japon ». L’un des « textes » essentiels de cet « enseignement muet et paradoxal » issu « de l’alchimie subtile entre Bouddhisme (officiellement) et taoïsme (officieusement) » est le Sin Ming (ou : « la négation originelle fondamentale ») dont l’auteur est Fa Jung (594 – 657). « Sin Ming, gravé à l’esprit ou inscrit au cœur », est pour Daniel Giraud qui en propose ici la traduction entre une introduction et le texte chinois suivi de notes, « un écrit de l’esprit qui se perçoit de lui-même, de cœur à cœur. Sin c’est aussi bien les pensées du mental, le cœur des émotions que l’esprit universel considéré dans une perspective métaphysique non duelle (…) L’esprit est non-né, tout comme les naissances apparentes (…) Dans le silence paisible, le non-né n’est pas affecté par toutes les situations apparentes et les tourbillons de pensée (…) À l’esprit vacant tout est vide. La dernière parole du Sin Ming est une sans-parole : "Le non-dit discerne le vrai du faux et fait prendre conscience" ».

     

                Tout traducteur parie sur l’échange. Tournant le dos à l’exotisme, l’universaliste Daniel Giraud n’hésite pas à lancer des ponts entre penseurs chinois et occidentaux, et nous autorise implicitement à faire de même. En amont de Nietzsche qu’il rapproche du taoïsme, l’influence de Schopenhauer s’est étendue de Proust à Clément Rosset, en passant par Hermann Hesse. On pense à « l’idiotie » selon Rosset, et à nos philosophes, dramaturges et humoristes de l’absurde, en lisant : « tout n’a pas de cause / lumière et paix se manifestent spontanément ». Ou à Proust : « Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause », ou : « une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause ». Face à cette obscurité lumineuse, « ne pas penser est l’action efficace », l’action « au plus subtil et profond », nous dit Fa Jung. Où « l’essentiel du savoir est non-savoir ». Où « la réalité absolue n’est pas explicable / non séparée, non entravée ».

     

                Mais c’est sur l’obstacle auquel se cogne tout langage (et qu’il doit se cogner), sur son désir et son incapacité face au réel, à l’impression vécue, que le Sin Ming rencontre Proust et les modernes. Du côté de chez Swann : « Et voyant sur l’eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel , je m’écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : "zut, zut, zut, zut" ». Fa Jung : « être ainsi par soi-même clair et paisible / sans pouvoir arriver à en parler ». Et si l’expression du narrateur proustien est « égarée au possible », comme dirait un autre, aux yeux d’un Fa Jung elle n’est pas inadéquate : « extérieurement, ayant l’air ignorant et bête / intérieurement, le cœur vide et juste ». On croit lire Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer quand Fa Jung écrit : « Les pensées font seulement tournoyer et obscurcir / elles troublent et perturbent les souffles vitaux ».

     

                Loin de s’opposer à la littérature, l’ « enseignement muet » du Tch’an la fonde (qu’on pense au « monde muet », grand aiguillon de Ponge), la sauve du naufrage dans la logomachie. Et si rien ne paraît plus éloigné de l’orient indien ou chinois que le cartésianisme, l’évidence du Cogito émergeant du doute systématique répond parfaitement à : « n’ayant pas de lieu pour apaiser l’esprit / la clarté de la vacuité se dévoile d’elle-même ».

     

                Loin d’être inconciliables ou irréconciliables, les deux cultures dialoguent, à une quinzaine de siècles d’intervalle, et s’harmonisent dans l’oreille du bluesman « Dan Giraud ». Si nous l’entendons si clairement, si distinctement, nous jouer du Fa Jung, c’est qu’il n’est pas parti bien loin."

     

    François Huglo

    https://www.sitaudis.fr/Parutions/fa-jung-de-daniel-giraud-1698900547.php