Entretien avec Gitta Mallasz à propos de Dialogue avec les anges - 19 juin 1989
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Le temps
est une chaise au soleil, et rien de plus.
I cannot tell you
how the light comes.
What I know
is that it is more ancient
than imagining.
That it travels
across an astounding expanse
to reach us.
That it loves
searching out
what is hidden
what is lost
what is forgotten
or in peril
or in pain.
That it has a fondness
for the body
for finding its way
toward flesh
for tracing the edges
of form
for shining forth
through the eye,
the hand,
the heart.
I cannot tell you
how the light comes,
but that it does.
That it will.
That it works its way
into the deepest dark
that enfolds you,
though it may seem
long ages in coming
or arrive in a shape
you did not foresee.
Je ne peux vous dire
comment vient la lumière.
Ce que je sais,
c'est qu'elle est plus ancienne
que l'imagination.
Qu'elle voyage
à travers un espace stupéfiant
pour nous atteindre.
Qu'elle aime rechercher
ce qui est caché
ce qui est perdu
ce qui est oublié
ou en danger
ou en souffrance.
Qu'elle a une affection pour le corps
pour trouver son chemin vers la chair
pour tracer les contours des formes
pour éclairer à travers l'œil,
la main,
le cœur.
Je ne peux vous dire
comment vient la lumière,
mais peux vous assurer qu'elle vient.
Qu'elle le fera.
Qu'elle se forera une voie
dans l'obscurité la plus profonde
qui vous enveloppe,
même si cela peut sembler
prendre une éternité à venir
ou arriver sous une forme
que vous n'aviez pas prévue.
traduit par moi-même
La douceur a fait pacte avec la vérité ; elle est une éthique redoutable.
Elle ne peut se trahir, sauf à être falsifiée. La menace de mort même ne peut la contrer.
La douceur est politique. Elle ne plie pas, n'accorde aucun délai, aucune excuse. Elle est un verbe : on fait acte de douceur. Elle s'accorde au présent et inquiète toutes les possibilités de l'humain.
De l'animalité, elle garde l'instinct, de l'enfance l'énigme, de la prière l'apaisement, de la nature, l'imprévisibilité, de la lumière, la lumière.
in Puissance de la douceur
LA BEAUTÉ
Sous les pieds du désert, la beauté prend patience.
Elle naîtra peut-être de l’épine dans le talon d’un nouveau-né,
ou d’un foisonnement d’oracles à l’embouchure du silence,
ou du parfum d’un trait entre le cri de l’œil et l’hégémonie des couleurs,
mais toujours à partir d’un rien, comme une montagne d’un chant de pâtre.
La beauté naîtra !
Aussi évidente qu’un lait de brume sur l’aréole des matins.
Elle aura pour berceau l’espace et le confinement,
la laideur et le ciel marin,
tout ce qui fait le sang de son enfantement.
Contre les sentences des codes,
malgré les griffons noirs assis sur les marches du trône,
la beauté naîtra par surprise,
par violence ou détournement,
ou par magie d’esprit, dans la bure épaisse d’une folie élaborée !
Et ce sera tresses d’azur dans l’échancrure des grottes
et ce sera l’effarement des dunes,
confites dans la comptabilité béates des ondulations.
La beauté naîtra !
Que les vagues le disent aux plages pachydermes :
quelle que soit sa mature, elle accostera sur nos ères comme un galion d’épices pour l’ivresse des vents de terre,
et ce sera jeux de vitrail dans la composition des pistes neuves à fouler.
Qu’on l'assène aux masques assoupis sous la férule des beffrois !
Ils peuvent faire rouler les dés,
ils peuvent biseauter les cartes,
la beauté viendra du dehors,
par le chemin inexploré,
par la douve vouée à la fermentation des herbes,
par les premiers mots de l’enfant devant la porte condamnée !
La beauté viendra.
Déjà, des géométries impalpables s’instaurent entre le geste ancien et le battement d’ailes,
déjà dans les pierres grises, une oasis mûrit .
Regarde mieux !
Non pas le cavalier et sa fanfare d’orgueil, mais la sculpture du vent entre sa monture et le ciel.
Regarde mieux !
Tu seras ébloui comme au commencement.
in Cécité pour mieux voir, éd. de la Musaraigne
Je veux nicher dans le suc du vrai, pas autre part.
Je ne veux que ça. Je n’aspire qu’à ça.
Contrairement à ce que voudrait nous faire croire la propagande raciste, les migrations ne concernent que pour 17 % les riches pays du Nord, et concernent tous les continents (en particulier l’Asie et l’Afrique) ; ce qui signifie que pour chaque pays pauvre, il s’en trouve un encore plus pauvre d’où fuient des migrants. La mobilisation totale imposée par l’économie et les États est un phénomène planétaire, une guerre civile non déclarée et sans frontière : des millions d’exploités errent dans l’enfer du paradis marchand, ballottés de frontière en frontière, enfermés dans des camps de réfugiés, encerclés par la police et l’armée, et gérés par les organisations dites de charité — complices des tragédies dont elles ne dénoncent pas les causes réelles dans le seul but de profiter de leurs conséquences —, entassés dans les « zones d’attente » des aéroports ou dans les stades, enfermés dans des camps […] pour être enfin ficelés et expulsés dans l’indifférence la plus totale. »
in Partout des étrangers
(...) Après tout, les réfugiés ne font que revenir. Ils ne « débarquent » pas de rien, ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venus de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de conjurer quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous des enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils « lointains » (comme on parle des cousins). L’autochtonie que vise, aujourd’hui, l’emploi paranoïaque du mot « identité », n’existe tout simplement pas et c’est pourquoi toute nation, toute région, toute ville ou tout village sont habités de peuples au pluriel, de peuples qui coexistent, qui cohabitent, et jamais d’« un peuple » autoproclamé dans son fantasme de « pure ascendance ». Personne en Europe n’est « pur » de quoi que ce soit — comme les nazis en ont rêvé, comme en rêvent aujourd’hui les nouveaux fascistes — et si nous l’étions par le maléfice de quelque parfaite endogamie pendant des siècles, nous serions à coup sûr génétiquement malades, c’est-à-dire « dégénérés ».
in Passer, quoi qu’il en coûte
Dans le dernier numéro de l'année de Francopolis, la joie de lire et relire un ami de plume comme Eric Barbier dans un entretien avec Éric Chassefière (quelques extraits ci-dessous) qui a repris la revue et les publications d'Encres Vives de Michel Cosem.
Le très proche lointain, le vol d’un aigle ou d’un vautour – ‘l’oiseau même seul est un grand peuple’ – une vive lumière sur les adrets, le voyage de la roche immense. Ce qui ainsi par ce souffle rapproche les mots, là où le poème se fait chemin.
(…)
la beauté relève de ce qui échappe aux définitions. La beauté, prétention ou réalité, une insurrection au plus près de soi, l’éphémère, le dérobé, l’agitation du temps dans l’image provisoirement immobile. La beauté, tentation à poursuivre, elle qui devrait nous préserver de l’inattention, nous permettre de reprendre vie.
(…) Le poème devrait faire apparaître cette mémoire qui sans vouloir recourir sans cesse au passé, dans un vivifiant tremblement, offre l’histoire à notre présent ; cette mémoire que la beauté éveille, langue singulière parole dénuée d’ornements, pour retrouver ce que les hommes ont en partage.
(…) avancer par ses moyens dans les plus sérieuses ombres vers la pointe du dénuement pour voir apparaître une rive différente, pour arpenter un sol qui ne cède pas.
Et sont publiés à la suite de l'entretien des poèmes inédits donc voici quelques extraits également :
(...)
L’entretien infini renverse le crépuscule
se reposer dans un temps éloigné
tout retrouver ne rien reconnaître
tout deviner ne rien apprendre
rester à vue : la main elle
voudrait reprendre le témoignage de
cette jouissance stupéfaite qui épouse
la rousseur de la roche.
Le vent après avoir livré
cent-douze histoires à
l’assemblée des carex disperse
l’apprentissage résigné de l’homme.
(…)
J’ai retiré mes yeux
de la nuit qui s’avançait
peut-être ces cris l’occupaient-elles
splendeur distante
lumière d’après les orages
telle la pierre lancée
dans l’accalmie du ruisseau
ou la graine échappée du fruit
goûté lors d’un songe tumultueux
je tente une présence parmi
l’alphabet en friches
de la commune obscurité.
(…)
Eaux violentes nouveaux prétextes
elle vivrait déjà en nous
cette charbonneuse patience
la débauche du soleil
débordera les maisons
nous en boirons les mémoires
à gorge primitive
le visage doucement ébréché
par les semblants du crépuscule.
Hors de souffle
hors de portée
hors d’atteinte
une saison trompeuse
invite à ne plus rien quitter
au plus près il ne s’agit
ni de peur ni de mort
tout reviendra
dans un jour différent
tout se répètera
pour mieux nous abandonner
hors de souffle.
(…)
Le soleil s’étend prudemment
dans ta bouche
genévriers bouses sèches
douceur abrupte de la neige tôt venue
évidence qui ne devra être répétée
ni mutisme ni aveux
savoir exactement
ce qui pourra être déclaré
les nuages rabrouent la pâleur nouvelle des versants
lumière rase yeux courbés
au retour s’imposent d’anciennes réponses.
*
Boire une gorgée pour
saluer les autres saisons
de l’homme ciel
confédération de nuées
la beauté devient un
instant tendu entre
deux absences une mer
somnolente d’orties
peuple plusieurs imaginations
laquets bruyères fleuries
virtuosité herbeuse de l’été.
*
Eaux blanches
Eaux brunes
écume de mai
la neige tardive reste gardienne de leurs chants
fragile perpétuité arbres sentinelles
près du col
pierres belliqueuses
réconciliées dans le bleu du ciel
Eaux blanches
Eaux brunes
comme tout ce qui difficilement s’énumère
la beauté accueille voluptueusement nos interrogations
reste l’abandon
des guides
nulle distance entre espoir et devenir
Eaux blanches
Eaux brunes
aucune question ne sera retenue
splendeur mal retranscrite
où se rassemblent les
vertus dissipées du jour.
*
Chaleur incrédule
ciel fou d’exactitude
une fête s’annonce
l’été déjà la sait ultime
dernières rumeurs d’une célébration
reste une promesse dont personne
ne certifiera l’accomplissement
mais
quel corps justement devrait
se donner aux nuages tardifs
mutisme sans réponses
baiser profond sur les lèvres
inattendues du rocher.
*
Cette lumière
que l’on ne peut nommer
marcher à distance nécessaire
de l’ombre qui me suit
repos fleurs méconnues
ignorance que n’éteindrait
aucun livre
roche sévère comme
une jeunesse sans mensonges
le temps et le sentier
se dérobent sous le pas
longue présence
mémoire que
chaque jour
retrouve.
*
Ce qui n’était
même ruisseau
prend langue de glace
la mort
ne porte pas un nom fidèle
sur la lente vitre
le jour naissant
confirme
l’indiscipline ouvragée
du temps.
*
Lumière difficile
la chaleur qui l’épuise
doit provenir des temps
les mieux oubliés
et voilà comme image
celle d’un homme
qui parlerait d’autres saisons
sur le chemin
la poussière de l’été
improvise certains détours.
(...)
Source : http://www.francopolis.net/salon2/E.Barbier-NovDec2023.html
Novembre 2023
Article de 2018
"le dessinateur israélien Avi Katz a été informé par le magazine The Jerusalem Report, pour lequel il officiait comme pigiste depuis 1990, qu’ils ne publieraient plus ses dessins, à la suite de la publication d’un dessin sur sa page Facebook avant sa publication par le magazine. Des membres du gouvernement israélien y sont représentés en cochons, sous la légende « Tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres », célèbre citation du roman satirique, La Ferme des animaux de George Orwell.
Le dessin fait référence à une photo de Benyamin Netanyahou et de membres du Likoud se prenant en selfie après l’adoption par la Knesset de la loi controversée sur l’Etat-nation qui sanctionne le statut d’Etat-Nation Juif d’Israël. Une loi jugée discriminatoire envers les populations non-juives d’Israël, la langue Arabe perdant par exemple le statut de langue officielle.
Posté sur Facebook par son auteur avant sa publication par le Jerusalem Report, le dessin est devenu viral et a suscité de nombreuses réactions, principalement au sujet de la représentation des politiciens en cochons, jugée antisémite et choquante en Israël, le porc étant non kasher.
L’éditeur du magazine qui a initialement validé le contenu du dessin, a alors averti Avi Katz de son intention de ne plus publier ses dessins, sous pression de la direction du journal, furieuse de cette publication anticipée. Dans un communiqué cité par le journal Times of Israël, les membres du Jerusalem Report expliquent que « suite à des considérations éditoriales prises par les rédacteurs en chef, il a été décidé de ne plus publier ses dessins, après que plusieurs d’entre eux ont suscité des réactions négatives ». Haim Watzman, journaliste au magazine dont les écrits accompagnaient régulièrement les dessins de Katz, a démissionné en réponse à l’éviction d’Avi Katz. Le dessinateur a bénéficié de nombreux soutiens parmi lesquels on compte des dessinateurs israéliens tels qu’Uri Fink, Michel Kichka mais aussi l’Union des journalistes d’Israël et l’organisation internationale PEN America. Finalement, il est à noter que Nissim Hezkyahu, fondateur et ancien président de l’Israel Cartoonists Associaton et directeur artistique du festival ANIMIX de dessin de presse et de BD qui se tiendra pour sa 18 ème édition à Tel Aviv en Août 2018, organise une exposition de dessins en réponse au licenciement d’Avi Katz et sortira un numéro spécial unique qui réunira tous les dessins exposés."
Source : Cartooning for peace
Né en 1946 à Marseille, Daniel Giraud était arrivé en Couserans en 1972, après de multiples voyages qui l’avaient amené des montagnes chinoises aux fins fonds de l’Amérique profonde. Comme il le disait : "Seul un poète peut traduire un poète." Et sans avoir appris le mandarin autrement que par lui-même, grâce à une méthode qui lui était propre et ses multiples voyages au pays de Lao Tseu, il en était devenu l’un des traducteurs les plus respectés et fidèles.
https://atelierdelagneau.com/fr/accueil/279-grave-a-l-esprit-sin-ming-9782374280684.html
"Daniel Giraud s’est donné la mort le vendredi 6 octobre 2023 à Saint-Girons en Ariège, où il avait élu domicile en 1972 après de nombreux voyages (Afrique, Asie, Amérique). Il avait écrit en 2016 : « Connaître la réalité de la conscience permet d’assister à sa propre mort, au centre du monde, mourir avant de mourir et réaliser sa vraie nature ». Et, dans le même ouvrage au titre profondément anarchiste, Comment s’affranchir de son thème astrologique (éditions Arqa), « Sentir que l’on n’est jamais né (et que nous ne mourrons jamais) nous affranchit de notre instant et lieu de "naissance" de notre corps, et donc de notre thème astrologique », l’astrologie étant pour lui « une gnose, une connaissance de l’art sacré, une interprétation des rapports entre l’être et le Cosmos ». Dans Tao et Anarchie, Daniel Giraud rapproche Tchouang Tseu (IVe siècle avant J.-C.) de Max Stirner et de Nietzsche, ces penseurs se méfiant du pouvoir de l’état et renvoyant chacun à lui-même, à une solitude affranchie du bien, du mal, et des structures oppressives. L’anarchie taoïste de Daniel Giraud croise aussi Lao Tseu et Cioran. Né en 1946 à Marseille, il a créé en 1977 la revue poétique et métaphysique Révolution intérieure, dont le dernier numéro paraîtra en 1987, et qui donnera son nom à l’édition de ses écrits auto-publiés.
Daniel Giraud a appris le mandarin par lui-même, mais ses traductions de Li Po (Albin Michel, 1989), Hsin Hsin Ming (Arfuyen, 1992), Hsan Shan (Orphée La Différence, 2016), du Tao Tö King (Courrier du Livre, 1989, et l’Harmattan, 2011) sont reconnues par des sinologues tels que Jacques Pimpaneau. Des récits de sagesse d’extrême orient (Gallimard, 2007) traversent les traditions du Tao et du Tch’an chinois « qui a donné le Zen au Japon ». L’un des « textes » essentiels de cet « enseignement muet et paradoxal » issu « de l’alchimie subtile entre Bouddhisme (officiellement) et taoïsme (officieusement) » est le Sin Ming (ou : « la négation originelle fondamentale ») dont l’auteur est Fa Jung (594 – 657). « Sin Ming, gravé à l’esprit ou inscrit au cœur », est pour Daniel Giraud qui en propose ici la traduction entre une introduction et le texte chinois suivi de notes, « un écrit de l’esprit qui se perçoit de lui-même, de cœur à cœur. Sin c’est aussi bien les pensées du mental, le cœur des émotions que l’esprit universel considéré dans une perspective métaphysique non duelle (…) L’esprit est non-né, tout comme les naissances apparentes (…) Dans le silence paisible, le non-né n’est pas affecté par toutes les situations apparentes et les tourbillons de pensée (…) À l’esprit vacant tout est vide. La dernière parole du Sin Ming est une sans-parole : "Le non-dit discerne le vrai du faux et fait prendre conscience" ».
Tout traducteur parie sur l’échange. Tournant le dos à l’exotisme, l’universaliste Daniel Giraud n’hésite pas à lancer des ponts entre penseurs chinois et occidentaux, et nous autorise implicitement à faire de même. En amont de Nietzsche qu’il rapproche du taoïsme, l’influence de Schopenhauer s’est étendue de Proust à Clément Rosset, en passant par Hermann Hesse. On pense à « l’idiotie » selon Rosset, et à nos philosophes, dramaturges et humoristes de l’absurde, en lisant : « tout n’a pas de cause / lumière et paix se manifestent spontanément ». Ou à Proust : « Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause », ou : « une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause ». Face à cette obscurité lumineuse, « ne pas penser est l’action efficace », l’action « au plus subtil et profond », nous dit Fa Jung. Où « l’essentiel du savoir est non-savoir ». Où « la réalité absolue n’est pas explicable / non séparée, non entravée ».
Mais c’est sur l’obstacle auquel se cogne tout langage (et qu’il doit se cogner), sur son désir et son incapacité face au réel, à l’impression vécue, que le Sin Ming rencontre Proust et les modernes. Du côté de chez Swann : « Et voyant sur l’eau et à la face du mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel , je m’écriai dans mon enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : "zut, zut, zut, zut" ». Fa Jung : « être ainsi par soi-même clair et paisible / sans pouvoir arriver à en parler ». Et si l’expression du narrateur proustien est « égarée au possible », comme dirait un autre, aux yeux d’un Fa Jung elle n’est pas inadéquate : « extérieurement, ayant l’air ignorant et bête / intérieurement, le cœur vide et juste ». On croit lire Le monde comme volonté et comme représentation de Schopenhauer quand Fa Jung écrit : « Les pensées font seulement tournoyer et obscurcir / elles troublent et perturbent les souffles vitaux ».
Loin de s’opposer à la littérature, l’ « enseignement muet » du Tch’an la fonde (qu’on pense au « monde muet », grand aiguillon de Ponge), la sauve du naufrage dans la logomachie. Et si rien ne paraît plus éloigné de l’orient indien ou chinois que le cartésianisme, l’évidence du Cogito émergeant du doute systématique répond parfaitement à : « n’ayant pas de lieu pour apaiser l’esprit / la clarté de la vacuité se dévoile d’elle-même ».
Loin d’être inconciliables ou irréconciliables, les deux cultures dialoguent, à une quinzaine de siècles d’intervalle, et s’harmonisent dans l’oreille du bluesman « Dan Giraud ». Si nous l’entendons si clairement, si distinctement, nous jouer du Fa Jung, c’est qu’il n’est pas parti bien loin."
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