Lola Álvarez Bravo
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Tous, absolument tous, nous avons quelque chose à dire aux autres
quelque chose qui doit être célébré ou pardonné de tous.
j'écris pas. Poème de Pénélope Corps publié dans le troisième numéro de la revue Hazard Zone.
Lu par moi-même.
ET SI JE PARLAIS DE MOI POUR UNE FOIS
Je
Regarde
Avec des sentiments mélangés
Découragement colère beaucoup de lassitude et la sensation de mes vanités
Cet énorme tas de papiers ce vomi de mots qui s’incruste
Le monde que je mâchonne et qui ne passe pas
Cette voix de l’habitude parce que j’écris le matin tous les matins
Comme si c’était hygiénique je me lève je pisse je fais un café j’écris
Je ne trouve pas la paix
Je ne trouve pas la paix
Je
Regarde
L’énorme tas de papiers cette bouillasse de sentiments mélangés
Le découragement la colère qui s’enfuit la lassitude qui prend la place
Toute. Toute la place.
Dis Il faut corriger
Enlever tailler couper refaire casser que la fin plaise à Tartempion Que le début soit agréable à Ducon
Foutre aux poèmes des corrections qu’ils chialent un bon coup s’en souviennent
Qu’ils te regardent comme si tu leur faisais peur
Miskin les poèmes comme tout aujourd’hui
Et puis être guerrière et martiale et belliqueuse parler des combats sacrés
Sauf dans la vie bien sûr
In real life tu t’écrases tu lèches ta peine à l’abri des regards
Et tu nettoies derrière
Je
Regarde
Ma vie on dirait l’avant-guerre qui était déjà l’après d’un autre bordel
Les années quarante que je n’ai pas connues
Les fêtes décaties la fièvre des bons mots qui s’empare des foules
On se congratule on moque on se déclare déprimé mais pas dépressif
J’ai envie d’appuyer sur le bouton marche rapide en avant voir
Les fêtes sombrer dans le noir les foules devenues muettes le silence
La terreur soudaine entendre les Si j’avais su
Cesser d’être Cassandre
Ne plus dire je vous l’avais bien dit en pensant je ne l’ai pas assez bien dit
Justement
Je ne trouve pas la paix
Je ne trouve pas la paix
Je ne sais pas où la chercher ni même si elle existe ailleurs que dans mes contorsions
Ces cabrioles de mots ces vieilles grammaires du malheur décaties agitées qui font des phrases
Au Guignol du jardin du Luxembourg quand j’étais petite je me souviens de ma terreur
Il y avait une marionnette qui chaque fois perdait la tête on savait qu’elle allait la perdre
Elle était faite pour cela, son cou s’étirait s’étirait puis sa tête sautait hors du corps
Poupée décapitée je hurlais de peur et je continue à hurler
Le long des sabres qui se soulèvent et des pleutres qui les acceptent en cadeau
En remerciant pour l’honneur qui leur est fait
Je ne trouve pas la paix
Non je ne trouve pas la paix
Juste par instant un répit un moment bref dans un coin du ring sur le tabouret
On me passe une éponge sur le visage et des mains me recousent prestes
Avant que ne sonne le gong pour la reprise pour tituber une fois encore
Les mains brisées sous les gants la bouche qui saigne les yeux qui ne voient plus
Juste un répit le temps que je croie encore à la douceur avant d’oublier
Et que tu me dises que toi et moi ce n’est qu’un intermède une façon de passer le temps
En attendant des amours sérieuses des vraies des qui font rêver et pleurer
Je boxe des fantômes, shadow boxing, jusqu’à l’épuisement, le corps se dérobe
Se défait, s’effiloche, part en fumées en souvenirs s’effondre tombe
Puis repart prendre sa ration de coups dans la gueule et en redemande
Alors la paix
La paix, pourquoi la trouver,
Pourquoi vivre autrement qu’un enfant qui commence un dessin
Puis insatisfait arrache la page et recommence sur une belle page neuve
Le même gribouillis qui soulève le cœur
Je ne me soucie plus d’en être aux dernières pages presque à la couverture
Presque au moment de refermer le cahier
Je marquerai à la place du mot fin
Ceci est recyclable Je recommencerai
Et, de nouveau,
Je ne trouverai pas la paix
A.X.
à genoux vous creuserez sous les coups les plus bas
à terre vous demanderez pardon pour boire encore
ne serait-ce qu’une goutte à la source miracle
cg in Pandémonium II
On les appelle "charnelles"
Ces personnes qui donnent tout émotionnellement
Âme, cœur, corps et esprit.
Celles qui, une fois entrées dans ta vie
Te changent entièrement
Celles qu’on écoute au-delà de la peau.
Jusqu'à l'intérieur de l’os.
Enduire les fragiles vertèbres de pollen, car dans le delta des prunelles aux confins des reins, l’alpha et l’oméga sont des loups féroces.
cg in Le poulpe et la pulpe (Cardère 2011)
Un fils qui ne savait même pas boire. Ça ne pouvait pas être un homme, un vrai. Surtout dans une ville où, selon Miguel, la sobriété est déraison.
in avaler du sable
Le passé perdu et l’avenir, cette construction cauchemardesque avec ces monstres souriant à toutes les fenêtres. Une colère antique passe par moi et me ravage. Terrible injustice qui frappe et frappe encore. Marques invisibles, les contusions de l’âme.
cg in Journal 1999
aux Ed. des Carnets du Dessert de Lune
poésie, février 2017
70 pages (carré, collé) 19 x 29 cm, 18 €
Préface :
Pas dit qu’on en boirait de ce vin là, mais on a bien envie d’en savoir plus, alors on ouvre la bouteille… Et d’entrée, c’est l’uppercut, un relent d’enfance qui marche au pas et de pourriture tranquille… Et on sait très vite que oui, nous allons boire tout notre saoul, parce que voici venu l’heure du néant, et Saïd Mohamed en dix lignes nous crache le portrait du monde et ses victoires qui ne sont que défaites/Des noces d’étreintes de sang et de merde.
Un uppercut crescendo, et on n’en sort pas indemne.
Le vin des crapauds a vieilli pendant 21 ans dans la cave du poète, et il a le goût acide d’un mauvais vin nouveau, sans doute parce que le malheur, la violence, la bêtise, l’ignorance, les injustices, sont toujours les mêmes, en grappes lourdes, noires, amères, toujours plus grosses et grasses.
Nous récoltons sur nos mains le sang de nos enfants,
Tandis que nos maitres boivent le divin nectar
Des bénéfices de cette boue pétrie aux alliances vénales
Le poème ici fait sauter le bouchon de la bouteille, celle du vin des fous, du vin des nausées, du vin dont s’enivrent ceux qui ont trop vu œuvrer les bouchers adulés par un bétail sans mémoire. Il ne s’adresse même plus à ceux-là mais à l’acier lui-même, non sans ironie.
Bel acier cherche ta voie dans les entrailles,
La viande chaude et le sang doux.
Couvre-toi de gloire, bel acier.
Le vin des crapauds, pauvres crapauds, c’est pour trinquer et vomir à tous les morts pour rien, qui pavent les siècles de leurs chairs pourries.
Je voulais du vin et du silence, dit le poète, mais puisqu’il faut supporter le vain des maux, voilà le vin des mots rances.
Il faut le boire, comme on dit, jusqu’à la lie et faire la nique d’un rire sans dents aux horreurs, car du poète c'est le lot que de la guerre/ devoir encore extraire l'or de l'amour, nommer l’innommable et égrener les mots magiques, envers et contre, envers et contre… Des cendres de l’espoir, on peut toujours tracer des signes. Vraiment ?
Le poète ici, dérisoire manchot face à un énième tsunami de ténèbres, s’écroule de lui-même.
Je ne suis pas ignoble, j'ai honte de vivre.
© Cathy Garcia, le 9 novembre 2017
Postface:
Le vin des crapauds a été écrit en grande partie pendant la première guerre d’Irak, de 1990-91 Certains de ces textes ont été publiés dans la revue Kitoko Jungle Magazine de Guido Kuyl en Belgique, avec des dessins de Bob De Groof. Ensuite, Jacques Morin en a fait en 1995 un numéro de Polder avec des dessins de Fatmir Limani qui publiait lui aussi dans Kitoko. Que Jacmo soit ici remercié.
Devant les événements récents et ceux à venir provoqués par ce Nouvel Ordre Mondial, comme il a été qualifié, et qui a désigné l’Axe du Mal, les Bons et les Méchants. Ce qui n’est rien d’autre qu’un plan pour détruire les vieilles civilisations en les assujettissant mieux aux lois du marché. Construire du nouveau, sur les cendres de l’ancien qui obéit mieux à son maître. Il m’est apparu essentiel de republier l’ensemble de ces textes qui ont été retravaillés et auxquels des nouveaux poèmes sont venus s’ajouter, dont certains ont été publiés par Alain Boudet sur la Toile de l’un.
Bob De Groof, à qui j’ai fait part de mon projet, a tout de suite accepté de s’y investir et pendant un an il a travaillé à la gouge sur les grandes plaques de linogravure. Un tirage de tête sur velin d’Arches et au format 50 x 65 cm en a été fait à vingt exemplaires sur BFK Rives 250 grammes dans l’atelier à Fleur de Pierre par l’ami Étienne de Champfleury sur sa presse Marinoni Voiron de 1912.
Jean-Louis Massot des Carnets du Dessert de Lune qui me publie depuis Souffles en 2006 en fait ici une nouvelle édition. La maquette est de Morgane Pambrun typographe tombée dans les lettres dès sa plus tendre enfance et ensuite formée à l’école Estienne. Des expositions des 14 linogravures sont prévues dans diverses galeries à Paris, Bruxelles, Düsseldorf.
Ces textes et ces dessins sont notre façon de dire « Non à l’horreur ! »
Les auteurs :
Saïd Mohamed est né en Basse-Normandie d’un père berbère, terrassier et alcoolique et d’une mère tourangelle lavandière et asociale. Nomade dans l’âme, il est tour à tour, ouvrier imprimeur, voyageur, éditeur, enseignant à l’école Estienne. A aussi publié en poésie au Dé bleu et à Décharge dans la collection Polder, aux éditions Tarabuste.
Il a obtenu le prix Poésimage en 1995 pour Lettres Mortes, le prix CoPo pour l’éponge des mots en 2014. Boursier du CNL en 2015. Son blog : http://ressacs.hautetfort.com
Bob De Groof est peintre, collagiste, graveur-imprimeur, et photographe. Il a fait des assemblages, installations, du street art et a sculpté des totems.
Des expositions de ses œuvres ont eu lieu en Belgique, France, en Allemagne, aux Pays-Bas et aux États-Unis. À travers les années, il a exposé une quarantaine de fois individuellement et a participé à une cinquantaine d’expositions de groupe. Ses travaux se trouvent entres autres dans des collections de pays aussi divers que les États-Unis, la Russie et le Maroc.
Faisant la connaissance de Saïd Mohamed pendant leur collaboration respective au fanzine KITOKO JUNGLE MAGAZINE, plus récemment ils ont décidé de réaliser un vieux rêve : la réédition et illustration du poème apocalyptique « Le Vin des Crapauds » écrit par Saïd.
Son site : http://www.bobdegroof.eu/tekst/engels/welkom.htm
Pour passer commande :
http://www.dessertdelune.be/store/p826/Le_vin_des_crapaud%2F%2FSa%C3%AFd_Mohamed.html