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CATHY GARCIA-CANALES - Page 184

  • In memoriam... Werner Lambersy lu par lui-même, Cathy Garcia & Jean-Louis Millet

     Werner 85x780.jpgLe poème
     est un rapport inconnu
     à la vérité
     
     la mort aussi
     
     le poème n'est pas la mort
     mais il passe
     par là
     
     la mort
     comme le poème
     passe par là où l'on ne peut
     qu'être seul
     
     la mort est poétique
     en ce qu'elle est sans retour
     
     le poème
    est la mort de la mort
     
     
    Werner Lambersy, un poète de passion, généreux, génial et immensément profond vient de nous quitter, j'avais publié quelques-unes de ses songeries inédites dans le n°22 de ma petite revue en 2007 et avec beaucoup d'émotion aussi des extraits de "La toilette du mort", dans le n°31. Il avait aussi écrit une présentation pour la quatrième de couv. de mon recueil "Mystica perdita", très modestement comme il a toujours su faire.
     
    Werner Lambersy est né le 16 novembre 1941 à Anvers (Belgique), d’un milieu néerlandophone, a choisi d’écrire en français. Il a parcouru les États-Unis, le Canada, les Indes, la Chine et s'est fixé à Paris en 1982 où il est chargé de la promotion des Lettres au Centre Wallonie-Bruxelles. Son succès ne lui a jamais fait perdre sa liberté de parole, sa sensibilité libertaire et résolument anti-fasciste. Un combat qui touche directement son histoire personnelle, en témoigne le très long poème LA TOILETTE DU MORT paru d'abord dans la revue flamande Septentrion n°XXXIII/2004. Traduit dans de nombreuses langues, notamment en japonais, son univers poétique touche un public de plus en plus large et cosmopolite. Bien qu'il soit issu d'un milieu néerlandophone, il a choisi d’écrire en français : acte de résistance et d'antifascisme, dit-il, dont l'emblème inconscient guide toute son écriture. Il est l’auteur depuis 1967, d’une centaine au moins de recueils traduits partout à travers le monde. Fils de Juliette Rosillon, issue d’une famille aisée de la diaspora juive et d’Adolf Lambersy, intellectuel et homme de lettres autodidacte, partisan convaincu des idées du parti extrémiste flamingant VNV, engagé volontairement dans la SS en 1942. Un père et un fils aux idées totalement opposées, sans aucune possibilité de rapprochement. Le fils renié, ignorera jusqu’au lieu de la sépulture du père mort en 2002. C’est parce que j’avais été profondément touchée par la lecture de "La Toilette du mort" (Ed. L'Age d'Homme, 2006) qui évoque puissamment ce terrible fardeau héréditaire que j’ai eu envie d'en proposer un extrait dans le n°31 de ma revue avec l'accord de l'auteur. Je vous encourage à lire ce recueil dans son intégralité, y figure aussi un autre texte, à propos d’un autre homme de lettres, Ezra Pound, poète américain émigré en Italie en 1924, égaré lui aussi dans les théories fascistes et mussoliniennes, mais qui reconnaitra publiquement sa terrible erreur.
     
    Et si vous n'avez jamais lu Werner Lambersy, c'est le moment, l'homme est parti poursuivre sa route d'âme mais sa poésie est éternelle parce qu'intemporelle. Vous trouverez de nombreuses citations et références à son œuvre sur ce blog et ici : http://wernerlambersy.eklablog.com/

     

    Werner est aussi le très proche ami d'un très très proche ami et complice de création, Jean-Louis Millet, qui tenait pour lui le blog mentionné ci-dessus et c'est donc l'hommage de Jean-Louis pour son ami que je souhaite partager ici (et suis très honorée d'en être, le texte de Werner que je lis dans la vidéo, "La déclaration", est une perle d'amour dédiée à sa compagne et épouse que j'ai eu le plaisir de publier aussi plus récemment dans la revue).
     
    Mes pensées vont à elle et à tout leurs proches.

     

    merci à Recours au poème

     

     

     

  • Werner Lambersy 

    Aigremoine, aristoloche, benoîte, bétoine, bleuet, condamine, chélidoine, chiendent, cigüe, colchique, consoude, dauphinelle, digitale, euphorbe, fenouil, ficaire, fumeterre, germandrée, guimauve, lamier, liseron, mélilot, mercuriale, millepertuis, 
    achillée, absinthe, angélique, arum sauvage, aspérule, berce, bourrache, bryonne navet, capucine, carvi, chicorée, datura, trigonelle, jusquiame, laitue, marguerite, menthe, moutarde, orties, pensée, romarin, roquette, rue, safran, sarriette, sauge, 
    trique madame, verveine, aneth, armoise, bardane, belladone, cerfeuil, coquelicot, joubarbe, jonquille, lavande, lierre, mauve, myosotis, marjolaine, persil, pervenche, sorcière, molène, morelle, narcisse, orchidée, origan, centaurée, pissenlit, 
    pulmonaire, salicaire, saponaire, scabieuse, séneçon, souci, tanaisie, tussilage, valériane, véronique, violette, vipérine, pimprenelle, rhubarbe, raifort, thym, gaillet, mélisse, pariétaire, cassa, ail, genêt, éricale, solanée, primevère, balsamine, herbes Saint-Jean… 

     

    in De brins et de bribes  
    avec Jean-Louis Millet, encres 

    éditions du Cygne

     

     

     

  • Charles Géniaux - Naïa la sorcière - 1899

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    "Naïa la noire, la sorcière de Rochefort-en-Terre, intrigue depuis plus d’un siècle. Sorcière sans sabbat, sans diable et bien sûr sans balai, elle continue à s’environner de mystère… On ne trouve nulle part sa trace, il semble que son apparition et sa disparition soient advenues comme par surprise, et sans témoins. On lui prête beaucoup de talents qui relevaient de la sorcellerie : elle prédisait l’avenir, maudissait en invoquant le démon Gnâmi, et ne mangeait jamais. Dotée du don d’ubiquité, elle était insensible à la douleur, et ne craignait pas le feu. Elle soignait les villageois de manière empirique, mais pas forcément magique : elle réparait les entorses et les fractures, soulageait les maux divers, du ventre ou de la poitrine, fabriquait ses remèdes. Les légendes des cartes postales qui la représentent divergent sur sa fonction : sorcière, guérisseuse, vieille femme, ou simplement servante… L’une d’elles la représente s’apprêtant à lire dans la main d’une jeune paysanne."

     

    Dans "La Vieille France Qui S'en Va", Charles Géniaux décrit sa rencontre au début du XXième siècle avec la sorcière du village. 
    " Elle me parut une femme robuste de soixante années. Ses traits, son front ridé, pouvaient être d'une centenaire, cependant que ses mains charnues et solides démentaient la vieillesse précoce du haut de son visage".

    Vieille femme à l'allure sévère, dotée du bâton noueux des sorciers, Naïa s'était fait la maîtresse d'un lieu digne de son personnage, vieux, intemporel et mystérieux : le château de Rieux. On la disait immortelle. Car de mémoire d'homme, on avait toujours connu la même silhouette vieille, sombre et vigoureuse. Naïa semblait échapper aux lois du temps. Elle ne mangeait ni ne buvait car, disait-elle, "Est-ce que les anges mangent ? Nous n'en avons pas besoin non plus." Et jouait ainsi de son rôle de sorcière presque avec amusement.

     

    Car on racontait beaucoup sur Naïa. Ses exploits fascinaient les populations alentours. Elle possédait le don d'ubiquité, faisait parler les feux dont le cuir de sa peau était insensible, lisait l'avenir, communiquait avec l'esprit de "Gnâmi" : "J'ai la puissance et Gnâmi est plus fort que la mort !". A la question de qui était Gnâmi, elle répondait : "Gnâmi est Celui qui peut, Celui qui veut, Celui qu'on ne voit pas."
    En réalité, Naïa était une femme intelligente et instruite. Charles Géniaux rapporte qu'elle lisait même les journaux. C'était la fille d'un rebouteux de Malensac et avait hérité de dons de ventriloques et de plusieurs tours de saltimbanques. Ainsi s'était construite et perpétuée la légende de Naïa, la "chaman" de Rochefort en Terre.

     

    L'éditeur Stéphane Batigne a traduit le récit de Charles Géniaux (1899) jusque là non disponible en français et l'a publié en 2019 : 

    À la toute fin du dix-neuvième siècle, l’écrivain et photographe Charles Géniaux séjourne à Rochefort-en-Terre. Il y découvre l’existence d’une mystérieuse créature rôdant dans les ruines du vieux château de Rieux : Naïa. Cette femme sans âge et sans domicile connu manipule les braises, voit dans l’avenir, ne mange jamais et a le don d’ubiquité. Il n’en faut pas plus pour qu’on lui prête une réputation de sorcière. Avec ce récit, publié en anglais en 1899 dans la revue britannique Wide World Magazine, Géniaux mène une véritable enquête sur le personnage de Naïa. Il va à sa rencontre, recueille des témoignages, croise les informations. Sans oublier de prendre des photos de la «sorcière de Rochefort».

     

    "Elle se tenait là, dans sa majestueuse laideur, solennelle et imposante comme une pythie des anciens temps. Nous nous observâmes l’un l’autre en silence. Ses yeux inspiraient l’effroi : enfoncés dans leurs orbites, de teinte crémeuse, vitreux comme ceux des morts. Ses mains, larges et osseuses, reposaient sur un bâton épineux et une sorte de châle sans couleur, couvrant en partie sa tête et ses épaules, tombait jusqu’à ses pieds. De longues mèches de cheveux blancs s’échappaient en désordre de sa capuche. Une volonté indomptable était imprimée sur son visage ridé, avec une expression d’intelligence encore plus frappante que l’affreuse laideur de son apparence."

     

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  • Paol Keineg

    Il pleut sur les coqs de bruyère

    Il pleut sur les constellations de bouleaux blancs

    Il pleut sur les charrues matinales barbouillées de terre glaise

    Il pleut sur le pain chaud au sortir des fours visités d'un gros feu tranquille

    Il pleut sur le poitrail des chevaux rubiconds

    Il pleut à verse sur la pelouse des toits lacustres baignés de merles et de bouvreuils

    Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches

    Il pleut sur les planchers d'aiguilles de sapin sur l'escalier des mousses remuées

    de salamandres

    Il pleut sur le lac tranquille des âmes simples

    Il pleut sur les hommes lourds et muets

    Je m'éveille

    Et je m'assois sur les talus limpides

    Et je m'installe sur la fesse des montagnes de laine

    Et je compte

    Et je compte

    Las de l'exil

    J'approche de la table, le banc

    Et à la clarté des couteaux

    Je laisse plonger en moi les racines du pain

    Plus loin que les matins de globules rouges

    Plus loin que le sang caillé des bruyères où rament les éperviers

    Plus loin que les lièvres blancs et gris et que les cheminées qui reprennent haleine

    Plus loin que les courts matins d'hiver qui voient passer dans l'œil des enfants la caresse

    des étangs sauvages

    Plus loin que les chevaux qui hennissent rouge au cœur des patries effilochées

    Plus loin que la végétation des colères inextricables qui lancent leurs lianes parmi

    les hommes en démolition

    Plus loin que les migraines veloutées qui grattent et qui mordent

    Plus loin que les aurores boréales brûlées de banquises à la rencontre des pays de rosée

    Plus loin que les destins limés à ras de rotule

    Plus loin que la braise flambante de l'œil

    LE SILENCE

    Le champ clos du silence

    La fermentation du silence

    Qui butte contre les vitres

    Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus

    Mais d'un temps artésien qui sourd au moindre coup de pioche

    Je vous parle du temps où l'on bâtissait les forêts

    Du temps où chaque fleur recevait des hommes le sel du langage

    Du temps où cette terre était hantée d'un peuple solennel

    C'était du temps où l'homme était un frère pour l'homme

    Où les hommes se disaient bonjour du haut de leurs collines

    Où les hommes chaque matin saluaient le lait de la pluie

    J'ai compté

    La rose du ciel vert

    Les nasillements d'hirondelles à ras de cheminée

    Les impulsions d'aubes feuillues chez les hommes qui naissent à eux-mêmes

    La dépossession d'une patrie entière  

    Et au bout de l'océan

    Les cocons de nuit

    La course droite des sangliers

    La plainte des moissons moisies tramées d'insectes vidés

    Au bout de l'océan

    Les campagnes fugueuses et les villages en quinconce débordant du fatras des moissons

    Au bout de l'océan

    Le poil humide des chevaux de cristal

    Le corail des lavoirs et des sources

    Les chiens roux lisses de sommeil

    Au bout de l'océan

    La machine des bocages explosifs

    Les gradins de l'aurore parmi les arbres craquants

    Au bout de l'océan

    Le rire des sauterelles

    Le maquis des congres et des lamproies

    La connaissance ininterrompue de la mort

    Au bout de l'océan

    L'établissement des hommes lucides

    Inventant une patrie délibérée

    Dressant sur les promontoires des villes de pierre des animaux de chair

    Au bout de l'océan

    Les reflets battus d'oiseaux rares

    Le sifflement de la vapeur dans les poumons et les poignets tendus

    Au bout de l'océan

    La confusion des paroles et des gestes

    La Visitation d'étranges bêtes brûlantes agitées de soubresauts

    La Visitation massive de boules de feu

    JE TE CRIE PAYS

    Pour tes éblouissements d'yeux dardés

    Pour tes contrebandes de chaleurs farouches

    Tes généalogies engluées

    Tes granits poreux et glacés

    Je te crie pays

    Pour tes fouillis de luzerne à fleur de peau

    Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure

    Tes murs d'écurie écrasés par le coups de pied des chevaux

    Pour vous tous qui êtes moi

    Ou plus encore

    Vous tous qui êtes plus que moi

    Et je vous entends tourbillonner dans la dérive des silences giclés

    ET JE CRIE

    Suicides mauves

    Derrière les persiennes clauses

    Enfants rachitiques que l'on repousse du bout du pied

    Hommes qui traversez la vie comme on traverse un long tuyau humide

    Paysans coagulés tronc à tronc conduisant de la voix les ruées des troupeaux

    Soleils que l'on dirige à bout portant contre le cœur des chevaux

    J'ai vu mourir dans la nuit blonde

    Les enfants couleur de nacre et les filles brunes surgies du lait

    J'ai vu tomber par touffes l'ardoise des toits inertes

    J'ai vu proliférer les marécages aux lèvres des collines

    Il faisait un temps de flammes vertes

    Un temps de poussière d'acier

    Un temps d'yeux germés

    Et j'ai vu sous les portières du Ponant

    S'effriter les enfants pâles et dilatés

    Lourds héritages de fatigue

    D'espoirs séquestrés

    De forêts en gestation

    Chroniques blettes de chanteurs vibrant dans la lumière des branches

    Pays de paille grise

    Pays d'humidité redoublant de violence

    Pays d'attente et d'éboulis

    Je contemple ce pays bâti de côtes et de criques

    Cerné de climats douceâtres

    Traqué de tourbes révolues

    Outrepassé de tumeurs pâles et de pustules

    Où il n'y a pas de place pour le paysan seigneur des terres immobiles

    Pour le prolétaire en usine combattant les négoces et les engrenages féroces

    Soudain nous prend en route

    Le mal taillé en coin

    Le mal qui vrille et qui taraude

    Le mal qui fore et qui perfore

    Le mal qui force chaque pore

    Le mal mèche de tarière

    Le mal douleur de vilebrequin

    LE MAL DU PAYS NATAL

    Mes frères, mes frères

    Hommes brûlants plantés d'épines

    Hommes tranchants à l'écoute des séismographes

    Hommes de mon pays et d'ailleurs

    Buvez aux geysers de l'humanité

    Appareillez pour de grands hommes lourds de justice

    Rassemblez vos propos acérés depuis la pulsation des estuaires

    Jusqu'aux profondeurs de l'étable

    Hommes simples assis dans votre étable fermée

    Hommes empêtrés de tabous et d'interdits

    Je vous entends pourtant crépiter dans les flammes dévorantes de l'esprit

    Hommes liges des talus en transe et des villages abandonnés

    Hommes brodés urinant le long des fossés

    Hommes de vieilles candeurs célébrant des divinités aux joues roses et fanées

    Et vous aussi, hommes des villes collectionneurs de meubles et d'ustensiles

    Hommes émaciés pourrissant sur la muqueuse des villes étrangères

    Vous partagez nos démangeaisons de liberté

    Hommes puissants disputant la sérénité de l'orgue et des esplanades

    Hommes croustillants héritiers de toutes lèpres et de toutes famines

    Hommes trop humiliés les poings fermés de fureur

    Terrés dans le tanin de vos chairs meurtries

    Il n'y a pas de passé en Bretagne

    Seulement un imperceptible mouvement des lèvres

    Au détour de petites phrases anodines et friables

    Seulement un présent de grossières en justice

    Un avenir barré de violence et de poussière

    Il n'y a pas de passé en mon pays

    Sinon un bourdonnement d'hommes réfractaires

    Je revois les genêts sur l'urine sèche

    Les manoirs de quartz entourés de haies

    Mais je ne peux m'asseoir longtemps dans l'herbe

    Les déportations massives continuent

    Nous avons chaud à nos fleuves

    Nous avons chaud à nos relents d'alcool

    Nous sommes un peuple hauts fourneaux

    Un peuple coulé d'aubépine

    Nous ne capitulons pas

    Je m'arrête près des herses et des rouleaux

    Je mâche mes premières pousses de liberté

    J'ouvre l'éventail des champs labourés

    Et notre peuple accompli soudain des révolutions étincelantes à la face du monde

    Un peuple vaincu s'exerce au maniement des marées montantes

    Je les vois qui s'assemblent tous sur les places

    Bûcherons de l'aube arrimés aux cotres du soleil

    Défricheurs herbus et ruminants jetant les grappins dans un passé interdit

    Écoliers ternes et appliqués établissant soudain des relations de cause à effet

    Ouvriers analogues s'éveillant avec lenteur au creux des faubourgs crispés

    Grappes de femmes lourdes enracinées dans la douleur des hommes

    Ouvriers en grève exigeant droit de regard et de pression sur les tubulures du pays

    Colleurs d'affiches, vendeurs de journaux, distributeurs de tracts, porteurs de pancartes

    Étudiants insolents et nerveux se dérobant avec véhémence

    Aux haleines fétides, aux visages craquelés

    Écoliers rieurs éprouvant du pied le fragile équilibre de l'eau et du feu

    Syndicalistes vingt fois licenciés aux gestes robustes d'hommes mesurant l'éternité

    Paysans matraqués à bas de leur tracteur qui le soir sortent les livres précieux sur la table

    Vous êtes la Bretagne qui vient au feu

    Vous êtes la Bretagne qui s'ouvre aux vents du monde

    Aujourd'hui je vous le dis

    Nous allons procéder à des glissements de terrain

    Il y aura des sursauts de lumière dans le brouillard des solitudes

    Et l'angle des fenêtres écumera de fougères

    Alors, nous nous installerons dans l'odeur des charpentes et le soulèvement des toitures

    Pour des émeutes de tendresse

    Aujourd'hui je vous le dis

    Un peuple nouveau émerge lentement qui se ménage des moissons exemplaires

    Un peuple nouveau se dégage des siècles gluants

    Ce pays chloroformé

    Ce pays bruissant d'espoirs clandestins

    Rouvre les yeux sur les banlieues surmarines

    Que naissent en moi les pluies câlines

    Pour humecter les campagnes polychromes

    Que saignent les fougères fripées pour le plaisir des hommes qui tâtonnent

    Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles

    Que se redressent les maisons arrachées à la matrice des frondaisons liquides

    Que s'éveille mon peuple aux quatre coins du monde matinal

     

    in Hommes liges des talus en transe

    P.J. Oswald éd., 1969

     

     

     

  • Antoine Emaz

     

    Ce monde est sale de bêtise, d’injustice et de violence ; à mon avis, le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves ou un enchantement de langue ; il n’y a pas à oublier, fuir ou se divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence. J’écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé. S’il n’est pas facile d’écrire sans illusion, il serait encore moins simple de cesser et supporter en silence. Donc, j’aime à penser la poésie comme un lichen ou un lierre, avec le mince espoir que le lierre aura raison du mur.


    Entretien, in revue "Scherzo" n° 12-13, été 2001

     

     

  • Gustave Moreau - La Chimère - 1867

    Gustave_Moreau_-_La_chimère 1867.jpg

     

    ÉPHÉMÉRIDES

     

    captation de source

    pour nourrir la chimère

    préserver le désir

    assurer ses jouissances

     

    n’appartenir à personne

     

    configuration

    qui convient sûrement

    pour un temps

    ou parce que

    tout simplement

     

    magnifier mythifier

    pour nourrir la chimère

    entretenir la flamme

    la nécessité de jouissance

     

    peau cédée

    sans posséder

     

    et les amants songent…

     

    in Salines

     

  • Conférence avec Aurélien Barrau, astrophysicien

    Intervention d'Aurélien Barrau, Astrophysicien à l'évènement Une époque Formidable qui s'est tenu à Lyon, le 12 octobre 2020 sur la thématique suivante : de la Terre à l’espace, un même défi éthique ?

    Aurélien Barrau est astrophysicien, et exerce notamment au Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (CNRS-IN2P3).

    Il y a un an.... Radical, Aurélien Barrau ? Mais non, c'est notre modèle de société qui est radicalement débile et mortifère.... y'en a marre de galvauder le sens des mots.... je suis radicalement contre l'avide folie de ce système basé sur de pures fictions....

     

     

    ou l'essentiel en version ultra courte ( Global Positive Forum 2019) :

     

     

     

     

  • Lao Tseu

    Renoncez à l'étude et vous connaîtrez la paix. Entre oui et non la frontière est bien mince. Le bien et le mal sont entremêlés. La peur qu'éprouve le commun des mortels ne doit pas effleurer votre cœur. Les hommes courent aux festins de la vie. Ils cueillent les fleurs du printemps, du printemps qui annonce la vie. Mais moi seul reste calme, étranger au tumulte, comme le nouveau-né qui n'a pas encore souri. Je suis seul. Immobile. Je parais démuni de tout, je parais ignorant, je parais abandonné, sans but, sans logis. La multitude s'affaire à accroître ses biens. Moi seul ne possède rien. L'homme de la foule a des idées sur tout. Moi seul hésite. L'homme de la foule est actif, efficace. Seul, je reste immobile. Je regarde sans voir. Mes pensées, égarées, m'échappent pour danser, dans les nuages et le vent, parmi les vagues de l'océan. La multitude des hommes s'affaire, réalise, construit. Je demeure absent, délaissé, inutile. Et pourtant, mes haillons cachent la plus grande des richesses. Seul, je diffère des autres. Je suis l'enfant de la Mère universelle. L'enfant du Tao.
     
     
    in le Tao Te King