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CATHY GARCIA-CANALES - Page 644

  • Miroslava Rosales

     

    « Le gilet pare-balles est nécessaire »
    m'a dit un journaliste
    Et je ne l'ai pas cru

    San Pedro Sula
    ville de défaites et d'os accumulés
    ville d'ambulances
    de cadavres comme des fruits sur le trottoir
    ville aux nuits se voulant serpents
    ville au bruit recraché par la phtisie

    « Ici, m'a dit le journaliste,
    on te fait cadeau d'un cercueil
    pendant la campagne électorale »

    « Quelles tempêtes de pus dissimules-tu dans ton ventre enflammé par tant de cocaïne ? »
    ville braise
    ville charbon
    ville carburant
    ville tonnerre
    ville glaire
    ville cafard
    ville massacreuse d'espoir
    ville chœur de mutilés
    ville plaie
    ville poussière
    ville urine
    ville grouillement de clous
    ville chienne enragée
    ville millions de joies décapitées
    ville fourneau
    ville balle tirée par la colère
    ville suie
    ville avec du calcaire dans les artères
    ville boucherie de biches
    ville gangrène
    orpheline de lune et de miel
    orpheline des mélodies et de la douceur de la pêche
    orpheline de la brise
    qu'est-ce qui pourrait te soulever ?
    quels rêves de cloches conserves-tu encore dans tes labyrinthes tatoués ?
    quelle main saura trouver la caresse d'un talisman à la place d'un scorpion ?
    quels après-midis te couvriront avec la splendeur d'un oiseau multicolore ?

    « C'est une ville morte »
    m'a dit le journaliste
    en éteignant sa cigarette
    C'est un cratère duquel on voudrait s'extirper
    avec le moins de blessures possibles

    « Ça, c'est une énorme fosse commune
    qui ne se referme jamais »
    m'a dit le journaliste
    en continuant à prendre des notes devant les cadavres

     

    traduction : Laurent Bouisset

    http://fuegodelfuego.blogspot.fr/2016/10/cinq-poemes-de-miroslava-rosales.html)

     

     

     

     

     

  • Ce que nous avons perdu dans le feu, nouvelles de Mariana Enriquez

     

    traduit de l’Espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet

    Éditions du sous-sol, en librairie en à partir du 21 février 2017

    Mariana-ENRIQUE-Ce-que-nous-avons-perdu-dans-le-feu-Editions-du-sous-sol.jpg

    240 pages, 18 €.

     

     

     

    Étranges, effrayantes, macabres ou le plus souvent même sordides, ces nouvelles de Mariana Enriquez ne peuvent laisser indifférent. Narrées pour une majeure partie d’entre elles à la première personne, elles nous enfoncent dans les côtés les plus obscurs de l’Argentine, à Buenos Aires le plus souvent, dans un contexte urbain et déshumanisé, où la pauvreté avance comme une gangrène. On peut penser effectivement à l’Uruguayen Quiroga ou même au Bolivien Oscar Cerruto, mais Mariana Enriquez possède une griffe très personnelle et très contemporaine. Ici le glissement vers le fantastique ou plutôt vers l’horreur surnaturelle, ce qu’on appelle le réalisme magique dans la littérature sud-américaine, est clairement un prétexte pour évoquer ou rappeler des faits qui n’ont rien de surnaturel, si ce n’est que leur cruauté semble absolument inhumaine. Que ce soit des cauchemars et des spectres d’une dictature et ses disparus qu’on ne peut faire que semblant d’oublier ou la violence effroyable d’une société où tous les pouvoirs qui se suivent sont corrompus, la misère, les bidonvilles, les ravages de la drogue, la sexualité prédatrice, le trafic d’enfants, la torture, les humiliations, l’exploitation, la pollution, les maladies, les difformités, la folie et la noirceur de l’âme, parfois érigées en culte. C’est de souffrance dont il est question, non pas seulement de la souffrance humaine, mais de la souffrance de tout le vivant.

     

    La plupart de ces nouvelles sont terrifiantes, on y approche au plus près de la violence pure. Et de notre propre Ombre, car ce n’est pas seulement une férocité extérieure qui menace ou agresse les personnages ou la narratrice de ces fictions. Mariana Enriquez nous interroge de façon indirecte, sur nos propres sentiments et motivations les plus dissimulés, sur notre capacité réelle à aimer ou haïr, sur notre indifférence, notre désir de sauver ou d’être sauvé. Sadisme, masochisme, bourreau, victime, parfois la frontière est poreuse et les enfants peuvent être des tueurs. Mariana Enriquez nous tend un miroir magique dans lequel viennent se refléter nos propres difformités, nos attirances malsaines, notre violence intérieure, instinctive, celle que nous croyons si bien contrôler ou que nous ignorons complètement. C’est comme si elle nous mettait devant un abime, et cet abime c’est nous-mêmes, mais en aurons-nous conscience ?

     

    Et l’auteur a du talent, elle nous happe instantanément dans chacune de ses histoires, fait monter la tension, provoque dégoût et fascination dans un même élan, et c’est sans doute là que tout se joue, dans cette ambivalence. C’est aussi un recueil éminemment politique qui pointe le délabrement et les inégalités de la société argentine, questionnement qui est valable pour l’ensemble du monde.

     

    Foncer droit dans le mur c’est un peu comme ouvrir les portes de l’Enfer, n’est-ce pas ?

     

    Cathy Garcia

     

     

    Mariana-Enríquez.jpgMariana Enriquez (Buenos Aires, 1973) a fait des études de journalisme à l’université de La Plata et dirige Radar, le supplément culturel du journal Página/12. Elle a publié trois romans – dont le premier à 22 ans – et un recueil de nouvelles avant Ce que nous avons perdu dans le feu, actuellement en cours de traduction dans dix-huit pays. Certaines de ses nouvelles ont été publiées dans les revues Granta et McSweeney’s.

     

     

     

     

     

  • Les dieux de la steppe d'Andreï Guelassimov

     traduit du Russe par Michèle Kahn

    Actes Sud, novembre 2016

    9782330064570.jpg

    348 pages, 22,80 €

     

    On s’attache vite à Petka, ce gamin dégourdi, inventif, ce bâtard, ce fils de pute comme la plupart l’appellent, puisqu’il n’a pas de père ou tout du moins on ne lui dit pas qui c’est. Petka vient d’adopter un louveteau en cachette, le sauvant ainsi d’une mort certaine, promettant d’apporter en échange aux militaires de la gnole que son grand-père vend en contrebande chez les Chinois, de l’autre côté de la frontière. Petka, dont la mère est très jeune et très dépressive, traîne surtout chez sa grand-mère Daria et le grand-père Artiom. Petka est la cible préférée de toute une bande de méchants garnements menée par Lionka l’Atout, véritable petit tyran, dont la mère fréquente beaucoup les militaires, tandis que le père est au front.

    Nous sommes en 1945, dans un petit village au fin fond de la Sibérie nommé Razgouliaevka. Il n’y a pas grand-chose à manger, la vie semble comme au ralenti et l’un des jeux principaux des gamins consiste à chercher Hitler, qui se cacherait quelque part dans le coin. La guerre n’est pas tout à fait finie, une offensive contre les Japonais se prépare.

    Il y a aussi à côté du village un camp de japonais prisonniers depuis les combats et leur défaite de Khalkin Ghol en 1939. Ces derniers travaillent dans les mines alentour. Il y en a une dans laquelle ils meurent les uns après les autres, on ne sait pas trop pourquoi. L’un des prisonniers, Hirotaro Minayaga, est médecin, il soigne comme il peut ses compatriotes, mais également les Russes. Les chefs du camp le laissent plus ou moins aller et venir dans la montagne pour ramasser des herbes. Hirotaro comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec cette mine. Au village, des bruits courent et les Bouriates sont depuis longtemps partis à cause d’elle. On dit que les femmes de leurs chamanes donnaient là-bas naissance à des enfants monstrueux. Et puis, il y a Valerka, sa mère y travaillait quand elle était enceinte. Valerka est le seul ami de Petka. Il a une santé fragile depuis sa naissance, personne ne comprend ce qu’il a mais il saigne tout le temps du nez.

    Le roman a donc pour cadre la vie de ce village dont les hommes sont pour la plupart absents, morts ou encore au front, et puis celle des militaires et des prisonniers du camp, coincés là les uns comme les autres. Cette narration alterne avec la retranscription de morceaux d’un journal écrit en cachette par Hirotaro Minayaga à destination de ses fils, restés à Nagasaki avec leur mère, où la bombe n’est pas encore tombée. Dans ce journal, il raconte un peu de son présent mais surtout l’histoire de leur famille, ce qui nous plonge dans le Japon des samouraïs et dans l’histoire de la culture du tabac au Japon. On comprend aussi pourquoi Hirotaro qui aurait pu être évacué suite aux combats, a préféré rester prisonnier des Russes. Hirotaro est un personnage extrêmement attachant et un lien va finir par se tisser avec Petka, malgré le patriotisme exalté de ce dernier.

    Le ton du roman est ironique, comique même, il y a une sorte de théâtralité, voire de bouffonnerie chez tous ces personnages, ce qui contraste avec le tragique et même le dramatique des situations. On sent ce côté exacerbé, excessif de l’âme russe, toujours prompte à se saouler et à chanter de vieilles chansons nostalgiques, le cœur au bord des lèvres. Il faut bien être excessivement vivant pour contrer la mort, le dénuement et le malheur omniprésents.

    Les dieux de la steppe, qui sont-ils ? Les chars mythiques russes de la deuxième guerre mondiale, que l’on appelait « les maîtres de la steppe », ou bien les loups ou encore les esprits des ancêtres bouriates ? Sans doute un peu de tout ça mélangé, à une époque où dans ce fin fond de la Sibérie, le corned-beef et le whisky américain font bien plus rêver que la gnole locale ou des pères revenus du front en héros pathétiques et encombrants.

     

    Cathy Garcia

     

    269.jpgAndreï Guelassimov est né en 1965 à Irkoutsk. Après des études de lettres, il part à Moscou suivre au Gitis (l'Institut d'études théâtrales) les cours du prestigieux metteur en scène Anatoly Vassiliev. Spécialiste d'Oscar Wilde, il a enseigné à l'université la littérature anglo-américaine. Fox Mulder a une tête de cochon, son premier livre, a été publié en 2001. La Soif (Actes Sud, 2004), son second ouvrage, un récit sur la guerre de Tchétchénie publié en Russie en 2002, a confirmé sa place sur la scène littéraire russe. Il a été la révélation des Belles Étrangères russes en France à l'automne 2004, et son dernier roman vient d'être consacré par le Booker Prize des étudiants 2004.

     

    Note publiée sur  http://www.lacauselitteraire.fr/

     

    Pour lire toutes mes notes sur ce site :  http://www.lacauselitteraire.fr/tag/Cathy-Garcia/

     

     

     

     

     

  • George Orwell

     

    les films, le football, la bière et, surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les garder sous contrôle n’était pas difficile. [...] Pornosec [...] produisait la pornographie à bon marché que l’on distribuait aux prolétaires. [...] Ces fascicules étaient achetés en cachette par les jeunes prolétaires qui avaient l’impression de faire quelque chose d’illégal. 

    in 1984 (1948)