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CATHY GARCIA-CANALES - Page 16

  • Poing d’ombre de Guénane (extraits)

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    Poésie
    ce mot ourle
    toutes les lèvres
    mais si peu savent
    entrer en silence
    et l’accueillir.


    (…)

    Tout poème vous invite
    à fuguer en vous-même
    ce gouffre où personne
    ne vous coupe la parole.

     

    (…)

    D’instinct l’enfant sait
    le pilotage des fenêtres
    les godilles secrètes
    les bômes où il envergue
    les rideaux de son rêve.

     

    (…)

    Poésie
    souffle de survie
    porte de sortie des incurables.

     

    (…)
    tous 
    ils crochent
    des dents se cachent
    derrière chaque
    question harpon
    être grand c’est mentir.

     

    (…)

    L’Ange est un chat
    aux ailes angora
    l’Enfant est en cale sèche
    dans la basilique secrète
    de l’abandon. Elle écoute
    l’orgue barbare des murmures.
    Dormir
    c’est un peu mourir
    au fond de soi-même
    mais moins dangereux
    que se pencher
    à la portière de la vie.

     

    (…)

    De l’enfance elle ne retint que les manques
    les vides les silences

     

    (…)

    Les erreurs balisent
    la piste où tu cahotes.
    Décollage imminent
    prendre une bonne hauteur de rêve
    avant la rechute

     

    (…)

    à demi dévorés
    à demi dévoreurs
    faisons en sorte
    que le jour rapporte
    un butin de lumières.

     

    (…)

    Ceux qui rament 
    dans un marigot de larmes.
    Ceux à qui
    une vie ne suffit
    pour naître.

     

    (…)

    Il faut fuir tous les miroirs
    surtout les regards
    ils déforment.

    Pourtant certains poèmes
    vous parlent et vous aiment
    dans la langue des miroirs.

     

    (…)

    Qui fournit la formule
    pour exister
    quand dans nos veines
    coule par moitié
    le sang de l’angoisse.

    — D’où venez-vous ?
    — De moi-même.

     

    (…)

    Être poète
    c’est tenter de rendre habitable 
    une solitude.

     

    (…)
    Aimer c’est dormir sans amarre
    Sur un fleuve rongé de rapides.

    Aimer 
    c’est attiser
    la gâchette
    d’un révolver intérieur
    qui cliquette
    entre tempe et cœur

    Aimer est un mot créateur
    les autres sont à demi-morts.

     

    (…)

    Triomphante solitude
    au bout du parcours
    l’amour
    tout sculpté de ses coups.

     

    (…)

    Lueur 
    craquelure
    rayon inquisiteur
    chaque flaque palpite
    accueille sa claque de lumière.

     

    (…)

    Faut-il revenir 
    pas à pas vers soi-même
    pour ne plus être ce poing d’ombre
    qui nous assomme ?

     


    Paru chez Rougerie éd., 2000

     

    Pour en savoir plus sur Guénane : http://www.guenane.esy.es/

     

     

     

  • L’affolement des courbes de Marc Tison

    Tison 1.jpg

    *

    Des terres vierges sont en attente au fond des verres
    Sublimation des cuites solidaires
    Dans les bars si dégueulasses qu’on y rêve
    Éternelle infusions d’étoiles
    Et la voix de Billie Holiday raye l’illusion
    Profond

    (…)

    En enfouissement sous les sourires
    Les indifférences cachées dans la foule
    S’obstinent à crever les yeux
    L’aveuglement l’aveuglement l’aveuglement

    Les écrans regardent s’éloigner les enchantements
    aux geôliers consentis s’offrent les derniers discernements
    nos intimités dépecées en dons

    (…)

    Parlons marketing, parlons de stimulation des besoins
    Parlons d’enfants mineurs adaptés à l’extraction de tonnes de minerais rares et toxiques nécessaires à la fabrication des téléphones portables avec la lampe torche intégrée
    (…)
    Parlons de marketing d’enfants à l’obsolescence programmée

    (…)

    Réalité minorée. Ça s’efface. Un delate sur le clavier
    Un choix éditorial à la tv
    Le quotidien impur disparaît des vérités
    Avec les cris, les pleurs, les dignités

    (…)

    Il m’arrive d’attendre allongé sur l’herbe
    Sur un lit de pénombre
    Posé dans la banquette arrière de la voiture
    Debout entouré d’une foule que j’éteins
    Dans le shaker des hontes quotidiennes

    Il m’arrive d’attendre
    Un instant admirable
    Une expiration qui n’en finit pas
    De définir l’apaisement

    Les espaces profonds
    Entre les souffles et les inspirations
    Des apnées d’évasion

    (…)

    Dans le remuage
    La voix ma voix
    Parle parle parle de nouveau
    Comme roule le ruisseau de montagne
    Où s’abreuvent les estives
    Dévale les pentes au-dessus des pierres
    Saute les obstacles de relief

    Porte cette voix dans les vallées
    Contre les falaises qui résonnent
    Tapage la parole dans les canyons
    Sur les crêtes
    Parle parle parle
    Couvre les oracles nauséeux

    (…)

    Tu es tout ce que j’ai et qui ne m’appartient pas

    (…)

    Mélancolie des ombres qui fuguent de soi

    Au bout du chemin le silence habité des feuilles sous le vent
    La transition où s’opère la mue des soirs solitaires

    (…)

    Devenir la sueur
    Devenir l’air
    Devenir le vent
    Devenir la disparition
    Le rien le tout

    Mais devenir

    (…)

    Quel spleen rattrape l’horizon qui s’éloigne
    Sur des oiseaux danseurs aux clairs obscurs du ciel

    (…)

    Dans la montagne souffle le baiser coupant des névés
    Dans les cheveux frissonne le chant des pierres
    Éparpillées sur le chemin
    Un chant de brisure

     

     

    La chienne Édith, collection Nonosse, 2020

     

     

  • Abdellatif Laâbi - L’espoir à l’arraché

    LEspoir-larrache-dAbdellatif-Laabi_0-2304881982.jpgHYPOTHÈSE

    (…)

    J’aurais pu 
    partir 
    – avant qu’il ne soit trop tard –
    beau, ténébreux
    fleurant bon mes arômes naturels
    superbement romantique
    vif comme l’éclair
    apte au service permanent
    de l’impossible

    J’aurais pu 
    me taire
    me taire pour de bon
    épargner à mes semblables
    un tel lamento

     

    M’armer du silence
    de ceux qui ne connaissent de la mer
    que les vagues ennemies
    et le cimetière des fonds
    Ceux qui dans la boue glaciale
    se lavent le visage
    avec le sang des barbelés
    ceux que tout accuse et condamne :
    le nom, la couleur
    la langue, le pays
    (…)

    J’aurais pu
    me réfugier dans une grotte
    en sceller l’entrée
    M’y exercer 
    à la surdité
    à la cécité
    l’insensibilité
    En finir 
    avec le vacarmes des images
    et livrer ma mémoire
    au grand réparateur
    qu’est l’oubli

     


    DUPE

    (…)

    Peut-on dire alors
    qu’en plus du rire
    du langage
    être dupe
    est le propre de l’homme

    Tiens
    j’ajouterais bien à cette liste
    la trahison

     


    RENONCEMENT

    La porte entrebâillée
    et que l’on sait être
    la dernière
    Pour la pousser
    il faudra davantage
    que du courage
    la noblesse du renoncement

     


    LA MARGE

    (…)
    Adieu chaînes
    qui m’ont paru aimables
    Je me détache 
    m’écarte
    et retourne à ma place
    dans la marge extrême
    Ce sera
    je présume
    ma dernière adresse connue

     

    À VOIX BASSE

    (…)
    L’horreur 
    nous épuise
    Elle malmène en nous
    la bonté
    et bride
    jusqu’au désir

     


    FINITIONS

    La vérité ?
    Ce que j’avais à dire
    je crois l’avoir amplement dit
    et si je m’accroche encore un peu
    à l’écriture
    c’est par acquit de conscience
    pour les finitions
    vous dira l’artisan

     

    Il y a beaucoup de très beaux poèmes dans ce recueil paru au Castor Astral en 2018, ils feront l'objet d'une lecture enregistrée prochainement, à suivre donc...